UJ = mi^ >' ;l " '= Uli . t o; in CO oo 00 y. y : A \ U)Z \ v>- ! CC- ■ UJ" CD CO *■•.> y^ '1 V j- 'Vv ■"'^ Ä-.^.. v;\ leis^ü .^;Ä 1 JOHN M. KELLY LIBßAßY Donated by The Redemptorists of the Toronto Province from the Library Collection of Holy Redeemer College, Windsor University of St. Michael's College, Toronto HW.Y REMEMER B\BL)0"ï>;^ «$•; î£ / „■!«*■ e^BUO..,,^ ri ■^ ; -Ni^NQATüS VISIONS rfl^flE^CflTHEHlp EUMERICfl SUR LA TIE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST TOME PREMIER VISIONS DlHE-GflTPEilDIE EJIIPIG SUR LA VIE DE PTHE-SElGflElJH JÉSUS-GFiHlST ET DE LA TRÈS SAINTE VIEBGK La douloureuse Passion et l'établissement de l'Église par les Apôtres COORDONNÉES EN UN SEUL TOUT, SELON L'ORDIIE DES FAITS Par le R. P. Fr. Joseph'-Alvare DÜLEY DES FHÈRES PRftCHEUBS TRADUCTION ENTIÈREMEN'T NOUVELLE DU TEXTE ALLEMAND Par H. Charles d'ÉSELI-^G TOME PREMIER Cinquième Éditi /.,■ PIERRE TÉQUl, 1.1 BRAI R E- É DITEU R 82, RUE bONAPARTE, 82 IQ22 H»LY RE0£EN£R UBRARY. W^!)SOR c- .._.'an5.:;»V!€H PRÉFACE Le nom d' Anne-Catherine Emmerich n'est plus ignoré des fidèles. L'extrait si édifiant et si beau des visions de cette sainte fille, publié sous le titre de Douloureuse Passion, est connu et admiré partout. Mais ce qui l'est moins, quoique non moins digne de l'être, c'est le merveilleux ensemble de ses récits sur toute la vie de Jésus-Christ et de la Très Sainte Vierge, depuis les temps de Joachim et d'Anjne, jusqu'à l'Ascension du Sauveur, l'Assomption de sa sainte Mère et la^ dispersion des Apôtres dans tout l'univers. C'est pour mettre ce trésor à la portée d'un plus grand nombre, que nous publions aujour- d'hui cette édition des œuvres de la sœur Emme- rich. La traduction, entièrement nouvelle, a été faite par M. Ch. d'Ebeling, sur l'original allemand rédigé par Clément Brentano (1), au pied du lit de douleur de la pauvre fille. Le style de la sœur a été soigneu- (1) C'est lui qui, dans le récit est désigné ffous le nom de pèle» rin, d'après une vision de la sœur elle-même. — VI — sèment conservé dans cette belle et intelligente tra- duction, pleine d'onction et d'élégance et plus pro- pre que toutes celles qui ont paru jusqu'ici à faire pénétrer le lecteur dans le sens profond des œuvres de la voyante. La séi'ie merveilleuse des mystères de notre salut dévoilée dans tous les détails historiques et topogra- phiques du temps, tel a été le don spécial d'Anne- Catherine. Elle a contemplé, jour par jour, toute l'histoire de la Rédemption, suivi tous les pas du Sauveur, entendu tous ses discours, vu ses innom- brables miracles, et ce qu'il y a de plus surprenant, c'est que la nature du pays, les rivières, les monta- tagnes, les forêts, les édifices et leur caractère archi- tectural, les mœurs et les usages, tout, jusqu'aux inscriptions grecques et hébraïques, passe successi- vement sous les yeux de Catherine, de la manière la plus distincte. Ses récits, dans leur ravissante sim- plicité, apparaissent comme une photographie des mystères de la Rédemption, à la fidélité de laquelle, l'histoire profane, les recherches modernes sur l'Orient, l'archéologie biblique, enrichie par des dé- couvertes postérieures, viennent rendre les plus éton- nants témoignages. Quelle leçon pour notre siècle de rationalisme que ces trésors de science dans la tête d'une pauvre fille des champs, avec des vues d'ensemble qui feraient honneur aux plus grands docteurs ! Quelle étonnante coïncidence que celle de ce commentaire vivant de nos saintes lettres, tout illuminé d'une clarté céleste» avec les travaux impies que l'exégèse protestante n'a — VII — cessé d'entreprendre, contre leur vérité et leur inspi- ration divine, dans cette même Allemagne, patrie de la sœur 1 Nous ne prétendons pas donner à ces visions une valeur historique certaine. Tout ce qu'on peut en dire, c'est qu'elles portent un cachet de simplicité, de con- venance, de vraisemblance, dont on ne peut s'empê- cher d'être frappé. Il semble que Dieu ait voulu ré- futer d'avance et convaincre de folie les élucubra- tions orgueilleuses du rationalisme contemporain sur la vie de Jésus-Christ, en donnant à cette humble paysanne une fermeté de pinceau, une vérité de cou- leur, une puissance si prodigieuse de détails topogra- phiques, des vues si constamment exactes sur l'his- toire des temps, qu'elle peut défier nos prétendus sa- vants. Mais ce qu'elle a vu aussi et ce qui a échappé à l'orgueil de la fausse science, dans l'œuvre et la vie du Sauveur, c'est l'unité qui en fait converger tous les traits vers un seul but : l'établissement du règne de Dieu dans l'humanité. Le rayon divin perce partout, même dans les détails les plus intimes. Bien plus, Anne-Catherine voit et nous montre le rapport qui unit tous les siècles à Jésus-Christ, véritable centre de l'histoire. Unité sublime qui réduit à néant ce dédale de contradictions par lequel on prétend ravaler au niveau humain le Sauveur des hommeSr Les âmes qui liront la sœur Emmerich se sentiront consolées des blasphèmes de l'incrédulité, car à la vue de Jésus-Christ tel qu'elle le voit et nous le mon» tre, il est impossible de ne pas s'écrier : Il eH vrai'- ment le Fils de Dieu, *— VIII — Malheureusement ces belles visions n'avaient ja- mais été jusqu'ici présentées dans leur ensemble. Les- diverses parties du journal allemand, où elles sont consignées jour par jour, publiées séparément sou? le titre de Vie de la sainte Vierge, Douloureuse Pas sion, Vie de Jésus-Christ, n'avaient jamais été mises en ordre et réunies en un seul tout, selon la suit«; •des faits. C'est ce travail que nous avons entrepris, •en élaguant seulement les répétitions et les détails étrangers à la vie du Christ qui interrompaient le fil du récit. Nous avons fait suivre dans l'ordre chrono-' logique tons les événements, quelquefois dispersés sans suite, souvent interrompus par des hors-d'œu- -vre, dans les trois ouvrages précités. Les détails iso- lés relatifs à un même fait ont été rapprochés les uns des autres, ce qui donne à la narration un charme nouveau. On a soigneusement conservé les vues sur l'ancien Testament qui se rattachent, par leur côté figuratif ou symbolique, à la vie du Ré- dempteur, et l'éclairent ainsi d'une lumière nouvelle.' Pour soulaiger l'attention et augmenter l'intérêt, ■nous avons divisé, en autant de chapitres spéciaux qu'ils renferment de scènes importantes, les inter- minables chapitres des éditions précédentes. Rien n'a été changé au style que le pèlerin affirme être celui de la sœur, et qui se distingue, en effet, par une simplicité ravissante et une inimitable onction. De temps en temps seulement, lorsque quelques mots de transition étaient nécessaires, nous les avons pris toujours dans Je sens, souvent même dans les propres termes des parties supprimées. La seule addition que nous nous soyons permise, c'est une série de notes brèves, dans lesquelles nous cherchons à condenser les explications nécessaires, pour com- prendre toute la portée symbolique et instructive du texte, que sa simplicité même pourrait parfois déro- ber à la réflexion. Notre but a été de faire de cette vie de Jésus-Christ un manuel pour la piété, trop souvent refroidie et rebutée par les longueurs et les hors-d'œuvre du journal du pèlerin. Grâce aux caractères et au format qui ont été adoptés, on a pu réduire à trois volumes la matière des huit volumes qui ont paru jusqu'ici. Cette diffé- rence étonnera moins si l'on songe que ces huit vo- lumes en contiennent presque deux, tant de mor- ceaux détachés sur divers personnages étrangers à la scène, que de préfaces et d'introductions prolixes de l'éditeur allemand. Nous avons cherché à résu- mer, soit dans cette préface, soit dans la biographie de la sœur que nous donnons immédiatement après, tout ce que ces introductions renferment de vérita- blement instructif. La vision s'ouvre par les vues remarquables d'Anne-Catherine sur les parents et les ancêtres de la sainte Vierge : c'est la préparation du Messie dans /a race élue de son auguste Mère, elle forme la pre- mière partie. La seconde comprend la vie cachée de Jésus, depuis l'Incarnation jusqu'à la mort de saint Joseph. La troisième renferme sa vie publique, sub- divisée en trois années, d'une Pâque à l'autre, pour soulager l'attention. La quatrième, sous le titre de Voie douloureuse, contient les scènes de la Passion, — X dont on a seulement élagué les récits d'apparitions étrangères au drame principal, et auxquelles on a ajouté des détails d'un haut intérêt, qui avaient été supprimés dans l'édition jusqu'ici répandue. Nous ferons remarquer que si cette partie des œuvres de la sœur a été tant goûtée des âmes pieuses, c'est précisément parce que Clément Brentano, son sté- nographe, avait eu soin, comme il le dit lui-même, jdc combiner les fragments épars, recueillis par lui là des époques très diverses, et d'en faire un récit suivi et complet. Or c'est ce même travail qui vient d'être entrepris pour tout l'ensemble. La cinquième partie contient la vie ressuscitée et toute lumineuse de Notre-Seigneur sur la terre, depuis le saint jour de Pâques jusqu'à son Ascension. La sixième enfin raconte l'établissement de l'Eglise sous l'influence maternelle de Marie, Ja mort et l'Assomption de la glorieuse Vierge, la dispersion et les travaux des Apôtres dans tout l'univers. Nous offrons donc ce livre aux cœurs chrétiens comme un recueil de lectures édifiantes sur tout l'en- semble de la vie du Sauveur, dévoilée dans ses dé- tails les plus intimes; nous le leur offrons comme une consolation à la douleur que les récents blas- phèmes de l'incrédulité leur ont causée. La lumière, l'exemple, l'onction céleste qui^en émanent nous ont paru bien propres à faire connaître et aimer notre bon Maître dans ce siècle d'indifférence, et à déve- lopper l'esprit malheureusement trop rare de médi- tation et d'union intime avec Jésus-Christ. Tout y est profond, tout y porte, malgré la prodigieuse va- — XI — riété des détails, un cachet surprenant d'unité. Tout y est d'une simplicité admirable, divine, qui faisait dire à la sœur Emmerich : (( Je n'ai jamais vu Jésus ni Marie parler avec la moindre emphase. Marie est d'une simplicité que rien ne peut rendre : tout son être est comme un fil de soie blanche qui semble disparaître dans une étoffe, à force de délicatesse et de pureté ! » Nous connaissons plus d'une conversion opérée par cette lecture. Nous adressons aussi et tout spécialement ce livre aux personnes qui étudient la sainte Ecriture ; car il renferme une concordance vraiment étonnante des deux Testaments en Jésus-Christ, qui en est le centre divin ; beaucoup de commentaires précieux des pa- raboles et d'explications naturelles des difficultés ; un secours puissant pour mieux saisir l'esprit et la portée des scènes racontées dans les Evangiles, par les nombreux détails qu'il y ajoute sans jamais con- tredire le récit sacré. On y trouve encore des vue/s aussi nombreuses que profondes sur le symbolisme de toutes les scènes où figure Notre-Seigneur ou ses précurseurs de l'ancienne loi ; l'explication et la raison d'être de ce symbolisme, dans la ressemblance parfaite des deux ordres naturel et surnaturel, tous deux faits à l'image de Jésus, le Verbe créateur et réparateur du monde ; le spectacle du développe- ment progressif et continu du royaume de Dieu, semblable au jour qui se dégage peu à peu des om- bres de la nuit. Enfin et par-dessus tout, il renferme une lumière oui jaillit de tous les traits du Verbe fait chair, un — XII — parfum de grâce et de vie qui s'exhale de ses exem- ples, une onction pénétrante qui révèle au cœur les joies pures et profondes du saint amour. Puissent ces fruits précieux se produire en beaucoup d'âmes l Puisse cet humble travail, que nous déposons aux pieds de Marie Immaculée, servir en quelque chose à les multiplier! Flavigny, Couvent de Saint-Dominique. Fr. Josepii-Alvare DULEY, des Frères Prêcheurt» APPROBATION DE L'ORDRE En mettant en ordre les visions de sœur Catherine Emme- 1 Ivh, le R. P. Duley a fait une œuvre utile à tous les fidèles^ et leur a rendu facile le pieux exercice de la méditation sur toute la vie do Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa très sainte More. Nous n'avons trouvé, dans l'édition qu'il publie, rien qui soit contraire à la foi. 2 février 1864. Fr. JACQÜES-MARIE-LOUIS MONTSABRE,, DES FRÈRES PRECHEURS Fr. THOMAS BOURARD, DES FRERES PRECHEURS Imprimatur î Fr. NICOLAUS SAUDREAU, 8. O. P. PROVINCIALIS PROV. FRANCIJi. VIEl D'AISNE ■ CATHERINE EMMERICH Adimpleo ea quse desunt passionu-m Christi in carne mea pro corpore ejui qux est Ecclesia. « J'accomplis en ma cliair ce qui « manque aux souffrances de Jésua- « Christ en faveur de son corps qui est « l'Eglise. » (COLOSS., ch. I, V. 24). Anne-Catherine Emmerich naquit au hameau de Flamske, près de la petite ville de Coesfeld en Westphalie, le 8 septem- bre 1774. C'était à l'époque des grandes épreuves de l'Eglise que Dieu suscitait cette sainte âme, pour en faire un instru- ment d'innombrables bénédictions. Elle montra, dès sa pre- mière enfance, une piété tout extraordinaire; ainsi elle priait Dieu de la retirer de ce monde avant l'âge où elle pût l'offenser. Favorisée dès lors de communications célestes, son ange gardien se montrait à elle sous une forme sensille, et lui apparaissait au milieu des prairies, sous la figure d'un jeune pâtre qui venait se mêler à ses jeux. Jésus, sa sainte Mère, saint Joseph, saint Jean-Baptiste venaient à elle tour à tour, comme des enfants de son âge, et lui expliquaient un symbolisme profond, caché sous la forme des plantes et des fleurs, dans toutes les œuvres et toutes les scènes de la nature; en sorte qu'elle pouvait dire à la fin de sa viev « Grâce à Dieu, je n'ai presque jamais rien lu, et quand je « venais à jeter les yeux sur un livre quelconque, il me scm- u blait à chaque ligne déjà tout savoir par cœur. Les his- « toires mêmes des saints, quand je les comparais à leur vi« « telle qu'elle m'était montrée, me faisaient l'effet d'un soleil « de terre jaune comparé au véritable ». Souvent aussi Jtsu« — XVI — et Marie venaient recevoir de ses propres mains les guirlandes et les couronnes de fleurs qu'elle se plaisait à tresser pour eux, en gardant ses troupeaux. « Un jour, dit-elle, je cherchais à méditer sur le premier « article du Symbple Je crois en Dieu le Père Tout-Fuissant u (je pouvais avoir alors cinq ou six ans). Des tableaux de la <( création se présentèrent aux regards de mon âme. La chute « des anges, la création de la terre et du paradis, celle {( d'Adam et d'Eve et leur désobéissance, tout me fut montré. « Je m'imaginais que tous voyaient ces chose«, de même que « les objets qui nous environnent. » Des cet âge tendre, elle avait un sentiment très vif des souffrances et des joies d'autrui. Elle donnait aux pauvres tout ce qu'elle avait; souvent même il lui arrivait de leur faire part des chétives provisions de la maison. Elle se le reprochait ensuite ; mais comme sa mère, après l'avoir obser- vée, paraissait n'y pas faire attention, elle se tranquillisait bien vite. Sévère, quoique sans dureté, cette mère la punis- sait quelquefois, mais ne la louait jamais. Anne-Catherine, qui entendait souvent les autres mères louer leurs enfants, S3 croyait la plus méchante fille du monde. Un incident curieux vint révéler à ses parents le trésor que Dieu leur avait confié. Son père entendit parler des récits que faisait Catherine à ses petites compagnes. Il lui dit un jour, en la prenant dans ses bras: <( Mon enfant, nous voilà seuls, raconte aussi une histoire à ton vieux père ». Et- Catherine de dérouler dans çon naïf langage, tout ce qu'elle savait des belles histoires d'Abraham et des prophètes; « et f comme, dit la sœur elle-même, il n'avait jamais rien vu « de semblable, et il se prit à pleurer ; ses larmes tombaient <( sur moi, et il me dit: « Enfant, où as-tu donc pris tout « cela? » Alors je lui répondis que je voyais toutes ces choses. « Il se tut, et dès lors il ne me demanda plus rien ». <( Une autre fois, à l'école (c'est toujours la sœur qui pajle) « je disais naïvement, sur la résurrection, des choses qui ne « nous avaient point été enseignées, et cela avec d'autant « plus d'assurance que je croyais, en toute simplicité, ces « détails connus de tous.. Les autres enfants, tout étonnés, « se mirent à se moquer de moi, et me dénoncèrent même au « maître, qui me défendit sévèrement de me livrer à de sem«: « blables rêveries. )> Après quatre mois d'école, son maître 1{^ — XVII — renvoya en déclarant qu'elle savait déjà tout ce qu'il pouvait lui apprendre. Plusieurs' scènes de ce genre donnèrent à penser à la jeune Catherine qu'elle avait eu tort de parler de ces choses. Elle s'accusa d'avoir été moins discrète que tous les autres enfants pieux, qu'elle croyait favorisés des mêmes dons. « Je com- « mençai donc, dit-elle, à me taire sur toutes ces choses ; je (( pensais, sans pouvoir cependant bien raisonner ma con- « duite, qu'il ne convenait pas d'en parler ; mais je ne cessai « pas d'avoir ces visions. J'étais comme un enfant qui voit « de bj^lles images et fait ses réflexions sur chacune, sans trop « chercher à savoir ce que telle ou telle représente. Je pen- te sais que mes visions étaient mon livre d'images, et je les <( considérais paisiblement en mon âme, me disant que tout <{ était pour la plus grande gloire du Seigneur ». Le renoncement et la mortification furent la grande école de sa piété. Dès ses premières années, elle ne prenait de sommeil et de nourriture que ce qu'exigeait la nécessité la plus absolue. Elle passait en prières une partie des nuits. Souvent nième, en hiver, elle priait à genoux sur la neige du «hemin. Elle couchait par terre, sur des planches disposées «n forme de croix ; elle aimait à répéter que l'inutile est tou- jours nuisible, et que l'âme retrouve au centuple tout ce qu'elle se retranche pour l'amour du Seigneur. (( Ainsi, ajou- <( tait-elle avec une comparaison gracieuse, faut-il tailler la « vigne et les arbres pour leur faire porter des fruits; sans « cette culture ils ne produiraient qu'un bois aride et su- « perflu ». Pour se conformer aux avis de sa pieuse mère, autant qu'aux inclinations de son cœur, lorsqu'elle allait à l'église, elle marchait en avant, ou restait en arrière, pour éviter de voir ou d'entendre tout ce qui aurait pu la scandaliser. Le long du chemin, elle s'entretenait sans cesse avec Dieu. Sa principale prière était la méditation des souffrances du Sau- veur sur la croix. Il était rare qu'elle adressât au ciel des vœux pour elle-même: toutes ses demandes avaient pour but la conversion des pécheurs ou la délivrance des âmes du pur- gatoire. Servante pendant plusieurs années de sa jeunesse, à peine avait-elle achevé son travail qu'elle se retirait à l'écart pour converser avec Dieu, comme un enfant avec son père. Revenue dans sa pauvre famille, un jour qu'elle travaillait — XVIII — aux champs avec les siens, la cloche du couvent des Annon- ciades de Coesfeld, qui tintait l'Angélus, lui inspira un désir si ardent de la vie religieuse, qu'elle s'évanouit. Ilapportée à la maison paternelle, elle souffrit longtemps d'un mal inconnu, qui n'était autre que le désir brûlant qu'elle éprouvait d'être vouée tout entière à Dieu. C'est alors qu'elle fut l'objet d'une faveur divine qui indi- quait déjà le but providentiel de sa merveilleuse existence. Laissons-la encore parler elle-même: « C'était quatre ans en- <( viron avant mon entrée au couvent, et par conséquent en (( 1798, dans la vingt-quatrième année de mon âge. Agenouillée « devant un cruoinx, dans la chapelle des Jésuites de Coës- « feld, je priais avec toute la ferveur dont j'étais capable, (( plongée dans une contemplation pleine de douceur, lorsque (( tout à coup je vis mon fiancé céleste sortir du tabernacle, « sous la figure d'un jeune homme tout environné de splen- K deur. Il tenait dans sa main gauche une couronne de fleurs, « et dans sa droite une couronne d'épines, et il m'offrit à our solliciter les hommes, de cette vapeur nci^ râtre qu'elle voit s'exhaler de la bouche des possédés au mo- ment de leur délivrance. Il en est de même des formes angé- liques qui lui apparaissent mêlées à la scène historique, de» *êtes Qu'elle voit célébrer darns le ciel et des images grandioses — XXI — sous lesquelles lui sont dévoilés, dans leur enchaînement, les mj^âtères éternels. Beaucoup d€s visions des saints et quelques- unes de celles de la Sœur elle-même ne sont que des symboles plutôt que la reproduction des faits ; et voilà pourquoi, selon l'explication donnée par elle, divers récits des mêmes scènes peuvent varier et se contredire dans leurs circonstances. Le privilège d'Anne-Catherine a peut-être été de savoir distin- guer l'histoire du symbole. Car elle voit toujours les tableaux purement symboliques planer entre le ciel et la terre, et n'affecter nullement les acteurs do la «cène historique qui se déroule, sur le sol mêmfe de l'urieiit, r.vec les mille détails inimitables de la vivante réalité. Elle voit le Seigneur, avec ses mérites infinis, comme la tête de l'humanité régénérée en lui. Elle aperçoit tous les combats passés, présents et futurs de l'Eglise, sa sainte et virginale épouse. Les rangs de l'Eglise souffrante aussi s'entr'ouvrent devant elle, et, en les traversant, elle ne se con- tente pas de contempler, elle soulage, console et délivre. Bien plus, le cycle des fêtes de l'année ecclésiastique est, pour. elle, comme l'atmosphère vivifiante qui l'introduit dans les mys- tères de Dieu, comme la succession des saisons, dont chacune lui amène ses horizons, avec ses fleurs et ses fruits; et elle voit à chaque fête le mystère qui en est l'origine. Elle est tellement impressionnée par les fêtes, qu'aux matines de chaque jour tout son état intérieur et extérieur, spirituel et corporel, se trouve changé. Si l'Eglise célèbre une fête dou- loureuse, on la voit accablée, languissante et comme flétrie; mais au moment où commence une solennité de réjouissance, son corps et son âme se relèvent tout à coup, comme ranimés par une rosée céleste; et semblable à l'héliotrope, elle suit ainsi tous les mouvements du soleil et de l'Eglise. Tel est l'admirable ensemble des visions de la sœur Em- merich, dont Clément Brentano a pu dire : <( C'est une grande « épopée religieuse qui se déroulé entre le ciel et la terre, « suivant, dans ses divisions, les époques de l'histoire. C'est « comme une mer immense, s'épanchant d'une source mys- « térieuse pour baigner la terre de ses ondes, qui réfléchissent « la beauté des rivages et les richesses apportées par les « siècles. Mais ces eaux transparentes et pures permettent « à l'œil de pénétrer jusqu'au fond, pour y découvrir, au « milieu d'un monde de merveilles, les liens intimes et secret« y — XXII — (des choses ». A ce spectacle, on n'est plus étonné de cette parole, que lui dit un jour son ange gardien : « Personne n'a .( jamais vu ces choses au même degré ». Rien de plus merveilleux aussi que le don de clairvoyance de la Sœur par rapport aux reliques des saints. Elle les voyait toujours, même à distance, entourées d'une auréole, à la lu- mière de laquelle lui était dévoilée la vie tout entière du oienheureux qui avait animé ces précieux restes. Tous les ob- }ets bénis par l'Eglise brillaient aux yeux de son âme d'un éclat particulier ; elle les distinguait de tous les autres objets semblables, et il s'en échappait pour elle une vertu qui vivi- fiait jusqu'à son corps. Plusieurs fois des reliques furent ap- portées près de son lit de douleur: toujours elle était avertie de leur présence, avant même de les avoir vues ; bien souvent, avant qu'elles fussent thé^ ^ leurs multiples enveloppes, elle décrivait le nombre, la, ferme et la nature de ces objets sacrés, indiquait les saints auxquels ils avaient appartenus, et racontait à cette occasion toute leur histoire. Elle disait elle-même : « Je ne saurais exprimer ce que les « reliques des saints me font éprouver. Il en jaillit une lu- (( mière plus ou moins vive qui se dirige sur moi comme la <( flamme qui suit la direction du courant d'air. Ce rayon « m'attire avec une force irrésistible: il faut que je l'appro- « che de mon cœur ». Et en ejffet, lorsqu'on lui présentait une relique, elle la pressait involontairement contre son cœur. « Je sens que ce rayon vient d'un astre, que cet astre <( se rattache à un firmament d'étoiles qui toutes s'allument (( à une source de lumière infinie. Guidée par le rayon mys- <( térieux, et transportée ainsi dans la lumière, je vois le M corps, l'âme, toute la vie militante, souffrante et triom- « pliante du saint auquel il se rattache. Il existe entre le ({ corps et l'âme une liaison intime et mystérieuse; l'âme « peut sanctifier son corps ou le profaner; sans cette union, « l'expiation du péché par la pénitence extérieure ne serait « pas possible. Or de même que les saints pendant la vie ont « fait de leur corps l'instrument de leurs saintes œuvres, de « même, aujourd'hui qu'ils en sont séparés, ils s'en servent « encore pour agir sur leurs frères militants; mais la foi a seule peut nous découvrir le secret de cette action mys- « térieuse. » Le son de la cloche qui appelait les fidèles à la sainte -— XAIII ~ messe suffisait pour la ravir en une contemplation du sacri- fice universel de Jésus-Christ. « Je vois, dit-elle, au-dessus <( de l'autel et du prêtre qui célèbre, la grande scène de la « Passion: Notre-Seigneur s'offrant à son Père sur la crcix, « et de chaque côté de lui la sainte Vierge et saint J^an « i'Evangéliste. Cette vision se montre à moi, d'abord dans « l'église de Dülmen, puis au loin dans les églises du monde <( entier. Je vois les prêtres, les fidèles et leurs dispositions ({ intérieures. Au-dessus de l'autel j'aperçois, dans un tableau u saisissant, des anges occupés à suppléer à tout ce que le^ « prêtre a le malheur d'omettre. J'ai eu ces visions dès mon (( enfance, et je les ai sous les yeux à toutes les heures du « jour et de la nuit. C'est comme un arbre qu'on voit auprès « de soi, dans ses proportions naturelles, avec une foule u d'autres qui l'entourent et des forêts entières qui se per- « dent dans le lointain. Bien des fois par jour j'assiste à ce « todchant spectacle. Combien est grand l'amour de Jéeus- « Christ pour nous! Il poursuit sans cesse l'œuvre de notre (( sulut au saint sacrifice; car la messe n'esït pas autre chose (( que la Rédemption s' opérant dans le temps, sous les voiles- <( mystérieux du sacrement de l'autel. Les actes de Dieu sont « tous éternels j mais, par rapport aux hommes soumis aux <( conditions du temps, ils ne sont que des promesses, jusqu'à. « ce que le temps les reçoive, et qn'arrive l'instant qui leur « est propre, et c'est au moment où ils entrent alors dans le « temps qu'ils agissent sur l'honuae selon leur vertu parti- « culière ». Mais cette immense lumière ne restait pas oonfinée dans Bon intelligence. Elle avait pénétré son cœur, qu'elle embra- sait d'un amour de jour en jour plus ardent. Bientôt W extases ne lui suffirent plus. Depuis longtemps l'amour lui avait donné un désir brûlant de souffrir pour Jésus et pour ses frères. Elle était encore enfant lorsque, apercevant d'au- tres enfants de son âge qui mêlaient l'indécence à leurs jeux, elle alla aussitôt se rouler sur des orties, en expiation de- leur faute. Plus tard, lorsque ses visions lui eurent dévoilé à un si haut degré la beauté de Dieu et de ses mystères, son amour devenu immense rendit son âme et son corps malades du désir de souffrir pour l'objet aimo. Sur ces entrefaites, le 3 décembre 1811, le couvent fut supprimé et l'église fut fermée. Le pieux aumônier de la — XXIV — maison procura à la Sœur, dans la chaumière d'une pauvre' TGUve, une mauvaise petite chambre dont les fenêtres don- naient sur la rue. Elle vécut là toujours malade, jusqu'à l'automne de 1813. Dès sa jeunesse, elle avait toujours prié le Sauveur d'imprimer si fortement la sainte croix dans son cœur, qu'elle ne put jamais oublier son amour infini pour nous. Ses extases devenaient de plus en plus fréquentes; son désir allait enfin être exaucé. Un jour son fiancé céleste, lui apparaissant, fit sur elle le signe de la croix. Sa poitrine se trouva aussitôt marquée d'une double croix rouge, longue ■d'environ trois pouces et large d'un demi-pouce. Le 29 décembre 1812, elle reposait sur sa couche, les bras étendus en forme de croix, immobile, ravie en extase, et le visage en feu. Elle contemplait la passion du Sauveur, et son ardente prière sollicitait la faveur de partager ses souf- frances. Tout à coup, il descendit sur elle une lumière, au centre de laquelle elle aperçut Jésus-Christ crucifié, avec ses cinq plaies resplendissantes comme des soleils. Le cœur d'Anne-Catherine était suspendu entre la douleur et la joie ; trissures comme s'il eût été flagellé; et telle était la soif brû- lante dont elle souflFrait, que le lendemain sa langue en était encore tout aride et contractée. L'authenticité du fait est impossible à nier. Des visiteurs innombrables vinrent de toute l'Allemagne et d'ailleurs s'en assurer, et le comte de Stolberg, qui était venu la voir en compagnie d'Overberg, son directeur extraordinaire, écrivait quelque temps après à Clément Brentano : « Kecommandez- « moi, ainsi que les miens, aux prières de notre saint« mar- « tyre, dont je serais si heureux de pouvoir baiser encore « une fois les plaies sacrées. » M. l'abbé de Cazalès, premier traducteur de la Douloureuse Passion ainsi que de la Vie dt Jésus-Christ, a fait le voyage d'Allemagne, après la mort de la sœur; il a vu longtemps et familièrement Clément Bren- tano, interrogé toutes les personnes qui avaient entouré de leurs soins la pieuse fille, et tous lui ont attesté, comme il nous l'a rapporté lui-même, la parfaite authenticité de sa stigmatisation, et des autres merveilles de sa vie qui sont ici racontées. Nous avons été assez heureux pour retrouver deux rela- tions authentiques de tous ces faits, écrites du vivant même de la sœur et qui sont restées inédites. L'une est de M. l'abbé Fiard, l'autre de M. Tabbé Manesse, tous deux exilés en Al- lemagne par la révolution française. Ils eurent le bonheur de s'assurer bien des fois par eux-mêmes de la réalité de ces faits merveilleux, et furent témoins des nombreuses enquêtes ordonnées par l'autorité civile et ecclésiastique. On nous per- mettra de les citer. « J'ai eu le bonheur, dit M. Tabbé Manesse, de connaître particulièrement la sœur Emmerich, depuis son entrée en re- ligion, et bien avant que la Providence daignât l'honcrer des signes sacrés de notre Rédemption, dont elle est favorisée de- puis dix ou onze ans. Elle tint d'abord cet événement caché autant qu'elle put ; mais enfin il fallut le déclarer au grand- vicariat de Munster, qui aussitôt prit toutes les précautions possibles pour s'assurer de la vérité. Il fit d'abord surveiller la sœur Emmerich par des personnes dignes de sa confianco et envoya lui-même à Dülmen, tous les jeudis de chaque se- maine, des députés, accompagnés d'un ou de deux médecins, pour constater l'état des phiies et l'écoulement du sang, qui T. I. — XXVI — ße reproduit tous les vendredis matin, de sept heures à midi. Ils dressaient chaque fois un procès-verbal, et j'ai été témoin de ces visites pendant tout le temps que j'ai passé dans le pays. Elles se firent régulièrement jusqu'à ces dernières an- nées ; peut-être même se continuent-elles encore ». « Le bruit de cet événement s'étant répandu dans le pays, au moment où les Français venaient d'y établir leur gouver- nement, le préfet de Munster, accompagné du lieutenant de police, se rendit à Dülmen, pour s'assurer par lui-même de l'état des choses. Le premier ne voulut point croire au ca- ractère surnaturel des faits dont il était témoin ; le second, après les avoir constatés pendant plusieurs jours, fut con- traint d'avouer qu'ils déconcertaient toute explication hu- maine. <( Cependant, le préfet, à peine de retour à Munster, en- voie huit ou dix médecins et chirurgiens de l'armée, pour visiter la vénérable Emmerich, avec ordre d'employer toutes les ressources de l'art pour cicatriser ses plaies le plus promp- tement possible. Mais cela n'était pas en leur pouvoir. En vain ils appliquent sur chacune d'elles des caustiques, des emplâtres, et un bandage scellé d'un cachet ; en vain ils con- viennent de garder eux-mêmes la prétendue malade ; en vain ils ont la patience de se succéder autour de son lit, sans aucune interruption, durant dix-huit ou vingt jours. « Chaque semaine leur cortège, composé du maire, des adjoints et des chirurgiens en service, fut témoin, tous les vendredis, de la vanité des efforts de l'homme et de la nul- lité des gens de l'art en cette affaire. Cependant la mère Emmerich eut beaucoup à souffrir d'une si longue et si cruelle épreuve, quoiqu'elle la portât sans se plaindre. Epui- sée de douleurs, elle aurait préféré la mort qui eût con- sommé son martyre. De leur côté, les médecins, n'éprouvansb pas, sans une grande surprise, le doigt de Dieu, qui ne leur cédait point, commencèrent à se lasser, car leurs emplâtres, leurs caustiques, leurs bandages, bien scellés de leur propre cachet, ne purent empêcher le sang de couler aux jours ordinaires, ni amener la moindre suppuration, non plus que s'ils n'avaient rien posé. Ainsi donc, confus de leur tenta- tive, ils se retirèrent; on cessa même de faire garder cette sainte fille, quand on s'aperçut qu'à sa vue seulement des soldats se convertissaient. f — XVII — « Plus d'une fois cependant, la sœur Emmerich vit encore son pieux asile forcé par des officiers français. Un jour, en- tre autres, c'est toujours M. Manesse qui parie, six de ces messieurs, ne pouvant entrer chez elle, passèrent par la fe- nêtre ; mais, frappés de l'auréole lumineuse, qui brillait sur êa figure céleste, ils restèrent confus, interdits; quelques- uns même s'agenouillèrent, et tous, lui faisant des excuses, sortirent poliment par la porte. Tous ces faits sont consignés dans les procès-verbaux dé- posés à riiôtel-de-ville de Dülmen, et le gouvernement, qui est protestant, a pris toutes les mesures possibles pour les constater, en envoyant, tous les jeudis soir et les vendredis matin à sept heures, des chirurgiens chargés de faire un procès-verbal de l'état de cett« fille, dont le seul aspect étonne l'incrédule et confond ses vains raisonnements. L'un d'eux, chirurgien à Dülmen, un des ennemis les plus décla- rés de la vénérable religieuse, et qui l'avait maltraitée plus que tous autres dans le dernier examen qu'elle eut à subir, écumait de rage de n'avoir pu la convaincre d'imposture. (( J'ai presque toujours vu, dit encore M. Manesse, les plaies aussi fraîches que si elles venaient d'être faites; mais je n'ai jamais pu découvrir les issues par lesquelles le sang sortait d'autour de la tête, quoique je le visse parfois couler avec abondance et très vermeil, particulièrement du front, sans laisser aucune trace après lui. Les plaies des mains et des pieds et la couronne sanglant<3 sont si belles, qu'il serait bien difficile au plus habile peintre de les imiter. « La sœur ne prend aucune nourriture solide, et si quelque- fois elle essaie d'en goûter, elle est obligée de la rejeter avec des convulsions. Quelques gorgées d'eau ou quelques cuille- rées de café au lait fort léger suffisent pour la soutenir. J'ai plusieurs fois essayé de lui donner différentes espèces de fruits qui semblaient lui faire plaisir: à peine en avait-elle avalé une bouchée, qu'elle était forcée de la rendre. Ce qui n'est 'pas moins surprenant, c'est que, malgré cette priva- tion de toute nourriture solide, sœur Emmerich n'est point décharnée et conserve toujours le même embonpoint. L'abon- dance des déperditions de sueur et de sang, comparée à cette absence presque com^îlète de nourriture, constitue, de l'aveu môme des médecins, un problème insoluble à la science. « Ce qui achève de confirmer l'état surnaturel do cotte — x^m} — .sainte fille, c'est l'éclat répandu sur touto sa figure. Il est -si brillant, surtout pendant ses longues et fréquentes extases, /iu'il est presque impossible de la fixer, quoiqu'elle soit alors -ca apparence dans un état de mort. Voilà, conclut M. Ma- aicss^', l'état dans lequel j'ai vu la sœur Emmerich pendant plusieurs années, et dans lequel je l'ai laissée encore, il y a environ deux ans. Je désire que vous soyez satisfait de cette relation, que je certifie vraie. » M. Clément Brentano, cet homme si digne d'estime par la pieté autant que par le talent, a aussi attesté à M. l'abbé de Cazalès la réalité de la vie miraculeuse de la sœur. Il lui a affirmé n'avoir rien changé à ses récits, recueillis par lui- même aux pieds de son lit de douleur, et complétés aussitôt après qu'il était rentré dans sa chambre. Il avait soin de lui lire ensuite sa rédaction, pour s'assurer que tout y était con- forme à ce qu'elle avait vu. Il aurait cru faire un sacrifice en mêlant ses propres vues à celles de cette sainte âme. Bien plus M. l'abbé de Cazalès, aujourd'hui chanoine de Versailles, s'est convaincu par lui-même, ainsi qu'il nous l'a rapporté, que Clément Brentano ne possédait pas le premier mot des scien- ces d'archéologie biblique, d'orientalisme et de langues sé- mitiques auxquelles les visions de la sœur font de conti- nuelles allusions. Et d'ailleurs, les notes qu'il ajoute à chaque instant, au bas de son manuscrit, pour exprimer son étonne- ment et ses doutes, le prouvent assez. Il avait été présenté à Anne-Catherine par le vénérable Overberg, son confesseur extraordinaire, et par le digne Saï- 1er, évoque de Ratisbone. Depuis lontgemps la sœur était j)ressée par son ange gardien de raconter ses visions, sans pouvoir trouver personne qui voulût l'entendre. Ses confes- seurs l'avaient toujours rebutée sur ce point. Un jour qu'elle s'étonnait de toutes ces visions, dont elle ignorait le but, son conducteur céleste lui répondit : « Tu ne peux pas savoir « combien d'âmes, lisant ces choses, en seront édifiées, et « excitées à la vertu. Les récits de semblables grâces ne (( manquent pas, il est vrai; mais, le plus souvent, ils sont « faits autrement qu'il ne faudrait; d'ailleurs bien des <( choses anciennes sont aujourd'hui oubliées ou rendues sus- <( pectes par des attaques téméraires. Ce que tu pourras (( redire sera pieusement recueilli, et produira beaucoup de M hien que tu ne peux prévoir. » — XXIX — Xa sœur avait vu d'avance en esprit l'homme qui devait lui être donné pour écrire ses visions; aussi lui témoigna- t-elle, dès la première entrevue, une confiance tout extraordi- naire : (( Elle me tendit toute joyeuse, a-t-il lui-même écrit,- (( ses mains marquées des sacrés stigmates. Je ne remarquai « en elle rien de tendu ni d'exalté, mais un enjouement naïf, {( souvent aussi un tour qui tenait d'une innocente espiègle- <( rie. Tout ce qu'elle dit est prompt, bref, simple, sans re- <( tours complaisants sur elle-même, mais aussi plein de pro- « fondeur, d'amour, de vie, quoique tout à fait rustique. (( Elle vit au milieu de l'entourage le plus inintelligent et le « plus fâcheux, composé de braves gens simiiJes, mais gros- « siers, de visiteurs incommodes et d'une méchante sœur. (( Toujours malade à la mort, soignée par des mains mala- (( droites et rudes, travaillant, dirigeant tout le ménage, (( délaissée de tous, martyrisée par la douleur, maltraitée (( par sa sœur comme une Cendrillon, et pourtant toujours « affectueuse et douce, toujours calme et sereine, quoique ({ toujours en lutte avec d'immenses douleurs endurées pour « les péchés d'autrui. » Ceci nous conduit au trait le plus étonnant de cette admi- rable vie. Anne-Catherine, si intimement liée au Rédemp- teur, honorée de ses sacrés stigmates, devait avoir l'auguste privilège de partager sa vie de Rédemption. La lumière pro- phétique n'était, pour ainsi dire, qu'un commencement de l'union mystérieuse de son âme avec celle du Sauveur, qu'elle appelait son Fiancé céleste. L'amour, mais nn amour incom- préhensible à nos âmes attiédies, l'unissait à son sacrifice, à ses souffrances, à sa vie crucifiée. Dans cet amour, elle embrassait tous les besoins, tous les dangers, toutes les dou- leurs du corps mj-stique de Jésus, et elle brûlait du désir de souffrir, pour consoler, guérir et racheter avec lui. Toutes les abominations des révolutions qui bouleversaient son épo- que lui étaient montrées, et cette vue la réduisait à l'agonie. ^ Cette autre phase de sa mission commença à l'âge de onze- ans, lorsque son conducteur céleste la mena en esprit dans le cachot de Marie-Antoinette, afin qu'une compassion plus vive la portât à prier plus instamment pour elle. A chacun de ses voyages, son ange gardien commençait d'ordinaire par la mener aux pieds du crucifix de l'église de Coesfeld; puis- il l'entraînait à sa suite vers l'Orient, la terre des mystères- — XXX — de Dieu, en faisant le tour du globe, et en lui montrant dans les prisons, dans les chaumières, sur les lits d'agonie, sur les champs de bataille, dans les églises profanées et jusque dans les conventicules de Satan, toutes les misères à soulager, tous les crimes à expier. « C'étaient, dit encore Clément Brentano, des malheureux « délaissés et oubliés non seulement dans sa patrie et les « pays voisins, mais en Russie, en Chine, et jusqu'au centre « inconnu de l'Afrique. Elle assistait des mourants, sauvait « des personnes en péril de mort, empêchait des crimes, « poussait à la confession et au repentir des pécheurs endur- « eis; elle souffrait pour des séminaires et des communautés « religieuses. Dans les dernières années du pontificat de <( Pie VII, elle faisait chaque jour en esprit des voyages à « Rome pour consoler le Saint-Père, l'éclairer et lui découvrir <( les machinations des impies. » Mais le grand objet de ses souffrances expiatoires et de ses douleurs sans nombre, c'était le mal fait à FEglise, soft par le pouvoir temporel, soit par la haine et les attaques de l'in- crédulité, par la mondanité des prêtres, par les menées se- crètes do la franc-maçonnerie, contre lesquelles elle avait sans cesse à lutter, en un mot par les crimes de toute espèce qui déshonorent l'épouse du Christ et perdent misérablement les âmes. Et c'est à travers ce chemin de douleurs qu'elle ar- rive chaque jour à la terre sainte, et au milieu de ces im- menses souffrances qu'elle contemple la vie et la mort du Rédempteur. Ce qu'il y a de plus admirable, c'est qu'elle pouvait prendre sur elle les douleurs morales et mêmes physiques que son amour l'entraînait à vouloir soulager. Jésus a pris sur lui nos crimes et nos douleurs; et l'intime union que la cha- rité met entre tous ses membres leur permet aussi de souf- frir et de mériter les uns pour les autres. (( Quand j'ai mal à « un doigt, disait familièrement la sœur, est-ce que tout « mon corps n'a pas à en souffrir ? Il faut bien de même que « nous souffrions les uns pour les autres. » On peut dire que la vie de sœur Emmerich n'a été qu'une personnification sul-lime de ce grand dogme de la communion des saints; car elle était sans cesse en union de prières et de souffrances avec l'Eglise entière, et sa vie, marquée des douloureux stig- mates do Jésus, no fut qu'une vie de rcdcmpt'ou. — XXXI — La charité parfaite l'avait unie à l'Epoux divin et trans- formée en lui, jusqu'à reproduire miraculeusement en sou corps les douleurs et les plaies de sa passion ; de même l'excès de son amour pour les membres mystiques de Jésus devait porter en elle la compassion, jusqu'à lui faire éprou- ver réellement et sensiblement les souffrances morales et phy- siques, les maladies mêmes de ceux qu'elle voulait aider et soulager. Dans ses visions et ses voyages en esprit, elle voyait la si- gnification symbolique de toutes les maladies et leur intime liaison avec le péché; et, pour aider l'expiation de celui-ci, elle demandait aussitôt d'être chargée de celles-là. Le doc- teur Wesener de Dülmen, un de ses plus respectables et plus fidèles amis, a dressé un journal de toutes les maladies les plus opposées qui se succédaient en elle sans interruption, arrivaient à un état désespéré, puis disparaissaient tout à coup sans laisser de traces, pour faire place à d'autres symp- tômes non moins étranges. Ce journal est inséré en partie dans la vie très remarquable écrite en allemand par le R. P. Schmœger, Rédemptoriste (1). « Ainsi (c'est encore Clément Brentano qui parle), depuis « plusieurs semaines, elle offrait tous les symptômes d'une <( phtisie pulmonaire aiguë, irritation extrême de la poi- « trine, transpiration abondante, toux violente qui la déchi- « rait, expectoration qui l'épuisait, fièvre brûlante et de tous « les instants. On craignait à chaque instant de la voir expi- « rer, ou plutôt on le désirait, tant se? souffrances étaient {( atroces. Ce qu'il y avait de plus extraordinaire, c'était une « lutte continuelle contre une prédisposition à s'irriter. Elle « avait sans cesse à combattre une certaine animosité à « l'égard d'une personne éloignée d'elle depuis longtemps. « Elle pleurait et protestait avec énergie qu'elle ne voulait (( pas pécher. Ses souffrances redoublant à toute heure, on « n'attendait plus que son dernier soupir. Tout à coup à la « grande stupéfaction d'un ami qui se trouvait auprès de « son lit, elle se mit sur son séant, et lui dit : Récitons en- « semble les prières des agonisants. Il les commença, et elle (1) Cette vie d'Anne-Catherine Emmerich, traduite en français, par M. l'abbé de Cazalès a pour éditeur M. Téqui, 82, rue Bona- parte. — XXXII — t( fit les réponses avec le plus grand calme. Peu d'instants « après, on entendit sonner le glas des morts, et une per- <( sonne vint recommander à ses prières sa sœur qui venait « d'expirer. Anne-Catherine lui fit îe plus aimable accueil, « et la questionna sur les circonstances de la maladie et de « la mort de sa sœur. Le témoin de cotte scène ne fut pas « peu étonné d'entendre le récit de cette femme reprodtiire x( exactement tout le détail de ce qu'Anne-Catherine avait « elle-même souffert. Entre autres choses, la malade avait « triomphé d'un sentiment de haine qu'elle entretenait contre « une personne, et s'était à la fin réconciliée avec elle et <( avec Dieu. Anne-Catherine voulut contribuer par une au- « mône aux frais de son enterrement. Sa fièvre et ses au- « très souffrances cessèrent aussitôt. » I Elle disait quelquefois au milieu de ses douleurs : « Souf- |<( frir avec résignation m'a toujours semblé la chose la plus « digne d'être désirée par l'homme, et si l'envie n'était pas <( un mal, les anges eux-mêmes nous envieraient ce privi- « lege. — Vous allez maintenant, lui dit son ami, avoir un (( peu de repos. )> Elle sourit, et dit : « Ce ne sera pas pt)Trr (( longtemps ; après elle, il en est d'autres qui m'attendent. (( En effet, bientôt après, des douleurs la saisirent dans t( tous les membres, et l'on reconnut en elle les symptômes « d'une hydropisie de poitrine. Nous découvrîmes quelle « était la personne pour laquelle elle souffrait, et nous vîmes « celle-ci éprouver un mieux plus ou moins sensible, selon le « plus ou moins d'intensité des souffrances de la sœur. « Elle allait jusqu'à se charger des tentations du prochain, « afin que celui-ci eût la force nécessaire pour se disposer à « mourir. Un jour, un ami accablé d'une grande et légitime « tristesse était assis à côté de la sœur, alors ravie en extase. « Tout à coup, elle s'écria : « Moii bon Jésus, permeftez-moi « de me charger de cette pierre énorme. » Etonné de cette « prière, dont la signification était pour lui un mystère, « son ami lui demanda ce qu'elle avait. « Je suis sur le che- ^ min de Jérusalem, répondit-elle; j'aperçois sur la route <« un pauvre homme qui a sur lui une énorme pierre qui va •« l'écraser. )> Puis elle s'écria : (( Donnoz-moi cette pierre. « Vous ne me connaissez donc plus (1), donnez-la-moi. » <1) « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui. » Il Tim., ii,19. — XXXIII — « Tout à coup elle tomba sur son lit, immobile et comme op- te pressée par un poids énorme. Son ami n'eut pas à chercher [^ (( longtemps l'explication de ce qu'il voyait, car il se sentit (( aïissitôt délivré du poids de tristesse qui l'accablait lui- « même, et il goûta une paix pleine de douceur qu'il ne con- « naissait point. » Pendant l'année 1823, qui fut la dernière de sa vie, ses souffrances augmentèrent encore et avec elles son amour, une vision terrible lui dévoila plus clairement que jamais toutes les plaies et tous les maux de l'Eglise, et comme elle s'ofifrait à Dieu pour victime, elle se vit tout à coup, avec autant d'humiliation que d'effroi, chargée elle-même de nombreuses fautes. Elle se vit sous la figure d'un monstre affreux qui voulait s'offrir en holocauste pour expier les pé- chés d' autrui. Mais son ardent amour n'en fut que plus ex- cité, (c II est vrai, s'écria-t-elle, je suis une misérable remplie « de péchés; mais, mon Seigneur et mon Dieu, je suis votre (( fiancée; ma confiance en vous et en votre satisfaction re- « couvre toutes mes fautes du manteau royal de vos mérites. (( Non, mon Dieu, je ne m'éloignerai pas de vous que voua « n'ayez agréé mon sacrifice ; car vous ne fermez jamais les « trésors infinis de vos mérites à ceux qui vous prient avec <( foi. )) Comme Dieu paraissait lui résister encore, sa prière devint plus pressante ; elle osa lutter avec Dieu dans un langage dont la sainte et amoureuse folie aurait pu blesser des oreilles profanes. Son sacrifice fut agréé, mais cette an- née s'écoula au milieu d'un martyre indescriptible; et quand on lui demandait comment elle allait, elle entr'ouvrait péni- blement les yeux et répondait en souriant : « Ce sont de si « bonnes souffrances ! » Elle expira enfin le 9 février 1824, après avoir répété trois fois à haute voix ces paroles : « Sei- « gneur, secourez-moi ; verî», Seigneur Jésus, venez. » Cette admirable vie de rédemption tout illuminée de la connais- sance des mystères divins, miraculeusement associée aux souffrances et à la passion de Jésus-Christ, avait pris fin sur la t'Crre. L'humble sœur avait interdit toute solennité à ses obsè- ques. Malgré ce vœu qui fut respecté, ses funérailles furent un vrai triomphe. De mémoire d'homme, on n'avait jamais vu à Dülmen un convoi aussi nombreux. Six semaines après sa mort, le bruit s'étant répandu de l'enlèvement du corps par — XXXIV — un amateur hollanda/s qui avait vainement offert de Pac« quérir au prix de 4.000 florins, le cercueil fut ouvert, et le corps trouvé entier, sans la moindre trace de corruption. Sa beauté touchante ornée des sacrés stigmates frappa vivement les assistants. Il est regrettable que les visions de la Sœur, si belles, si suivies en elles-mêmes, n'aient pu être recueillies dans toute leur intégrale perfection. C'eût été un don par trop merveil- leux, dont nous n'étions pas dignes. Accablée de souffrances, importunée par des visites intempestives, elle ne pouvait qu'à grand'peine, à certains intervalles de calme, raconter quelque chose des admirables scènes auxquelles elle avait as- sisté. De plus, elle était tellement dépendante de la volonté de son directeur, que, de sa part, la moindre répugnance, une simple restriction intérieurement faite à la permission qu'il lui donnait de raconter ses visions, suffisait pour lui ôter la force de redire et même de se rappeler la plus grande partie de ce qu'elle avait vu. Si c'est là une preuve de plus de la grande maladie du siècle, qui est la peur du surnatu- rel, c'est aussi un éclatant témoignage de la puissance de la direction de l'Eglise et du mérite de l'obéissance aux yeux de Dieu, puisque tout ce monde de lumières et de merveilles lui cède ainsi le pas et s'incline devant elle. PRFMIÈRE PARTIE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CuRIST PRÉPARÉ DANS MARIE ET SES ANCÊTRES CHAPITRE PREMIER p. 'ne ration providentielle et prophétique de la sainte Vierge. Vision d'Elie. La terre promise, privée d'eau, était toute desséchée ; et je vis Elie : accompagné de deux serviteurs, il m.on- tait au Carme] pour demander de la pluie à Dieu. Ils gravirent d'abord une pente escarpée ; puis, par des degrés grossièrement taillés dans le roc, ils arrivèrent à un plateau ; au milieu s'élevait un rocher nu, et dans le rocher il y avait une grotte. Laissant là ses servi- teurs, Elie monta seul jusqu'au sommet de la montagne, après leur avoir ordonné d'observer la mer de Galilée. Elle était horrible à voir ; l'eau avait entièrement dis- paru ; il ne restait qu'un fond de vase plein de gouffres et de fondrières, couverts d'animaux putréfiés. Avec le dessèchement de la terre, je vis aussi la stérilité dans l'espèce humaine, et surtout des races élevées frappées d'une sorte d'appauvrissement et de dégénération. Elie s'accroupit, se voila la tête, la posa sur ses genoux et se mit à prier Dieu avec ardeur. Sept fois 11 cria vers son serviteur, demandant s'il ne voyait pas un nuage sortir de la mer. A la septième fois, le nuage parut en effet, et, dès que le serviteur Teut annoncé au prophète, il en envoya la nouvelle au roi Achab. Et 11 s'était formé au milieu de la mer un tourbillon de couleur blanche ; un petit nuage noir grand comme une main s'en était élevé ; ensuite il s'élargit et s'éten- dit. Et le prophète vit dans la nuée une petite figure brillante, semblable à une vierge. Et la tête de la vierge était entourée de rayons ; ses bras étendus formaient une croix ; dans l'une de ses mains elle tenait une cou- ronne. Sa longue robe était nouée à ses pieds. A me- sure que la nuée se dilatait, l'image semblait se déployer avec elle sur toute la terre promise. Puis la nuée se divisa : dans plusieurs lieux sanctifiés, et dans d'autres habités par des hommes pieux aspirant au salut, elle laissa tomber une rosée blanche bordée de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Cette rosée portait la bénédiction, comme une coquille sa perle. Ce coquillage a des bords à teintes variées, et, en s'expo- sant au soleil, il absorbe la lumière, la purifie de la variété de ses teintes, jusqu'à ce qu'enfin la perle blanche et pure se forme dans son sein. C'était, comme il me fut expliqué, un symbole prophétique ; et c'est ainsi que les lieux bénis par la rosée devaient réelle-, ment concourir à donner la Vierge à la terre. Sans cette rosée, la naissance de la Vierge aurait été retardée d'af moins un siècle, car, grâce à cet amollissement et à cette bénédiction de la terre, les hommes qui vivent de ses fruits furent rafraîchis et vivifiés avec elle, et la chair s'ennoblit sous ces saintes influences. Dans un songe prophétique, Elie connut, entre autres choses, que Marie devait naître dans le septième âge du monde (1). C'est pour cela qu'il appela sept fois de suit (1) Dans l'office de la Conception de Marie et dans plusieuri. autres endroits de la liturgie de l'Eglise, l'emploi du verset de l'Ecclésiastique (ch. XXIV, v. 6) : « Sicut nebula texi omnem ter- ram: J'ai couvert toute la terre comme une nuée, » se trouve en parfaite concordance avec cette vision prophétique sur la Mère de Dieu. son serviteur. Il sut aussi de quelle race elle devait sortir. A la suite de cette vision, Elle élargit la grotte au-dessus de laquelle il avait prié, et établit une cons- titution plus régulière parmi les enfants des prophètes. A partir de cette époque, il y en eut toujours plusieurs dans cette grotte, occupés à demander à Dieu la nais- sance de la Vierge, qu'ils honoraient même avant sa venue. Ce culte, ces hommages ne s'interrompirent plus au Carmel, et ce ministère, qui appartenait aux Essé- liens à l'époque où Marie vécut, passa ensuite à des 'solitaires, doù sortirent enfin les religieux de l'ordre lu Carmel (1). CHAPITRE II Les Esséniens. Les Esséniens remontaient au temps de Moïse et d'Aaron, et descendaient des prêtres qui avaient porté l'arche d'alliance. Ce ne fut qu'au siècle d'Isaïe ou de Jérémie qu'ils reçurent une règle bien déterminée. Dans l'origine, ils n'étaient pas nombreux. Plus tard leurs communautés se répandirent beaucoup. Ils s'é- taient surtout concentrés autour du mont Horeb et du mont Carmel, où Elle avait vécu. Ce ne fut qu'à une époque postérieure qu'ils s'établirent sur les bords du Jourdain. Leur constitution se rapprochait beaucoup de- celle d'un ordre religieux. Les aspirants devaient subir une épreuve d'un an, après quoi ils étaient admis pour un temps plus ou moins long, suivant les inspirations pro- phétiques que recevaient les chefs. Les membres de l'Ordre proprement dits vivaient en commun et gar- (1) C'est aussi la tradition de l'ordre dea Carmes confirmée par beaucoup d'anciens monuments. Voyez en particulier les leçon» du Bréviaire romain à la fête de Notre-Dame-du-Mont-Carmel. daient une continence absolue. Les personnes simple- ment afilliées ou déjà sorties de leurs maisons, se mariaient et suivaient dans leurs familles, eux, leurs enfants et leurs domestiques, une règle qui différait peu de celle des Esséniens cénobites. Les rapports entre ces derniers et les autres étaient les mêmes que ceux qui existent aujourd'hui entre les laïques du tiers-ordre, ou tertiaires, et les ordres religieux chrétiens. Ainsi les Esséniens mariés, dans toutes les affaires importantes, surtout lors du mariage de leurs proches, demandaient des instructions et des conseils au chef de tout l'Ordre, le prophète du mont Horeb. Les aïeux de sainte Anne appartenaient à cette branche d'Esséniens mariés. Les Esséniens proprement dits prophétisaient, et leur chef du mont Horeb recevait souvent, dans la grotte d'Elie, des révélations divines concernant la venue du Messie. Il était particulièrement éclairé sur la famille dont la mère du Messie allait naître, et lorsqu'il com- muniquait ses lumières aux aïeux de sainte Anne qui le consultaient sur leurs mariages, il voyait que les temps du Seigneur étaient proches. Cependant, ne sachant pas combien la naissance de la mère du Sauveur serait empêchée ou retardée par les péchés des hommes, il. les exhortait continuellement à la pénitence, à la mortifi- cation et à tous les sacrifices spirituels dont cette pensée n'avait cessé d'inspirer la pratique aux Esséniens. Ils faisaient surtout la guerre aux sens et à la chair ; bien souvent deux époux se séparaient d'un commun accord, et vivaient pendant un temps assez long dans des habitations isolées. Dans le mariage mène, ils n'ap- portaient d'autre désir que celui d'une postérité sainte, q,ui pût préparer les voies de l'avènement du Sauveur. Parmi ces Esséniens mariés, se trouvaient déjà, dans ce temps-là, des ancêtres de sainte Anne. Jérémie communiquait avec eux, et les hommes appe- lé» enfants des Prophètes leur appartenaient. Ils avaient une vénération toute singulière pour Moïse et ^ 5 — possédaient un de ses vêtements sacrés. Cette insignB relique leur était venue d'Aaron, et j'ai vu environ quinze d'entre eux la défendre au prix de leur vie. Ils n'exerçaient aucun commerce, et se bornaient à échanger les produits de leurs champs contre des objets nécessaires à la vie. Ils élevaient des troupeaux, s'occupaient d'^agriculture et surtout de jardinage. On voyait sur le mont Horeb, à côté de leurs cabanes, un nombre considérable de jardins et de vergers. Plusieurs d'entre eux tissaient, faisaient des nattes et brodaient des ornements sacerdotaux. Leurs prêtres étaient par- ticulièrement chargés du soin des vêtements sacrés. A certaines époques ils chassaient dans le désert des agneaux sur lesquels ils avaient prononcé certaines paroles, comme pour les charger de leurs péchés. Leur vie était austère et leurs repas d'une remarquable fru- galité : les fruits de leurs jardins faisaient leur nour- riture la plus ordinaire. Les autres Juifs les voyaient avec déplaisir et de mauvais œil, à cause de la sévérité de leurs mœurs. Trois fois l'année, ils se rendaient a« temple de Jérusalem, et toujours ils s'y préparaient par la prière, la pénitence, le jeûne, et même par des fla- gellations. Si, dans leurs voyages ou à Jérusalem, ils rencontraient sur leur chemin un malade ou un pauvr©, ils ne se rendaient pas au temple avant d'avoir fait tout leur possible pour le secourir. Ceux du mont Horeb avaient, dans les parois de leurs grottes, des enfoncements grillés, où ils conser- vaient des ossements de saints personnages, enveloppés dans la laine et la soie. C'étaient des reliques des pro- phètes qui jadis y avaient demeuré. Ils allumaient des lampes et faisaient des prières devant ces restes véné- rés. Le lieu où leur chef prophétisait et priait était la grotte même d'Elie. C'était pour eux un sanctuaire où le grand prophète seul entrait, comme le grand prêtre de Jérusalem entrait seul dans le Saint des saints. — e — Toutes leurs prières semblaient avoir pour objet d'ob- tenir de Dieu des rnères pieuses, dignes de compter dans leur postérité, ou la sainte Vierge elle-même, ou, les familles du Précurseur, des serviteurs, et des dis- ciples du Messie. CHAPITRE III Ancêtres de Marie, A partir de David, la souche du Messie se divisait en deux branches. La première commençait à Salomon, et finissait à Jacob, père de saint Joseph, époux de Marie. La deuxième branche allait de Nathan fils de David à Héli, qui est l-e véritable nom de Joachim, père d>e la sainte Vierge. Trois ou quatre générations avant Joa- chim, les deux lignes se croisaient, et aboutissaient l'une et l'autre à la sainte Vierge, dont la mère, sainte Anne, descendait par son père de la tribu de Lévi, et de celle de Benjamin par sa mère. Dans mon enfance, la crèche, l'enfant Jésus et Ta Mère de Dieu faisaient l'objet le plus ordinaire de mes pensées. Je m'étonnais qu'on ne racontât rien de la famille de Marie, et je ne pouvais comprendre comment on avait si peu parlé de ses parents et de ses ancêtres. Pendant que je désirais si fort des lumières à ce sujet, un grand nombre de visions me furent accordées, dans lesquelles je connus les ancêtres de Marie jusqu'à la quatrième ou cinquième génération. C'étaient des gens d'une grande piété et d'une simplicité merveilleuse. Ils étaient surtout animés d'un profond et extraordinaire désir du prochain avènement du Messie. Les hommes qui les entouraient me paraissaient grossiers et barbares, quand je les comparais à eux. — 7 — si doux, si calmes et si bienveillants ! Dans mes inquié- tudes pour eux, je me disais souvent à moi-même : '< Pourquoi donc des iiommes si bons restent-ils là ? Pourquoi ne fuient-ils pas bien loin de ces méchants ? » Leur vie était très mortifiée. Les époux se promet- taient l'un à l'autre la continence pour un temps plus ou moins long ; ce qui me réjouissait beaucoup, sans que j^ puisse dire pourquoi. Ils pratiquaient surtout cette abstinsDCiî lians les temps où ils brûlaient de l'en- cens, faisaient ^ j prières, ou accomplissaient d'autres cérémonies du culte ; je compris de là qu'il y avait des prêtres parmi eux. Je les vis souvent changer de rési- dence, abandonner de beaux domaines pour d'autres bien inférieurs, afin de ne pas être troublés dans leurs pratiques pieuses par de méchantes gens. Ils étaient pleins d'exactitude et de précision dans toutes leurs œu- vres, dans leurs paroles, et surtout dans leurs pratiques de dévotion. Il n'y avait rien dans ce qu'ils possédaient dont ils ne fussent prêts à se dépouiller pour les pau- vres. Une seule chose amenait quelquefois une plainte sur leurs lèvres : les souffrances de leurs frères. Dans l'intime et vif désir de Dieu qui les animait, il leur arrivait, soit le jour, soit même la nuit, de courir au milieu de la campagne, implorant Dieu par des prières et par des cris, déchirant même leurs habits et découvrant leur poitrine, comme s'ils eussent pu aspirer Dieu dans leurs cœurs avec les rayons brûlants du so- leil, ou apaiser avec ceux de la lune et des étoiles leur désir ardent de l'accomplissement de la promesse. Ces visions se présentaient souvent à moi pendant l'Avent, lorsque j'allais à minuit, à travers la neige, à trois quarts de lieue de notre chaumière, assister aux. prières du Rorate, dans l'église Saint-Jacques de Coes- feld. Je priais alors avec une grande ardeur, à l'inten- tion de certaines pauvres âmes qui, pour avoir manqué peut-être d'exciter assez en elles le désir du salut, ei pour être restées attachées à la créature et aux biens- — 8 — de ce monde, étaient tombées dans des fautes nom- breuses et languissaient maintenant dans la longue at- tente c!e leur délivrance ; et tout en marchant, je chan- tais a\ ec toute la ferveur dont j'étais capable le cantique du llorate : « Cieux, envoyez votre rosée, et que la terre enfante son Sauveur. » CHAPITRE IV Aïeux et parents de sainte Anne. Et j'ai vu ce qui suit : La grand'mère d'Anne était de Mara, dans le désert. Sa famille, qui comptait parmi celles des Esséniens mariés, y possédait un bien. Son nom nie fut révélé : c'était quelque chose comme Ma- rouni ou Emoroun. On me dit aussi qu'il signifiait bonne mère ou auguste mère. Lorsque vint le temps qu'elle dut prendre un époux, beaucoup de prétendants se préssutèrent ; elle se rendit chez le prophète Archos, afin qu'il décidât de son choix. On la reçut dans une petite pièce retirée attenant à la grande salle de réu-, nion, et ce fut là qu'elle s'entretint avec Archos, qui lui parlait de la salle à travers une grille. On eût dit un confesseur entendant une accusation. Ce n'était que de cette manière qu'il était permis aux Esséniens cénobites de s'entretenir avec les femmes. Un peu après, je vis le prophète Archos prendre ses ornements sacrés, monter quelques degrés vers le som- met de l'Horeb, et entrer dans la grotte d'Elie. Il ferma derrière lui la porte de la grotte et ouvrit un passage à la lumière. Cette grotte renfermait un objet sacré, singulièrement précieux, qui avait appartenu aux très saints mystères de l'arche d'alliance. Les Esséniens l'avaient acquis dans un moment où l'arche était tombée entre les mains — 0 — des ennemis. Cet objet mystérieux, transmis avec une sorte de terreur Sccinte et caché dans l'arclie, n'était connu que de quelques prophètes et des plus saints parmi les grands prêtres. 11 me semble pourtant que d'anciens Juifs en ont parlé dans des livres secrets et peu connus (1). Cet objet n'avait pas une origine hu- maine : c'était quelque chose de mystérieux, un instru- ment secret et saint de cette bénédiction dont le fruit devait être la Vierge pleine de grâce, la Vierge dans la- quelle le Verbe s'est fait chair par l'opération du Saint- Esprit. Avant la captivité, cet objet avait été tout entier dans l'arche d'alliance. La partie qui était échue aux Esséniens était conservée par eux dans un calice brun qui brillait de l'éclat d'une pierre précieuse. Ils s'en ser- vaient pour prophétiser. Il y avait eu autrefois, parmi ceux qui portaient l'arche, des ancêtres d'Anne de la plus haute piété. Ils recevaient de l'objet sacré qui y était contenu des rayons qui s'étendaient à leur postérité jusqu'à sainte Anne et à la très sainte Vierge Marie, Archos, étant entré dans la grotte, ferma la porte, et s'agenouilla pour prier. Il leva les yeux vers l'ouver- ture de la voûte, puis se prosterna la face contre terre : la révélation prophétique lui vint alors. Il lui semblait voir s'élever sous le cœur d'Emoroun un rosier à trois branches terminées chacune par une rose. La rose de la seconde branche était marquée d'une lettre qui res- semblait à une M. Un ange écrivit d'autres lettres sur le mur. Archos s'éveilla de son extase, se leva, lut les let- tres, et sortit de la grotte pour annoncer à la vierge qu'elle devait épouser le sixième de ses prétendants. Elle devait m.ettre au monde un enfant marqué d'un signe, et ce signe la consacrerait comme l'instrument de ce salut qui devait bientôt venir. (1) En juillet 1840, environ vingt ans aprèg cett« communica- tion, lorsqu'il était au moment de la livrei* à l'impresaion, l'écri- vain apprit d'un liébraïsant que le livre cabalistique appelé Sohar Bouticut plusieurs choses qui s'y rapportent. — 10 — Emoroim épousa donc ce sixième prétendant. C'était un Essénien, et il s'appelait Stolanuis. Ils eurent trois filles. Les deux aînées reçurent les noms d'Ismeria et d'Emerentia ; la plus jeune s'appela, si je ne me trompe, Enoué. Ismeria et Emerentia consultèrent aussi, avant leur mariage, le prophète du mont Horeb. Emerentia épousa un lévite nommé Aphras ou Ophras. De ce ma- riage naquit Elisabeth, mère de saint Jean-Baptiste. Une seconde fille fut appelée Enoué, comme sa tante. Une troisième fille, nommée Rhode, fut mère de Mara qui fut présente à la mort de la sainte Vierge. Ismeria fut donnée comme épouse à Eliud. Ils demeu- raient dans le voisinage de Nazareth et suivaient entiè- ement la règle des Esséniens mariés. Ils tenaient tous deux de leurs parents un rare esprit de chasteté et de continence. Anne fut un de leurs enfants. CHAPITRE V Naissance de sainte Anne. — Son mariage. La fille aînée d'Ismeria et d'Eliud s'appelait Sobé. Comme elle ne portait pas le signe de la promesse, ils en furent tous contristés. Ismeria resta stérile pendant environ dix-huit ans ; Dieu l'ayant de nouveau bénie, elle eut pendant une nuit une révélation. Elle vit un ange écrivant près de son lit sur la m.uraille une lettre qui ressemblait à une M et elle le dit à son mari. Or son mari avait eu la même vision, et tous les deux bien réveillés virent ensemble le signe sur le mur. Trois mois après, elle mit au monde sainte Anne, qui portait en naissant, ce signe imprimé sur la poitrine. A rage de cinq ans, Anne fut conduite au temple, comme Marie devait l'être plus tard. Elle y demeura douze ans. De retour en la maison de ses parents, elle- I — 11 — trouva deux enfants nouveaux dans la famille : une sœur cadette, nommée Maraha, et un fils de sa sœur aî- née, nommé Eliud. Un an après, Ismeria fut atteinte de la maladie dont elle mourut. A ses derniers moments, étendue sur sa couche, elle donna ses conseils aux siens; elle leur recommanda de considérer désormais Anne comme la mère de toute la famille. Puis, la faisant ap- procher seule, elle lui apprit qu'elle était un vase d'é- lection, et que, le temps de son mariage venu, elle eût soin d'aller consulter le prophète du mont Horeb ; après quoi elJe expira. Sobé, la sœur aînée d'Anne, avait époijsé Salomon. Outre son fils Eiiud, elle eut encore ur.e fille, Marie Salomé, qui, mariée à Zébédée, fut mère des apôtres Jacques-le-Majeur et saint Jean. Anne avait pour bisaïeul un prophète. Son père, Eliud, était de la tribu de Lévi; sa mère, Ismeria, de celle de Benjamin. Elle était née à Bethléem. Plus tard ses parents se rendirent à Sephoris, endroit situé à quatre lieues de Nazareth, où ils possédaient une mai- son et des terres. Ils avaient aussi, dans la belle vallée de Zabulon, à une lieue et demie de Sephoris et à trois de Nazareth, un bien où le père d'Anne passait souvent la belle saison avec sa famille. Après la mort de sa femme, il vint s'y fixer tout à fait : ce fut là qu'il fii connaissance des parents de saint Joachim, l'époux d'Anne. Le père de Joachim, Matthat, était le second fiere de Jacob, père de saint Joseph. Dans sa jeunessôj Anne était plutôt gracieuse que- belle ; elle se faisait remarquer par sa simplicité, son innocence et sa piété, mais elle n'avait pas la beauté merveilleuse de Marie. Elle avait toujours différé son mariage, ne pouvant se résoudre à quitter son père et sa mère qu'elle aimait beaucoup, et dont elle était ten* drement chérie. Six prétendants demandaient à la fois sa main ; elle les repoussait tous. Enfin quand, à l'exemple de ses ancêtres, elle se décida à consulter les — 1!^ — Esséniens, il lui fut répondu qu'elle devait épouser Joa- eliim. Joachim n'était ni beau ni riche. Saint Joseph, même dans un âge plus avancé, le surpassait beaucoup en beauté. Il était petit, trapu, maigre, mais homme de grande sainteté et d'une piété admirable. Il était parent de Joseph, et voici comment : le grand-père de saint Joseph, Mathan, descendait de David par Salo- mon. Il avait eu deux fils, Joses et Jacob, père de Jo- seph. Lorsqu'il mourut, sa veuve fit un second mariage avec Lévi, autre descendant de David par Nathan. Elle eut de lui Mathat, père d'Héli, appelé aussi Joachim. La demande en mariage se faisait alors avec une grande simplicité. Les prétendants étaient très modes- tes et très timides. On discutait la proposition. Si la jeune fille consentait, les parents adhéraient sans oppo- sition. Si elle refusait, ils entendaient ses motifs et s'y rendaient facilement. Une fois l'assentiment des parents ei areillement exaucé la prière de Joachim ; il ira au Temple de son côté ; vous vous rencontrerez tous deux sous la porte Dorée ». Et Tange ajouta : « L'offrande de Joachim sera acceptée, et tous^ les deux vous serez bénis ; tu connaîtras bientôt le noni de ton enfant. J'ai porté à ton époux la même bonne- nouvelle ». A ces mots, il disparut. Anne, ravie de joie, bénit Dieu de ses miséricordes. Elle rentra dans sa maison, fît avec ses servantes les- préparatifs du voyage, et après une courte prière elle se coucha. A peine eut-elle fermé les yeux, qu'une vive lumière parut descendre des deux vers elle, et prit, en s'appro- chant, la forme d'un jeune homme resplendissant de beauté : c'était encore l'ange du Seigneur. Il lui dit qu'elle concevrait une enfant toute sainte, et, portant au-dessus d'elle son bras étendu, il écrivit sur le mur, en grandes lettres lumineuses, le nom de Marie ; puis il rentra dans la lumière et disparut. Pendant ce temps, le cœur d'Anne semblait comme agité par les émotions- d'un songe joyeux ; elle se releva à demi éveillée sur sa couche, pria avec ferveur et se rendormit, sans- avoir une pleine conscience de ce qui s'était passé. Mais, après minuit, une sorte d'ivresse intérieure la tira tout à fait de son sommeil et elle vit avec une joie mêlée de frayeur, l'écriture sur la muraille. C'était un petit nombre de lettres grandes, rouges, dorées, et lumineuses. Elle les contempla, pénétrée d'un conten- tement et d'un amour indicibles. Ce ne fut qu'au lever de l'aube qu'elles s'effacèrent. Anne vit tout si claire^ ment et sa joie en fut telle, qu'à son lever elle me parut toute rajeunie. — 20 — Au moment où la lumière de l'ange se répandit sur Anne avec la bénédiction, j'aperçus, sous son cœur, une lueur splendide qui la désignait comme le vase béni de la grâce prête à descendre, comme la sainte mère dans laquelle un autel était préparé, un taber- nacle ouvert, pour recevoir et garder dignement le saint et primitif ciboire, dépositaire de la vie et du salut universels. Anne avait alors environ quarante- trois ans. Anne se leva, alluma une lampe et, après avoir fait ses prières, elle partit pour Jérusalem avec ses of- frandes. Quoi qu'elle seule eût connaissance de l'appa- riton de l'ange, le lendemain tous ses serviteurs r)aru- rent rempli» d'une joie surnaturella CHAPITRE IX Joachim, consolé par l'ange, vient de nouveau sacrifier au Temple. Je vis, dans ce même temps, Joachim au milieu d& ses troupeaux de l'Hermon ; il adressait à Dieu de con- tinuelles prières. Quand il voyait les jeunes agneaux Dondir autour de leurs mères avec des bêlements joyeux, il se sentait triste de ne pas avoir, lui, d'enfants à ses côtés ; toutefois il ne découvrait point aux bergers le sujet de sa peine. On était alors au temps de la fête des Tabernacles, et il dressa avec eux ses tentes de feuillage. Plein du souvenir des outrages qu'il avait essuyés, il Hésitait à aller à Jérusalem porter ses offrandes et assister à la fête. Or, pendant qu'il priait avec cette pen- sée, voilà qu'un ange lui apparaît tout à coup, et lui dit : « Prends courage, rends-toi au temple .sans retard, ton offrande sera accueillie et ta prière exaucée ». — 21 — L'ange ajouta qu'il rencontrerait Anne sous la porte Dorée. Joachim, plein de joie, alla à son magnifique troupeau ; il en fit le partage ordinaire, garda la part inférieure pour lui, en envoya une meilleure aux Essé- niens, et, aidé de ses serviteurs, conduisit lui-même la plus belle au Temple. Il arriva le quatrième jour de la fête à Jérusalem, et sans perdre de temps, se rendit droit au Temple. Anne arriva le même jour et prit logement, près du ï* marché aux poissons, chez des parents de Zacharie, Ce ne fut qu'à la fin de la fête qu'elle rencontra Joachim. Cette fois, les prêtres avaient reçu du Ciel l'ordre d'accepter l'offrande de Joachim. Aussi, lorsqu'il an- nonça qu'il amenait ses victimes, on s'empressa d'aller à sa rencontre et de les recevoir devant le Temple. Des gens de sa connaissance vinrent le féliciter de ce que son offrande avait été accueillie. A cause de la fête, le Temple apparaissait orné de guirlandes de fleurs et de fruits. Au moment où s'éleva la fumée de l'encens, un ravon de lumière tomba sur le prêtre qui l'offrait, et sur Joachim, qui se tenait dans l3 parvis. L'étonnement causé par cette manifestation surnaturelle fit suspendre un instant la cérémonie. Tout à coup deux prêtres, poussés comme par une ins- piration divine, se rendent auprès de Joachim dans le parvis, et l'amènent à l'autel d'or des parfums. Le prêtre chargé du sacrifice place de nouveau l'encens sur l'autel. La fumée s'en élève, répandant la plus suave odeur devant le voile du Saint des saints. Le prêtre quitte alors le tabernacle, et Joachim reste seul. Pendant que l'encens se consume, Joachim se tient agenouillé les bras étendus et dans l'extase. Bientôt une forme éclatante se montre ; un ange descend auprès de lui, semblable à celui qui vint plus tard annoncer à Zacharie la naissance du Précurseur. Il présente à Joa- chim une feuille sur laquelle se lisent les noms d'Hélia, d'Anna et de Miriam : une forme d'arche ou de taber- — 22 — îiade paraît à côté du dernier de ces noms. L'ange dé- pose cet écrit sur la poitrine de Joachim, lui dit que la stérilité de son mariage n'est pas sa honte, mais sa gloire, car sa femme va concevoir le fruit immaculé de la bénédiction que Dieu a répandue sur lui, le couron- nement de la bénédiction d'Abraham. Joachim ne pouvait comprendre toutes ces choses. L'ange le conduit alors derrière le voile du Saint des saints ; il en retire une sorte de globe ou cercle lumi- neux qu'il lui présente, et lui ordonne de souffler dessus et d'y regarder. Au souffle de Joachim, plusieurs images parurent dans le cercle lumineux, sans que son haleine l'eût terni. <( Aussi pure que ce globe sous ton haleine, lui dit l'ange, sera la conception d'Anne ton épouse ». Cependant l'ange éleva dans l'air le globe lumineux. J'y vis, par une ouverture, toute la suite de la religion, depuis la chute de l'homme jusqu'à sa rédemption. Tout s'y produisait par une série d'images où les choses nais- saient les unes des autres. Au sommet trônait la très sainte Trinité ; au-dessous se montraient le paradis, Adam et Eve, la chute de l'homme, la promesse de la rédemption avec toutes ses figures et ses symboles : Noé, le déluge, l'arche, la bénédiction donnée- à Abraham, la transmission de cette bénédiction à Isaac, et puis d'Isaac à Jacob. Je vis comment cette bénédic- tion fut augmentée en Jacob par sa lutte avec l'ange, comment elle passa de Jacob à Joseph, comment l'objet sacré qui en assurait la transmission fut emporté d'Egypte par Moïse et devint le Saint des saints de l'ar- che d'alliance, le siège du Dieu vivant au milieu de son peuple ; enfin j'aperçus tous les types et les symboles ée Marie et du Sauveur, toute la suite de l'histoire du peuple de Dieu, convergeant et contribuant au dévelop- pement de la race sainte et de la lignée de Marie. Au milieu de toutes ces images, des bêtes furienses €t d'autres apparitions épouvantables paraissaient aussi et s'attaquaient à l'œuvre de Dieu. Je vis que la — !8S- race de la sainte Vierge avait eu, comme tout ce qui est saint, de rudes épreuves à subir et de terribles combats à livrer. Il semblait qu'un sang pur, une chair parfaite, semés par Dieu au mili-eu ée l'humanité, comme dans un fleuve d'eau trouble, cherchassent, par un travail in- time et une lutte continuelle, à rassembler leurs élé- ments dispersés. Le fleuve tâchait de les attirer à lui et de les corrompre ; mais enfin, à l'aide des grâces innombrables de Dieu et avec la fidèle coopération des hommes, après beaucoup d'agitations, ces éléments parvenaient à s'épurer et à se rejoindre, au milieu de ce torrent %cumeux, et s'élevaient du fleuve sous la fo/rme de cette Vierge, de laquelle le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous. Ce développement de ta- bleaux allait jusqu'au parfait accomplissement de l'œu- vre /de la divine miséricorde sur la pauvre humanité déchirée et divisée ; il se terminait d'image en image au point extrême et final, situé à l'opposite du Paradi» terrestre, voisin de la céleste Jérusalem, et aboutissait au pied du trône de Dieu. Puis cette suite de tableaux s'évanouit, et avec elle le grand cercle de lumière qu'elle formait. CHAPITRE X Joachim reçoit la bénédiction de TArche d'alliance L'ange toucha de Tindex et du pouce, comme pour l'oinore, le front de Joachim ; il lui fit manger d'un ali- ment lumineux et boire d'une liqueur transparente, conteine dans une petite coupe brillante, d'une forme sembkble à celle du calice de la sainte Cène. Et Joachiïi devint pur de toute concupiscence et de toute corrupfion. Je vis ensuite l'ange lui communiquer le plus haut degré et la plus sainte fleur de cette bénédiction donnée par Dieu à Abraham, transmise au moyen du saint et mystérieux objet de l'arche d'alliance, et devenue avec lui le siège de Dieu au milieu de son peuple. Lorsque Dieu donna sa bénédiction à Abraham, il l'en fit comme le dépositaire, bénissant par lui le peuple futur dont il le consacrait père, préparant en lui ces pierres vivantes qu'il devait en tirer et qu'il des- tinait à la construction de son temple. Mais lorsque Joa- chim la reçut, c'était comme si l'ange retirait du taber- nacle de ce temple le gage sacré de la bénédiction et le dormait à un prêtre, pour en faire le vas^ saint dans lequel le Verbe devait être fait chair. Mais ces choses sont inexprimables, car il s'agit de la sainteté sans tache souillée par l'homme au jour de sta chute. Dès mes plus tendres années, j'eus de nombreuses vi- sions des choses de l'ancien testament ; j'ai vu souvent l'arche d'alliance, et j'ai toujours remarqué que tout y était comme dans une église parfaite, seulement avec un caractère surnaturel de gravité et de crainte de Dieu. Elle renfermait, non seulement les tables de la loi, c'est-à-dire la parole gravée par le doigt du Sei- gneur, mais une présence sacramentelle du Dieu vivant; et cette présence était comme la racine du vin et du froment, la source de la chair et du sang de la grande victime de la Rédemption. C'était la bénédiction dont la grâce a produit, avec la coopération d'une fouJe^sans nombre de saints et pieux personnages, la tige parfaite, la tige ,dont devait sortir la fleur de toute pureté. Dans cette fleur le Verbe s'est fait chair ; dans cette fleur un Dieu s'est fait homme, le Dieu qui nous a laissé sachair et son sang, qui a voulu rester avec son humarité et divinité dans le sacrement de la nouvelle alliaice, et mettre là pour l'homme la source de- la vie éternelle. L'arche d'alliance n'était jamais sans cette présence sa- cramentelle de Dieu, sinon quand elle tombait ^ans les — 25^ mains des ennemis d'Israël ; car alors ou le grand prêtre ou un prophète retirait l'objet symbolique auquel s'attachait cette bénédiction. Alors l'arche d'alliance, privée du mystère et réduite aux tables de la loi, me faisait absolument le même effet que le temple des Samaritains sur le mont Garizim, ou, dans les temps modernes, ces temples dans desquels, à la place des tables de la loi écrite de la main de Dieu, on trouve non la sainte Eucharistie, mais l'Ecriture abandon- née aux capricieuses interprétations de l'homme (1). Enfin l'ange reconduisit Joachim dans le saint, et dis- parut. Lorsque les prêtres rentrèrent, ils le trouvèrent couché par terre sans connaissance, mais la face toute rayonnante de joie. Ils le relevèrent avec respect, le portèrent dans le parvis, et Je placèrent sur un siège où les prêtres seuls avaient coutume de s'asseoir. Orî lui lava le visage et on lui fit prendre un breuvage forti- finat ; et, revenu à lui, il parut comme animé d'une, nouvelle jeunesse, plus fort et plus beau que jamais. (1) La narratrice, dans Je cours de ses nombreuses contempla- tions, moitié historiques, moitié symboliques sur l'ancien et lo nouveau Testament, fit sur cette bénédiction plusieurs commu- nications, dont nous présenterons ici quelques-unes dans un ordre chronologique. « Ce fut, dit-elle, cette bénédiction avec laquelle et par laquelle Eve fut tirée du côté droit d'Adam. Je la vis retirée à Adam par la providence miséricordieuse de Dieu lors- qu'il était au moment de consentir au péché. Abraham la reçut de nouveau par le ministère des anges, après l'institution de la circoncision, en même temps que la promesse de la naissance d'Isaac; elle fut transmise par lui, dans une cérémonie solennelle et sacramentelle, à son premier né Isaac, et par celui-ci à Jacob. Cette bénédiction fut enlevée par Jacob à l'ange qui lutta avec îuî, et elle passa à Joseph, en Egypte. Enfin, elle fut prise de nouveau par Moïse, dans la nuit de la sortie d'Egypte, enlevée ivec les ossements de Joseph, et elle fut ensuite placée dans l'arche comme le trésor sacré du peuple de Dieu. » — Ce n'était pas sans scrupule et sans inquiétude que nous avons rédigé, pour les livrer à l'impression, ces explications de la sœur, lorsque nous apprîmes Que, dans le livre appelé Sohar (qui a été rédigé dans le second s ècle de l'ère chrétienne, mais qui contient des parties beaucoup^ pus anciennes), on retrouve presque mot pour mot ce qu'elle dit ici et ailleurs sur le mystère de l'ancienne arche d'alliance. (Note», du pèlerin.) — 26 ~ CHAPITRE XI Rencontre de Joachim et d'Anne sous la porte Dorée. C'était sur un avis du Ciel que Joachim avait été in- troduit dans le sanctuaire. Ge fut encore par une inspi- ration divine qu'on le conduisit dans un passage con- sacré et souterrain qui aboutissait à la porte Dorée. Ge passage servait quelquefois à des personnes qui Ve- naient demander la bénédiction au sujet d'une union stérile. Il servait aussi pour des purifications, des abso- lutions, des expiations et autres rites ou pratiques de ce genre. Anne était aussi arrivée au temple avec sa servante, qui portait, dans des corbeilles à jour, les colombes à offrir. Elle remit son offrande à un prêtre auquel elle fit part de l'apparition de l'ange, et de l'ordre qu'il lui avait donné d'aller trouver son mari sous la porte Dorée. Alors d'autres prêtres et plusieurs femmes vé-" nérables, dont une prophétesse (la prophétesse Anne peut-être), la conduisirent à une autre entrée du même passage consacré, puis s'éloignèrent et la laissèrent seulfC. Les murs du passage brillaient d'un reflet vert et or ; une lumière rougeâtre y pénétrait d'en haut et lais- sait voir die belles colonnes, pareilles à des arbres et à des ceps de vign^ 'entourés de guirlandes. Une de ces colonnes s'élevait comme une tige de pal- mier, avec des branches pendantes ornées de fleurs. Ce ifut là que Joachim fit la rencontre d'Anne, toute rayon- nante de joie. Ils s'embrassèrent dans un mouvement de sainte alIégreg;s-§^ et se firent part de leur' commun Jbonheur. Une nuée lumineuse les environna, et ils tc^oa- — 27 — bèrent en extase. Cette lumière rayonnait sur eux du sein d'une troupe nombreuse d'anges, planant sur leurs têtes" et portant une haute tour, "toute resplendissante, semblable à la tour de David ou à la tour d'ivoire. Puis cette tour disparut, et une immense auréole vint cou- ronner Anne et Joachim. Il fut alors montré que la conception de Marie avait été aussi pure, par la grâce, que l'eût été, sans la chute originelle, toute conception humaine. Dans le même temps, j'eus aussi une autre vision dont il m'est impos- sible de faire comprendre la grandeur. Le ciel s'ouvrit au-dessus des deux époux, et je vis la joie au sein de la Trinité et da.ns les rangs des anges, et nul d'entre eux ne restait étranger à cette bénédiction mystérieuse. Cependant Anne et Joachim s'éloignèrent en louant Dieu, et arrivèrent à une sortie située non loin de la porte Dorée. Là des prêtres les accueillirent et les con- duisirent hors de l'enceinte du temple. Joachim ne fut pas plutôt de retour à Nazareth qu'il fît un festin de réjouissance ; il offrit son pain à des pauvres sans nombre, et répandit partout les plus abon- dantes aumônes. Les deux époux étaient tout entiers à leur joie, pleins de reconnaissance envers Dieu et du souvenir de ses miséricordes. Je les vis souvent prier, et toujours les larmes se mêlaient à leurs prières. J'appris que la sainte Vierge fut engendrée dans une pureté parfaite et sous l'unique impulsion de la sainte obéissance ; dans la ferveur qui les animait, sans un ordre envoyé d'en haut, ils eussent gardé une inviolable continence. Je compris en même temps quelle immense influence la pureté, la chasteté, la réserve des parents, exercent sur la sainteté de leurs enfants, et combien de germes de mauvaises passions détourne du fruit conçu la continence des époux après la conception. Je vis tou- jours dans l'incontinence et dans l'excès la racine de la difformité et du péché. — 28 — CHAPITRE XII Naissance de Marie. l*eus une vision sur la création de l'âme très sainte d'3 Marie et sur l'union de cette âme à son corps imma- culé. Je voyais la gloire sous laquelle la sainte Trinité m'est ordinairement montrée, et de cette gloire une figure humaine se détachait majestueuse comme une grande montagne (1). Et je ne sais quoi monta de son cœur à sa bouche, et une lueur splendi.de parut en sortir. Cette lumière s'avança, se tint en lace de Dieu, tourna sur elle-même et prit bientôt, ou pour mieux dire, reçut une forme. Je voyais, en effet, pendant qu'elle prenait la figure humaine, que la seule volonté de Dieu lui donnait cette beauté inexprimable. Dieu fit alors voir aux anges la beauté de celte âme : ils en éprouvèrent une joie indicible. Non, jo ne saurais rendre avec des paroles tout ce que je vis et connus en ce moment. Dix-sept semaines et deux jours après la Conception de la sainte Vierge, c'est-à-dire à peu près au milieu de la grossesse d'Anne, cette sainte mère dormait une nuit sur sa couche, dans sa maison de Nazareth. Tout à coup un nuage lumineux l'environna ; un rayon se détacha du nuage, se porta sur son côté, et y pénétra BOUS la forme d'une petite figure humaine. Anne au même instant se dressa sur sa couche, tout environnée de clarté. Elle fut ravie en extase ; son intérieur s'ou- vrit devant elle semblable à un tabernacle, et elle y vit comme une petite vierge toute rayonnante : c'était la (1) C'était un symbole du Verbe, type de l'iiomrjie et de l'Eglise, Qui est la tuontagae de Dieu. Marie est sa plus parfaite image, la grande merveille de son amour. — go- vierge dont devait naître bientôt le salut du monde. Ce fut alors que le petit corps de l'enfant tressaillit pour la première fois sous le cœur maternel. Anne se leva, dit à Joachim toute sa joie, et tous deux s'unirent pour rendre grâce à Dieu. Ils prièrent ensemble dans le jar- din, sous le même arbre à l'ombre duquel Anne avait reçu la visite et les consolations de Tange. Il me fut dit que la sainte Vierge avait été animée cinq jours plus tôt que les autres enfants, et qu'elle était née douze jours avant le terme ordinaire. Anne avertit Joachim quelques jours à l'avance que sa délivrance était proche. Elle fit prévenir pareillement Maraha sa sœur cadette, la veuve Enoué, sœur d'Elisa- beth, sa nièce Marie Salomé, et les invita toutes les trois à venir chez elle. La veille même de la délivrance d'Anne, Joachim se rendit au plus voisin de ses pâtu- rages. Il y pria quelque temps, choisit les plus beaux de ses agneaux, de ses chevreaux et de ses bœufs, et les envoya au temrle comme offrande d'actions de grâce. Les trois parentes d'Anne arrivèrent le soir. Elles la trouvèrent dans la chambre située derrière Tâtre et l'embrassèrent : Anne leur annonça sa délivrance pro- chaine, et toutes trois, se levant, chantèrent ensemble ce cantique : « Louez Dieu, louez le Seigneur ; il a eu pitié dfii son peuple ; il a accompli cette promesse que dans le Paradis il fit à Adam : la semence de la femme écrasera la tête du serpent, etc. )> Anne rappela, dans son chant, toutes les figures de Marie, et elle s'écria toujours en extase : « Le germe confié par Dieu à Abraham mûrit enfin en moi, en moi fleurit la verge d'Aaron, etc. » Au milieu de la clarté surnaturelle qui remplit alors la chambre, l'échelle de Jacob apparut. Les trois femmes semblaient toutes jouir de cette vision ; leur attitude était celle de l'admiration et du ravisse- ment, r. Le cantique fini, Anne fit servir à ses hôtes 'nae légère collation de pain, de fruits el d'eau mêlée ; de — 30 -- baume. Elles mangèrent et burent debout, et allèrent ensuite prendre un peu de sommeil et se reposer des fatigues du voyage. Anne seule resta levée pour prier. Vers minuit, elle éveilla ses parentes pour prier avec elles. Anne ouvrit une sorte de placard où se trouvaient des reliques renfermées dans une boîte. De chaque côté étaient rangés des flambeaux, qu'elle alluma. Le reli- quaire contenait des cheveux de Sarah, qu'Anne avait en singuli^e vénération, des os de Joseph, emportés d'Egypte par Moïse, et la petite coupe brillante, en forme de poire, dans laquelle Abraham avait bu le jour où il reçut la bénédiction de l'ange. Cette coupe fut donnée à Joachim lorsque dans le sanctuaire il fut béni. Je sais maintenant que cette bénédiction s'était trans- mise sous la forme de pain et de vin, comme une nour- riture et une vertu sacramentelles. Anne s'agenouilla devant le reliquaire. Elle avait de chaque côté Tune des femmes, et la troisième derrière elle. Comme elle disait un nouveau cantique, tout à coup une lumière surnaturelle remplit la chambre et se concentra tout autour d'Anne. Les femmes se jetèrent la face contre terre. La lumière l'enveloppa sous la. forme du buisson ardent de Moïse ; bientôt elle y dis- parut tout entière. Puis cette lumière sembla rentrer en elle, et j'aperçus alors dans les bras de sa mère la petite Marie, dont la tête était entourée d'une auréole. Anne couvrit l'enfant de son manteau, la pressa contre son cœur, la plaça sur un escabeau devant le reliquaire, et se remit en prière devant elle. J'entendis alors l'en- fant pleurer, et je vis Anne tirer de dessous son grand voile des langes dont elle l'enveloppa jusque sous les bras, laissant nues la tête et la poitrine. Lorsque les femmes se relevèrent, elles virent avec grand étonnement que l'enfant était déjà née,, et versè- rent d«ö larmes de joie ; leur âme s'épancha en un can- 4lqujè' ' â'actions de gràee au Seigneur, tandis qu'Anne — ai — élevait l'enfant en l'air pour lui en faire Toffrande. A ce moment, une clarté nouvelle inonda toute la chambre ; des anges chantèrent Gloria et Alléluia, et déclarèrent 'lue l'enfant devait recevoir, le vingtième jour, le nom -de Marie. Lorsque les anges eurent disparu, Anne entra dan^ sa chambre à coucher et se mit au lit. Les femmes prirent l'enfant, lui ôtèrent ses langes, la baignèrent, renveloppèrent de nouveau, et l'apportèrent à sa mère. Elles appelèrent ensuite Joachim ; il vint aussitôt, et, se jetant à genoux devant la couche d'Anne, il versa d'abondantes larmes sur l'enfant. Puis, la prenant entre ses bras, il glorifia Dieu, comme Zacharie à la naissance de Jean-Baptiste. Il parla du germe déposé par Dieu dans Abraham, perpétué chez son peuple par l'alliance de la circoncision, et arrivé enfin dans l'enfant nouveau- né à sa floraison suprême. Il dit que maintenant se trouvait accomplie la parole du prophète : « Une tige sortira de la racine de Jessé », et il finit en disant que maintenant il verrait avec joie la mort arriver. On ne saurait exprimer avec quels sentiments d'humilité et de ferveur il prononça ces dernières paroles. Le lendemain les serviteurs et les servantes se ras- semblèrent, et beaucoup de gens des environs accou- rurent à la demeure de Joachim. On les fît entrer tour à tour, et les trois femmes parentes d'Anne leur mon- trèrent l'enfant. Tous la virent avec émotion ; grand nombre en devinrent meilleurs. Ce qui avait attiré toute cette foule, c'étaient des lueurs qu'on avait vues la nuit au-dessus de la maison des deux saints époux ; et puis l'enfantement d'Anne après une stérilité si longue était regardé comme une grâce insigne du Ciel. 32-* CHAPITRE XIII Joie dans le ciel, dans les limbes et sur la terre, à la naissance de Marie. Au moment même où Marie enfant reposa dans les bras de sa sainte mère, je la vis dans le ciel, présentée devant la très sainte Trinité, et saluée par tous les anges avec une joie inexprimable. Toutes ses gloires, toutes ses douleurs, toute sa vie, lui furent alors révé- lées par une lumière surnaturelle. Elle fut initiée aux mystères infinis, sans cesser pourtant de demeurer en- fant. Comment cette science lui vint-elle? Nous ne sau- rions le comprendre, parce que la seconde science, fruit de l'arbre maudit, a obscurci notre vraie et première science. Elle connut tout cela comme l'enfant connaît le sein de la mère, et sait qu'il y doit chercher l'aliment de sa vie. Ce fut au moment où cessa cette vision que je l'entendis pleurer pour la première fois. Dans l'instant même où elle s'accomplissait, la nais- sance de Marie était annoncée aux patriarches dans les limbes. Je les vis tous, principalement Adam et Eve, pénétrés d'une joie ineffable ; ils voyaient enfin l'accom- plissement de cette promesse faite autrefois dans le paradis. Il me fut aussi montré que leur grâce et leur félicité se développaient, que leur séjour s'embellissait et se dilatait, et que leur action sur les choses de ce monde était devenue plus puissante. Il semblait que tous leurs travaux, toutes leurs pénitences, tous leurs com- bats, toutes leurs prières et tous leurs désirs eussent atteint leur terme et produit leur fruit précieux. Il y eut pareillement comme un éveil immense de joie dans toute la nature : tous les cœurs droit? et bons ^'éprouvèrent, les animaux eux-mêmes la ressentirent. — 33 — Quant aux pécheurs, ils éprouvèrent au fond de l'âme comme une sorte d'angoisse et de déchirement. Dans les environs de Nazareth et même dans tout le reste de la terre promise, plusieurs possédés furent saisis des plus violents accès de rage. Les démons les secouèrent avec fureur, et s'écrièrent par leur bouche : u II faut céder, il faut sortir ! » A Jérusalem, le vieux prêtre Siméon, qui habitait près du temple, entendit les cris horribles de plusieurs frénétiques et possédés enfermés dans une maison voi- sine, et dont il avait en partie la surveillance. Il sortit et se rendit sur la place en face de la maison ; il de- manda à l'un des furieux la cause de ses cris. Comment osait-il troubler ainsi le sommeil de la ville ? Celui-ci ne répondit pas, mais continua à crier avec plus de force qu'il fallait sortir. Siméon lui ouvrit la porte ; le possédé se précipita dehors, et le démon continua de crier par sa bouche : « Il me faut sortir ! il nous faut sortir ! Une Vierge vient de naître ! Il y a maintenant sur la terre trop de ces anges qui nous tourmentent ! Il nous faut sortir ! désormais nous he pourrons plus en- trer dans les hommes ! » Siméon se recueillit et pria ; alors le démon jeta par terre, avec violence et à plu- sieurs reprises, le malheureux possédé, et je le vis enfin qui sortait de lui. La vue du vieux Siméon me causa une bien vive joie. La prophétesse Anne, et Noémi, sœur de la mère de Lazare, furent aussi éveillées au même temps et aver- ties de la naissance d'un enfant d'élection. Aussitôt qu'elles se rencontrèrent, elles se communiquèrent Tune à l'autre ce qui leur avait été révélé. Toutes deux étaient, je crois, des amies de sainte Anne. — 34 — CHAPITRE XIV L'enfant reçoit le nom de Marie. Dans les premiers jours qui suivirent la naissance •de Marie, un grand nombre de parents vinrent des environs visiter sainte Anne. Plusieurs serviteurs de Joachim vinrent aussi des pâturages éloignés. Tous virent l'en- fant, et tous témoignèrent la plus vive joie. Elle était placée dans un berceau sur une estrade, enveloppée jusqu'aux bras de deux langes, l'un de couleur rouge, et l'autre de couleur blanche, et elle portait autour du cou un voile transparent. Marie, fille de Cléophas et de Marie, fille aînée d'Anne, enfant de deux à trois ans, jouait avec elle et la caressait. Le vingtième jour (1), il y eut grande fête dans la maison de sainte Anne. Au centre d'une grande salle un •autel était dressé, couvert d'une nappe rouge et blanche; sur l'autel reposait un berceau rouge et blanc comme la nappe, avec une couverture bleu de ciel. Un pupitre, placé près de l'autel, portait des rouleaux de parchemin contenant des prières. Devant l'autel se tenaient cinq prêtres de Nazareth vêtus de leurs habits sacerdotaux. Joachim assistait les prêtres. Enfin, au fond de la salle, paraissaient en grand nombre des hommes et des iemmes, tous parents de Joachim, en habits de fête. Anne demeura dans sa chambre, quoiqu'elle se levât déjà, et ne parut pas à la cérémonie. Enoué, sœur d'Elisabeth, apporta l'enfant et la remit aux bras de Joachim. Les prêtres se rangèrent autour (1) Cette cérémonie qui, d'après le Lévitique XII, 6, avait lien le quinzième jour, s'accomplit le vingtième pour la très sainte Vierge, d'après un avertissement du ciel. (Voy. page 31.) — 35 — du pupitre, et récitèrent des prières à haute voix. Joachim présenta l'enfant au plus digne d'entre eux, qui réleva en l'air, comme pour l'offrir à Dieu, et la replaça sur l'autel dans son berceau. Il prit ensuite des ciseaux et lui coupa, sur les deux côtés de la tête et sur le front, trois petites mèches de cheveux qu'il brûla sur un brasier ; et, ouvrant une boîte pleine d'une huile sanctifiée, il en oignit avec le pouce les oreilles, les yeux, le nez, la bouche et la poitrine de l'enfant. Enfin il écrivit sur un parchemin le nom de Marie, et le plaça sur sa poitrine. La cérémonie s'acheva au chant des psaumes. Quelques semaines après la naissance de l'enfant, Joachim et Anne montèrent au temple : ils portaient avec eux leurs offrandes et en même temps la petite Marie. Ils la présentèrent à Dieu avec de grands senti- ments de piété et de reconnaissance, comme plus tard elle-même présenta Jésus, selon les prescriptions de la loi. Quand ils vinrent le lendemain pour faire leur offrande, ils firent vœu de la consacrer dans peu d'an- nées au service du temple ; et ils retournèrent avec elle à Nazareth. CHAPITRE XV Préparatifs de la présentation de Marie. Marie venait d'achever sa troisième année, et bientôt on devait la conduire au temple. Anne lui apprenait à prier dans une chambre de sa maison de Nazareth, et la préparait à l'examen que les prêtres devaient lui faire subir avant son admission. Ce jour arriva enfin. Beaucoup de parents et d'étrangers se trouvèrent réunia dans la maison de sainte Anne. On y voyait des hommes, des femmes, et même quelques enfants. Trois prêtres, — 36 -- Fun de Séphoris; Tautre de Nazareth, le troisième d'un village des montagnes situé à quatre lieues de Naza- reth, étaient venus pour l'examen de l'enfant. Ils de- vaient aussi, si elle était trouvée digne d'être admise, indiquer les habits qu'elle devait porter, suivant les règles du temple. Il lui fallait trois habillements de dif- férentes couleurs composés chacun d'une robe, d'un cor- set et d'un manteau, et garnis de deux tresses de soie et de laine. Chaque habillement avait aussi sa couronne. L'un des prêtres tailla lui-même quelques parties de ces vêtements. Marie était d'une complexion très délicate ; ses che- veux, d'un blond doré, étaient plats, bouclés seulement à leur extrémité. Elle savait déjà lire, et tout le monde admirait la sagesse de ses réponses. Quand les femmes eurent achevé de confectionner les habits., on l'en revê- tit, et la fête commença dans la maison d'Anne. Ce fut alors que les questions lui furent posées par les prêtres. La cérémonie fut grave et solennelle. Un sou- rire de bienveillance paraissait d'abord sur les lèvres des prêtres ; mais bientôt on ne vit plus sur leurs vi- sages d'aulre sentiment que celui d'une vive admira- tion, causée par les sages réponses de Marie ; ils se sentaient aussi émus à la vue des larmes de joie qui eoulaient des yeux de ses saints parents. La cérémonie eut lieu dans une chambre carrée, voisine de la salle à manger. Le plancher en était cou- vert d'un tapis rouge, l'autel d'une nappe rouge et blanche. Au-dessus de l'autel, un rideau, orné d'une unage brodée, cachait une armoire rernplie de volumes de prières, et sur l'autel étaient posés les trois habil- lements de Marie, avec plusieurs autres effets donnés par les parents et composant le trousseau de l'enfant Par devant était dressé un petit trône auquel on mon- tait pas plusieurs gradins. Joachim, Anne et les prin- cipaux parents formaient un groupe dans la salle. Les lemmes se tenaient en arrière, et les petites filles à côté de Marie. Les prêtres entrèrent les pieds nus. Ils étaient cinq, Tnais trois seulement étaient vêtus d'ha- bits sacerdotaux, et présidèrent à la cérémonie. L'un d'eux prit sur l'autel les différentes pièces d'un habil- lement, et en expliqua la destination et le sens. Et à mesure qu'il expliquait tout, il donnait chaque pièce à la sœur d'Anne, qui en revêtait l'enfant. Lorsqu'on eut fini de vêtir Marie, les prêtres lui axiressèrent plusieurs questions sur le genre de vie des vierges du temple. Ils lui dirent entre autres choses : « Quand tes parents t'ont consacrée au temple, ils ont fait vœu que tu ne boirais ni vin, ni vinaigre, que tu ne mangerais ni rai- sins, ni figues ; que désires-tu toi-même ajouter à ce vœu ? N'oublie pas d'y penser pendant le repas. » Après plusieurs paroles semblables, on lui ôta son premier costume pour la revêtir du second, composé d'une robe bîeu de ciel, d'un corset magnifique et d'un manteau bleu clair. Puis les prêtres lui couvrirent le visage d'un long voile blanc. On lui apprit à le soule- ver quand elle mangeait, et à le laisser retomber quand on l'interrogeait et qu'elle devait répondre. On l'avait instruite aussi sur les bienséances à observer pendant le repas. On se rendit alors à celui qui était préparé dans une chambre voisine. Marie y fut placée entre deux prêtres : un autre était assis en face d'elle. Les femmes et les jeunes filles étaient séparées des hom- mes, et occupaient une extrémité de la table. « Maintenant, disait-on à Marie, tu peux encore man- ger de tous ces mets ; » et on lui en offrait plusieurs pour la tenter. Mais Marie les refusait presque tous et n'acceptait rien qu'en petite quantité. En même temps, elle étonnait tout le monde par la sagesse de ses ré- ponses enfantines, et je voyais des anges placés à côté d'elle, qui les lui inspiraient et qui l'assistaient, et la dirigeaient dans tout ce qu'elle avait à faira Après le repas, tout le monde se rendit dans la chambre, devant l'autel. Là on dévêtit de nouveau l'en- — 38 — fant, et on la revêtit du grand costume. La robe en -était bleu violet, à fleurs jaunes ; le corset, brodé da diverses couleurs ; et le manteau bleu violet, garni d'ornements, très ample et un peu traînant par der- rière. Un grand voile s'y ajoutait, blanc d'un côté et violet sur le revers. La couronne qu'on lui mit cette fois sur la tête brillait comme For ; elle était garnie de petites roses et portait cinq perles ou pierres pré- cieuses. Quand Marie fut entièrement revêtue, on la plaça sur le petit trône en face de l'autel. Des vierges -de son âge se tenaient à ses côtés. Elle déclara quelles privations elle s'imposait en entrant dans le temple. Elle promettait de ne manger ni viande, ni poisson, et de ne pas boire de lait, mais seulement la boisson de moelle de jonc, dont usaient les gens pauvres ; rare- ment elle y ajouterait un peu de jus de térébinthe. Ce jus, rafraîchissant comme le baume, a une saveur bien moins agréable. Elle renonçait à toutes les épices et à tous les fruits, à l'exception d'une sorte de grains jau- nes qui viennent en grappes, et qui faisaient alors la principale nourriture de la dernière classe du peuple. Elle promettait encore de dormir sur la terre nue et de se lever trois fois chaque nuit pour prier. Les autres vierges ne se levaient qu'une fois par nuit. Les parents de Marie étaient profondément émus. Joachim serra l'enfant dans ses bras en pleurant. <( C'en est trop, ma fille, lui dit-il ; si tu veux mener une vie si austère, ton vieux père ne te reverra plus. « C'était une scène bien touchante. Les prêtres lui dirent alors que, comme toutes les autres, elle n'aurait à se lever qu'une fois la nuit pour prier ; ils ajoutèrent plu- sieurs autres adoucissements, par exemple l'usage du poisson aux jours de grandes fêtes. Ils lui dirent en- core : « Bien des vierges admises gratuitement au temple s'obligent, du consentement de leurs parents et dès que leurs forces le leur permettront, à laver les vêtements tout ensanglantés des prêtres, et d'autres — 39 — étoffes de laine rudes et grossières. C'est un travail péni"ble, qui met souvent les mains en sang. Quant à toi, comme tes parents se chargent de ton entretien au temple, tu en es par là même dispensée. » A ces mots, Marie répondit sans hésiter qu'elle se chargerait volontiers de ce labeur, dès qu'on l'en trouverait digne. Pendant "cette sainte cérémonie, Marie paraissait parfois s'élever de toute la tête au-dessus des prêtres ; je voyais là un signe de la grâce et de la sagesse di- vine dont elle était remplie. L'admiration et la joie de ceux-ci étaient à leur comble. A la fin de la céré- monie, le chef des prêtres étendit les mains et bénit Marie. Elle était debout en face de lui, sur le petit nône; un autre prêtre se tenait derrière eile, et touj récitaient des prières et se répondaient alternative- inent. Il me fut alors donné de jeter un regard au fond de Tàrne de la sainte enfant. Je la vis comme tout illu- minée par la bénédiction du prêtre, et sous son cœur m'apparut, dans une gloire ineffable, l'image de l'objet sacré de l'arche d'alliance. Je vis aussi une image de la bénédiction, un symbole mystérieux de froment et de vin tendant à devenir de la chair et du sang. Au- dessus de cette apparition, le cœur de Marie s'ouvrait comme la porte d'un temple, et j'y vis entrer le mys- térieux symbole, autour duquel s'était formé comme un dais de pierres précieuses dont chacune avait sa signification. L'arche d'alliance était entrée dans le Saint des saints du temple : le cœur de Marie renfer- mait le plus grand bien qui se trouvât alors sur la terre (1). Puis je ne vis plus dans la sainte enfant que (1) Cette vision symbolique nous donne l'explication de la cérémonie précédente. La bénédiction de l'ancienne loi tout entière s'était comme concentrée en Marie, pour préparer sa ma- ternité divine, c'est-à-dire le changement de sa chair et de son üang à la chair et au sang du Fils de Dieu. Il est bien remar- quable que ce changement du sang le plus pur de l'humanité en ^el'ji de l'Homme-Dieu est représenté sous le même symbole mys- r. I. ^40 — son recueillement et sa ferveur. Elle paraissait planer transfigurée au-dessus de la terre. Au même instant un des prêtres connut, par une inspiration d'en haut, que Marie était le vase d'élection du mystère du salut ; car je le vis alors recevoir un rayon de cet objet sacré dont j'avais vu l'image en elle. Enfin, tous à la fois reconduisirent l'enfant et la re- mirent, dans sa plus belle parure, aux mains de ses parents émus. Anne la pressa contre son cœur, et l'em- brassa avec une tendresse mêlée de vénération. Joa- chim, profondément touché, lui prit la main d'un air pénétré et respectueux. La sœur aînée de Marie l'em- brassa bien plus vivement qu'Anne, dont une gravité et une modestie extrêmes réglaient tous les mouvements. La petite nièce de la sainte enfant lui jeta les bras au cou avec une joie enfantine. Tous les assistants lui donnèrent un dernier salut, après quoi on lui enleva ses vêtements du temple, pour lui remettre ses habits ordinaires. CHAPITRE XVI Départ pouf Jérusalem. Dès lors tout fut en mouvement pour les préparatifs du départ, et le lendemain le jour commençait à peine qu'on se mettait en route pour Jérusalem. Marie, âgée d'un peu plus de trois ans, délicate et gracieuse, était aussi avancée qu'un enfant de cinq ans, Oh ! qu'elle térieux du paiu et du vin qui voile l'union saoramentelle de Jésus av€c nous tous. Les vertus et les dons qui ornaient Harie, représeiitéa par ces vêtements symboliques, la préparaient à être le digne temple de Dieu. C'est ce qu'exprime le dais de pierres précieusos, qui semble entourer son cœur et qui rappelle cette cité de Dieu, ce temple de l'Agneau sans taclie, bâti tout entier de pierres précieuses dont il est parlé dans l'Apocalypse .(ch, XXI). — 41 — était aimable et douce, et pourtant sérieuse et grave I Impatiente de se voir bientôt au temple, e-lle se hâta de quitter là maison de son père. Au milieu du cortège, je remarquai particulièrement deux jeunes garçons qui paraissaient étrangers à la famille et qui ne faisaient de signes d'intelligence à aucun de ses membres. Il semblait même que personne ne les vît. Ils étaient gracieux et aimables, portaient une chevelure blonde et bouclée, et tenaient de longues bandes écrites en lettres d'or et roulées autour d'un bâton. Le plus jeune portait son rouleau comme un jouet; il gambadait comme un enfant et jetait le rou- leau en l'air par manière de jeu. Je ne saurais dire combien ces enfants me plaisaient. Ils ne ressem- blaient à aucun de ceux qu'ils accompagnaient. Ils me parlaient avec joie de l'accomplissement de leurs prophéties ; c'étaient en effet deux figures symboliques de Moïse et d'Elie (1). Le plus grand tenait son rouleau avec beaucoup de gravité. Il m'y indiquiait le passage du troisième cha- pitre du second livre de Moïse, quand Dieu lui appa- raît dans le buisson ardent et lui comimande d'ôter s€s souliers. Il m'expliqua que, comme le buisson avait brûlé sans se consumer, ainsi brûlait dans Marie enfant le feu de l'Esprit-Sainl, sans, pour ainsi dire, qu'elle en eût conscience. C'était encore un présage de l'union prochaine de la Divinité avec l'humanité, il m'expliqua aussi l'ordre donné à Moïse d'ôter ses sou- liers. Désormais, semblait-il dire, les choses allaient se dépouiller de leur enveloppe et se montrer dans leur véritable nature ; la loi recevait son accomplis- sement ; il y avait ici plus que Moïse et les prophètes. (1) Moïse et Elie apparaissent à l'état d'enfanc« pour accom- pagner Marie au temple. C'est que la loi et les prophètes com- mençaient à trouver en elle leur réalisation. Cette réalisation ne devant atteindre sa plénitude qu'en Jésus-Christ, ces saints per- sonnages se montrent à l'état d'enfants. — 42 — L'autre enfant portait son rouleau comme un dra- !peau flottant au vent : il semblait indiquer avec quelle allégresse ■Marie entrait dans la carrière qui la devait conduire à lu maternité du Rédempteur. Sa manière 'enfantine de jouer avec son rouleau représentait l'in- 'nocenco enfantine de Marie, qui jouait comme toute autre enfant, elle sur qui reposaient des destinées si jsaintes et de si hautes promesses. Marie les vit, et ne dit rien ; c'est ainsi qu'on voit quelquefois, dans son enfance, apparaître auprès de soi de saints enfants et qu'on n'en dit rien à personne, parce que dans cet état on est tout à fait calme et recueilli. L'un des textes qu'ils me montrèrent disait : « Que le temple était ma- gnifique, mais que cette enfant renfermait quelque chose de phi 3 magnifique encore. » Ils chantaient en- semble le psaume xliv^ : « Eructavii cor meum », et le psaum« XLix« : « Beus decrum locutus est », qu'on de- vait Qhanter, me dirent-ils, lors de l'admission de l'en- fant au temple (1). A Béthoron, à six lienes environ de Jérusalem, la sainte famille fut reçue, par plusieurs amis, dans la maison de l'un d'eux qui était maître d'école. Il ins- truisait et formait de jeunes lévites, et il y avait chez lui plusieurs enfants. Ce fut une véritable fête, et la jeune Marie parut en faire toute la joie. On la condui- sit dans une grande salle, accompagnée d'autres en- fants ; on la plaça sur un siège élevé, disposé pour elle en forme de trône. Le maître de l'école, ainsi que beau- coup d'autres, lui adressait des questions nombreuses : la sagesse de ses réponses les remplit d'admiration, et ils déposèrent des couronnes sur sa tête. (1) Ces deux psaumes conviennent parfaitement à tout ce que faisait et allait faire la jeune Marie. Le XLIVe exprime le mariage spirituel de Dieu avec l'Eglise et avec l'âme fidèle : Marie, qui allait se consacr m- à Dieu, était la plus haut« réalisation de ce mystère. Le XLiXo exprime l'immolation spirituelle qu'il faut faire à Dieu de soi-même ; Marie réalisait dans toute sa perfec- tion cette offrande. -~ 43 — La chère petite Marie ne contenait plus sa joie de se voir si près du temple ; Joachim la pressa sur son cœur et lui dit, les yeux baignés de larmes : « 0 mon enfant, peut-être ne te reverrai-je plus ! » Pendant le repas qu'on avait préparé à la sainte famille, Marie allait de l'un à l'autre pleine de grâce, puis revenait à sa mère et se serrait contre son sein, puis passait derrière elle et lui jetait les bras autour du cou, Marie avait trois ans et trois mois (1), mais elle était aussi avancée qu'un enfant de cinq à six ans. CHAPITRE XVII Arrivée à Jérusalem. Enfin les voyageurs arrivèrent à Jérusalem. Ils en- trèrent par la porte des Brebis. C'était là qu'on trou- vait la piscine probatique, où on lavait pour la première fois les brebis destinées à l'immolation (2). Jérusalem est une ville étrange. Il ne faut pas s'y figurer des rues pleines de gens qui vont et viennent, comme les rues de nos grandes villes, celles de Paris, par exemple. Les rues d)e Jérusalem sont tranquilles et solitaires, excepté aux abords des marchés et des pa- lais, où l'on voit passer beaucoup de soldats et de voyageurs. Cette ville est entourée de plusieurs vallées escarpées qui s'étendent derrière elle. Ces vallées sont (1) Elle va s'offrir au temple comme une victime spirituelle, à un âge qui correspond à celui do Jésus lorsqu'il s'immola sur le Calvaire. Marie est en toutes choses la dernière et plus parfaite figure de Jésus-Christ. (2) Marie, qui vient s'offrir comme une victime au t-emple, est la brebis immaculée qui a enfanté l'Agneau de Dieu. Cette oor- respondanc-e des figures de l'ancienne loi avec la réalité est admirable. — 44 — î)ordées de maisons dont les portes et les fenêtres ne donnent que du côté de la ville. Des ponts élevés et solides les traversent de distance en distance. Les chambres 'de chaque maison sont tournées du côté de la cour. De la rue, on n'aperçoit que la porte et quel- quefois une terrasse qui 'domine le mur. Les habitants S3 tiennent d'ordinaire enfermés dans leurs cours ou dans leurs maisons, à moins qu'ils n'aillent au marché ou ne montent au temple. Le cortège traversa une partie de la ville et arriva près du marché au poisson, à la maison du père de Zacharie. Un homme très âgé se trouvait là: je crois que c'était l'oncle de Zacharie. Ce dernier demauraifc chez son père pendant tout le temps de son service au temple. Il était pour lors à Jérusalem ; son service finissait, et il ne pro»longeait quelque peu son séjour que pour assister à la présentation de Marie. Plusieurs autres parents de Bethléem et d'Hébron, dont deux filles de la sœur d'Elisabeth, étaient encore dans cette maison ; mais Elisabeth ne s'y trouvait pas. Ces pa- rents de Marie allèrent à sa rencontre jusqu'à un quart de lieue, par le chemin de la vallée: les jeunes filles portaient des couronnes et des branches d'arbres. On accueillit le cortège avec de grandes démonstrations de joie, eï tous ^se rendirent à la m'aison du père de Zacharie, où des rafraîchissements attendaient les voyageurs. Ce dernier vint ensuite les prendre, et les conduisit de la maison de son père à une auberge voi- sine du temple, où on recevait les étrangers pendant les fêtes. Quand on partit de Nazareth, la petite Marie était vêtue de son premier costume. Elle le quitta et se re- vêtit du second, avec le manteau bleu clair ; puis cha- cun prît rang comme en une procession. En tête était Zacharie avec Joachim et Anne, puis venait Marie, entourée de quatre jeunes filles de son âge, vêtues de blanc ; derrière elle suivaient beaucoup d'autres en- — 45 — fants que leurs parents accompagnaient. Ils passèrent devant le palais d'Hérode, devant la maison où devait résider Pilate, et arrivèrent à des degrés attenants à un mur de la ville. La petite Marie les monta seule avec un empressement et une joie extrêmes. Elle ne voulut point souffrir qu'on Taidât : tous la regardaient avec admiration. Joachim et Anne prirent, dans l'auberge voisine du temple, le logement que Zacharie leur avait loué, et se rendirent ensuite avec Marie dans une maison située plus haut et habitée par des prêtres. Là encore l'en- fant, poussée et coanme portée par l'ardeur de son âme, monta les degrés avec un élan extraordinaire. Deux prêtres, l'un très âgé, l'autre encore jeune, les accueillirent avec joie et bonté. Tous deux avaient as- sisté à l'examen de Marie et attendaient sa prochaine venue. Après quelques paroles échangées sur le voyage et sur la présentation de l'enfant, ils firent appeler une des femmes du temple : c'était une veuve âgée, qui de- vait prendre la conduite de la petite novice. Elle ac- cueillit Marie avec une dignité affectueuse. Celle-ci se montrait grave, respectueuse et humble. Quand on eut instruit la veuve de tout ce qui concernait la jeune enfant, il y eut quelques instants d'entretien sur la cérémonie de la présentation. Le lendemain matin, Joachim conduisit les victimes au temple, pour y être inspectées par les prêtres. Les animaux rejetés furent menés au marché des bestiaux. Ceux que les prêtres avaient acceptés furent conduits dans la cour du temple. Avant l'immolation, Joachim mit la main sur la tête de chaque victime, et il reçut dans un vase le sang et quelques parties des animaux immolés. Les sacrifices terminés, 11 y eut fête et repas solen- nels dans l'auberge occupée par nos saints hôtes. On y pouvait compter cent personnes, et dans le nombre il y avait plusieurs enfants, dont vingt-quatre jeunes fil- — 46 — les de différents âges. Je vis, parmi elles, Séraphîa, qui, après la mort de Jésus, reçut le nom de Véronique. Elle était déjà grande et pouvait avoir dix ou douze ans. On couronna de fleurs Marie et ses compagnes ; on para de fleurs semblables sept flambeaux. Plusieurs prêtres et lévites prirent part au festin. Comme ils se montraient surpris des magnifiques offrandes de Joa- chim, Il leur répondit qu'il n'avait rien su faire de» trop pour témoigner sa reconnaissance au Seigneur, qui dans sa miséricorde avait enfin exaucé ses prières et effacé l'affront reçu dans ce même temple, lors du rejet de son offrande. CHAPITRE XVIII Présentation de Mario dans le temple. L'heure vint enfin où Marie d'evait être conduite au temple. Le cortège était magnifique. Anne marchait en avant avec sa fille aînée et sa petite fille Marie de Cléophas ; puis venait la sainte enfant, en robe et man- teau bleu de ciel, le cou et les bras ornés de couronnes et portant à la main un flambeau entouré de fleurs. A sa droite et à sa gauche, trois petites filles en robes blanches brodées d'or, avec des manteaux bleu clair, entourées de guirlandes de fleurs, portaient comme elle des flambeaux. Venaient ensuite les autres vierges, en habits de fête. Les femmes fermaient la marche. Partout on se réjouissait à l'aspect de ce beau cor- tège. Des honneurs lui étaient même rendus à la porte de plusieurs maisons. Marie avait, dans son air et ses manières, quelque chose de saint qui touchait profon- dément. ^ Quand le cortège fut au seuil du temple, les servi- — 47 — leurs ouvrirent une vaste et lourde porte qui brillait comme l'or, et sur laquelle étaient sculptés des têtes, des grappes de i^aisin et des bouquets d'épis. C'était la porte Dorée ; cinquante marches y conduisaient. On voulut aider Marie à les franchir en lui prenant la main ; elle refusa. Elle monta toute seule, du pas le plus ferme et avec un pieux enthousiasme. La porte fomiait une arcade prolongée ; Zacharie, Joachim et quelques prêtres l'y attendaient et l'y re- çurent. Ensuite le cortège se divisa : les femmes et les enfants se rendirent au temple pour prier, Joachim et Zacharie allèrent au lieu du sacrifice. Dans une d-es salles, Marie fut encore questionné-e par les prêtres ; sa sagesse ravit de nouveau tout le monde. Puis les prêtres se retirèrent, et Anne revêtit sa fille du grand costum.e bleu violet, lui mit le manteau et le voile, et lui plaça la couronne sur la tête (1). L'holocauste de Joachim brûlait déjà, quand Anne se rendit avec Marie et ses jeunes compagnes au parvis du temple, dans l'endroit réservé aux femmes. Un mur surmonté d'une grille et percé d'une porte séparait ce lieu de l'autel des holocaustes. Du pied de ce mur, le parvis des femmes allait en montant, de sorte que, des places les plus éloignées, on pouvait entrevoir l'autel des holocaustes. Près de la porte se tenait Marie avec ses petites compagnes, et derrière elle Anne, avôc plusieurs autres femmes parentes de l'enfant. Dans un coin du parvis se tenaient une troupe de Jeunes garçons au service du temple. Ils étaient vêtus de blanc et jouaient de la flûte et de la harpe. (1) Il est à. remarquer que le tabernacle de Moïse avait des couvertures de fête de trois espèces, dont celle de dessous, qui était la plus belle, était bleue et rouge. Il y avait encore par-de2- sua une quatrième couverture plus grossière De même aussi la très sainte Vierge, dont le tabernacle de l'alliance était la figure, avait, outre ses trois habits de fête, un habillement de tous les jours. Ces trois vêtements de Marie, comme les trois couvertures du tabernacle, indiquaient 9Ü881 les trois degrré? de la vie spi- rituelle et des vertu». — 48 — Le sacrifice achevé, on dressa devant cette porte un autel couvert auquel on montait par plusieurs degrés, Joachim partit avec Zacharie et un autre prêtre ; tous trois se reiuiirent à l'autel : un prêtre et deux lévites s'y tenaient déjà debout avec des rouleaux et tout ce qu'il fallait pour écrire. Anne conduisit Marie devant Tautel. Elle s'agenouilla sur les degrés ; alors Joachim et Anne étendirent leurs mains sur la tête de leur en- fant ; ils prononcèrent quelques paroles exprimant leur offra/ide, et les deux lévites écrivirent ce qu'ils disaient ; en même temps le prêtre coupait quelques cheveux de l'enfant et les jetait sur un brasier ; les jeunes filles chantaient le psaume XLiv« : Eructavit cor meum ver- bum boniim, et les prêtres le psaume xlix° : Deus Deorum Dominus locuius est; les jeunes garçons les accompagnaient de leurs instruments. Deux prêtres prirent alors Marie par la main, et la conduisirent par des degrés à une place élevée, située au milieu du mur qui séparait du saint du temple le parvis des femmes. Ils placèrent la sainte enfant dans une sorte d'embrasure pratiquée dans la muraille ; de là elle avait vue sur le temple où paraissaient rangés plusieurs hommes consacrés sans doute au service des autels. Deux prêtres se tenaient de chaque côté de Marie, et sur les degrés plusieurs autres récitaient à haute voix des prières écrites sur des rouleaux. De l'autre côté du mur, un vieux prince des prêtres se te- nait debout près d'un autel assez élevé: on pouvait voir du parvis la moitié de son corps ; on le vit offrir de l'encens ; dont la fumée s'éleva et se répandit autour de Marie. En même temps, une figure symbolique l'entoura et remplit le temple, qu'elle obscurcit comme une nuée. A la poitrine de Marie une auréole se montrait, sorte de vase de lumière qui portait la très sainte bénédic- tion et la promesse de Dieu, Cette auréole paraissait comme englobée par l'arche de Noé, mais la tête de la — 49 — Vierge dominait tout et resplendissait au-dessus. Cette' arche devint ensuite l'arche d'alliance avec le temple à l'entour. Puis cette image disparut, et le calice de la sainte cène, sortant de l'auréole, se dessina peu à peu sur le sein de la Vierge ; devant sa bouche paraissait en même temps un pain marqué d'une croix. Puis des rayons jaillissaient de tous côtés comme une couronne de lumière, et à l'extrémité des rayons plusieurs images exprimaient symboliquement tous les titres sous les- quels nos litanies nous apprennent à invoquer la Mère de Dieu. De ses deux épaules s'élevaient une brandie d'olivier et une branche de cyprès ; derrière elle s'éta- lait un beau palmier, et les deux branches d'olivier et de cyprès montaient et se croisaient au-dessus du pal- mier. Dans les intervalles des palmes se voyaient tous les instruments de la passion de Jésus-Christ. Le Saint- Esprit, sous une forme ailée, qui tenait plus de l'homme que de la colombe, planait sur tout le tableau, et par- dessus encore le ciel semblait s'ouvrir, et l'on entre- voyait la Jérusalem céleste, la cité de Dieu avec ses palais, ses jardins et les futures demeures des élus. Tout y était plein d'anges, et la gloire qui environnait Marie était aussi toute remplie de têtes angéliques Qui pourrait rendre ces merveilles innombrables nais- sant les unes des autres et se succédant avec une var riété infinie ? Tout ce que la loi ancienne et nouvelle, et l'éternité même, renferment sur Marie, parut dans cette vision (1). Je ne puis lui comparer que celle qui me fut accordée de l'admirable saint rosaira Que de gens confiants dans leur science sont bien inférieurs, (1) Ce tableau exprime renchaînement des mystères chrétiens Qui se sont réalisés par rintermédiaire de Marie. D'abord la sainte Vierge préparée par le rè^ne des figures, telles que l'arche de Noé, l'arche d'alliance et le temple. Puis Marie devenant elle- même le temple dans lequel le Ves-bo doit s'incarner. Enfin la Mère de Dieu donnant naissance, par Jésus-OhrisB, aux mFstêres de la Eédp.r>Tption et de l'Eucharistie, qui noi^s ou'.rent le ciel : voilà tout ce que contient et prépare l'oblation que Marie fait ici d'elle-même à Dieu. — 50 — pour rintèlligence de cette belle dévotion, à de pauvres et humbles chrétiens qui le récitent avec simplicité l Combien ceux-ci n'en relèvent-ils pas l'éclat par leur obéissance, leur piété et leur humble confiance dana l'Eglise qui les conduit ! Pendant cette vision de la gloire de Marie, les magni- ficences du temple, ses murs si splendidement ornés ne s'offraient à moi que commiC un fond terne et obscur ; le temple disparut même complètement, perdu dans la gloire. Tandis qu-e les destinées de la jeune Vierge se déroulaient à nies yeux dans ces apparitions, je ne la vis plus sous la forme d'une enfant, mais sous celle d'une Vierge grande et planant en l'air : je voyais pour- tant à travers l'image, et leS' prêtres, et la fumée de l'holocauste et tout le reste : on eût dit que le prêtre placé derrière elle prophétisait ; il paraissait inviter le peuple à rendre grâces et à prier, annonçant que cette enfant deviendrait quelque chose de grand. Tous ceux qui se trouvaient au temple étaient très recueillis et profondém;3nt émus, bien qu'ils ne vissent pas l'ippa- rition. L'image disparut peu à peu comme elle s'était formée ; à la fin je ne vis plus que l'auréole du cœur de Marie et l'éclat de la bénédiction de la promesse. Puis cette vision disparut aussi, et il ne demeura que l'enfant dans sa prière et debout entre les deux prê- tres. Les prêtres prirent alors les couronnes qu'elle por- tait aux bras et le flambeau qu'elle tenait à la main, et les donnèrent à ses compagnes. Ils couvrirent sa tête d'un voile brun, lui firent descendre les degrés et la conduisirent dans une salle voisine où six vierges du temple s'avancèrent au-devant d'elle en jetant des fleurs. Là se trouvaient Noémi, sœur de la mère de Lazare, la prophétesse Ann-e et une troisième femme, ses maîtresses futures. Les prêtres remirent l'enfant entre leurs mains et se retirèrent. Joachim, Anne et les plus proches parents de la petite Vierge étaient près — 51 — d'elle. On chanta un dernier hymne, et Marie prit congé de toute sa famille. Joachim était plus ému que tous les autres : il prit sa fille entre ses bras et la pressa contre son cœur. « Souviens-toi de mon âme devant Dieu »^ lui dit-il d'une voix entrecoupée par les larmes. Enfin^ Marie se rendit, avec ses maîtresses et les jeunes filles, dans le lieu assigné au logement des femmes : c'étaient des pièces pratiquées dans les gros murs du temple, et d'où 'l'on pouvait, par des passages et des escaliers, monter à des oratoires, à côté du Saint et même du Saint des saints. Les parents de Marie retournèrent alors à la salle voisine de la porte Dorée, où ils prirent un repas avec les prêtres. Dieu avait lui-même pris soin de l'éclat et de la solennité de la fête ; des révélations avaient été faites. Du reste, les parents de Marie étaient dans une bellfr aisance ; s'ils vivaient pauvrement, ce n'était que pouF se mo""tif^er et trouver le moy^en de faire plus d'aumô- nes. C'est ainsi qu'Anne, pendant un temps considéra- ble, ne prit à ses repas que des aliments froids. Mais ils traitaient fort bien leurs gens, et prenaient soin de. 1-es doter quand ils se mariaient. Parmi tous ceux qui priaient au tem.ple, un grand nombre avait suivi le- cortège et l'accompagnait à la porte. Il semblait que plusieurs eussent un pressentiment des hautes desti- nées de la petite Vierge. Sainte Anne, ravie, s'était écriée devant quelques femmes : « Voici l'arche d'al- liance, le vase de la promesse qui entre dans le tem- ple. » Le père, la mère et les autres parents de Marie retournèrent ce Jour même à Béthoron. Chez les vierges du temple la fête continuait encore. Marie dut demander à toutes les maîtresses et à toutes les jeunes filles successivement, si elles consentaient à la souffrir parmi elles. Ainsi le voulaient les usages du temple. Les jeunes filles prirent ensuite un repas, et l'on termina par la musique et les danses. Le soir, Noémi, l'une des maîtresses, conduisit la sainte Vierge — 52 — 'dans sa petite chambre, qui avait vue sur le temple. 11 y avait une petite table, un escabeau et une étagère à chaque coin de la cellule. Marie exprima son désir de se lever plusieurs fois chaque nuit, mais Noémi ne le lui permit point encore. CHAPITRE XIX Vie de la sainte Vierge au temple. J'ai vu souvent Marie debout sur l'escabeau de sa chambre, un rouleau à la main et lisant des prières. On ne pouvait la regarder sans émotion : elle portait une robe à raies blanches et bleues et à fleurs jaunes; elle était d'une adresse au-dessus de son âge, et ourlait, dès le commencement, du linge blanc pour les prêtres. Ainsi grandit-elle dans Fétude, le travail et la prière. Elle filait, tissait, tricotait pour le service du temple, lavait les linges et nettoyait les vases. Je la vis souvent en prière et en méditation. Comme tous les saints, elle ne mangeait que pour se soutenir, et jamais d'autres mets que ceux dont son vœu lui permettait l'usage. Outre les prières prescrites, Marie, dévorée du désir de la Rédemption, en faisait de continuelles ; sa vie n'était qu'une prière intérieure incessante ; mais elle faisait tout modestement et en secret. C'était, par exemple, à l'heure où tout le monde dormait qu'elle se levait et priait Dieu. Les larmes accompagnaient sou- vent sa prière, et elle paraissait environnée comme d'une auréole. Elle se voilait alors, et elle baissait pa- reillement son voile chaque fois qu'elle parlait aux prê- tres ou qu'elle descendait dans une des salles adossées au temple, pour recevoir sa tâche ou apporter son ou- — 53 — vrage. Ses oraisons n'étaient qu'une extase continuelle. Ravie au-dessus de la terre, elle avait l'âme comme attachée à la source des consolations divines. Ses sou- pirs, aspirant à l'accomplissement de la promesse, étaient d'une véhémence inexprimable ; et cependant son humilité lui permettait à peine le désir d'être la dernière des servantes de la Mère du Rédempteur. La maîtresse de Marie, Noémi, était âgée de cin- quante ans. Elle était affiliée aux Esséniens, ainsi que les autres femmes attachées au service du temple. Marie apprenait d'elle à travailler. Elle lui aidait à nettoyer l-e linge et les vases tachés par le sang des victimes-^- elle préparait la nourriture des prêtres et des femmes du temple* Plus tard, elle prit une part encore plus active à ces travaux. Zacharie la visitait quand venait son tour de remplir les fonctions sacerdotales ; Siméon la connaissaft aussi. La haute vocation de Marie ne pouvait rester entiè- rement ignorée des prêtres. Il y avait en elle, même à cet âge tendre, une telle grâce, une telle sagesse, un tel ensemble de conduite et de manières si extraordinaire, que toute son humilité ne pouvait parvenir à les cacher. Aussi beaucoup de vieux et saints prêtres écrivaient déjà sur des rouleaux ce qui lui arrivait et ce qu'ils voyaient en elle. CHAPITRE XX Un ordre du ciel fait chercher un époux pour la très sainte Vierge. Cependant Marie continuait d'obéir dans le temple aux pieuses matrones chargées de la conduire. Broder — 54 — les tentures du temple ef les vêtements sacerdotaux, prendre soin de la propreté de ces vêtements et de tous les objets du culte, tels étaient les travaux ordinaires de Marie et de ses compagnes. Chacune d'elles avait sa cellule où elle priait et méditait. Ainsi vivaient-elles jusqu'à ce qu'elles eussent atteint l'âge nubile : on leur cherchait alors un époux. Il y avait, chez les pieux Israélites, comme une sorte de pressentiment que le mariage d'une de ces vierges devait concourir un jour à l'avènement du Messie. Et c'est ce qui en poussait beaucoup à conduire leurs filles au temple et à les consacrer à Dieu. Marie vécut ainsi dans le temple jusqu'à quatorze ans. C'était l'âge où elle devait en sortir pour se marier ; sept de ses compagnes devaient quitter le temple avec elle. Elle reçut alors une visite d'Anne, sa mère. Joachim, son père, ne vivait plus, et Anne, sur un ordre du Ciel, avait épousé un second mari. Lorsqu'on annonça à Marie qu'elle devait quitter le temple et prendre un époux, elle parut toute troublée ; elle répondit au prê- tre qu'elle désirait demeurer au temple ; qu'elle aval!; tait vœu de n'appartenir qu'à Dieu, et que le mariage n'avait aucun attrait pour elle. Puis elle rentra dans sa cellule et pria quelque temps avec une ferveur extrême. Elle priait encore quand elle se sentit prise d'une soif dévorante ; elle descendit alors à une sorte de fontaine ou de réservoir, afin d'y puiser un peu d'eau. Elle y était à peine, qu'une voix d'en haut se fait enten^dre à elle, la console, la fortifie, et lui dit ne pas craindre d'accepter l'époux qui lui sera donné. Marie ne voyait rien, mais elle entendait par- faitement la voix. Dans le même temps, un prêtre d'une extrême veil- lesse était porté par d'autres prêtres dans le Saint des saints : c'était sans doute le grand pontife. Pendant qu'on offrait l'encens près de lui, il lisait des prières «ur un rouleau. Tout à coup il est ravi en esprit : une — 55 -- main mystérieuse lui apparaît et lui montre sur le livre le passage suivant d'Isaïe : ce Une branche sortira de la racine de Jessé, et une fleur naîtra de sa tige » {Isaïe^ XI, 1.) Quand le vieux prêtre revint à lui, il lut le pas- sage indiqué, et il en comprit le sens profond. Bientôt on vit des messagers se rendre de tous côtés dans les pays environnants. Ils convoquaient au temple tous les hommes de la race de David qui n'étaient pas mariés. Un grand nombre vinrent, et on leur présenta Marie. Parmi eux se faisaient remarquer un jeune homme de Bethléem animé du plus vif désir d'obtenir la main de la jeune vierge. Il était singulièrement pieux et ne cessait depuis longtemps de demander à Dieu, avec une grande ferveur, l'accomplissement des pro- mesiS'es. C-ependant Marie retourna dans sa cellule, où elle versa d'abondantes larmes ; elle ne pouvait se faire à l'idée qu'ell-e dût jamais cesser de demeurer vierge. Pendant ce temps, le grand prêtre, inspiré d'en haut, distribuait des branches à tous les prétendants : par son ordre chacun marqua de son nom propre le rameau qui lui était donné, et le tint à la main pendant la prière et le sacrifice. Toutes ces branches furent en- suite rassemblées et placées sur un autel devant le Saint des saints, et il fut déclaré que celui dont la branche fleurirait était l'homme désigné par Dieu pour être l'époux de Marie de Nazareth. Cependant on continuait le sacrifice et la prière. Le jeune homme de Bethléem priait, les bras étendus et à grands cris, dans une des salles du temple. Quelles larmes brûlantes ne versa-t-il pas lorsque, après le temps marqué, on leur rendit les branches, en leur disant qu'aucune n'avait fleuri, et qu'aucun d'eux n'était désigné par Dieu pour devenir l'époux de la Jeune vierge ! Tous les autres retournèrent chez eux, mais le jeune homme prit le chemin du Carmel. Il y demanda — 56 -^ asile aux anachorètes qui y vivaient depuis Elie, et il continua de prier avec eux pour l'accomplissement de la promesse (1). Les prêtres, cherchèrent de nouveau dans la généa- logie de David s'il n'y avait pas quelque autre descen- dant qu'ils n'eussent point remarqué. Ils y trouvèrent inscrite une famille de Bethléem composée de six frè- res, dont l'un, nommé Joseph, était depuis longtemps disparu. Ils le firent chercher, et on le trouva bientôt, travaillant chez un nouveau maître, dans un village situé près de Samarie, sur le bord d'une petite rivière. CHAPITRE XXI Jeunesse de saint Joseph. — Il est désîgné d'en haut pour être l'époux de Marie. Joseph, fils de Jacob, était le troisième de six frères. Ses parents demeuraient près de Bethléem, dans une grande maison qui avait appartenu à Isaï ou Jessé, père de David. Joseph, d'un caractère tout différent de celui de ses frères, était simple, doux, pieux et sans ambition. Il avait une intelligence vive, comprenait et retenait tout avec une grande facilité. Ses frères le rudoyaient, le maltraitaient, et inventaient tout ce qu'ils pouvaient pour le tourmenter. Il n'était pas de peine qu'ils ne lui fissent. S'il priait sous les galeries de la cour, à genoux et les bras étendus, ils s'appro- chaient sans bruit et le frappaient rudement par derrière. Une fois qu'il était ainsi à genoux, l'un d'entr«» eux vint, et se mit à le frapper. Joseph demeura Immo- (1) La tradition le nomme Agabus, et dans le tableau de Ra- phaël appelé vulgairement Sposalizio, il est représenté sous la figure d'un jeuue homme qui brise un bâton sur son genou. I — 57 — bile, sarfô paraître avoir rien senti ; l'autre alors redou- bla si violemment, que le pauvre Joseph tomba wii avant, la face contre les dalles. Je connus par là, qu'il avait été ravi en extase. Quand il revint à lui, il n'eut ni colère, ni pensée de vengeance ; il chercha seulement un lieu plus retiré pour continue^ son oraison. Il y avait dans le caractère de Joseph quelque chosd de fort grave, et un goût très marqué pour la solitude ; mais ses parents n'approuvaient aucunement sa ma- nière de penser et de faire. Il était, à leur gré, trop simple et trop humble. Ils auraient voulu qu'il em- ployât ses talents à se faire dans le siècle une posi- tion brillante. Mais rien n'agréait moins à Joseph qu'une pareille pensée. Il n'aimait que la prière et le travail des mains. L'inimitié de ses frères alla bientôt si loin, qu'il lui fut impossible de demeurer dans la maison paternelle. Il avait, dans le voisinage, un ami dont les terres n'étaient séparées de celles de son père que par un ruisseau. Il reçut de lui tout ce qu'il fallait pour se déguiser, choisit une nuit pour s'enfuir et alla gagner ailleurs, dans l'état de charpentier, le peu qui lui était nécessaire pour vivre. Il pouvait avoir alors de dix-huit à vingt ans. Il travailla d'abord chez un charpentier de Libonah, et ce fut même là qu'il fit, à vrai dire, l'apprentissagse de ce métier. II fut, chez cet homme, tellement bon, pieux et sim- ple, que bientôt il gagna tous les cœurs. Il rendait avec humilité toutes sortes de services à son maître ; il ramassait des copeaux, rassemblait de grosses pièce» de bois et les lui apportait sur ses épaules. Ses parents crurent d'abord qu'il avait été enlevé par des bandits ; mais, au bout de quelque temps, son asile fut découvert, et il eut encore à subir les plus san- glants reproches de la part de ses frères. Ils ne pou- vaient lui pardonner surtout la basse condition à la- quelle il s'était réduit. Il y resta par humilité. Cependant Joseph demandait à Dieu, de toute l'ar- — 58 — deur de son âme, de hâter l'avènement du. Messie, Un jour que, pour pouvoir prier dans une plus grande solitude, il disposait une sorte de petit oratoire, in ange lui apparut et lui dit de cesser son travail : car, comme le patriarche Joseph avait eu autrefois entre les mains, par Ja volonté de Dieu, tous les grains de l'Egypte, ainsi, disait l'ange, le grenier du salut allait bientôt être confié à sa garde. Joseph, dans son humilité, ne comprit rien à ces paroles, et continua à prier avec ferveur. 11 vécut ainsi jusqu'au moment où il fut appelé à se rendre au temple de Jérusalem pour y devenir, en vertu d'un ordre du Ciel, l'époux de Marie. Mandé par le grand prêtre, Joseph se rendit aussi- tôt à Jérusalem et vint se présenter au temple. Il dut, à son tour, tenir sa branche à la main pendant la prière et le sacrifice. Il ne l'eut pas plutôt déposée sur l'autel devant le Saint des saints, qu'elle poussa une fleur blanche semblable à un lis. En même temps le Saint- Esprit descendait sur lui sous une forme lumineuse. Joseph était donc l'homme destiné par Dieu à devenir l'époux de la sainte Vierge. Il lui fut présenté par les prêtres, en présence d'Anne, sa mère. Marie se sou- mit avec humilité : elle accepta celui qu'on lui don- nait, sachant bien que tout était possible au Dieu qui avait reçu son vœu de n'être qu'à lui seul. CHAPITRE XXII Jean est promis à Zacbarîe. !K II y avait alors un prêtre de la famille sacerdo- tale Ö'Abia, nommé Zacharie. Sa femme était comme — 59 — lui de la race d'Aaron, et s'appelait Elisabeth (1) ». La famille d'Abia était du nombre de celles qui faisaieni tour à tour le service du temple. Deux fois chaque année Zacharie avait à s'acquitter au temple de ses fonctions sacerdotales. Or, un jour que l'époque de ce service était proche, il ne put cacher à Elisabeth la tristesse qu'il' en resseiitait ; et le motif de cette tristesse était le mépris que lui témoignaient les autres prêtres, à cause de la Svôiiliie de leur ma- riage. Tous deux habitaient Jutta, bourg situé à une lieue d'Hébron. Il y avait aussi aes prêtres dans cette dernière ville, mais inférieurs à ceux de Jutta. Or Zacharie était le chef de ces derniers. Elisabeth et lui étaient très considérés, tant à cause de leur vertu qu'à cause de leur descendance directe de la race d'Aaron. Avant son départ pour le temple, Zacharie se rendit, avec plusieurs autres prêtres, à une terre qu'il possé- dait dans les environs de Jutta. Il y avait là une maison entourée d'un jardin. Zacharie pria dans le jardin avec ces prêtres, et leur adressa une sorte d'instruction. C'était comme une préparation au service du tempxe. Dans cet entretien, il leur fit part aussi de sa tristesse et d'un pressentiment qu'il avait que quelque chose d'important allait lui arriver. Bientôt tous se rendirent à Jérusalem : Zacharie y attendit quatre jours que son tour vînt d'offrir l'encena Cependant il ne cessait de se rendre au temple et d'y prier. Le jour venu, il entra dans le Saint du temple, où se trouvait l'autel des parfums, devant le voile du Saint des saints. Le toit était ouvert, et laissait voir le ci-el, au-dessus de sa tête. Zacharie fit brûler l'encens sur l'autel. Tout à coup une forme lumineuse descendit du côté droit de l'autel, et s'approcha de lui. Le trouble (1) Ces paroles sont tirées de l'Evangile de saint Luc, ch. I. Y. 5 et 6. Xous les donnons ici pour compléter ce court fragment sur Zacharie, que la sœur Emmeric, alors très malade, ne put donner qu'avec beaucoup de peine. — 60 — et la frayeur le saisissent, et il tombe du côté de la vision. Mais l'ange paraît, le relève, et s'entretient quelque temps avec lui. Je vis alors le ciel s'entr'ouvrir et deux anges monter et descendre sur une échelle. La ceinture de Zacharie était détachée et sa robe ouverte. Un des anges paraissait retirer quelque chose de son eorps, tandis que l'autre introduisait dans son côté une sorte d'objet lumineux. Cet événement ressemblait à ce qui eut lieu le jour où Joachim reçut la bénédiction de l'ange pour la conception de la sainte Vierge. Les prêtres avaient coutume de sortir du Saïnt aussi- ^. l'encens offert. Comme Zacharie tardait à revenir, ïe peuple qui priait au dehors en était dans l'inquié- tude. Il parut enfin dans le parvis. Tous alors se pres- sèrent autour de lui et lui demandèrent pourquoi il était demeuré si longtemps. Mais il était devenu muet ; il ne savait plus que faire des signes de la main, mon- trant sa bouche et une tablette qu'il portait. La tablette fut aussitôt envoyée à Jutta et remise à Elisabeth. Il lui annonçait comment il avait perdu la parole, et com- ment Dieu avait daigné le consoler par une promesse. Elisabeth avait eu pareillement une révélation« CHAPITRE XXIII Du mariage de Marie et 3e Joseph. Ce fut à Jérusalem, dans une maison voisine de la montagne de Sion destinée aux fêtes de ce genre, que furent célébrées les noces de Marie et de Joseph, Elles durèrent une semaine environ. Outre les maîtresses et les compagnes de Marie, beaucoup de parents d'Anne et de Joachim y assistèrent. Elles furent d'une magni- ficence extrême ; on immola des agneaux sans nombrew ^ 61 — La robe nuptiale de la très sainte Vierge était si adrai- rableinent belle, que les femmes qui l'avaient vue ai- maient encore à en parler après bien des années. Elle avait été apportée par sa mère, et ce ne fut qu'avt» • peine que l'humble Marie consentit à s'en revêtir. Oi? noua ses cheveux autour de sa tête ; on la couvrit d'uîr manteau bîea de ciel et d'un voile blanc qui pendai Jusqu'au-dessous des épaules, et Ton plaça sur le voile une couronne enrichie de pierres précieuses. La sainte Vierge avait une chevelure abondante d'un blond ardent, un front élevé, de beaux sourcils noirs' arqués, de grands yeux ombragés de cils noirs et qu'elle tenait habituellement baissés, le nez fin, droit et long, le menton effilé, la bouche noble et pleine de grâce ; sa taille était assez élevée et elle poi'tait cette riche parure de ses noces avec beaucoup de modestie, de grâce et de dignité. Joseph avait une longue robe bleue, très ample ; il avait autour du cou un collet brun ou plutôt une large étole, avec deux bandes blanches qui pendaient sur sa poitrine. Anne revint à Nazareth après les noces. Marie l'y suivit à pied, accompagnée de plusieurs vierges qui quittaient le temple. Joseph alla à Bethléem pour que! ques affaires de famille : ce ne fut que plus tard qu'i; se rendit à Nazareth. Sainte Anne disposa pour eux une petite maison qu'elle possédait à Nazareth ; elle y demeura avec Marie pendant toute l'absence de Joseph. A l'arrivée de celui-ci, elle regagna sa propre demeure, et Marie versa bien des larmes en accompagnant sa mère, dont il lu* fallait se séparer. DEUXIEME PARTIE VIE CACUÉE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CURIST CHAPITRE PREMIER Annonciation de Marie. Il y avait quelque temps que les deux époux vivaient à Nazareth, quand Joseph en partit pour aller, je crois, recueillir un héritage ou se procurer quelques instru- ments de travail. Marie demeura, avec sainte Anne, dans la maison que celle-ci leur avait donnée et qu'elle venait de faire réparer pour leur usage. Deux jeunes filles de ses anciennes compagnes du temple s'y trou- vaient aussi avec elle. Un soir, Marie se retira seule dans sa chambre ; elle revêtit une longue robe blanche avec une large cein- ture et un voile d'un blanc jaunâtre ; elle s'agenouilla, baissa son voile, joignit ses mains sur sa poitrine et pria. Je la vis ainsi prier longtemps avec ardeur, le visage tourné vers le ciel. Elle implorait la Rédemption promise, la venue du Messie d'Israël, et la faveur d'avoir quelque part à la mission du Rédempteur. Elle fut ainsi longtemps immobile et en extase ; puis sa tête s'inclina doucement sur sa poitrine. Alors une lumière éclatante parut s'abaisser du pla- fond de la chambre à la droite de la jeune Vierge ; et au sein de la lumière on vit un jeune homme à la cheve- lure blonde et flottante et éblouissant d'éclat : c'était — 64 — l'ange Gabriel. Il lui parla, et je vis les paroles sortir de sa bouclie comme des lettres lumineuses ; je lisais et entendais ces lettres tout à la fois. Marie se tourna un peu vers lui, mais sans le regarder, retenue par son extrême pudeur. Comme l'ange continuait à parler, Ma- rie tourna la tête vers lui, comme pour lui obéir, sou- leva son voile à demi, et répondit quelques paroles. L'ange parla pour la troisième fois ; Marie alors releva tout à fait son voile, leva les yeux vers lui et prononça les paroles de TEvangile : « Voici la servante du Sei- gneur, qu'il rae soit fait selon votre parole. « La sainte Vierge était dans un profond ravissement. La lumière qui remplisisait la chambre avait fait éva- nouir la lueur de la lampe. Le plafond paraissait en- levé, et le ciel se onontrait ouvert sur sa tête. Alors, au-dessus de l'ange, un torrent de lumière me fit voir la sainte Trinité, sous la figure d'un triangle lumineux dont les rayons se pénétraient réciproquement. J'y re- connus ce qu'on ne peut adorer qu'en silence : le Dieu tout-puissant. Père, Fils, Saint-Esprit, qui n'est qu'un seul Dieu tout-puissant. Quand la sainte Vierge eut dit : » Qu'il me soit fait selon votre parole », le Saint-Esprit apparut sous une figure ailée, qui cependant n'était pas celle de la co- lombe, son emblème ordinaire. La tête avait une face humaine ; des deux côtés tombaient comme deux ailes formées de lumière. Des mains et du cœur de la vision Jaillissaient trois courants lumineux qui vinrent se réu- nir au côté droit de Marie. Dès que cette lumière l'eut pénétrée, elle parut elle- même toute resplendissante et comme diaphane : c'était comme la fuite des ténèbres devant la clarté, le jour succédant à la nuit. Rien en elle ne demeurait obscur : elle était inondée de splendeur et tout éblouissante. Puis l'ange disparut ; la lumière qui l'avait apporté se retira : le ciel semblait aspirer ei absorber ce torrent de splendeur. Et quand il s'évanouit, il tomba, de ses I — C5 — dernières lueurs sur Marie, une pluie de roses blan- ches et de feuilles vertes. Pendant cette vision, je me sentis glacée de terreur, comme si j'eusse été menacée de quelque grand péril. L J'aperçus un horrible serpent qui s'était glissé à tra- ' vers la maison : il vint jusqu'à la porte de la chambre, et s'arrêta sur la troisième marche. Ce serpent, de la longueur d'un enfant, était large et pfat vers la tête ; deux courtes pattes membraneuses naissaient à la hauteur de la poitrine, armées de griffes et munies : d'une sorte d'aile comme l'aile des chauves-souris ; le I ' serpent s'en servait pour ramper. Sa peau était tache- tée des plus détestables couleurs, et il était encore plus difforme et hideux que le serpent du Paradis, Quand l'ange disparut, il mit le pied sur la tête du mdnstre, qui poussa un cri si horrible, que j'en frissonnai d'épou- vante. Trois esprits apparurent alors, et le chassèrent du pied hors de la maison. Après la disparition de l'ange, la sainte Vierge resta recueillie et dans l'extase. Je vis qu'elle reconnaissait et adorait l'incarnation du Sauveur en elle, sous la forme d'un petit corps humain lumineux, déjà par- faitement formé. A Jérusalem, les femmes doivent s'arrêter dans le parvis du temple, elles ne peuvent pénétrer dans 1»^ I Saint, comme les prêtres ; mais à Nazareth, c'est une vierge qui est elle-même le temple : le Saint des saints est en elle, le grand prêtre est en elle ; elle se tient seule près de lui. Oh ! combien cela est touchant, mer- veilleux, et pourtant simple et naturel ! Les paroles de David, dans le psaume xlv^, sont accomplies : » Le Très- Haut a sanctifié son tabernacle ; Dieu est au milieu de lui, il ne sera pas ébranlé. » Il était environ minuit quand je vis ce mystère. Anne ne fut pas longtemps à accourir auprès de sa fille : les autres femmes y vinrent aussi. Un mouvement mer- veilleux dans la nature les avait tirées du sommeil : un — 66 — nuage lumineux couvrait toute la maison. Mais qua.nd Anne et ses compagnes aperçurent Marie à genoux et en extase, elles se retirèrent respectueusement. Enfin la sainte Vierge se leva et s'approcha du petit autel qu'elle s'était dressé contre un des murs de son appartement ; elle alluma la lampe et pria debout. Elle lisait, sur un pupitre placé devant elle, les rou- leaux écrits qui s'y trouvaient fixés. Vers le matin elle se coucha. Marie était âgée d'un peu plus de quatorze ans, lors de rincarnation de Jésus-Christ Anne apprit par révélation que la promesse de Dieu était accorriplie. La sainte Vierge savait qu'elle avait conçu le Messie, le Fils du Très-Haut ; mais elle igno- rait encore que le trône de David, son père, que le Seigneur Dieu lui réservait, était .un trône surnatu- rel, et que la maison de Jacob, sur laquelle il régne- rait à jamais était l'Eglise, la société de l'huma-nité régénérée. Elle pensait que le Rédempteur serait un saint roi qui purifierait son peuple et lui donnerait la victoire sur l'Enfer ; elle ne savait pas encore que, pour racheter les hommes, oe roi dût souffrir une cruelle mort. Il me fut expliqué pourquoi le Rédempteur avait voulu demeurer neuf mois dans le sein d'une mère et naître petit enfant, et non paraître comme Adam dans la force et la beauté de l'âge parfait ; mais je ne puis plus rendre clairement ces choses. Ce que j'en ai re- tenu, c'est qu'il voulait sanctifier de nouveau la con- ception et la naissance des hommes, souillés par le péché originel. Si sa mère fut Marie, et s'il ne parut pas plus tôt, c'est qu'elle seule fut ce que jamais nulle autre créature n'avait pu être ava^it ni après elle, le vase infiniment pur de la grâce, promis et préparé par Dieu pour l'incarnation de son Fils et la rédemption du genre humain. La sainte Vierge était la seule fleur entièrement pure de l'humanité, épamouie dans la plé- nitude des temps. Tous les enfants de Dieu, qui dès l'ori gine travaillèrent à la sanctification des âmes, ont con- tribué à sa- venue. Elle seule était Tor pur de la terre ; elle seule était la chair et le sang purs et sans tache de toute l'humanité, préparés, épurés, recueillis et con- sacrés à travers les géaérations de ses aïeux, prémunis et enrichis sous le régime de la loi, et s'épanouissant enfin dans le monde comme la plénitude do toute grâce. Prévue de toute éternité, Marie a passé dans le temps comme la mère de l'Eternel. CHAPITRE II Voyage de Marie et de Joseph à Hebron. — Rencontre de Marie et d'Elisabeth. Quelques jours après l'An-nonciation, saint Joseph re- vint à Nazareth. Il n'y avait encore passé que deux jours, et il avait plusieurs arrangements à y faire pour pouvoir exercer son métier. Il ne savait rien de l'incar- nation du Verbe en Marie ; elle était mère du Seigneur mais elle était aussi sa servante, et gardait humble- memt son secret. Aussitôt qu'elle sentit en elle la présence du Verbe fait chair, Marie eut le plus grand désir d'aller à Jutta, visiter sa cousine Elisabeth, que l'ange lui avait dit être au sixième mois de sa grosses&e. Com^me le temps approchait où Joseph devait célébrer la Pàqiie à Jéru- salem, elle demanda à partir avec lui pour offrir à sa cousine les services que son état réclamait. Joseph et Marie se mirent donc en route pour Jutta. Ils menaient un âne, que pendant le trajet Marie s-eule montait de temps en temps ; leur voyage fut assez rapide. Après avoir passé les fêtes de Pâque à Jérusalem, ils n'allèrent pas à Jutta par le chemin direct, mais ^68 — ils prirent du côté de Torient un sentier détourné et plus solitaire qui traversait des bois, des landes, des prairies et des champs. La maison de Zacharie était située sur une colline, non loin d'un ruisseau qui descendait des montagnes. Divers groupes d'habitations s^élevaient tout autour. Un 'pressentiment secret avait averti Elisabeth d« l'arrivée de sa cousine, et elle en conçut un vif désir qui l'avait ■portée loin de sa demeure. Or Zacharie, revenant de Jérusalem après la fête de Pàque, fut tout effrayé de la rencontrer à, une telle distance de leur habitation, dans l'état où elle se trouvait. Elle lui dit qu'elle était tout émue du pressentiment qu'elle avait que sa cousine Marie de Nazareth venait la voir. Zacharie s'efforça de lui ôter cette pensée ; il lui fit entendre par signes, et en écrivant sur sa tablette, qu'il était peu probable qu'une nouvelle mariée entreprît un si long voyage. Elle consentit donc à retourner à la maison. Cependant elle ne pouvait renoncer à son pressenti- mont; elle avait appris en songe qu'une feimYie de sa tribu avait conçu le Messie promis. Aussitôt elle avait cru que c'était Marie ; elle avait aspiré à la voir, et elle l'avait aperçue en esprit se dirigeant de loin vers elle. Elle avait donc préparé dans la maison une petite chambre avec des sièges pour la recevoir. Le lende- main elle était assise là, espérant toujours qu'elle allait arriver. Enfin elle se leva, et se porta sur la route à sa r-encontre. Elisabeth était grande et âgée ; son visage délicat et distingué était couvert d'un voile. Elle ne connaissait la sainte Vierge que sur ce qu'elle en avait oui dire. Marie la vit de loin, soudain la reconnut, et courut à elle, pondant que Joseph, retenu par un sentiment déli- cat, demeurait en arrière. Ce fut parmi les maisons voisines de celle de Zacharie que Marie aborda sa cou- sine. Tous les gens qui la rencontraient se retiraient respectueusement, frappés de sa beauté merveilleuse et — 69 — émus de la dignité surnaturelle qu'exprimait toute sa personne. Elisabeth et Marie se saluère;nt affectueuse- ment en se donnant la main ; je vis alors un éclat de lumière dans la sainte Vierge, et un rayon s'échapper d'elle vers Elisabeth, qui en éprouva u.ne vive émotion. Elles passèrent rapidement devant tous ceux qui se trouvaient là, et arrivèrent en se tenant la main à la porte de la maison. « Soyez la bienvenue ! » dit alors Elisabeth à Marie. Joseph conduisit l'âne dans la cour, le remit aux mains d'un serviteur, et se rendit sous un portique latéral à la rencontre de Zacharie. Il salua avec un humble respect le vénérable prêtre ; celui-ci l'embrassa affectueusement, et s'entretint avec lui en écrivant sur une tablette : car il n'avait pas encore dit une parole depuis l'apparition de l'ange. Entrées dans la maison, Marie et Elisabeth s'embras- sèrent très affectueusement en approchant leurs joues l'une de l'autre. Je vis de nouveau un rayon de lu- mière jaillir de IMarie vers Elisabeth, qui en fut tout illuminée ; son cœur tout ému se remplit d'une sainte joie. Elle fit un pas en arrière, leva les mains au ciel, et pleine d'humilité en même tenips que ravie de joie et d'enthousiasme : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, s'écria-t-elle, et le fruit de votre sein est béni. D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Sei- gneur vienne à moi? Car votre voix n'a pas plutôt frappé mon oreille, lorsque vous m'avez saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Bien- heureuse êtes-vous d'avoir cru, car ce qui vous a été dit de la part du Seigneur s'accouiplira. » Après ces paroles, elle conduisit Marie dans la chambre qu'elle lui avait apprêtée, afin qu'elle pût s'asseoir et se délas. ser des fatigues du voyage. Alors Marie, laissant le bras d'Elisabeth, auquel elle s'appuyait, croisa le» mains sur sa poitrine et dit ces paroles inspirées : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit a tressailli d'aï- — 70 — îégrease en Dieu mon sauveur, parce qu'il a regardé rhumilité de sa servante, et voici que désormais toutes les nations me diront bienheureuse, parce que Celui qui est puissant a fait en moi de grandes choses, et parce que saint est son nom, et sa miséricorde se ré- pand d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a dé- ployé la force de son bras p il a dip^-^'né ceux qui s'en»- ïient d'orgueil dans Im pensées Je i ar. Il a ren- versé les puissants de Leur trône et il a élevé les hum- bles. Il a rempli de biens les affamés, et il a renvoyé les riches les mains vides; il s'est souvenu de sa misé- ricorde, et il a pris sous sa garde Israël, son serviteur, comme il l'avait promis à Abraham et à sa postérité, dans tous les siècles. » Aussitôt, par un mouvement d'inspiration semblable, Elisabeth répéta tout le Magnificat, et toutes deux s'as- sirent ensuite. Combien j'étais heureuse ! je me sui'^ assise tout près d'elles, et j'ai répété leurs prières. Oh ! que j'étais heureuse ! CHAPITRE III Séjour de Marie chez Elisabeth. — Réflexions snr le mystère de la Visitation. Cependant Joseph et Zacharie parlaient ensemble de l'accomplissement des promesses et de l'approche du Messie. Zacharie était un grand et beau vieillard ; il portait toujours sa tablette pour écrire ce que ses si- gnes ne lui permettaient p.^s d'exprimer, et il était en toutes choses rempli d'ordre et de ponctualité. Marie et Elisabeth étaient descendues dans le jardin, où elles étaient assises sur un tapis, sous un grand arbre, près d'une fontaine bordée de gazon, de verdure — 71 — et de fleurs. Elles mangeaient des fruits et des petita ins que Joseph avait apportés. Quelle simplicité et elle frugalité touchantes ! Joseph avait résolu de i-etourner sans nul retard à Nazareth ; toutefois il demeura huit jours à Jutta. II ignorait l'état de gros- •e^se de la sainte Vierge. Marie et Elisabeth en gar- • luent fidèlement le secret : un« sympathie surnaturelle établissait une entente mystérieuse- et profonde entre leurs deux âmes. Dans l-es jours qui suivirent, Marie et Elisabeth s'oc- cupaient ensemble des travaux de la maison, La sainte Vierge partageait tous les soins du ménage ; elle apprê- tait les objets qui devaient servir à Tenfant qu'on atten- dait. Entre autres travaux, elles tricotaient ensemble une grande couverture pour le lit d'Elisabeth p-endant ses couches. Elles en brodaient les bords de fleurs et de sentences saintes. Elles préparaient aussi tout ce qu'Elisabeth voulait distribuer aux pauvres à la nais- sance de l'enfant. Durant ce voyage des saints époux, Anne envoya souvent sa servante dans leur maison de Nazareth, pour veiller à ce que tout y fût en ordre. Pendant ces jours de commune vie, Marie et Elisa- beth se réunissaient souvent dans leur petite chambre. Elles se tenaient debout, vis-à-vis l'une de l'autre, les mains jointes sur la poitrine, comme ravies en extase, et répétaient alors, en se répondant, le Magnificat. C'était le cantique d'actions de grâce pour l'accomplis- sem&nt de la bénédiction mvstérieuse de l'ancienne alliance. Dans une de ces rencontres, je vis une croix apparaître au-dessus d'elles. Il n'y avait pourtant pas encore de croix en honneur dans le monde. C'était comme si ces deux croix se fussent visitées (1). La salutation de l'ange fut pour Marie comme une (1) La croix du Rédempteur et celle d« la pénitence de Jean la précurseur ee préparaient et se rencontraient alors dans Marie et Eiisabetlî. La consolation n'est souvent qu'une préparation à la croix qui lui succède comme à la fleur le fruit. . I — 72 — consécration qui faisait d'elle l'Eglise de Dieu. A sa parole : « Voici la servante du Seigmsur, qu'il me soit fait selon votre parole », Dieu le Verbe entra en elle, salué par sa servante et par son Eglise ; des ce mo- ment Dieu était dans son temple, Marie était le temple et l'arche d'alliance du Testament nouveau. La saluta- tion d'Elisabeth et le tressaillement de Jean étaient le premier culte offert à Dieu par l'Eglise, devant ce tabernacle. Au moment où la sainte Vierge dit le Mag- nificat, l'Eglise du nouveau testament et du nouveau mariage célébrait pour la première fois, par un Te DeuîTii l'accomplissement des promesses divines de l'an- cienne alliance et de l'ancien mariage. Qui pourrait peindre la touchante sublimité de ce culte rendu par l'Eglise à son Sauveur, dès avant sa inaissa^^ce ! Pendant que je voyais prier ces saintes femmes^, j'obtins d'abondantes lumières sur le sens du Magni- ficat et sur le Saint-Sacrement, qui du sein de Marie se rapprochait de plus en plus de l'humanité. A ces mots du cantique : « Il a déployé la force de son bras (1) », j'ai vu plusieurs images symboliques du Saint-Sacrement de l'autel dans l'ancien Testament: entre autres Abraham sacrifiant Isaac. J'ai vu bien des choses depuis Abraham jusqu'à Marie, et j^ai remarqué toujours le Saint-Sacrement qui s'approchait de l'Eglise de Jésus-Christ, reposant encore dans le sein de sa mère. Mon état de souffrances et de nom- breux dérangements m'ont presque tout fait oublier. Voici simplement ce qui m'en est resté. Ainsi je vis tous ses ancêtres, dans la suite des temps. Ils formaient, de père en fils, trois fois quatorze géné- rations,-et de chacune d'elles partait un rayon lumineux se dirigeant vers Marie en prière. Cette vision offrait l'aspect d'un arbre généalogique, avec des branches lu- mineuses qui s'ennoblissaient de plus en plus. Enfin, (1) Lo très saint Sacrement est en efifet la plus grande des mer- veilles de Dieu. — 73 — en un lieu désigné de cet arbre de lumière, j'eus, avea un plus grand éclat, la vision de la chair immaculée, du sang très pur de Marie, auxquels le Verbe voulait emprunter son humanité ;' je les saluai d'une prière pleine de Joie et d'espérance, comme un enfant qui ver- rait grandir, devant ses yeux, l'arbre de Noël. Dans cette image de l'approche de Jésus-Christ selon la chair et de son très saint sacrement^ je voyais mûrir le fro- ment destiné à nous donner le pain de la vie. La forma- tion de la chair dans laquelle le Verbe s'est fait homme est un mystère inelTable que ne saurait exprimer clai- rement la pauvre créature humaine, encore envelop- pée dans ce corps dont le Fils de Dieu et de Marie a dit que « la chair ne sert de rien, et q,ue l'esprit seul vivifie ». J'ai vu, dès l'origine du monde, de génération en génération, l'approche de l'incarnation de Dieu et celle du Saint-Sacrement ; puis la série des patriarches de la nouvelle alliance, représentants du Dieu vivant qui réside parmi les hommes comme victime et nourriture, et qui y résidera jusqu'à son second avènement au der- nier jour (1). C'étaient les patriarches du sacerdoce» que THomme-Dieu avait transmis à ses Apôtres, et que ceux-ci ont transmis à leur tour, par l'imposition des mains, à leurs successeurs, sans interruption, de géné- ration en génération. Par là j'ai reconnu que la généa- logie de Notre-Seigneur, récitée devant le Saint-Sacre- ment, à la Fête-Dieu, renferme un grand et profond mystère. J'ai senti aussitôt que, de même que l'indi- gnité de quelques-uns des ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ selon la chair ne les empocha pas de for- mer les degrés de l'échelle de Jacob, par lesquels Dieti est descendu jusqu'à l'humanité, de même les évêques prévaricateurs ne perdent point leur pouvoir de con- (1) Les prêtres de la noureUe loi succèdeni aux patriarches do l'ancienne. Comme eux et d'une manière plus e:!ccc!lente, ils re- présentent le Christ, en préparant sou règtie définitif. — 74 — sacrer le Saint-Sacrement et de conférer la prêtrise. J'ai comipris aussi pourquoi l'Ancien Testament s'appelle l'ancienne alliance, et le Nouveau Testament, la nou- velle alliance. La fleur suprême de l'ancienne alliance fut la Vierge des vierges, l'Epouse du Saint-Esprit, la Mère du Sauveur, le Vase honorai)le, le Vase insigne de dévotion, dans lequel le Verbe s'est fait chair. Ce mystère inaugure la nouvelle alliance, l'alliance vir- ginale du sacerdoce et de tous ceux qui suivent l'Agneau : mariage qui est, comme dit saint Paul, un grand sacrement en Jésus-Christ et en l'Eglise. Je vis d'abord nos premiers parents' recevant de Dieu la bénédiction de la promesse dans le Paradis, puis un rayon venant d'eux et se dirigeant vers la sainte Vierge, qui entonnait le Magnificat en face d'Elisabeth ; ensuite j'aperçus Abraham qui recevait aussi, de Dieu lui-même, cette promesse : je surpris un rayon qui allait du patriarche à la sainte Vierge. Il me sembla même que, dès lors, Abraham demeurait près du lieu où le Magnificat s'élança du cœur de Marie ; car le rayon, de lui à ellö, partait d'un point très rapproché, tandis que ceux de personnages bien moins anciens parais- saient venir de .lieux beaucoup plus éloignés. Puis les autres patriarches, qui avaient porté et possédé l'objet sacré de la bénédiction, m'apparurent, chacun avec un rayon allant jusqu'à Marie. Je vis aussi cette béné- diction se transmettre jusqu'à Joachim, qui, grâce à la plus haute bénédiction du tabernacle, devint le père de la très sainte Vierge Marie conçue sans péché ; de Celle en qui, par l'opération du Saint-Esprit, le Verbe s'est fait chair, de cette arche d'alliance du Testament Nou- veau, où il daigna habiter pendant neuf mois, caché à tous les yeux, jusqu'à ce qu'enfin, la plénitude des temps étant accomplie, il nous ait été donné de con- templer sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. — 75 — CHAPITRE IV Suite du séjour de Marie chez Elisabeth. — Son retour à Nazareth. Le sabbat étant venu, Zacharie, Joseph et six autres hommes priaient debout ; comme je le vis, une lampe les éclairait ; ils entouraient à dessein un coffre sur lequel étaient placés des rouleaux écrits. Pendant leurs prières, ils baissaient souvent la tête et levaient les iDras en l'air, mais avec moins de véhémence que les Juifs actuels. Marie, Elisabeth et deux autres femmes se tenaient à part, derrière une cloison grillée, tout enveloppées dans leurs manteaux de prière. Zacharie avait une longue robe blanche à manches étroites ; sa large ceinture, plusieurs fois roulée autour de son corps, était ornée de lettres. Il montra plus tard à Joseph son beau manteau de prêtre, de couleur blanche et pourpre, qui était très large et très lourd, et attaché sur la poitrine par trois agrafes. Un soir, à la clarté de la lune, Joseph et Zacharie se mirent en voyage. Joseph avait à la main un bâton recourbé par le haut, et emportait, dans une valise, une petite cruche et des pains. Comme la nuit était d'une beauté remarquable, Marie et Elisabeth les ac- compagnèrent quelque temps. ^ A leur retour, elles entrèrent dans la chambre de Marie, allumèrent une lampe et récitèrent le Magni- ficat. Marie resta trois mois chez Elisabeth ; elle assista à. la naissance de Jean (1). Peu de jours après, et avant (1) La sœur Emmerich ne put malheureusement point raconttr la naissance de Jean-Baptiste. Voyez l'Evangile de saint LuOi. ch. I. Y. 56 à 79. — 76 — nrjnie qu'il fût circoRci?, elle partit pour Nazareth. Jo- seph vint jusqu'à moitié chemin à sa rencontre. De retour à Nazareth avec la sainte Vierge, Joseph s'aperçut qu'elle était enceinte ; et, comme il ignorait l'annonciation de l'ange, il fut assailli de doutes et d'appréhensions des plus cruelles. Aussitôt après son rn.iriagö, il s'était rendu à Bethléem pour régler des affaires de famille; de son côté, Marie s'était retirée à Nîzareth avec ses parents et quelques compagnes. C'était avant le retour de Joseph que l'ange l'avait saluée. Mare, dans sa timide humilité, avait gardé pour elle le s-^-cret divin. Joseph dissimulait au dehors le trouble et l'inquiétude qui l'agitaient, et luttait en silence contre ses doutes. Marie, qui avait tout prévu d'avance, était grave et pensive, ce qui ajoutait encore à l'anxiété de Joseph. r;'entôt le:,' tourments de ce dernier furent tels, qu'il résolut de la quitter et de s'enfuir secrètement. Pen- dant qu'il était occupé de cette pensée, je vis un ange I' i apparaître en songe pour le consoler. CHAPITRE V Préparatifs pour la naissance de Jésns-Christ. Vers le même temps, un édit de César-Auguste, pres- crivant le dénombrement du peuple et une levée d'im- pôts, fut publié dans la terre promise, et je vis une miiltitiide de personnes parcourir le pays pour se ren- dre en divers lieux. Déjà, depuis quinze jours, je voyais Marie occupée de toutes sortes de préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ ; elle préparait des couvertures et des lan- ges. Je la voyais dans la maison. Elle était dans un — . 77 — état de grossesse fort avancé, et travaillait assise dans une chambre avec plusieurs autres femmes. Anne, qui possédait de grands pâturages et des trou> peaux nombreux, fournissait abondamment la sainte Vierge de tout ce qu'exigeait son état. Persuadée que Marie ferait ses couches dans sa maison et que tous ses parents viendraient la visiter, elle préparait tout pour la naissance de l'enfant de la promesse. De belles couvertures et de riches tapis étaient confectionnés. Je voyais même des fils d'or et d'argent qu'on employait à les broder. Tous ces objets, il est vrai, n'étaient pas destinés à la très sainte Vierge ; une grande partie de- vait être distribuée aux pauvres, qui en pareille cir- constance, n'étaient jamais oubliés. Sainte Anne était très affairée ; elle allait et venait, distribuait la laine à ses servantes, et leur assignait leur tâche. Quant à Joseph, il était à Jérusalem, où il avait con- duit des têtes de bétail qu'il voulait offrir en sacrifice. De là il s'était rendu à Bethléem, pour prendre des renseignements sur le dénombrement, qui exigeait que chacun vînt dans son lieu nataL II ne se fit pourtant pas inscrire encore, ayant le projet, après avoir accom- pagné Marie au temple pour sa purification, de revenir à Bethléem avec elle et de s'y établir. Je ne sais plus bien quels avantages il y voyait; mais le séjour de Nazareth ne lui plaisait point. Vers minuit, comme il passait par la plaine de Khimki, à six lieues de Nazareth, un ange lui apparut et lui ordonna de conduire Marie à Bethléem, car c'était là qu'elle devait donner naissance à l'enfant. Il lui indiqua les objets qu'il devait emporter avec lui-; ils étaient en très petit nombre, et les couvertures bro- dées en étaient nominalement exclues. Il devait aussi, outre l'âne qui servirait de monture à Marie, emm.ener avec lui une ânesse d'un an qui n'eût point encore mis bas. Il devait la laisser courir en liberté, et suivre toujours la route qu'elle prendrait. — 78 — Arrivé à Nazareth, Joseph fit connaître à Marie et à" sa mère les ordres que l'ange lui avait donnés la nuit précédente. Toutes deux se rendirent ensemble dans la maison d'Anne, et je les vis tout disposer pour partir sans retard. Anne était tout attristée. La sainte Vierge savait que Jésus devait naître à Bethléem, mais son humilité lui avait imposé silence. Elle le savait par les passages des prophètes sur la naissance du Messie. Elle conservait à Nazareth leurs écrits, qu'elle avait reçus de ses maîtresses, et que ces saintes femmes lui avalent expliqués. Elle les avait sou- vent lus, et dans ses ardentes prières, elle en avait toujours imploré l'accomplissement. Toujours elle avait appelé bienheureuse celle qui devait mettre au monde le saint enfant, elle avait désiré être la dernière de ses servantes. Jamais, dans son humilité, elle n'aurait pensé qu'un tel honneur pût lui être destiné. Sachant par les prophéties que le Sauveur devait naître à Beth- léem, elle se conforma avec joie à la volonté divine,, en entreprenant ce voyage, qui devait être très pénible pour elle dans cette saison, car il faisait souvent un froid très vif, dans les vallées qui coupaient l€i chaînes de montagnes. CHAPITRE VI Départ de Marie et de Joseph pour Bethléem. Ce soir, je vis Joseph et la sainte Vierge partir de la maison d'Anne. Ils étaient accompagnés d'Anne, de Marie de Cléophas et de quelques serviteurs. Marie- était assise sur le bât de l'âne. L'ânesse d'un an cou- rait tantôt en avant, tantôt autour des voyageurs. Bien- tôt Anne et Marie de Cléophas firent aux saints voya- geurs des adieux pleins d'émotion, et s'en retournè- rent avec les serviteurs. — 79 — Je vis la sainte famille s'avancer par le chemin qui côtoyait les montagnes de Gelboë. Ils évitaient les villej et suivaient la jeune ânesse, qui prenait toujours les chemins de traverse. Ils arrivèrent ainsi près de ia ville deGhinim, du côté de Samarie, à Tune des pro- priétés de Lazare. La maison, située sur le haut d'un coteau, était entourée de vergers, et on y jouissait d'iuie vue très étendue. Joseph et Marie étaient liés •d'amitié avec Lazare, et l'intendant, qui les avait con- nus dans un voyage antérieur, les reçut beaucoi^;' de prévenance. Sa fem.me et lui s'entretinrent respec- tueusement avec la sainte Vierge ; ïh s'étonnaient beau- coup de la voir entreprendre un si grand voyage, tan- dis qu'elle eût pu rester si commodément établie dan? la maison de sa mère. Après avoir quitté cette maison, ils durent longer une haute montagne ; il semblait que la vallée qui était à ses pieds fût couverte d'une gelée blanche. Pendant ce trajet, qui dura une grande partie de la nuit, la très sainte Vierge, qui souffrait beaucoup du froid, dit à Joseph : « Il faut nous arrêter ; je ne puis aller plus loin. )) Ä peine eut-elle prononcé ces paroles, que la jeune ânesse s'arrêta et vint se placer sous un grand et vieux térébinthe, près d'une fontaine. Ils y firent une station : Joseph arrangea un siège avec des couver- tures pour la sainte Vierge, qu'il aida à descendre de sa m.ontiire, et qui s'assit contre l'arbre. Il suspendit à une branche la lanterne dont il s'était muni. La sainte Vierge implora Dieu, lui demandant de ne pas permettre que le froid lui fût nuisible. Aussitôt une grande chaleur se répandit dans tout son corps, et elle réchauffa de ses mains les mains de Joseph. Puis ils prirent un repas composai de petits pains, de fruits, et de l'eau de la fontaine près de laquelle fis étaient assis. Joseph ajouta à cette eau du baume qu'il portait dans un petit vase de terre. Il cherchait à consoler la sainte Vierge. Il était si bon ! Il souffrait tant de ce que — 80 -- ce voyage était si pénible ! Il lui parla du bon logis qu'il espérait lui procurer à Bethléem. Il connaissait une famille de braves gens, où ils seraient très bien et à peu de frais. Il lui vanta d'ailleurs tout Bethléem, et lui dit tout ce qui pouvait la consoler. Cela m'inquié- tait, car je savais bien que les choses iraient d'une tout autre manière. La jeune ânesse, courant en liberté, avait quelque chose de frappant dans ses allures. Quand on ne pou- vait se tromper de chemin, par exemple entre deux montagnes, elle courait' derrière les voyageurs, ou les devançait de beaucoup ; mais quand la route se parta- geait, elle reparaissait toujours pour indiquer la direc- tion qu'il fallait prendre ; elle fixait aussi le nombre et le lieu des stations en s'arrêtant d'elle-même, comme lors du campement sous le térébinthe. Ce térébinthe était un vieil arbre sacré du bocage da Moreh, près de Sichern. C'était là que le Seigneur était apparu à Abraham qui se rendait en Chanaan, et lui avait promis cette terre pour héritage. Abraham, à cette occasion, érigea sous l'arbre un autel. Jacob, avant d'aller à Bethel pour offrir un sacrifice au Sei- gneur, avait caché, au pied du même arbre, les idoles de Laban et les joyaux de sa famille. Josué y avait dressé le tabernacle où reposait l'arche d'alliance (1), et y avait fait jurer au peuple d'abandonner ses idoles. CHAPITRE VII Suite du voyage de la sainte famille. Je vis Joseph et Marie se remettre en marche, dès qu'ils eurent pris quelque repos ; ils arrivèrent, après un trajet de deux lieues, à une grande métairie. La (1) Marie, qui se reposait en ce lieu, était le tabernacle et l'ar- che d'alliance véritablea. ^81 -» maîtresse du logis était absente, et son mari les ren- voya, leur disant qu'ils eussent à se pourvoir ailleurs. Après avoir ciieminé quelque temps, il s'aperçurent que Tànesse était entrée dans une cabane ; ils l'y sui- virent, et furent accueillis avec bienveillance par des bergers qui s'y trouvaient ; ceux-ci leur offrirent de la paille, des joncs et des branches pour faire du feu. Ces Dergers se rendirent ensuite à la métairie d'où Joseph et Marie avaient été repoussés, et quand ils eurent raconté à la maîtresse de cette maison combien Joseph avait l'air bon et pieux, combien sa femme était belle et paraissait sainte, elle fit des reproches à son mari pour avoir repoussé de si dignes gens, et se rendit aus- sitôt à la .cabane où s'était arrêtée ;Marie. Mais la ti- midité l'empêcha d'y entrer, et elle retourna chez elle pour prendre quelques aliments. Elle revint bientôt avec ses deux enfants trouver la sainte famille et lui porter offrande. Elle demanda pardon poliment et pa- rut touchée de leur triste situation. Après que les voyageurs se furent rafraîchis et reposés, son mari vint aussi et s'excusa auprès de saint Joseph de ne l'avoir pas reçu. Il lui dit qu'à une lieue de distance il trouverait une bonne auberge où il pourrait s'arrêter pendant le sabbat. Ils se mirent alors en route. Après avoir fait une lieue en montant, ils décou- vrirent, en effet, une grande maison entourée de jar- dins et de vergers, située sur le côté septentrional de la montagne ; le baume y croissait sur des arbrisseaux rangés en espaliers. La sainte Vierge avait mis pied à terre, et l'âne était conduit par Josepli, Dès qu'ils furent arrivés, Joseph demanda à être logé ; mais le maître de la maison répondit qu'il ne pouvait les re- cevoir, car l'auberge était pleine. La très sainte Vierge s'adressa à l'hôtesse qui était accourue, et lui demanda avec la plus touchante humilité de vouloir bien leur accorder un logement ; cette femme ressentit une émo- tion profonde, et l'hôte lui-même cessa de résister. Aus- — 82 — sitôt un gîte commode fut préparé par lui dans une cabane voisine, et l'âne fut placé dans l'écurie. L'ânesse n'était pas là ; elle courait dans les environs. Joseph alluma une lampe et se mit, ainsi que la sainte Vierge, à réciter les prières du sabbat, avec une tou- chante piété. Après avoir fait une }v collation, ils se reposèrent sur des nattes étendues par terre. Marie et Joseph passèrent tout le sabbat dans cette retraite. L'hôtesse présenta ses trois enfants à la sainte Vierge, et la femme qui la veille l'avait si charitable- ment traitée vint aussi la visiter avec ses deux enfants. Elles s'entretinrent familièrement avec Marie et furent très touchées de sa modestie et de sa sagesse. Les enfants avaient apporté de petits rouleaux de parchemin ; la sainte Vierge les fit lire, leur donna des instructions et leur parla d'un ton si aimable, qu'ils ne la quittaient pas des yeux. Rien n'était plus touchant à voir et surtout à entendre. Dans l'après-midi, saint Jo- seph se promena avec l'hôtelier dans les jardins et les champs ; leur conversation était très édifiante. C'est, du reste, ce que j'ai toujours vu pratiquer dans ce pays le jour du sabbat, par les gens vraiment pieux. Les bonnes gens de l'auberge avaient conçu une vive affection pour la très sainte Vierge. Touchés de son état, iis la prièrent affectueusement de rester chez eux et d'y attendre sa délivrance. L'hôtesse lui montra une chambre qu'elle mettrait à sa disposition, et lui offrit de grand cœur tout son dévouement et tous ses soins. Cependant, le lendemain matin, Joseph et Marie con- tinuèrent leur marche ; la sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Le siège qu'elle occupait sur l'âne dif- férait du bât dont se servent les paysans de nos cam- pagnes ; il avait aux deux côtés opposés une sorte d'ap- pui sur lequel reposaient ses pieds. L'attitude et les mouvements de la très sainte Vierge étaient singuliè- rement posés et décents ; elle s'asseyait alternativement à droite et à gauche. Joseph prenait grande attention — -83 — à ce que Marie fît halte souvent. Son premier soin, dès qu'ils s'arrêtaient quelque part, était de ciiercher un: place commode où la sainte Vierge pût se reposer. Il; faisaient de fréquentes ablutions, et surtout se lavaient habituellement les pieds. Il commençait à faire nuit, quand ils arrivèrent à une maison isolée, où Joseph demanda l'hospitalité. L( maître refusa, disant que sa demeure n'était point une auberge. En vain Joseph lui exposa-t-il l'état de la trè.s sainte Vierge, la fatigue qui l'accablait et qui lui ren- dait impossible une plus longue marche ; en vain ajouta-t-il qu'il ne demandait pas à être obligé gratuite- ment, cet homme dur et grossier persista dans son refus, demandant, sans même ouvrir sa porte, qu'on le laissât tranquille, et au plus tôt. Joseph et Marie se re- mirent en route et trouvèrent eniin un hangar devant lequel l'ânesse s'arrêta. Joseph fit de la lumière et pré- para une sorte de lit pour la sainte Vierge. Il introdui- sit ensuite l'âne, pour lequel il trouva de la litière et du fourrage. Après avoir pris un petit repas et avoir prié, ils dormirent là quelques heures. Ils étaient à vingt-six lieues de Nazareth et à dix de Jérusalem. Jusqu'alors ils avaient constamment suivi les chejnins de traverse qui allaient du Jourdain à Sa- marie, et aboutissaient à la grande route de Syrie en Egypte. Ces chemins étaient très étroits, surtout dans les montagnes et présentaient bien des pas difficiles ; mais les ânes y marchaient d'un pied ferme. A plusieurs lieues au nord-est de Béthanie, Marie se trouva fatiguée et dans la nécessité de prendre quel- que chose et de se reposer. Joseph alors, se détournant du chemin, la conduisit à une demi-lieue de là dans un endroit où il y avait un figuier ordinairement chargé de fruits et qu'il avait renmrqué dans un voyage précé- dent. Cet arbre était entouré de bancs commodément disposés. Quand ils y arrivèrent, ils eurent le regret de- n'y pas trouver un seul fruit, et s'en allèrent pénible- — 84 — ment jusqu'à une maison où ils prièrent qu'on les ac- cueillît. Le maître fut d'abord très impoli, il regarda ta sainte Vierge à la lueur de la lanterne, et railla J'Dseph de ce qu'il menait avec lui une femme si jeune et dont il devait être bien jaloux. Mais sa femme eut <>itié de la sainte Vierge ; elle lui offrit avec bonté une e^hambre dans une aile de sa maison et lui apporta des petits pains. Le mari à son tour eut honte de sa ru- desse ; il se montra bienveillant et vraiment hospitalier envers les saints voyageurs. Plus tard, ils entrèrent dans une troisièm.e maison Irabitée par un jeune ménage, qui les reçut avec poli- lesse, mais sans empressement ; leurs hôtes étaient de ^'iches paysans, livrés au commerce et tout occupés de leurs intérêts. Joseph faisait des stations fréquentes à la fin du voyage, car la sainte Vierge était de plus en plus fati- f{uée. A sept lieues de Bethléem, Marie et Joseph de- mandèrent l'hospitalité à un berger, qui leur témoigna une parfaite bienveillance. H ordonna qu'on les con- « luisît dans une chambre commode, et qu'on prît soin de leur âne. Un serviteur lava les pieds de Joseph et lui mit d'autres habits, afin de nettoyer les siens, qui étaient tout poudreux. Une femme rendit les mêmes 'ervices à la sainte Vierge. Après avoir pris leur repas, :1s se reposèrent. La maîtresse du logis se tint capricieusement ren- fermée ; elle avait regardé les voyageurs à la dérobée, et, comme slle était jeune et vaine, elle avait vu d'un œil jaloux la beauté de la sainte Vierge. Craignant d'ailleurs que Marie ne demandât à rester dans sa maison pour faire ses couches, elle ne parut pas, et eontribua ainsi, par son impolitesse, à faire partir la jT.inte famille dès le lendemain. C'est la femme aveu- è'ie et toute courbée que Jésus trouva, trente ans après, dans cette même maison, et qu'il guérit, après l'avoir exhortée à être moins vaine et plus hospitaliers. — 85-^ Après un trajet de quelques lieues, Joseph et Marie arrivèrent à une grande auberge ; beaucoup de per- sonnes y étaient rassemblées pour un enterrement. L'intérieur de la maison, au milieu de laquelle se trou- vait le foyer avait été transformé en une grande et seule pièce, par la suppression de cloisons mobiles ; derrière le foyer étaient suspendues des tentures noires, et devant était placée une sorte de bière couverte aussi de noir, autour de laquelle priaient plusieurs hommes vêtus de longues robes de deuil, par-dessus lesquelles ils en avaient de blanches, mais plus courtes. Dans une autre chambre pleuraient les femmes, assises sur le plancher et tout enveloppées de leurs manteaux. Le maître et la maîtresse de la maison, tout occupés des funérailles, se bornèrent à saluer très poliment Joseph et Marie ; cependant les domestiques prodiguèrent aux étrangers les soins les plus empressés. Ils leur prépa- rèrent un logement à part, en suspendant au plafond des nattes qui descendaient jusqu'à terre. Je vis plus tard les hôtes visiter la sainte famille et s'entretenir amicalement avec elle. Après avoir pris un peu de nourriture, Joseph et Marie prièrent ensemble et se-li» vrèrent au repos. Ils partirent pour Bethléem dès le lendemain, mal- gré les instances de leur hôtesse pour retenir Marie qui, disait-elle, lui semblait près d'accoucher d'un mo- ment à l'autre ; Marie, après avoir baissé son voile, ré- pondit qu'elle avait encore trente-six heures à attenlre. Je vis, au moment du départ, Joseph parler de ses ânes avec l'hôte ; il fit l'éloge de ces animaux, et dit qu'il avait pris l'ânesse afin de pouvoir la mettre en gage en cas de nécessité. Comme les hôtes lui objectaient la difficulté de trouver un logement à Bethléem, Joseph répondit qu'il avait en cette ville dos amis dévoués, et qu'il serait certainement bien reçu. J'étais toujours peinée de l'entendre parler avec tant d'assurance de la bonne réception sur laquelle il comptait. 86 - I Il en entretint encore Marie pendant la rout^e. On voit par là que même d'auissi saints personnages peuvent se tromper. CHAPITRE VIII Arrivée de la sainte famille à Bethléem. Bethléem était à trois lieues au sud de leur dernière station ; mais ils quittèrent la route du nord pour y entrer par le côté de l'ouest. Ils s'arrêtèrent d'abord sous un arbre au bord du chemin ; la sainte Vierge descendit de l'âne et mit ordre à ses vêtements. Puis Joseph se dirigea avec elle vers une grande maison située à quelques pas de la ville, entourée de bâtiments, de cours et d'arbres, sous lesquels beaucoup de gens avaient dressé des tentes. C'était l'ancienne demeure de la famille de David ; elle avait appartenu au père de Joseph. Ses parents et ses connaissances l'habitaient encore, mais ils firent semblant de ne pas le connaître et le traitèrent en étranger. C'était à ce moment la maison où le gouvernement romain faisait recueillir l'impôt. Joseph accompagné de la sainte Vierge, s'y rendit en conduisant l'âne par la bride ; car tous les arrivants devaient s'y présenter pour recevoir un billet, sans le- quel aucun étranger n'î pouvait pénétrer dans Beth- léem. On demanda à Joseph qui il était et, après avoir examiné plusieurs grands rouleaux suspendus a\ix murs, on en déroula deux et on lut sa généalogie et celle de Marie. Joseph apprit alors que Marie descen- dait, par Joachim, de David en droite ligne. Il était venu un peu tard payer l'impôt, mais on ne lui fit nul reproche: on lui demanda seulement quels étaient ses moyens d'existence ; il répondit qu'il n'avait pas de — 87 — terres, qu'il vivait de son métier et d'une part du re- venu de sa belle-mère. Marie fut appelée à son tour devant les scribes, mais ils ne lui lurent rien, et dirent même à Joseph qu'il n'eût pas été nécessaire de l'ame- ner avec lui ; ils eurent l'air de le railler au sujet de fa jeunesse de Marie, et je l'en vis un peu confus. CHAPITRE IX Joseph cherche en vain un logement Joseph et Marie pénétrèrent à Bethléem, à travers les décombres et par une porte écroulée. Dans cette ville, les maisons étaient assez éloignées les unes des autres. Marie resta avec l'âne à l'entrée d'une rue, tandis que Joseph cherchait un logement tout auprès ; mais ce fut en vain, car il y avait beaucoup d'étrangers dans la ville, et on y voyait une foule de gens qui allaient et venaient. Il revint donc, et dit à Marie qu'on ne pouvait pas trouver à se loger là, et qu'il fallait aller plus loin. Il conduisit l'âne par la bride, pendant que la sainte Vierge marchait à côté de lui. A l'entrée d'une autre rue, Marie s'arrêta de nouveau avec l'âne, pendant que Joseph allait de maison en maison, s.ans que dans aucune on voulût le recevoir. Il revint encore tout attristé. La même chose se renouvela à diverses repri- ses, et plus d'une fois Marie eut bien longtemps à at- tendre. Partout la place était prise, partout on le re- poussait, et il finit par dire à la sainte Vierge : « Allons dans quelque autre quartier de Bethléem, où on nous donnera, sans aucun doute, un abri. » Ils suivirent alors une rue qui offrait plutôt l'aspect d'un chemin champêtre, car toutes les maisons étaient isolées et bâties sur de petits monticules. Là aussi, toutes les recherches furent inutiles. T. I. — 88-. Parvenus au côté opposé de Bethléem, ils trouvèrent une grande place déserte et située dans un fond. On voyait là une sorte de hangar, auprès duquel s'élevait un grand arbre dont les vastes branches pendantes for- maient une sorte de toit. Joseph arrangea à la sainte Vierge un siège où elle pût se reposer, pendant qu'il chercherait à se faire accueillir dans l'une des maisons d'alentour. Marie se tint d'ahord debout, adossée contre l'arbre. Sa tête était couverte d'un voile blanc, et sa robe, pa- reillement blanche, sans ceinture, tombait en larges plis autour d'elle. Les passants la regardaient, sans se douter que leur Sauveur fût si près d'eux. Elle fut obli- gée d'attendre bien longtemps, et unit j^ar s'asseoir au pied de l'arbre, les mains Jointes sur la poitrine et la tète baissée. Combien elle était humble, résignée et ])atiente ! Enfin Joseph revint, mais sans lui annoncer un logis : à peine les amis dont il lui avait parlé Gvaient-ils £en^i>lé le reconnaître. Il était découragé, il pleurait, et Marie le consolait! Il fit une dernière ten- tative; mjais, Qoriime pour mieux faire agréer sa re- ' jcte il parlait de la prochaine délivrance de sa femme, il s'attirait par là des refus plus formels. Le lieu était solitaire ; à ce moment plusieurs pas- s mis s'arrêtèrent : ils regardaient de loin avec curio- sité, comme c'est la coutume lorsqu'on voit quelqu'un demeurer longtemps à la môme place au déclin du jour. Je crois que quelques-uns adressèrent la parole à Marie, et lui demandèrent qui elle était. Ce fut alors que je vis Joseph revenir tellement peiné, qu'il osait à peine s'approcher d'elle. Il lui dit que tout était inu- tile, mais qu'il connaissait, en avant dans la ville, une grotte où les bergers se retiraient souvent avec leurs troupeaux, lorsqu'ils venaient à Bethléem, et que là du m.oins, ils trouveraient un abri. Ce lieu lui était connu dès son enfance, car, lorsque ses frères le tour- mentaient, il s'y était réfugié pour y prier. Si les ber- «- 89 — gers y venaient, disait-il, il s'entendrait facilement avec eux. Du reste, il était rare qu'ils y séjournassent en cette saison. Lorsqu'elle y serait tranquillement éta- blie, il ferait de nouvelles recherches. CHAPITRE X Description de la grotte de la Crèche et de ses environs. La grotte était creusée dans le roc par la nature ; seulement, du côté du midi, où passait le sentier du vallon des bergers, on avait élevé un mur grossièrement travaillé. L'entrée principale, placée au couchant, con- duisait, par un étroit passage, à une cave arrondie d'un côté, triangulaire de l'autre, qui s'étendait dans la par- tie orientale de la colline. Au-dessus de la paroi méri- dionale se trouvaient trois ouvertures grillées ; ime quatrième ouverture semblable aux précédentes avait été ménagée à la voûte. C'était dans la partie orientale de cette grotte, en face de l'entrée, que se tenait la sainte Vierge au mo- ment où naquit de son sein la lumière du monde. Dans la partie méridionale se trouvait la crèche où fut adoré l'enfant Jésus. La crèche n'était autre chose qu'une auge creusée dans la pierre, et qui servait à donner à boire aux bestiaux. Le long du chemin qui conduisait de la grotte à la vallée des bergers, il y avait sur les collines de petites maisons, et dans la plaine des hangars surmontés de toits de roseaux. A l'occident de la grotte, la colline s'abaissait dans une vallée sans issue, remplie d'arbres, de .buissons et de prairies arrosées par un ruisseau. Sur la pente orientale du vallon s'ouvrait une autre grotte où avait été placé le tombeau de Mahara, nour — 90 — rice d'Abraham. La sainte Vierge se retira souvent avea l'enfant Jésus dans cette grotte qui porte aussi le nom de Grotte du Lait. Entre autres choses concernant la grotte de la crèche, il me fut révélé que Seth, l'enfant de la promess-e, y avait été conçu et mis au monde par Eve, après une pénitence de sept ans. Dans ce même lieu déjà, un ange lui avait dit que Dieu lui donnerait cet enfant à la place d'Abel. La grotte du tombeau de la nourrice d'Abraham avait un rapport symbolique avec la mère du Sauveur allai- tant son enfant, pendant les jours de la persécution ; car, dans sa jeunesse, Abraham subit aussi une persé- cution figurative, dans laquelle sa nourrice lui sauva la vie en le cachant dans une grotte. On avait prédit au roi du pays où vivait Abraham que bientôt il devait naître un enfant qui lui serait funest-e. Le roi prit des mesures en conséquence. La mère d'Abraham cacha sa grossesse, et pour mettre son fils au monde elle se réfugia dans une grotte. Mahara, sa nourrice, l'allaita 'aussi en secret. Elle vécut comme une pauvre esclave, travaillant dans une solitude, auprès d'une grotte dans laquelle était l'enfant qu'elle nourrissait. Plus tard, ses parents le reprirent auprès d'eux, et comme- il était oeaucoup plus grand que son âge ne l'eût fait croire, on le fit passer pour un enfant né avant la prédiction faite au roi. Encore enfant, il fut exposé à de grands périls, à cause de certaines manifestations m.erveil- leuses, et sa nourrice le cacha une seconde fois. Je la vis qui remportait secrètement sous son large man- teau. Plusieurs enfants de sa taille furent alors égor- gés (1). Dès le temps d'Abraham, les femmes et les nourrices venaient faire leurs dévotions dans cette grotte, car ' ' Ces faits, que l'Ecritare ne nous a point cojiServés, nous font p 'ntir à ciuel point de perfection la divine sagesse a voulu jo.ter la concordance prophétique des deux testaments. — 91 — on vénérait. la nourrice d'Abraham comme un type de la sainte Vierge, de même qu'Elie, après l'avoir vue dans la nuée qui apportait la pluie, avait établi sur le Carmel une communauté pour l'honorer. Mahara^ en allaitant celui qui fut la souche de la sainte Vierge^ avait par là contribué à l'avènement du Messie. Ua immense térébinthe, qui était au-dessus de cette grotte,, répandait son ombre tout à Tentour. Abraham s'était quelquefois reposé avec Melchlsédech sous cet arbre- vénéré, près duquel les gens des environs aimaient à venir faire leurs prières. CHAPITRE XI Marie et Joseph s'établissent dans la grotte de la Crèche^ Le jour baissait déjà lorsque Joseph et Marie arri- vèrent dans la grotte. L'ânesse, qui les avait quilles depuis qu'ils étaient entrés dans la maison paternelle- de Joseph, revint au-devant d'eux, exprimant sa joie en bondissant. Alors Marie dit à Joseph : « Voyez : c'est certainement la volonté de Dieu que nous descendions- ici. » Joseph se hâta de préparer en dehors un siège pour la sainte Vierge, afin qu'elle pût se reposer pen- dant qu'il pénétrerait dans la grotte et la déblaierait • il vint à bout de préparer en sa partie orientale un es- pace assez commode. Après y avoir allumé une lampe,, il y introduisit Marie, qui s'assit sur la couche qu'il avait soigneusement disposée au moyen de couvertures. Joseph lui témoigna encore son profond regret de- n'avoir qu'un pauvre gîte à lui offrir: mais Marie, au fond de son âme, était satisfaite et joyeuse. Après avoir amené l'âne et l'avoir attaché assez loin d'eux pour qu'il ne causât aucune gêne, Joseph étendit,. — 92 — devant les ouvertures de la voûte, des couvertures qui les garantirent de l'air extérieur ; puis il s'arrangea une couche près de la porte de la grotte. Dès que le sabbat eut commencé, il récita, avec la sainte Vierge, les prières ordonnées par la loi ; et, après avoir fait une légère collation, il s'en alla à la ville. Marie s'agenouilla, fit sa prière du soir et se coucha sur le côté, la tête soutenue par un de ses bras qui reposait sur le chevet. La nuit était déjà avancée quand Joseph rentra ; il se mit aussitôt en prières, puis il alla prendre du repos sur le lit qu'il s'était fait. Dans l'après-midi du sabbat, les Juifs ont coutume de se promener ; Joseph conduisit la sainte Vierge à la grotte de Mahara. Ils restèrent en prière et en médita- tion jusqu'à la clôture du sabbat, d'abord dans cette grotte, plus grande que celle de la crèche, puis sous l'arbre sacré. Marie avait prévenu Joseph que la naissance de l'en- îant aurait lieu à minuit, heure à laquelle se termi- naient les neuf mois écoulés, depuis que lange du Sei- gneur l'avait saluée. Elle l'avait prié de ne rien épar- gner pour recevoir et honorer dignement, à son entrée "dans le monde, l'enfant promis par le Seigneur, et sur-' naturellement conçu. Elle voulait aussi qu'il priât avec «lie pour tous ceux qui avaient si durement refusé de la recevoir. Joseph, à son tour, proposa à la sainte Vierge d'appeler de Bethléem, pour l'assister, deux pieuses femmes qu'il connaissait ; mais elle répondit qu'elle n'avait besoin du secours de personne. Avec des perches et des nattes il fit pour Marie une tente sépa- rée du reste de la grotte et de la place qu'il s'était ré- Gervée, puis il remplit la crèche d'herbes et de mousse, et y posa une couverture ; alors la très sainte Vierge lui annonça que le moment de sa délivrance était très proche, et lui demanda d'aller prier. Joseph, avant de s'éloigner, suspendit plusieurs lampes à la voûte de la fjrotte ; un bruit inaccoutumé s'étant fait entendre du — 93 — dehors, il sortit pour en connaître la cause. Il trouva là ia jeune ûnesse qui, abandonnée à elle-même, avait couru jusqu'alors dans la vallée des bergers ; elle bon- dissait toute joyeuse autour de lui. Il l'attacha et lui donna du fourrage. En rentrant dans la grotte, Joseph jeta les yeux sui» la sainte Vierge ; il la vit qui priait, agenouillée sur sa couche ; elle lui tournait le dos, et avait le regard fixé sur l'orient. Elle était tout entourée d'une lumière sur- naturelle qui remplissait la grotte entière. Il regarda ces flammes, comme autrefois Moïse le buisson ardent ; puis, saisi d'une sainte frayeur, il se retira dans son réduit et s'y prosterna la face contre terre. CHAPITRE XII Naissance du Christ, Je vis la lumière qui entourait Marie devenir de plus en plus éclatante ; la lueur des lampes allumées par Joseph s'était éclipsée. Vers minuit, la très sainte Vierge entra en extase, et je la vis élevée au-dessus de terre ; elle avait alors les mains croisées sur la poi- trine, et sa large robe flottait autour d'elle en plis on- diileux. La splendeur qui l'environnait augmentait sans cesse. La voûte, les parois et le sol de la grotte, comme vivifiés par la lumière divine, semblaient éprouver une émotion joyeuse. Mais bientôt la voûte disparut à mes yeux ; un torrent de lumière, qui allait toujours crois- sant, se répandit de Marie jusqu'au plus haut des cieux. Au milieu d'un mouvement merveilleux de gloires cé- lestes, je vis descendre des chœurs angéliques, qui, en s'approchant, se montrèrent sous une forme de plus en plus distincte. La sainte Vierge, élevée en l'air dans — 94 — - son extase, abaissait ses regards sur son Dieu, adorant Celai dont elle était devenue la mère, et qui sous l'as- pect d'un frêle enfant nouveau-né était couché sur la lerre devant elle. Je vis notre Sauveur comme un petit enfant lumi- neux, dont la splendeur effaçait toute lumière autour songe, faisant dire partout : « Ils n'ont pas osé repa- raître, parce qu'ils s'étaient grossièrement trompés; car pour quel autre motif se seraient-ils évadés furti- vement, après avoir été si bien reçus ? » Ce fut ainsi qu'il essaya d'assoupir toute cette affaire. A Bethléem, il fit annoncer qu'on ne devait pas se mettre en rapport avec les parents de l'enfant réputé extraordinaire, ni accueillir des bruits chimériques et trompeurs. La sainte famille étant revenue à Nazareth quinze jours après, on cessa bientôt de parler d'un événement que la multitude n'avait que superficielle- ment connu, et les gens pieux qui espéraient gardèrent le silence. Quand le calme fut rétabli, Hérode songea à se dé- barrasser de Jésus ; il apprit alors que la famille avait quitté Nazar.eth. Il fit de longues recherches pour re- trouver ses traces ; mais, tout espoir de la découvrir s'étant évanoui, son trouble augmenta au point qu'iî eut recours à la mesure désespérée du m.assacre des — 126 — innocents. Ils furent égorgés en sept endroits différents ; partout des troupes avalent été envoyées pour prévenir des émeutes. CHAPITRE XXV Adoration des Mages. Le cortège des trois rois sortit de la ville par l'une des portes du sud. Une troupe d'hommes les suivit, jusqu'au ruisseau qui coule de ce côté. Quand ils l'eu- rent passé, ils s'arrêtèrent un peu pour retrouver leur étoile. Alors ils l'aperçurent, et, transportés de joie, ils continuèrent leur route en chantant. L'étoile ne les conduisit pas tout droit à Bethléem, mais elle les y mena par un chemin qui tournait à l'ouest. Ils passèrent devant une petite ville qui m^est bien connue, et derrière laquelle je les vis, vers midi, s'ar- rêter et prier. En cet endroit, qui était vraiment très agréable, une source jaillit sous leurs yeux. Pénétrés de joie, ils mirent pied à terre et lui creusèrent un bas- sin qu'ils entourèrent de pierres, de gazon et d'un che- min sablé. Ils restèrent là quelques heures, firent boire et manger leurs bêtes, et prirent eux-mêmes un repas ; car à Jérusalem, pleins de troubles et de soucis, ils n'avaient pu se reposer. Dans la suite, j'ai vu Notre- Seigneur s'asseoir, plusieurs fois, auprès de cette source avec ses disciples. L'étoile, qui brillait la nuit comme un globe de feu, présentait alors l'aspect qu'a la lune en plein jour ; elle ne paraissait pas tout à fait ronde, mais dentelée ; souvent elle était cachée par dei nuages. La grande route de Bethléem à Jérusalem fourmillait de voyageurs, avec des bagages et des ânes, soit qu'ils revinssent de Bethléem, après avoir payé l'impôt, soit — 127 — qu'ils se rendissent au Temple ou au marché de Jéru- salem. Au contraire, le chemin de traverse qu'avaient pris les rois était solitaire : Dieu les conduisait sans doute par cette voie peu fréquentée, pour qu'ils pussent arriver à Bethléem vers le soir et sans bruit. Le soleil -était près de se coucher, lorsqu'ils se remirent fen marche, cheminant comme d'abord : Mensor le basané et le plus jeune, en avant, puis Saïr le brun ; Théokéno ie blanc, le plus âgé, fermait la marche. Au crépuscule du soir, le cortège des rois arriva de- vant Bethléem, à ce même bâtiment où Marie et Joseph s'étaient fait inscrire. A la vue de ce cortège, des cu- rieux, en assez grand nombre, se réunirent. L'étoile s'étant éclipsée, les rois ressentaient de l'inquiétude. Des biommes vinrent à eux pour les interroger. A peine 'eurent-ils mis pied à terre, que des employés s'avan- ■cèrent à leur rencontre, portant en main des rameaux •et des ra'îraîchissements qu'ils leur offrirent. On sou- haitait ainsi la bienvenue aux étrangers de haut rang. Je me dis alors à moi-même : « Ils sont bien plus polis avec ces rois qu'avec le pauvre saint Joseph, et cela, parce qu'ils ont distribué autour d'eux de petites pièces d'or. « On leur indiqua la vallée des Bergers, •comme im bon emplacement pour y dresser Leurs tentes. Ils restèrent longtemps indécis. Ils ne firent point de questions sur le roi noy veau-né, n'ignorant pas le lieu désigné par la prophétie et craignant d'ail- leurs, d'après les discours d'Hérode, d'attirer sur eux l'attention. Mais quand ils virent briller au firmament, •du côté de Bethléem, un astre pareil à la lune à son lever, ils remontèrent sur leurs bêtes, pais, longeant un fossé et des murs écroulés, ils se dirigèrent vers l'orient en faisant le tour de Bethléem par le midi ; ils «'approchèrent ainsi de la crèche, par le côté de la plaine où les anges étaient apparus aux bergers (1). (1) L'ancienne loi et la synaeogue ont servi de préparation el comme de chemin aux Gentils pour eapprocher du Sauveur. — 12S — Arrivés dans la vallc-3 qui s'étend derrière la grotte de la crèche, ils descendirent de leurs montures. Leurs gens déballèrent leurs effets, dressèrent une vaste tente, et disposèrent toutes choses, aidés de quelques bergers qui leur indiquèrent les endroits convenables. Ces ar- rangements n'étaient pas encore terminés, lorsque les rois virent l'étoile apparaître, claire et brillante, au- dessus de la colline de la crèche ; elle y répandait une profusion de lumière. Elle sembla s'incliner vers la grotte, et en même temips grossir de plus en plus. Ils la contemplèrent, avec un profond étonnement ; l'obscu- rité ne leur laissait apercevoir que les vagues contours de la colline. Tout à coup une joie immense envahit leur âme, car ils virent, dans la lumière, la figure res- plendissante d'un enfant. Tous, la tête nue, lui ren- dirent leurs hommages ; puis les trois rois se dirigèrent vers la colline, et découvrirent la porte de la grotte. Mensor y alla, l'ouvrit et vit la grotte toute pleine d'une lumière divine ; la Vierge était assise au fond, avec l'enfant dans ses bras, telle qu'en leurs visions elle était apparue à ses compagnons et à lui. Il revint aussitôt le dira aux deux autres rois. Au même instant, Joseph sortit de la grotte avec un vieux berger : ils lui déclarèrent en toute simplicité qu'ils ve- naient pour adorer le roi nouveau-né, dont ils avaient vu l'étoile, et pour lui offrir leurs présents. Joseph les salua avec respect et bienveillance. Aussitôt ils se préparèrent pour leur auguste céré- monie. Ils mirent de grands et magnifiques manteaux blancs à longue queue, qui flottaient légèrement autour d'eux, et brillaient comme brille la soie écrue : c'était leur costume ordinaire dans les solennités religieuses. Des bourses et des boîtes d'or étaient suspendues à leurs ceintures. Chacun des rois était suivi de quatre personnes de sa famille ; quelques serviteurs de Mensor les accompagnaient, portant une petite table, un tapis à franges et plusieurs pièces d'étoffes légères. ~ 129 — ' Saint Joseph les conduisit d'abord sous l'auvent placé devant la grotte ; là, après avoir étendu sur la table le tapis à franges, chacun des trois y déposa quelques boîtes en or et des vases du même métal : c'étaient les présents qu'ils offraient en commun. Mensor et tous les autres ôtèrent alors leurs sandales, et Joseph ouvrit la porte. Mensor était précédé de deux jeunes gens, tenant en main une pièce d'étoffe légère qu'ils étendirent sur le sol ; après quoi ils se retirèrent en arrière. Deux| autres le suivaient avec la table sur laquelle étaient Ies_ présents. Arrivé devant la sainte Vierge, il mit un genou en terre, et plaça humblement à ses pieds ces objets précieux. Les quatre hommes de sa famille étaient derrière lui, respectueusement inclinés. Pendant ce temps, Séïr et Théokéno, avec leur suite, se tenaient à l'écart, vers la porte. Lorsqu'ils entrèrent, ils étaient comme ravis d'émotion et de ferveur, et éblouis par la lumière qui remplissait la grotte ; et cependant il n'y avait là d'autre flambeau que la Lumière du monde. Marie, appuyée sur un bras, et plutôt couchée qu'as- sise, se tenait à la gauche de l'enfant Jésus, qui repo- sait au lieu même où il était né, dans une auge, couverte d'un tapis et placée sur une estrade. Quand elle aperçut les mages, la sainte Vierge se redressa, sans se lever ; elle mit son grand voile, et en enveloppa aussi l'enfant Jésus, qu'elle prit dans ses bras. Mensor s'agenouilla, et, déposant les présents devant lui, il fit hommage à l'enfant dans les termes les plus touchants, les mains croisées devant la poitrine et la tête inclinée. Pendant ce temps, Marie avait découvert le haut du corps de l'enfant, qui du milieu de l'espèce d'auréole que formait le voile, regardait avec un aimable sou- rire ; elle soutenait sa petite tête de l'une de ses mains, et l'entourait de l'autre bras. Il tenait ses petites mains jointes devant sa poitrine, ou les tendait gracieusement devant lui. Oh I qu'ils étaient heureux de Tadorer, ces chers — 130 — hommes de l'Orient I En les voyant, je me disais à moi- même : u Leurs cœurs sont purs et sans tache, pleins de bonté et d'innocence comme des cœurs d'enfants pieux. Ils sont sans emportement, et pourtant pleins de feu et d'amour. Et moi je suis morte, je ne suis qu'un esprit ; autrement je ne pourrais voir ces choses, car elles n'existent pas maintenant, et cependant mainte- nant elles existent. Mais cela n'existe pas dans le temps; en Dieu il n'y a pas de temps, en Dieu tout est pré- sent ; je suis morte, je suis un esprit. » Pendant que- j'avais ces étranges pensées, j'entendis une voix me dire : « Que t'importe ce que tu es ? Regarde, et loue le Seigneur, qui est éternel et en qui tout est éternel. » Je vis alors Mensor tirer d'une bourse, suspendue à sa ceinture, une poignée de petits lingots d'un or pur, de la longueur du doigt, épais au milieu et pointus par les bouts : c'était son présent, qu'il plaça humblement sur les genoux de la sainte Vierge, à côté de l'enfant Jésus. Elle accepta l'or, en remerciant avec bonté, et le couvrit d'un pan de son manteau. Mensor donna ces lingots d'or pur, parce qu'il était plein de foi et d'amour, et qu'il cherchait la vérité avec un zèle persé- vérant et infatigable. Ensuite il se retira avec ses quatre parents, et Séïr, l3 brun, s'approcha avec les siens. Il s'agenouilla avec une profonde humilité, et il présenta son offrande, qu'il accompagna de paroles touchantes. C'était un en- censoir d'or, plein de petits grains résineux de couleur verdâtre ; il le plaça sur la table, devant l'enfant Jésus. Il donna l'encens, parce qu'il était un homme soumis avec respect et de tout son cœur à la volonté de Dieu, qu'il servait avec zèle. 11 resta longtemps agenouillé en prière, avant de se retirer. Après lui vint ïhéokéno, le plus âgé des trois rois ; déjà raidi par la vieillesse, il ne pouvait plier les ge- noux ; il se tint donc debout, mais le corps prosterné. J\ plaça sur la table un vase d'or, surmonté d'une belle — 131 — plante verte. C'était une myrrhe, arbuste à tige droite, couronné de jolies fleurs blanches, formant de petits bouquets frisés. II offrit la myrrhe, parce qu'elle est le symbole de la mortification et de la victoire sur les pas- sions ; car cet excellent homme avait vaincu de fortes tentations d'idolâtrie, de polygamie et de violence de^ caractère. Sa profonde émotion le retint si longtemps devant Jésus, que j'avais compassion des autres ser- viteuis, restés hors de la grotte et avides de voir l'en- fant Jésus. Les paroles des rois et des gens de leur suite étaient très simples et fort touchantes. En se prosternant et ea offrant leurs dons, ils parlaient à peu près ainsi : « Nous avons vu son étoile ; nous savons qu'il est le Roi de tous les rois ; nous venons l'adorer et lui offrir nos humbles présents, etc. » Ils étaient tout embrasés d'amour, enivrés Je bonheur, et dans leurs naïves et ardentes prières, ils recommandaient à l'enfant Jésus leurs personnes, leurs familles, leurs pays, leurs biens et tout ce qui avait du prix pour eux sur la terre. Ils offraient au roi nouveau-né, d'eux-mêmes, cœurs, âmes, pensées et actions. Ils le priaient de les éclairer, de perpétuer en eux la vertu, la paix, l'amour et la pure félicité. Ils étaient transportés de ferveur, et des larmes de joie jaillissaient de leurs yeux, ruisselant le long de leurs joues et de leurs barbes ; ils croyaient être aussi dans cette étoile, vers laquelle, depuis des milliers d'années, leurs ancêtres avaient si fidèlement dirigé leurs regards, leurs espérances et leurs soupirs. Toutes les joies de la promesse accomplie après tant de siècles étaient réunies en eux. La Mère de Dieu accepta leurs présents avec une humble reconnaissance. Elle resta d'abord silencieuse, et, sous son voile, un modeste frémissement exprimait sa touchante et pieuse émotion. Le petit corps nu de l'enfant se montrait brillant entre les plis de son man- teau, Enfin Marie, écartant un peu son voile, adressa — 132 — avec humilité et gratitude à chacun des rois quelques bienveillantes paroles. Oh ! quel bon enseignement pour moi ! Je me disais à moi-même : Avec quelle douce et aimable reconnaissance elle reçoit les présents ! Elle qui n'a besoin de rien, qui possède Jésus, elle accepte avec humilité toutes les offrandes de l'amour. Un tel exemple no m'apprend-il pas comment je dois recevoir les dons de la charité. Combien Joseph et Marie sont bons ! Ils n? gardent presque rien pour eux, et distribuent tout aux pauvres 1 Lorsque les rois et leurs parents eurent quitté la grotte, les serviteurs entrèrent à leur tour. Après avoir dressé la tente et débâté les bêtes de somme, ils avaient attendu devant la porte, avec une humble patience, qu'il leur fût permis de pénétrer dans la grotte. Ils étaient plus de trente. Plusieurs enfants, sans autre vêtement qu'une ceinture de linge et un petit manteau, les accompagnaient. Leurs maîtres les introduisirent cinq par cinq. Ils s'agenouillaient autour de l'enfant et l'adoraient en silence. Quand vint le tour des enfants, ils entrèrent tous à la fois, se mirent à genoux, et ado- rèrent l'enfant Jésus avec une joie innocente et naïve. Les serviteurs ne purent pas rester bien longtemps dans la grotte, car les rois y rentrèrent bientôt avec pompe, revêtus de manteaux légers et flottants, et portant à la main des encensoirs avec lesquels ils encensèrent très respectueusement l'enfant, la sainte Vierge, Joseph et toute la grotte; puis, en se retirant, ils s'inclinèrent profondément : c'était une cérémonie religieuse usitée 'chez eux. Jamais je n'avais vu Marie et Joseph si heureux et si émus. Souvent des larmes de joie coulaient le long de leurs joues. Tant d'honneurs solennellement rendus à l'enfant Jésus, qu'ils étaient obligés de loger si pauvre- ment, et dont il leur fallait cacher la dignité suprême dans l'humilité de leurs cœurs, leur étaient une inef- fable consolation. Ils voyaient que la Providence toute — 13S — I puissante de Dieu, malgré l'aveuglement des hommes- et dès l'origine des temps, avait préparé pour l'enfant j de la promesse, et lui avait envoyé du fond de l'Orient, l ce qu'eux-mêm-es ne pouvaient lui offrir, les homma- I ges des puissants de la terre, rendus à sa grandeur avec une sainte et solennelle magnificence. Ils joigni- rent 1-eur adoration à celle des rois. La gloire de Jésus était leur bonheur. Les tentes du cortège des rois étaient dressées tout le long de la vallée, derrière la grotte de la crèche, jus- qu'à la grotte du tombeau de Maraha. Quand tous eu- rent quitté la crèche, les étoiles se montraient déjà. Tis se rassemblèrent alors en cercle, auprès du vieux téré- Linthe qui couronnait le tombeau de Maraha, et ren- dirent leur culte aux étoiles avec des chants solennels. On ne saurait exprimer combien étaient émouvants ces chants qui retentissaient dans la vallée silencieuse. Durant tant de siècles leurs ancêtres avaient regardé les étoiles, prié et chanté ! A cette heure donc leurs ardents désirs étaient accomplis. Ah ! le transport de leur joie et la plénitude de leur r>6connaissance écla- taient dans leurs chants. Joseph, cependant, assisté par deux vieux bergers, avait préparé un repas frugal dans la tente des trois rois. C'était du pain, des fruits, du miel, des légumes et quelques flacons de baume, placés sur une table couverte d'un tapis. Quand ils rentrèrent, Joseph leur témoigna beaucoup de bonté, et les pria d'accepter le modeste repas qu'il leur offrait. Il se plaça au milieu d'eux, auprès de la table et mangea avec eux sans mon- trer aucune timidité : il pleurait de joie et de bonheur. En le voyant, je pensai à feu mon père, pauvre paysan, qui, lors de ma prise d'habit, fut obligé de se mettre à table avec beaucoup de gens distingués. Dans sa simplicité et son humilité, il avait eu grand'peur tout d'abord, mais ensuite sa joie fut telle, qu'il en versa des larmes. — 134 — Après le repas, Joseph quitta les rois. Quelques-uns des personnages les plus distingués du cortège se ren- dirent à une auberge de Bethléem ; les autres se repo- sèrent sur les couches qu'on leur avait préparées dans la grande tente. De retour à la grotte de la nativité, Joseph déposa tous les présents au fond et à la droite de la crèche, derrière une cloison qui les masquait. La servante d'Anne, restée auprès de la sainte Vierge, s'était retirée, pendant toute la cérémonie ; elle ne re- parut point qu'ils n'eussent tous quitté la crèche. Elle était modeste et grave. Je ne vis ni la sainte famille, ni cette servante, regarder les présents des rois avec une satisfaction mondaine. Tout fut accepté avec humilité et distribué avec charité. Pendant que les rois, pleins de ferveur et de joie, offraient leurs présents et leurs hommages à Jésus dans sa crèche, je vis, dans les environs de la grotte, quel- ques Juifs chargés d'espionner ; ils murmuraient ensem- ble ; ensuite ils allaient et venaient pour faire des rap- ïjorts. Je pleurai amèrement sur ces malheureux. Oh ! combien me font souffrir ces méchantes gens qui, alors comme aujourd'hui, quand le Sauveur s'approche des hommes, se tiennent là, épiant et murmurant ; puis, dans leur fureur, s'en vont partout répandre leurs men- songes impies. Ah ! combien de larmes dois-je verser sur ces hommes misérables ! Ils ont le salut si près d'eux, et ils le repoussent, tandis que ces bons rois, pleins de foi et de confiance dans les promesses, ont fait tant de chemin pour le trouver. Oh ! comme je plains ces hommes durs et aveugles (1) ! A Jérusalem, ce même jour, Hérode lut encore dans des rouleaux, et parla avec des scribes de ce qu'avaient dit les rois. Plus tard tout redevint calme, comme si l'on eût voulu entièrement assoupir cette affaire. (1) L'incrédulité future des Juifs en face de la foi des Gentils «si ici prophétiquemoni représentée. « Paix sur la terre aux hommes do bonne volonté ! » — 135 — CHAPITRE XXVI Adieux des rois à la sainte crèche. Le kndemain matin, les rois et quelques hommes de leur suite visitèrent, les uns après les autres, la sainte famille. Je les vis aussi, pendant toute la journée, au- près de leur tente et de leurs bêtes de somme, occupés à distribuer beaucoup de présents, comme cela se faisait toujours lors d'événements heureux. Des bergers, pour avoir rendu des services aiux gens du cortège, furent largement récompensés. Plusieurs pauvres reçurent des aumônes ; je vis que l'on mettait des couvertures sur les épaules de pauvres vieilles femmes toutes courbées, et qui, à grand'peine, s'étaient glissées jusque-là. Quel- ques serviteurs des rois, se plaisant dans la vallée, vou- lurent y rester auprès des bergers. Ils en demandèrent la permission à leurs maîtres, qui la leur accordèrent, et leur firent de riches présents. Ils reçurent des cou- vertures, des ustensiles, de l'or en grain et les ânes qu'ils avaient montés. Il vint aussi de Bethléem une foule de gens. Les uns sollicitèrent des dons, d'autres fouillèrent les bagages, exigeant des droits sous diffé- rents prétextes. Le soir, les rois se rendirent à la crèche pour prendre congé de la sainte famille. Mensor y alla seul d'abord. Marie lui mit l'enfant Jésus dans les bras : il était ravi de joie et pleurait. Après lui vinrent les deux autres rois, ils versèrent aussi des larm.es. Cette dernière visite fut accompagnée de riches' présents, tels que des pièces de diverses étoffes, de la soie écrue, des draps roux et de très belles couvertures. Ils laissèrent en outre leurs grands manteaux d'un jaune pâle, faits d'une laine extrêmement fine, et si légers, que le moin- dre souffle les agitait. I — 136 — Au moment où ils se disposaient à quitter la grotte, la sainte Vierge était debout, tenant dans ses bras l'en- fant Jésus sous son voile. Elle fit quelques pas pour re- conduire les rois vers la porte ; là elle s'arrêta, et, pour donner un souvenir à oes excellents hommes, elle se dé- pouilla elle-même du grand voile d'étoffe jaune et lé- gère, qui l'entourait et dont elle enveloppait aussi l'en- fant Jésus ; elle 1-e présenta à Mensor. Ils reçurent ce don en s'inclinant profondément, et une joie respec- tueuse fit battre leurs cœurs, quand ils virent devant eux sans voile la sainte Vierge avec le petit Jésus. Quelles douces larmes ils répandirent au sortir de la grotte I Ce voile fut dès lors leur plus sainte et plus précieuse reliqu«. La sainte Vierge recevait les présents sans regarder à la valeur des choses ; et pourtant, dans sa touchante humilité, elle témoignait aux personnes une vértiabîe reconnaissance. Pendant cette merveilleuse visite, je n'aperçus en elle aucun retour complaisant sur elle- même. Seulement à l'arrivée des saints rois, par amour pour l'enfant Jésus et par commisération pour saint Joseph, elle s'abandonna naïvement à l'espoir qu-e désormais ils trouveraient un meilleur accueil à Beth- léem, et ne seraient plus traités avec ce mépris qui avait causé à, saint Joseph une tristesse, une confusion dont elle était tout affligée. Quand les rois se retirèrent, il faisait nuit, et la lampe était déjà allumée dans la grotte. Ils se rendirent aussitôt, avec leur suite, souis le grand térébinthe qui surmontait 1-e tombeau de Maraha, pour y accomplir, comme la veille, leur culte religieux. Lorsque les étoiles se furent levées, ils prièrent et chantèrent. Les voix des^ enfants faisaient un effet émouvant dans ce chœur mé- lodieux. Ils retournèrent ensuite à leur tente, où Joseph leur avait encore préparé un frugal repas, après lequel quelques-uns se rendirent à Tauberge de Bethléem, et d'autres se reposèrent sous la tente. — 137 — Vers minuit, comme les rois dormaient sur des tapis, je vis apparaître au milieu d'eux un jeune homme res- plendissant : c'était un ange. Il les éveilla et leur dit de partir sur-le-champ pour leur pays, de s'en aller en côtoyant la mer Morte, et d'éviter ainsi Jérusalem. Ils se levèrent promptement et firent lever leur suite, puis l'un d'eux alla à la crèche prévenir Joseph. Celui-ci se hâta d'aller à Bethléem pour avertir ceux qui s'y trou- vaient logés. Mais ils avaient été prévenus par la même apparition, et il les rencontra à mi-chemin. Tan- dis que les rois faisaient de nouveau les adieux les plus touchants à saint Joseph, devant la grotte de la crèche, leur suite partait déjà, en toute hâte, dans la direction du midi, par le chemin qui longeait la mer Morte et traversait le désert d'Engaddi. Les rois sollicitèrent vivement la sainte famille de partir avec eux pour éviter le danger qui, sans aucun doute, la menaçait pareillement ; ils ajoutèrent que Marie devait au moins se cacher avec l'enfant ; ils crai- gnaient qu'elle ne fût inquiétée à cause d'eux. Ils em- brassèrent saint Joseph en lui disant adieu, et pleu- rèrent comme des enfants ; puis ils montèrent leurs dromadaires, légèrement chargés, et prirent d'un pas rapide la direction du désert. Je vis, auprès d'eux, dans la plaine, l'ange qui leur montrait le chemin. Bientôt ils disparurent. CHAPITRE XXVII Mesures prises par les autorités de Bethléem contre les Rois. L'ange avait averti les rois à temps, car les autorités de Bethléem avaient résolu de les faire arrêter ce même Jour, de les emprisonner dans de profonds caveaux — 138 -r placés sous la synagogue, et de les accuser comme des perturbateurs du repos public. Je ne sais si c'était par suite d'ordre secret d'Hérode ; mais je pense plutôt que c'était par zèle pour son service. Lorsqu'on apprit leur départ à Bethléem, ils étaient déjà près d'Engaddi, et la vallée où ils avaient dressé leur tente était calme et solitaire, comme avant 1-eur séjour, dont il ne restait d'autres traces qu'un peu de gazoïl^^oulé et quelques pieux. Cependant l'arrivée des trois rois avait fait du bruit à Bethléem. Beaucoup do gens se repentaient de ne pas avoir voulu recevoir saint Joseph ; d'autres parlaient des rois comme d'aveia- turiers exaltés et extravagants ; d'autres enfin rappor- taient leur arrivée à l'apparition qu'avaient eue les bergers. Les autorités de la ville crurent devoir prendre alors des mesures. Elles convoquèrent tous les habitants sur une place, près de la synagogue, devant une grande maison ; là, du haut d'un perron, on lut un avertisse- ment qui défendait de propager des bruits supers- titieux, et de visiter dorénavant les gens qui avaient donné lieu à ces diverses rumeurs... Après quoi la multitude se retira. Joseph aussitôt fut mandé, dans cette même maison, et interrogé par de vieux Juifs. A peine de retour à la crèche, il se rendit de lui-même au tribunal, emportant un-e part de l'or qu'il avait reçu des rois, et il donna cet or aux interrogateurs, qui sans hésitation le laissèrent aller. Toute cette enquête me paru-t aboutir à une extor- sion. Les autorités, de plus, firent fermer d'une bar- rière un chemin de la grotte qui ne passait point par la porte de la ville. Ils mirent à la barrière une senti- nelle, dans une gu-érite où ils posèrent une sonnette;, enfin ils firent tendre, sur ce sentier, des fils qui com- muniquaient avec la sonnette, pour que l'on arrêtât ceur qui voudraient aller plus loin. Joseph avait porté les présents des rois dans la grotte de Maraha et dans quelques grottes secrètes de la col- — 139 — Une, qu'il connaissait depuis sa jeunesse. Ces caveaux, solitaires existaient, dès le temps du patriarche Jacob. Il n'y avait -encore que quelques cabanes à la place d& Bethléem, lorsqu'il y dressa ses tentes, sur la colline même de la crèche. Zacharie vint, à son tour, d'Hébron, visiter la sainte famille. Marie était encore dans la grotte. Il prit l'en- fant dans ses bras en versant des larmes de joie, et récita, avec un léger changement, le cantique qu'il avait entonné, le jour de la circoncision de Jean-Baptiste. Une grande joie régnait alors dans la sainte famille. Anne, qui était revenue à la grotte, paraissait tout heureuse. Marie plaçait l'enfant Jésus dans ses bras, permettant qu'elle lui donnât des soins, ce que je ne lui vis faire pour aucune autre personne. Je m'aperçus avec émotion que les cheveux de l'enfant, qui étaient blonds et bouclés, se terminaient en rayons de lu- mière (l)#Je remarquai toujours, dans la sainte famille, une pieuse et sainte vénération po'ur l'enfant Jésus ;' mais tout se faisait d'une manière simple et naturelle, comme chez les saints élus de Dieu. L'enfant avait une affection, une tendresse pour sa mère que je n'ai jamais vues chez de si jeunes enfants. Marie raconta à sainte Anne tous les détails de la visite des rois, et Anne fut profondément touchée d'ap- prendre que Dieu eût appelé de si loin ces hommes, pour venir honorer l'enfant de la promesse. Elle vit les^ présents des rois, qui étaient déposés dans une cavité du rocher : elle aida à en distribuer une grande partie et à empaqueter le reste. (1) Dans la sainte Ecriture, les cheveux sont en ßffet le sym- bole des pensées, qui eont comme la végétation dp l'esprit. CHAPITRE XXVIII La sainte Famille dans la grotte de Maraha. Il vint encore à Bethléem des fonctionnaires d'Hérode, qui s'informèrent, dans plusieurs maisons, des enfants nouveau-nés. Ils accablèrent surtout de questions une Juive de grande qualité qui venait de mettre au monde un fils. Ils ne se rendirent plus à la grotte de la crè- che, où ils n'avaient trouvé précédemment qu'une fa- mille pauvre; de telles gens n'étaient pas l'objet de kurs recherches. Deux vieillards (c'étaient peut-être des bergers qui avaient adoré l'enfant Jésus) vinrent trouver Joseph, pour l'avertir de cette nouvelle enquête. La sainte fa- mille et sainte Anne se réfugièrent alors avec l'enfant dans la grotte de Maraha, Il n'y avait plus rien dans celle de la crèche qui annonçât un lieu habité. Je les vis, pendant la nuit, traverser la vallée à la lueur d'une lan- terne sourde. Anne portait l'enfant Jésus dans ses bras ; Marie et Joseph marchaient à côté d'ell-e ; les bergers les accompagnaient, chargés de couvertures et de ce qu'il fallait pour faire des lits aux saintes femmes et à l'en- fant Jésus, J'-efus, à cette occasion, une vision : j'ignore si la sainte famille l'eut aussi. Je vis, autour de l'enfant Je. sus qui reposait sur les bras de sainte Anne, une gloire formée de sept figures d'anges, placées ks unes au-des- sus des autres, et entourées de plusieurs autres figu- res. Je vis aussi, près de sainte Anne, de saint Jo&eph et de Marie, des formes lumineuses qui semblaient les conduire par la main. En partant, ils fermèrent la port/e et se rendirent tous dans la grotte du tombeau, où ils firent les arrangements nécessaires pour s'y repo- ser. — 141 — Pendant qu'ils étaient dans cette grotte, la sainte Vierge fut derechef avertie par deux bergers, que des gens, envoyés par les autorités, s'enquéraient de son enfant. Marie en fut vivement troublée ; peu après, saint Joseph vint chercher l'enfant ; il le prit, Tenve- loppa dans un manteau et l'emporta je ne me souviens plus où. La sainte Vierge resta douze heures dans la grotte, séparée de Jésus, seul« et livrée à ses angoisses ma- ternelles. Quand arriva le moment où elle devait être appelée pour allaiter son enfant, elle fit ce que les mères soigneuses font toujours, quand elles ont été agi- tées par quelque émotion violente : elle exprima de son sein le lait qu'avait pu altérer son inquiétude. Il se ré- pandit dans la cavité d'un banc de pierre, formé natu- rellement sur le sol de la grotte. Elle en parla à un des bergers, homme pieux et grave, qui était venu pour la conduire auprès de son enfant. Celui-ci, profondément convaincu de la sainteté de la mère du Sauve-ur, re- cueillit plus tard avec soin le lait virginal que la pierre avait conservé, et, plein de foi, il le porta à sa femme, qui ne pouvait pas suffire à nourrir son enfant. La bonne f<3mme prit cet aliment sacré avec une entière confiance et sa foi fut récompensée, car, dès cette heure, elle eut un lait abondant. La pierre blanche de cette grotte r-eçut une vertu semblable, et de nos jours encore j'ai vu, même des infidèles, des mahométans, s'en servir comme d'un remède infaillible en pareille occasion. Depuis des siècles cette terre, épurée et pressée dans de petits moules, a été répandue dans la chrétienté comme un objet de dévotion. Ces reliques portent l'éti- quette. De lacté sanctissimœ Virginis Mariœ. Du laii de la très sainte 'Vierge. — 142 — CHAPITRE XXIX Fête commémorative du mariage de la sainte Vierg«. Joseph ne se tint pas caché dans la grotte de Maraha. -Il fit, avec les deux bergers, plusieurs arrangements -dans celle de la crèche. Les bergers y portèrent des guirlandes de feuillage et de fleurs; j'ignorais d'abord dans quel but, mais je vis bientôt que c'étaient les préparatifs d'une fête touchante. Joseph profitait de l'absence de la sainte Vierge pour orner, avec l'aide des bergers, la grotte de la crèche, où il voulait célébrer l'anniversaire de leur mariage. Lors- que tout fut prêt, îl alla chercher la sainte Vierge, avec l'enfant Jésus et sainte Anne, et les conduisit dans la grotte de la crèche, où se trouvaient déjà réunis Eliud, le second mari d'Anne, la servante et les trois vieux bergers. Que je fus émue de voir leurs transports de joie, au moment où la sainte Vierge apporta l'enfant Jé- sus dans la grotte ! La voûte et les parois étaient cou- vertes de guirlandes de fleurs. Au milieui il y avait une table dressée pour le repas. Le sol, le contour inférieur -de la grotte et la table étaient revêtus de belles cou- vertures données par les rois. Une pyramide de feuil- lages et de fleurs s'élevait de la table jusqu'à l'oiuver- ture de la voûte. Elle se terminait par un rameau sur lequel était posée une colombe artificielle. Toute la grotte resplendissait d'une lumière éclatante. On avait posé sur iU'n petit siège le berceau dans lequel l'enfant Jésus se tenait assis. Marie et Joseph, couronnés de fleurs, étaient à ses côtés, et buvaient à la même coupe. Outre les parents, il y avait là les vieux bergers. Pen- dant leur joyeux et frugal repas, on chanta des psau- mes, et je vis des chœurs d'anges paraître dans la — 143 — grotte. Tou'S étaient attendris jusqu'au fond de Tâme. Après la fête, la sainte Vierge retourna à la grotte du tombeau d-e Mahara, avec l'enfant Jésus et sainte Anne. Peu après je vis sainte Anne faire à la sainte famille et aux trois bergers des adieux pleins de tendresse, et partir pour Nazareth avec son mari et ses domestiques. Ils emportèrent, sur leurs bêt^s de somme, tout ce qui restait des présents des rois. CHAPITRE XXX Départ pour le temple de Jérusalem. Comme le jour approchait où la sainte Vierge devait présenter son premier-né au Temple et le racheter, selon la loi de Moïse, tout fut disposé pour le voyage de la sainte famille à Jérusalem et pour son retour à Nazareth. Déjà le dimanche, 30 décembre, au soir, les bergers avaient reçu ce que les domestiques de sainte Anne n'avaient pu emporter. Il ne restait rien, ni dans la grotte de la crèche, ni dans la grotte latérale, ni dans celle du) tombeau de Maraha, et Joseph les avait de plus fait nettoyer avec soin. Dans la nuit du dimanche au lundi, Joseph et Marie visitèrent, avec l'enfant, la grotte de la crèche, pour prendre congé de ce saint lieu. D'abord ils mirent un tapis à la place où Jésus était né, y déposèrent l'enfant et prièrent; puis ils firent de même à l'endroit où avait «u lieu la circoncision. Le lendemain, à l'aurore, la sainte Vierge se plaça sur l'âne qu-e les vieux bergers avaient amené devant la grotte. Au moment de partir, Joseph prit l'enfant, le tint jusqu'à ce que Marie fût commodément placée, et le remit ensuite entre ses bras. Elle était assise sur un siège, l^es pieds appuyés sur une planchette. Elle tenait pressé contre son cœur Jésus, enveloppé dans son grand voile, et le regardait avec bonheur. Les saints voyageurs n'emportèrent avec eux que quelques couvertures et quelques paquets, placés sur l'âne à côté de Marie. Les bergers les accompagnèrent pendant quelque temps, puis ils prirent congé d'eux avec une émotion profonde. Laissant le chemin par lequel elle était venue, la sainte famille passa entre la grotte de la crèche et celle du tombeau de Maraha, en longeant Bethléem à l'orient. Personne ne les aperçut. Ils ürent lentement le trajet de Bethléem à Jérusalem, et quoiqu'il fût court, ils s'arrêtèrent néanmoins sou- vent. L'offrande que la sainte Vierge devait faire qju Temple était dans une corbeille, suspendue au bât de l'âne et divisée en trois compartiments : deux conte- naient des fruits, et le troisième deux colombes que l'on voyait à travers un couvercle à claire voie. Le soir étant venu, ils s'arrêtèrent à environ un quart de lieue en avant de Jérusalem, dans une petite maison habitée par de vieilles gens qui leur firent l'ac- cueil le plus affectueux. C'étaient des Esséniens, pa- rents de J-eanne Chusa. Le mari s'occupait de jardinage, taillait les haies et était employé à un service qui avait rapport aux chemins. La sainte famille passa chez ces vieilles gens toute la journée suivante. La sainte Vierge resta presque tout le temps dans sa chambre, seule avec son enfant, qui reposait sur un tapis. Elle priait sans relâche, se préparant à la cérémonie qui devait avoir lieu. J'eus à cette occasion des avertissements sur la manière dont il faut se préparer à la communion (1). Je vis appa- raître, dans la chambre, plusieurs anges qui adorèrent (1) L'offrande de Jésus au temple préludait au sacrifice de la nouvelle loi, et le saint Enfant au bras de Siméon représentait le don ineffable de Dieu au cœur de l'homme dans la sainte communion. — 145 — î'enfant Jésus. Je ne sais pas si la sainte Vierge les vit, mais je le pense, car elle était très émue. Les bons vieillards se montrèrent on ne peut plus prévenants envers la sainte Vierge : il me parut qu'ils avaient un pressentiment de la sainteté de l'enfant Jésus. Le soir, j'eus une vision sur Siméon. C'était un homme très âgé, maigre, avec fune barbe courte. Il était prêtre, avait une femme et trois fils, dont le plus jeune sem- blait avoir vingt ans. Je le vis se rendre de sa maison, contiguë au Temple, à une petite cellule voûtée, prati- quée dans l'épaisseur du mur du sanctuaire, et percée d'iune ouverture par laquelle on avait vue sur l'intérieur du Temple. Siméon s'agenouilla pour prier, et bientôt il fut ravi en extase. Un ange lui apparut alors, et lui dit que l'enfant qui le lendemain serait présenté le premier était l^e Messie, après lequel il avait si long- temps soupiré. Il lui révéla de plus, qu'après l'avoir vu il ne tarderait pas à mourir. La cellule était remplie de lumière, et le saint vieillard tout rayonnant de joie. Il retourna promptement dans sa maison, et raconta avec des transports de bonheur à sa femme ce qui lui avait été annoncé. Lorsque celle-ci se fut retirée pour dor- mir, il se mit de nouveau à prier. La prophétesse Anne, qui était en prière à côté du Temple, eut aussi une vision sur la présentation de l'enfant Jésus. CHAPITRE XXXI Purification do la sainte Vierge et présentation de Notre-« Seigneur au Temple. Le lendemain, à l'aube du joiur, la sainte famille et ses hôtes se rendirent au Temple. Ils entrèrent d'abord dans une cour voisine du lieu saint. Pendant que Joseph mettait l'âne sous un hangar, une femme âgée accueillit avec bonté la sainte Vierge et la conduisit du «^ Ï46 — îjôté du Temple, par un passage couvert. A peine furent- i elles entrées dans ce passage, que le vieux Siméon vint [au-devant de Marie. Les paroles qu'il lui adressa expri- jmaient la joie dont son âme était remplie. Il prit un instant l'enfant entre ses bras, et se hâta ensuite de ! retourner au Temple par un autre chemin. L'avertis- sement de Fanage lui avait inspiré un si ardent désir de Voir l'enfant après lequel il avait si longtemps soupiré, qu'il s'y était rendu d'avance pour attendre son arrivée, 'il était revêtu de la longue robe que les prêtres por- taient, quand ils n'exerçaient pas leurs fonctions. Prêtre 'lui-même, quoique d'un rang inférieur, il ne se distin- guait que par sa simplicité, sa piété et ses lumières. La sainte Vierge fut conduite, par son guide, jusqu'au parvis où devait avoir lieu la présentation de l'enfant, et où l'attendaient Anne et Noémi, son ancienne maî- tresse. Siméon, accouru une seconde fois au-devant d'elle, l'introduisit à l'endroit où se faisait le rachat des premiers-nés ; Anne, à laquelle Joseph donna la cor- beille de l'offrande, la suivait avec Noémi. Joseph alla prendre sa place auprès des hommes. On savait, dans le Temple, que plusieurs femmes devaient venir présenter leurs premiers-nés ; tout était donc préparé. Des lampes, allumées et réunies en forme de pyramides, étaient suspendues aux murs du lieu de la cérémonie. Elles avaient des becs d'or qui brillaient presque autant que la flamme qui en sortait. Devant une espèce d'autel, dont les coins se termi- naient en cornes, plusieurs prêtres avaient placé un coffre de forme quadrangulaire, pour en faire une table, à l'aide d'une grande plaque qu'ils mirent par-dessus. Ils étendirent une couverture rouge, puis une couver- ture blanche transparente, qui pendait de tous côtés jusqu'à terre. Aux quatre coins de la table, ils placèrent des candélabres, et au milieu un berceau avec deux plats ovales et deux petites corbeilles. A droite et à gauche de cette partie du Temple, on voyait deux rangs - 147 - de stalles dont l'U'ii était plus élevé que l'autre, et où se tenaient des prêtres en prières. Alors Siméon s'approcha de la sainte Vierge, dans les bras de laquelle reposait l'enfant Jésus, enveloppé d'une étoffe bleu de ciel, et la conduisit à la table des offrandes, où elle déposa Fen- fant dans le berceau. A ce moment, le Temple me parut rempli d'une lumière éblouissante : je vis que Dieu y était, et qu'au-dessus de l'enfant les cieux étaient ou- verts jusqu'au trône de la sainte Trinité. Puis Siméon reconduisit la sainte Vierge à la place réservée aux femmes et entourée d'une grille. Marie portait une robe bleu de ciel, un voile blanc, et un long manteau jaune clair qui l'enveloppait tout entière. Siméon et les trois autres prêtres s'habillèrent pour la cérémonie. Ils avaient au bras comme de petits bou- cliers, et sur la tête une barrette bifurquée. L'un d'eux se tenait derrière la table des offrandes, un autre devant, deux autres de chaque côté, et tous priaient sur l'en- fant. La prophétesse Anne s'approcha alors de Marie, Ixii donna la corbeille qui contenait les fruits et les co- lombes, et la conduisit à la grille placée devant la table de l'oblation. Puis Siméon, qui se tenait là debout, ouvrit la grille, conduisit Marie devant la table, et y plaça son offrande. Les fruits furent déposés dans un des plats ovales, les pièces de monnaie dans l'autre, et les colombes furent laissées dans la corbeille. Pendant que Siméon se tenait avec Marie devant l'autel des offrandes, le prêtre, qui était debout der- rière l'autel, prit l'enfant Jésus, l'éleva en l'air, en le tournant vers les quatre côtés du Temple (1). Après avoir prié longtemps, il le donna à Siméon, qui le remit aux bras de Marie et lut plusieurs prières, dans un rouleau placé à côté de lui sur un pupitre. (1) On présentait ainsi dèa lors au Seigneur, en forme de croix, les ofFrandf^3 et les victimes immolées ; de même qu'aujourd'hui eTicnr<^ le nrêtre offre la sainte hostie, à l'offertoire de la messe, •n forme de croix. — 143 — Enfin Siméon reconduisit la sainte Vierge à la grille, d'où elle fut ramenée à la place des femmes, par Anne, qui l'attendait là. Une vingtaine de mères se disposaient aussi à présenter leurs nouveau-nés. Alors les prêtres commencèrent à l'autel un service d'encensements et de prières, auquel ceux qui se trouvaient sur les sièges s'unirent par quelques gestes. Après cette cérémonie, Siméon revint vers Marie, reçut d'elle-même l'enfant Jésus dans ses bras, et, tout rayonnant de joie, parla longtemps de lui en termes très touchants. Il loua Dieu, qai avait accompli sa promesse, et dit entre autres choses : « Maintenant, Seigneur, laissez, selon votre parole, votre serviteur s'en aller en paix, puisque mes yeux ont vu le Sauveur qui vient de vous ; que vous avez préparé à la face de tous les peuples, po^ur être la lumière qui doit éclairer les nations et la gloire de votre peuple Israël. » Joseph, après la présentation, était venu rejoindre -Marie. Comme elle, il écouta avec un profond respect les paroles inspirées de Siméon, qui les bénit tous deux et dit à Marie : « Celui-ci a été établi pour la ruine et pour la résurrection d'un grand nombre en . Israël et comme un signe de contradiction ; un glaive traversera votre âme elle-même, afin que les pensées de beaucoup de cœur soient révélées. » Après Siméon, la prophétesse Anne, aussi inspirée parla longtemps de l'enfant Jésus et appela sa mère bienheureuse. Ces choses ne causèrent aucun trouble ; tous les assistants, y compris les prêtres, les écoutèrent,- au contraire, avec une grande émotion. Il semblait que ces prières inspirées n'eussent rien d'inacco'utumé, et que tout dût se passer ainsi. Tous témoignèrent du plus profond respect pour l'enfant et sa mère. Marie brillait comme une rose céleste. La sainte famille avait extérieurement présenté l'of- frande la plus pauvre, mais Joseph donna secrètement à Siméon et à Anne plusieurs pièces d'or, en faveur 1 — 149 — surtout des pauvres vierges élevées dans le Temple, eî hors d'état de payer les frais de leur entretien. Ls sainte Vierge, ayant dans ses bras l'enfant Jésus, fui reconduite par Anne et Noérni dans le parvis, où elles se dirent adieu. Joseph y était déjà avec ses deux hôt-es,; il avait amené l'âne sur lequel Marie monta avec l'en- fant. Ils quittèrent aussitôt le Temple et traversèrent Jérusalem pour se rendre à Nazareth., Je n'ai pas vu la présentation des autres premiers- nés ; mais j'ai la certitude que tous reçurent des grâces particulières, et que plusieurs d'entre eux périrent au massacre des Innocents. Siméon était parent de Séraphia, qui reçut le nom de Véronique, et aussi de Zacharie, par le père de Séra- phia. Revenu chez lui après la présentation de Jésus, il tomba aussitôt malade. Cependant il ne cessa pas de témoigner la plus grande joie dans ses entretiens avec sa femme et ses fils. Sur son lit de mort, il leuT adressa des exhortations ; il leur parla, avec une gravité et une joie touchantes, du salut d'Israël et de tout ce que l'ange lui avait annoncé. Il mourut paisiblement, et sa famille le pleura en silence. Beaucoup de prêtres et de Juifs prièrent sur son cercueil. CHAPITRE XXXII Vision symbolique sur la fête de la Chandeleur. Voici la vision que j'ai eue, touchant la fête de la Chandeleur. Je vis une fête dans l'église diaphane, pla- nant au-dessus de la terre, qui me représente l'Eglise catholique tout entière, renfermant en elle toutes les églises particulières. Elle était pleine de chœurs d'ange? qui entouraient la très sainte Trinité. Je vis la seconde personne de la Trinité, comme l'enfant Jésus, présent! '^ 15Ö — et racheté au Temple, et -en même temps présent aussi dans la très sainte Trinité. Je vis près de moi Tappa- rition du Verbe incarné, l'enfant Jésus, mais uni à la Trinité sainte par une voie lumineuse. Je ne puis pas dire qu'il ne fût pas là, pendant qu'il était auprès de moi ; je ne puis pas dire non plus qu'il ne fût pas au- iprès de moi, pendant qu'il était là ; cependant, au moment où je sentis vivement la présence de l'enfant Jésus auprès de moi, je vis la figure sous laquelle m'était montrée la sainte Tirnité, autrement que lorsqu'elle m'est présentée comme l'image de la Divi- nité, dans des circonstances ordinaires. Je vis paraître un autel au milieu de l'église. Ce 'n'était pas un autel, comme nous en voyons dans nos églises, mais un autel idéal. Sur cet autel, je vis un petit arbre avec de larges feuilles pendantes, d-e l'espèce de l'arbre de la science du bien et du mal, qui était dans l'Eden. Je vis ensuit^e la sainte Vierge, avec l'en- fant Jésus dans ses bras, se lever du. fond de la terre devant l'autel, et l'arbre, qui était sur l'autel, se pen- cher devant -elle et se flétrir. Puis je vis un ange en vêtements sacerdotaux, couronné d'un simple anneau, s'approcher de Marie. Elle lui donna l'enfant, qu'il plaça sur l'autel ; au même instant je vis l'enfant s'ab- sorber dans l'image de la sainte Trinité, qui alors m'apparut de nouveau sous sa forme ordinaire. Je vis l'ange donner à la mère de Dieu un petit globe brillant, sur lequel était la figure d'un enfant emmaii- iotté, et Marie planer avec ee globe au-dessus de i'autel. De tous les côtés je vis venir à elle une foule de mains avec des lumières, qu'elle donna toutes à l'en- fant placé sur le globe, et dans lequel elles fui'ent ab- sorbées. De toutes ces lumières je vis se former, au- dessus de Marie et de l'enfant, une seule lueur splendide qui illuminait tout. L'ample manteau de Marie s'éten- dait sur toute la terre. A la fin, l'image se transformait «n une célébration de fête. - 151 - Je crois que le dépérissement de l'arbre de la science, lors de l'apparition de Marie et de l'absorption d-e l'en- fant sur l'autel dans la sainte Trinité, devait être u^ne image de la réconciliation des hommes avec Dieu. €'-est pourquoi je vis toutes les lumières particulières présentées à la Mère de Dieu, et remises par elle à l'en- fant Jésus, vraie lumière illuminant tous le? hommes, et dans lequel toutes les lumières particulières sont devenues une seule et même lumière qui éclaire le monde entier, représenté par ce globe. Les lumières présentées signifiaient la bénédiction des cierges à la fête de la Chandeleur (1). CHAPITRE XXXIII Retour à Nazareth. Marie et Joseph, pour retourner à Nazareth, prirent un chemin plus direct que celui par lequel ils étaient venus à Bethléem, évitant alors les villes et n'entrant que dans des maisons isolées. Joseph avait laissé chez son parent la jeune ânesse qui, pendant le voyage à Bethléem, lui avait montré le chemin ; car son intention était de revenir à Bethléem et de bâtir une maison dans la vallée des bergers. Il en avait parlé aux bergers, disant qu'il voulait seulement que Marie passât quelque temps chez sa mère pour se remettre des fatigues de son voyage. C'est pourquoi il avait aussi laissé " ploi- sieurs choses chez eux. Pendant ces jours-là, je vis les trois saints rois s'ar- rêter sur les bords d'un fleuve pour célébrer une fête. Au commencement, ils avaient voyagé très vite ; mais (1) Dans ce mystère de la Présentation qui fut le principe du •acrifice de Jésus-Christ, nous devenons tous en lui une seule et même lumière, par notre purification personnelle et notre union à son sacrifice ; préparation r_éce?saire de la très sainte commu» CiOQ. — 152 — depuis cette station ils allèrent beati-coup plus lentenient qu'auparavant. J'aperçus toujours à la tête de leur cor- tège un jeune homme resplendissant qui leur parlait quelquefois. Lorsque les deux époux et le divin enfant furent ar- rivés dans la maison d'Anne, à une demi-lieue de Na- zareth, on donna une petite fête de famille, comme lors du départ de Marie pour le Temple. Tous se réjouirent beaucoup de voir Jésus ; mais leur joie était calme et tout intérieure. Je n'ai jamais rien remarqué de très passionné dans tous ces saints personnages. Je vis ensuite la sainte Vierge et sainte Anne, qui portait l'enfant Jésus, se rendre dans la maison de Jo- seph, à Nazareth, par un chemin très agréable, entre des collines et des jardins. Anne envoyait à Nazareth des vivres pour Joseph et Marie. Comme chaque chose est touchante dans la sainte famille ! Marie est la mère la plus tendre et en même temps la servante la plus soumise du saint en- fant ; elle est aussi la servante de saint Joseph. Joseph est pour elle l'ami le plus dévoué et le serviteur le plus humble. Combien je suis touchée de voir la sainte Vierge remuer et soigner le petit Jésus, aussi inca- pable de se mouvoir qu'un enfant ordinaire ! Quand on pense que c'est là le Dieu d'amour qui a créé le monde î Ah ! combien nous semble alors affreuses la dureté, la froideur et l'obstination des hommes indifférents ou incrédules ! Sainte Anne et sa fille aînée étaient souvent chez la sainte Vierge. La fille d'Anne avait avec elle un petit garçon très robuste, âgé de quatre à cinq ans : c'était son petit-fils, le fils aîné de sa fille Marie. Quand je les voyais assises ensemble, causant familièrement, jouant avec l'enfant Jésus, l'embrassant et le mettant dans les bras du petit garçon, absolument comme cela se passe- rait de nos jours, je me disais à moi-même: « Oh I les femmes sont toujours les mêmes î » — 153 — CHAPITRE XXXIV Fuite en Egypte. Pendant le séjour à Nazareth d'Anne et de sa fille aînée, comme elles venaient de se retirer pour dormir, l'ange avertit Joseph. La chambre de Marie était à droite du foyer ; celle de sainte Anne, à gauche ; celle de la fille aînée d'Anne, entre la chambre de sa mère et celle de Joseph. Des cloisons de branches d'arbres entrelacées séparaient les diverses chambres, La couciie de Marie était en outre séparée par un rideau du reste de la cellule. L'enfant Jésus reposait à ses pieds sur un tapis. Joseph dormait la tête appuyée sur son bras. Tout à coup je vis un jeune homme resplendissant s'appro- cher de sa couche et lui parler. Joseph se souleva, mais, accablé qu'il était par le sommeil, il retomba aus- sitôt. L'ange alors, le saisissant par la main, le réveilla tout à fart. Joseph se leva, et l'ange disparut. Joseph alla d'abord allumer sa lampe à celle qui brûlait devant le foyer ; puis il frappa à la porte de la sainte Vierge, et demanda si elle pouvait le recevoir. Je le vis entrer et parler avec Marie, qui n'ouvrit pas le rideau placé devant sa couche ; puis il alla dans l'écurie où était son âne, et arrangea tout pour le départ (1). La sainte Vierge se leva aussitôt et s'habilla. Elle alla ensuite apprendre à sa mère l'avertissement de Dieu. Alors sainte Anne et sa fille aînée se levèrent. Soumises à la volonté du Seigneur, ces pieuses personnes pré- parèrent tout pour le voyage, avant de se livrer à la tristesse des adieux. Elles firent un paquet des choses (1) La sœur fait ailleurs cette réflexion : « Lorsque l'ange en- joignit à saint Joseph de s'enfuir en Egypte avec Jésus et Marie il ne s? préoccupa point de trouver un logement, mais il obéit Biniplemout et se mit en roule. » — 154 — les plus nécessaires, qu'elles donnèrent à Joseph pour en charger l'âne. Tout se fît avec une grande prompti- tude et un très grand calme. Marie alors alla chercher son enfant, et elle se hâta tellement, qu'elle ne l'emmaillotta pas. L'heure de se séparer était arrivée ; je ne saurais exprimer la tou- chante douleur de la mère et de la sœur de Marie. Elles pressèrent, en pleurant, l'enfant Jésus contre leur cœur ; le petit garçon voulut aussi l'embrasper. Anne serra à plusieurs reprises la sainte Vierge dans ses bras, en versant des larmes amères, comme si elle ne devait phis la revoir. La sœur de Marie se jeta à terre, le visage baigné de pleurs. La sainte famille quitta la maison un peu avant mi- nuit ; Anne et sa fille aînée accompagnèrent Marie pen- dant quelque temps. Joseph la suivait avec l'âne. La très sainte Vierge portait, dans une écharpe, l'enfant Jésus, qu'elle avait enveloppé de son long manteau. Son grand voile lui tombait des deux côtés du visage et ne couvrait que le derrière de la tête. Bientôt Joseph les rejoignit avec l'âne, sur lequel étaient placées une outre pleine d'eau, et une corbeille où il y avait des petits pains, des oiseaux vivants et autres objets. Elles s'em- brassèrent encore une fois en pleurant. Après avoir reçu la bénédiction de sa mère, la sainte Vierge monta sur l'âne que menait Joseph, et ils partirent. CHAPITRE XXXV Continuation du voyage. — Jean-Baptiste conduit au désert par sainte Elisabeth. Après avoir marché toute la nuit, la sainte famille se reposa le matin sous un hangar. Vers le soir, je la vis entrer dans le hameau de Nazara, chez des gens -r. 155 — méprisés et séparés en quelque sorte de la société. Ce n'étaient pas de vrais Juifs, il y avait quelque chose de païen dans leur religion ; ils faisaient leurs dévotions au temple du mont Garizim près de Samarie. On les con- traignait à travailler, comme esclaves, au temple de Jérusalem, et à exécuter d'autres travaux publics. Ils accueillirent la sainte famille avec beaucoup de bonté ; Marie et Joseph restèrent dans leur maison tout le jour suivant. A leur retour d'Egypte, ils s'y arrê- tèrent de nouveau, et lorsque Jésus alla au temple dans sa douzième année, il ne manqua pas de les visiter. Toute cette famille se fit baptiser par saint Jean, et embrassa ensuite le christianisme. Les saints voyageurs quittèrent Nazara pendant la nuit Ils passèrent tout le dimanche et la nuit qui le suivit auprès du vieux térébinthe sous lequel ils s'étaient reposés lors de leur voyage à Bethléem, et où la sainte Vierge avait tant souffert du froid. La per- sécution d'Hérode étant connue dans ce pays, la sainta famille n'y était pas en sûreté. Un matin, je la vis faisant halte dans un pays fertile, auprès d'une source, à l'ombre d'un buisson de baume. L'enfant Jésus reposait les pieds nus, sur les genoux; de sa mère. Le buisson de baume était couvert de baies rouges, et l'on voyait à quelques-unes de ses branches des incisions d'où découlait un liquide dont Joseph remplit quelques cruches qu'il transportait avec lui. La sainte famille mangea des petits pains et des baies cueillies sur le buisson. L'âne buvait et paissait dans le voisinage. Au loin se dessinaient les collines de Jéru- salem. C'était un tableau plein de charmes. Joseph avait averti Zacharie et Elisabeth du danger qui les menaçait. Je vis Elisabeth emporter le petit Jean, dans une profonde retraite du désert situé à deux lieues d'Hébron. Zacharie les accompagna jusqu'à une rivière, qu'ils traversèrent sur une poutre, puis il se rendit à Nazareth, où probablement il voulait prendra — 156 -- «tes informations précises auprès de sainte Anne. Plu- sieurs amis de la sainte famille sont tout affligés de son fl[épart. Bien que le petit Jean n'eût que dix-huit mois, déjà sependant il courait et sautait. Son seul vêtement était^ ïine peau d'agneau ; il portait à la main un petit bâton' Slanc dont il faisait une sorte de jouet. Elisabeth tinii sache le petit Jean, dans une grotte où Madeleine se-' |ouTna après la mort du Sauveur, Elle y resta jusqu'à ce que la persécution d'Hérode ne lui parût plus à craindre. Alors elle retourna à Jutta avec son flis. Arrivés près du hameau' d'Ephraïm, à deux lieues du chêne de Mambré, Jésus, Marie et Joseph entrèrent dans une vaste grotte, située au fond d'une gorge .<«au- vage. Marie était contristée et pleurait. Ils vivaient de privations, car ils étaient obligés de prendre des che- mins de traverse et d'éviter les villes et les hôtelleried fréquentées. Ils se reposèrent tout un jour dans cette grotte, où Dieu daigna, par pluisieurs grâces, les soula- ger. Je vis une chèvre sauvage venir à eux et se laisser traire. De plus un ange leur apparut et les consola. Un prophète avait souvent prié dans cette grotte. David avait gardé, aux environs, les troupeaux de son père ; il y était, quand un ange lui apporta l'ordre de lutter contre Goliath. Après avoir quitté la grotte, la sainte famille fit sept Heues au midi, laissant toujours la mer Morte à sa gauche. A deux lieues au delà d'Hébron, elle entra dans le désert où se trouvait le petit Jean-Baptiste. Elle passa même à une très petite distance de la grotte qui lui s-ervait d'asile. Joseph et Marie étaient fatigués et lan- guissants ; ils s'avançaient péniblement dans le désert. L'outre d'eau et les petites cruches de baume étaient épuisées. La sainte Vierge, tout attristée, avait soif ; Jésus avait soif aussi. Ils se détournèrent un peu du cliemin, se dirigeant vers un tertre situé plus bas et eu ils voyaient des buissons et du gazon desséché. — 157 — 'Marie, avant d'y arriver, descendit de l'âne et s'assit par terre. Elle tenait l'enfant dans ses bras et priait. Pendant que la sainte Vierge demandait ainsi de l'eau à Dieu comme Agar dans le désert, un spectacle dont je fus très émue s'offrit à moi. La grotte d'Elisabeth et de son enfant n'était pas loin, et je vis le petit Jean, plein d'inquiétude et de désir, errer parmi des brous- sailles et des pierres à peu de distance de la caverne. Je n'aperçus point ËIîsaBeth, La vue de ce petit enfant courant d'un pas assuré dans cette solitude, faisait une vive et touchante impression. Il avait tressailli dans le sein de sa mère à l'approche de son Seigneur, et à ce moment il était excité par la présence de son Sauveu^r souffrant de la soif. Les épaules couvertes d'une peau d'agneau, il tenait à la main son petit bâton au bout duquel flottait une bandelette d'écorce. Il sentait que Jésus passait et qu'il avait soif ; il se jeta à genoux et cria vers Dieu les bras étendus, puis il se leva soudai- nement, courut, poussé par l'Esprit, jusqu'au bord du rocher, et frappa avec son bâton le sol, d'où jailLtt aussitôt une source abondante. Jean »suivit l'eau jU'S- qu'à l'endroit d'où elle descendait en cascade ; là iV s'arrêta, et vit dans le lointain la sainte famille qui passait (1). La sainte Vierge leva l'enfant Jésus en l'air, et, éten- dant la main, elle dit : « Voilà Jean dans le désert ! » Jean regarda avec joie l'eau qui se précipitait du haut de la roche, salua en agitant sa banderole, et retourna dans sa retraite. Peu après, le ruisseau, coTtlant dans la plaine, s'ap« procha des voyageurs. Ils s'étaient mis en marche, et ils s'arrêtèrent pleins d'émotion et de joie auprès de (1) Cette action présente nn symbole de tonte la vie dn Pré- cîurseur. fl devait aussi plus tard frapper le rocher, les cœur» plus durs que la pierre, et en faire jaillir les eaux salutaires de la pénitence, pour apaiser la soif que le Sauveur avait dn salut des hommes — 158 — buissons et de gazons desséchés. Marie descendit en- core de l'âne avec Tenfant et s'assit sur l'herbe ; Joseph creusa à quelque distance un petit réservoir qui se remplit d'eau. Dès qu'elle fut limpide, tous trois en burent, et, Marie y baigna son enfant ; ils se lavèrent les mains, les pieds et le visage. Joseph, après avoir rempli son outre, abreuva l'âne. Ils étaient heureux et pénétrés de reconnaissance. Le gazon, rafraîchi par l'eau, se redressa, et le soleil sembla briller avec un éclat nouveau. Pendant deux ou trois heures ils jouirent là d'un repos heureux et profond. CHAPITRE XXXVI Séjour chez des voleurs. Quelques jours après, je vis, par une belle nuit, la sainte famille traverser un désert sablonneux, couvert de broussailles. Il me semblait marcher avec elle. Le passage était très dangereux, car une foule de serpents, d'abord cachés sous le feuillage, s'approchaient en sif- flant, et dressaient la tête contre la sainte famille. Mais la lumière dont elle était entourée la préservait du péril. Il se trouvait aussi, dans ce lieu, d'autres ani- maux malfaisants qui avaient un long corps noirâtre, des pieds très courts et des ailes sans plumes, sem- blables à de grandes nageoires. Ils rasaient la terre dans leur course rapide, comme s'ils eussent volé : la forme de leur tête tenait du poisson. Je vis la sainte famille arriver au bord d'un ravin où il y avait des buissons, sous lesquels ils voulurent se reposer. J'avais grand'peur pour eux. Joseph et Marie entrèrent ensuite dans un grand dé- sert sauvage où, faute de chemin, ils ne savaient où -- 159 — tourner leurs pas. Après s'être quelque peu avancés, ils virent se dresser devant eux une sombre et effrayante chaîne de montagnes escarpées. Ils étaient très abattus, et se mirent à genoux pour implorer le secours de Dieu. Alors plusieurs animaux se rassemblèrent autour d'eux ; je crus à un grand danger ; cependant ces ani- maux n'étaient pas méchants. Au contraire, ils les regardèrent avec une sorte de douceur, comme le faisait le vieux chien de mon confesseur quand il venait à moi. Ces animaux étaient envoyés pour leur tracer la route à suivre. Ils regardaient du côté de la montagne, puis revenaient à ewx, comme fait un chien qui veut conduire son maître. Je vis enfin la sainte famille les suivre, et arriver, à travers les montagnes, dans un pays désolé et sinistre. Il faisait déjà nuit lorsque, s'avançant.le long d'^un bois, ils rencontrèrent, à quelque distance du chemin, une cabane de mauvaise apparence. Pour y attirer les voyageurs, des brigands avaient suspendu, tout auprès à un arbre, une lanterne qu'on apercevait de très loin. On y abordait par un mauvais chemin, coupé de plu- sieurs fossés, et tout le long de ses parties faciles, des fils cachés étaient tendus. Lorsque les voyageurs ve- naient à les toucher, ils faisaient tinter des sonnettes placées dans la cabane, et appelaient ainsi les brigands, qui accouraient les dévaliser. Cette cabane, ne restait pas toujours au même lieu ; elle était transportable, et les brigands l'établissaient çà et là, suivant les cir- constances. Dès que la sainte famille se fut approchée de la lan terne, elle fut aussitôt entourée par six brigands, y compris leur chef, tous animés d'abord d'intentions mauvaises. Mais, à la vue de l'enfant Jésus, un rayon de lumière frappa soudain le cœur du chef, qui or- donna à ses compagnons de ne faire aucun mal à de telles gens. La nuit était venue. Cet homme conduisit alors la T. I. — 160 — sainte famille dans sa cabane, où se trouvaient ses deux enfants et sa femme ; il leur raconta l'impression extraordinaire qu'il avait éprouvée à la vue de l'enfant. Sa femme accueillit, avec une bonté mêlée de timi- dité, les saints voyage'urs, qui s'assirent par terre, dans un coin, et se mirent à manger des provisions qu'ils avaient apportées. Leurs hôtes, d'abord timides et hon- teux, ce qui semblait assez contraire à leurs habitudes, , peu à peu se rapprochèrent. Il en vint d'autres qui, pendant ce temps, avaient abrité l'âne de saint Jo- seph. Ces gens s'enhardirent, et, s'étant assis tout au- tour de la sainte famille, ils engagèrent l'entretien. La femme du chef servit à Marie des petits pains, du miel et des fruits, lui donna à boire, sépara pour elle, par des tentures, une partie de la cabane, et lui apporta, sur sa demande, un vase plein d'eau pour baigner l'en- fant Jésus. Enfin, elle lava les langes et les fit sécher devant le feu. Pendant que Marie baignait l'enfant sous fuo linge, le chef des brigands était si ému, qu'il dit à sa femme : « Cet enfant juif n'est pas un enfant ordinaire; c'est un saint enfant. Prie la mère de permettre que nous plongions notre enfant lépreux dans l'eau où elle l'a baigné ; il en sera guéri, peut-être.. » La femme s'ap- procha donc de Marie ; mais avant qu'elle eût parlé, la sainte Vierge lui dit de laver son enfant lépreux dans cette eau. Alors la femme apporta un petit garçon d'en- viron trois ans, tout blanc de lèpre. L'eau du bain de Jésus paraissait plus claire qu'auparavant ; la femme T mit son enfant lépreux : à l'instant même les croûtes de la lèpre se détachèrent et tombèrent ; la guérison était complète. La mère, transportée de joie, voulait embrasser Marie et son enfant ; mais la sainte Vierge l'en empêcha par un signe, et lui prescrivit de creuser, dans le roc, une citerne et d'y verser cette eau, qui donnerait à la ci- terne la vertu de guérir de la lèpre. Je crois que la — 161 ~ pauvre femme promit à Marie de s'enfuir de ce lieu à la première occasion. Ces gens ne pouvaient contenir leur joie ; de nou- veaux compagnons étant venus pendant la nuit, ils leur montrèrent l'enfant, et racontèrent comment il avait été guéri. Alors toute la bande entoura la sainte famille, la regardant avec surprise. Il était d'autant plus re- marquable que ces brigands se montrassent si respec- tueux envers la sainte famille, que ce-tte même nuit ils avaient arrêté plusieurs autres voyageurs attirés par leur lanterne, et les avaient conduits dans une grande caverne au fond du bois. Cette caverne, dont l'entrée était cachée par des broassailles, paraissait être leur principal repaire. J'y vis plusieurs enfants volés, âgés de sept à huit ans, et une vieille femme qui gardait toute espèce de butin. La sainte famille partit à l'aube du jour, bien pour- vue de vivres. Le chef et sa femme les accompagnèrent jusqu'au bon chemin. Ils prirent congé des saints voyageurs avec beaucoup d'émotion, et l'homme dit du fond du cœur : « Souvenez-vous de nous en quelque lieu que vous vous trouviez. » A ces paroles j'eus, tout à coup, une vision du crucifiement, et j'entendis le bon larron dire à Jésus : <( Souvenez-vous de moi, quand vous serez dans votre royaume. )> Je reconnus que c'était l'enfant guéri de la lèpre (1). La femme du chef des brigands quitta plus tard sa vie coupable et s'éta- blit en l'une des stations de la sainte famille, où avait jailli une source qui avait fait pousser un jardin d'ar- bres à baume. Plusieurs braves gens se fixèrent dans ce même lieu. (1) Ainsi le Rédempteur, après s'être baigné dans son sang, devait, par ce bain salutaire, guérir de la lèpre de l'âme ce même enfant du voleur, ce fils de l'humanité déchue, dont il voulait faire les prémices de ses élus. On remarquera souvent ces ad- mirables rapports symboliques entre l'enfance et la vîe publique dn Sauveur. V. — 162 — CHAPITRE XXXVII Entrée en Egypte. — Chute de l'idole d'Héliopolis. Après avoir quitté la cabane des brigands, la sainte famille ne sut bientôt plus quelle direction prendre. Alors le chemin leur fut indiqué par un miracle plein de grâce. Devant eux sortit de terre la plante appelée rose de Jéricho, qui porte de petites fleurs au milieu de fouilles frisées. Ils s'avancèrent, pénétrés de joie; le même fait se renouvela tout le temps qu'ils furent dans le désert. Il fut révélé à la sainte Vierge que, dans les temps futurs, les gens du pays viendraient cueil- lir ces fleurs pour les vendre aux voyageurs étran- gers (1). Je vis qu'en effet cela eut lieu dans la suite. Ils arrivèrent enfin au territoire égyptien. De gran- des prairies, où paissaient des troupeaux, se déployé« rent à leur vue. J'y aperçus des arbres, auxquels étaient suspendues des idoles, enveloppées à la manière des enfants : elles étaient couvertes de lettres et de figu- res. Tout près de là je vis des hornmes gros et trapus, habillés à la façon de ces fileurs de coton que j'avais remarqués dans le pays des trois rois. Ils venaient rendre hommage aux statues. La sainte' famille entra dans une étable ; le bétail en sortit pour lui faire place. Elle était privée de toute nourriture, et personne ne songea à lui en offrir. Leur misère était complète l Marie ne pouvait presque allaiter l'enfant Jésus. Enfin quelques bergers vinrent abreuver leurs troupeaux, et, vaincus par les pressantes sollicitations de saint Jo- seph, ils lui donnèrent un peu d'eau, (1) Le désert même de l'Egypte, sanctifié par les pas de Jésus et de Marie, devait plus tard se couvrir de fleurs; la solitude, fécondée par la parole de vie et lea prières de la très sainte Vierge, devait germer et fructifier en vertus et en exemples de sainteté; et lea pnr. -i de la vie érémitique se répandre sur les étrangers jusque dans les contrées les plus lointaines. — 163 — . Les saints voyageurs traversèrent un bois, en se traî^- nant péniblement. A peine en étaient-ils sortis, qu'ils virent un palmier très élancé dont la cime était cou- verte de dattes. Marie s'en étant approchée, pria et leva l'enfant en l'air ; alors l'arbre, comme s'il eût voulu s'agenouiller, courba sa tête devant eux, de manière qu'ils purent cueillir tous ses fruits ; après quoi il. resta dans cette position. Depuis la dernière station, plusieurs vagabonds sui- vaient la sainte famille, et Marie donna des dattes à des enfants nus, qui couraient après elle. A un quart de lieue du palmier, ils arrivèrent à un grand syco- more, d'une grosseur extraordinaire. Comme il était creux, ils s'y cachèrent, et échappèrent ainsi aux gens qui les suivaient. Cet arbre leur servit de gîte pour la nuit suivante. Le lendemain, ils coiïîïnuèrent leur marche à travers un désert sablonneux. Depuis longtemps ils manquaient d'eau, mais la sainte Vierge implora Dieu. Aussitôt une source abondante jaillit à côté d'elle, et arrosa le terrain d'alentour. Ils se rafraîchirent ; Marie lava l'en- fant ; Joseph abreuva Tâne et remplit son outre. Des lézards énormes et des tortues s'approchèrent aussi pour se désaltérer. Ils ne firent pas de mal à la sainte famille et la regardèrent même avec un air de douceur. Le terrain qu'arrosait cette source fut merveilleuse- ment béni. Bientôt il se couvrit de verdure et d'arbres à baume, de sorTe qu'S son retour d'Egypte la sainte famille put déjà en recueillir. Ce lieu devint plus tard célèbre comme jardin de baume. Plusieurs personnes s'y établirent, entre autres la mère de l'enfant qui avait été guéri de la lèpre (1). Joseph et Marie, s'étant rafraîchis auprès de la (1) Il est presque inutile de faire remarquer que tous ces mi- racles sont symboliques. C'est à la prière de Marie que jaillissent dans nos cœurs arides les eaux de la grâce, pour y faire gei-mer et fructifier les vertus. — 164 — source, s'avancèrent vers une grande ville, en partie -dévastée et d'une architecture singulière'. C'était Hé- Jiopolis, aussi appelée On. Denys l'Aéropagile y demeurait au temps de la mort de Jésus. Elle venait d'être dépeuplée par la guerre, et des gens de tout espèce s'y étaient établis, dans des maisons en ruines. Après avoir passé, sur un pont très élevé et très long, un -grand fleuve à plusieurs bras (le Nil), ils arrivè- rent près d'une esplanade, située devant la porte d'Hé- liopolis et entourée d'allées d'arbres. J'y remarquai une grande idole à tête de bœuf, qui tenait dans ses bras un enfant emmaillotté. Des bancs de pierre étaient disposés autour de la statue, et les gens de la ville y plaçaient leurs offrandes. Joseph fit asseoir la très sainte Vierge, tout près de là, sous un grand arbre. A peine avaient-ils pris un moment de repos, que la terre trembla et que l'idole fut renversée. Il s'ensuivit un grand tumulte parmi le peuple ; beaucoup de gens, em- ployés à la construction d'un canal, accoururent en jetant les hauts cris. Cependant un brave ouvrier con- duisit la sainte famille, en toute hâte, vers la ville. Ils -avaient déjà quitté le lieu du désastre, lorsque le peuple les remarqua. On leur attribua la chute de la statue, eî bientôt ils furent entourés d^une foule qui les accablait d'injures et de menaces. Mais cette scène ne dura pas longtemps, car la terre trembla de nouveau, le grand arbre fut abattu et déraciné, et le sol où se dressait auparavant la statue devint un bourbier d'eau noirâtre dans lequel elle s'enfonça jusqu'aux cornes. Quelques- tins des plus méchants, parmi cette foule furieuse, fu- rent aussi engloutis dans ce gouffre bourbeux (1). La (1) « Le Seigneur entrera en Egypte, et les idoles de l'Egypte tomberont devant sa face, » avait dit le propliète Isaïe (ch. XIX, V. 1). Elles devaient aussi tomber plus tard devant sa parole et celle de ses envoyés, et le paganisme s'engouffrer dans l'abîme de corruption qu'il avait creusé lui-même. — 165 — sainte famille entra tranquillement dans la ville, et s'installa dans un édifice abandonné, à côté d'un grand temple d'idoles. CHAPITRE XXXVllI Séjour de la sainte famille à Héliopolis. Héliopolis était bâtie sur des hauteurs, des deux côtés du fleuve, à l'endroit où il se divise en plusieurs bras, et on la voyait de très loin. J'aperçus là, avec éton- nement, les ruines d'immenses édifices, des monuments à demi écroulés et des temples presque entiers en rui- nes. Je vis des colonnes, semblables à des tours sur lesquelles on pouvait monter par l'extérieur. Je remar- quai aussi d'autres colonnes très élevées, pointues à leur sommet, couvertes de caractères étranges, ainsi que beaucoup de grandes figures semblables à des chiens accroupis, avec une tête humaine (1). La sainte famille demeurait dans les salles d'un vaste bâtiment qui reposait sur des colonnes massives et peu élevées, les unes carrées, les autres rondes. Beau- coup de gens s'étaient établis autour de ces colonnes. Un chemin fréquenté passait au-dessus de l'édifice ; et vis-à-vis s'élevait un grand temple d'idoles entourant deux cours. C'est là que Joseph se fit un logement, fermé d'un côté par un mur, et de l'autre par une rangée de gros- ses colonnes peu élevées ; il le distribua en plusieurs pièces au moyen de minces cloisons. L'âne eut aussi (1) Getto dernière image, qui, d'après les récits de la sœur, ee retrouvait très souvent en Egypte, semble avoir été tout à la fois un symbole de ce que le paganisme avait fait de l'homme, et ane moquerie de Satan, 1© prince de cet empire. — 166 — «son gîte. Ty vis, pour la première fois, un petit autel où Joseph et Marie priaient : c'était une table couverte d'abord d'une nappe rouge, puis d'une nappe blanche transparente, et sur laquelle une lampe brillait. Je vis plus tard Joseph tout à fait installé ; il travail- lait souvent au dehors ; il faisait de longs bâtons avec des pommeaux ronds, de petits escabeaux à trois pieds, des corbeilles, de minces cloisons en branches entre- lacées. Les gens du pays couvraient ces cloisons d'un enduit, et s'en servaient pour diviser leurs cabanes, adossées aux grands bâtiments, ou même pratiquées dans l'épaisseur des murs. L'enfant Jésus était près de Marie, couché, plein de grâce, dans un berceau. Une fois je le vis sur son séant ; Marie tricotait, assise à côté de lui ; elle avait à ses pieds une petite corbeille. Au nord d'Héliopolis, entre cette ville et lo Nil, qui de ce côté se divise en plusieurs bras, s'étend la terre de Gessen. J'y vis un faubourg coupé par des canaux, et où demeuraient beaucoup de Juifs qui étaient tom- bés dans des erreurs religieuses. La sainte famille en connaissait plusieurs ; Marie faisait pour eux divers ouvrages de femme, et elle recevait, en échange, du pain et d'autres aliments. Les Juifs de la terre de Gessen avaient un temple qu'ils comparaient au temple de Salomon, mais qui lui était fort inférieur. Joseph avait construit, tout près du temple païen, une synagogue où le^ vrais Juifs des environs se réu- Tiissaieoute, il y avait une fête populaire dans un site tout à fait riant. Jésus vit là des hommes et des femmes séparés en divers groupes et qui jouaient aux gageures : Tenjeu consistait en fruita Ce fut là que Jésus aperçut Nathanaël, appelé aussi Khased ; il était debout sous un figuier dans le lieu où se tenaient les hommes ; il luttait contre une tentation de la chair qu'avait fait naître en lui la vue des femmes qui jouaient à peu de distance de là. Jésus en passant, jeta sur lui un regard qui semblait un avertissement ; Nathanaël, bien qu'il ne connût pas le Sauveur, fut pro- fondément ému : cet étranger, pensa-t-il, a le coup d'œil pénétrant. Jésus lui fit l'effet d'être plup qu'un homme ordinaira II se sentit troublé, réfléciiit sérieu- - — 194 — sèment, vainquît !a tentation, et fut, dès ce moment, plus fort contre lui-même. Je crois avoir vu, dans ce même lieu, Nephthali, surnommé Barthélémy ; il me sembla qu'il était aussi vivement touché d'un regard du Sauveur. Jésus alla ensuite, avec deux de ses amis d'enfance, à Hebron en Judée ; puis il se rendit à Béthanie auprès- de Lazare, plus âgé que Jésus d'au moins huit ans, homme très riche, ayant de nombreux serviteurs et de vastes domaines. Il avait trois sœurs : Marthe, qui dirigeait toute cette grande maison ; Marie, qui vivait retirée, et Madeleine dont la résidence était le château de Magdalum. Lazare connaissait, depuis longtemps, la sainte famille, et jadis il subvenait aux nombreuses aumônes que distribuaient Joseph et Marie. A Hebron, Jésus congédia ses compagnons, et dit qu'il avait un autre ami à visiter (1). H se rendit dans le désert où Elisabeth avait conduit le petit Jean. Ce désert est situé au midi, entre Hebron et la mer Morte. Je le vis gravir d'abord une montagne élevée, couverte de cailloux blancs, et puis arriver dans un riant val- lon plein de palmiers. Il entra dans la grotte où Jean avait séjourné, tra- versa une petite rivière au delà dg laquelle le Précur- seur avait été conduit par sa mère, et se mit en priè- res, comme s'il se préparait à prêcher l'Evangile. Il revint ensuite du désert à Hebron. Sa charité s'exerçait partout et sur tous. Ainsi je le vis, près de la mer Morte, aider à des gens embarqués sur une espèce de radeau, au-dessus duquel était dressée une tente. Ce radeau portait des hommes, des animaux et des bagages. Jésus, s'apercevant qu'ils ne pouvaient avancer, leur passa une poutre sur laquelle, p.vec son aide, ils gagnèrent le rivage ; puis il travailla avec eux à réparer le radeau qui était avarié. Ces gens ne (1) Cet ami était probablement le désert, comme on le voit plu» -fcaj. — 195 — pouvaient s'imaginer qui il était ; car, bien que ses vête- ments et son extérieur, n'eussent rien d'extraordinaire^ la dignité et la grâce qui étaient en lui les avaient vive- ment frappéa. Ils crurent d'abord que c'était Jean-Bap- tiste, qui avait déjà paru sur les bords du Jourdain ^ mais ils reconnurent bientôt que ce n'était pas lui, car Jean était plus brun et avait des dehors plus rudes. Jésus célébra le sabbat à Hebron. Il alla visiter les malades, les consola, les soigna et arrangea leurs cou- ches ; mais il ne les guérit pas encore. Sa présence seule exerçait sur tous une influence salutaire et mer- veilleuse. Il tranquillisait les possédés, mais ne chassait pas les démons. Il relevait ceux qui étaient tombés, donnait à boire à ceux qui avaient soif, indiquait aux voyageurs comment ils passeraient les ruisseaux et les gués ; et tous considéraient avec admiration le charita- ble étranger (1). La nuit du samedi il quitta Hebron, et le dimanche matin il arriva à l'embouchure du Jourdain dans la mer Morte. Il traversa en cet endroit le fleuve et se dirigea le long de la rive orientale, vers la Galilée. Partout il continue à faire du bien. Il visite les lé- preux eux-mêmes, il les console, les exhorte à prier, el leur indique des remèdes : chacun est saisi d'admira- tion. J'ai vu alors deux personnes qui avaient eu con- naissance des prophéties de Siméon et d'Anne ; elles lui demandèrent si c'était de lui que ces saints per^ sonnages avaient parlé. Ordinairement les gens qui l'avaient pris en affection l'accompagnaient d'un lieu à un autre. Jésus se rendit ensuite au bord d'un petit tor- rent (le Hiéromax) qui tombe dans le Jourdain, au-des- sous de la mer de Galilée, non loin de la montagne îl) Jésus devait commencer par faire avant d'enseigner ; con- oaissant tonte la grandeur de notre misère, il voulait par là se préparer une entrée dans le cœur des hommes, pour y semer plu» tard le salut par la foi. Ces œuvres de miséricorde corporelles étaient ainsi tout à la fois une figure et une préparation da grand rôle de médecin des âmos qu'il venait remplir. l — 196 — «scarpée d'où plus tard il précipita les pourceaux dans la mer. Les rives du torrent étaient habitées par de pauvres gens qui construisaient des bateaux, mais qui n'étaient pas bien habiles dans leur métier. Je vis Jésus aller vers eux et leur donner des conseils pleins de bonté. Il apporta des poutres, les aida dans leur tra- vail, leur enseigna divers procédés avantageux, et, tout en travaillant, il les exhorta à la charité et à la pa- tience, etc. Jésus vint ensuite sur le bord occidental de la mer d-e Galilée, dans une petite ville composée de maisons dispersées, et située sur un plateau élevé entre deux collines, près de Capharnaüm, de Magdalum et de Domna, au nord-est de Séphoris. Il y avait là une sy. nagogue ; mais les habitants, sans être méchants, n'étaient pas pieux. Abraham y avait possédé des prai- ries où paissaient les animaux qu'il destinait aux sa- crifices ; Joseph et ses frères y gardaient leurs trou- peaux, et c'est dans les environs que Joseph fut vendu. Cette ville, qui s'appelait Dothaïm, était peu habitée; mais il s'y trouvait de nombreux pâturages qui s'éten- daient jusqu'à la mer de Galilée. Il y avait une grande maison de fous et de possédés qui entrèrent dans une fureur épouvantable lorsque Jésus arriva. Les surveil- lants ne pouvaient les dompter. Le Sauveur entra chez eux, leur parla, les exhorta à se maîtriser : aussitôt ils devinrent parfaitement calmes, et retournèrent cha- cun dans son pays. Les habitants de Dothaïm en étaient très étonnés ; ils ne voulaient pas laisser partir Jésus ; il fut même invité à un mariage. Les noces se firent comme à Cana. Jésus fut traité en étranger de distinction. Il parla avec autant de bonté que de sa- gesse ; il donna des conseils aux fiancés, qui plus tard se joignirent à ses disciples, lors de l'apparition sur le mont Thébez. Je vis ensuite Notre-Seigneur Jésus de retour à Naza- reth. Il visita successivement les connaissances qu'y, - 197 — avaient ses parents ; mais il fut partout très froidement accueilli. Il parla d'aller dans la synagogue pour y enseigner, mais ils cherchèrent à l'en détourner. J-e vis aussi qu'il parla du Messie, sur une place publique, devant beaucoup de monde, entr'autres des pharisiens et des saducéens, disant que le Messie ne serait pas comme chacun se le figurait d'après ses désirs : il parla aussi de Jean-Baptiste qui était la voix dans le désert. Bientôt après, je vis Jésus et Marie, en compagnie de Marie de Cléophas, des parents de Parménas et d'au- tres personnes, formant une vingtaine avec les pre- miers, quitter Nazareth et se rendre à Capharnaüm. Ils avaient avec eux des ânes portant des bagages. La maison de Nazareth resta parfaitement nettoyée et mise en ordre : comme on en avait tout enlevé et qu'on avait seulement disposé quevant de lui, et lui racontèrent que Jean, qui venait de les baptiser, leur avait parlé de rapproche du Messie. « Jean, ajoutèrent-ils, n'a bap- tisé parmi les soldats qu'un petit nombre d'entre eux, il leur a parlé sévèrement, disant entre autres cho- ses : « Autant vaudrait baptiser des pierres du Jour- dain », Le Seigneur se rendit ensuite vers le nord, le long de la mer de Galilée. Il parlait déjà plus clairement du Messie. En beaucoup d'endroits les possédés poussaient des cris derrière lui ; il délivra un malheureux démo- niaque et enseigna dans les écoles. En poursuivant sa route, il rencontra six hommes qui venaient de rece- voir le baptême de Jean, au nombre desquels était Lévi nommé plus tard Matthieu. Ces voyageurs pres- sentaient qu'il pouvait bien être celui dont Jean avait parlé, mais ils n'en étaient pas sûrs. Ils s'entretinrent avec lui de Jean, de Lazare et de ses sœurs, et en parti- prême, il a placé l'homme ; de même il révèle auaei, en se pro- portionnant à cet ordre, les mystères de l'œuvre de la Rédemp- tion, et acquiert, par chaque degré où il passe, de nouveaux mérites pour le salut de tous. D'ailleurs la vue de l'ensemble fera disparaître les difficultés que les détails pourraient d'abord présenter au lecteur. — i99 — culier de Magdeleiae qui devait être possédée du dé-' ■mon. Ils suivirent Jésus et se montrèrent émerveillés de ses discours. Ceux qui se rendaient de Galilée vers Jean, pour être baptisés, rapportaient à ce dernier ce qu'ils savaient de Jésus et ce qu'ils en avaient entendu dire, tandis que ceux qui venaient d'Ainon parlaient de Jean à Jésus. Je vis Jésus entrer seul, dans une pêcherie entou- rée d'une haie ; elle était située auprès d'un lac sur lequel se trouvaient cinq barques. Les pêcheurs habi- taient de petites cabanes sur le rivage. Pierre, à qui appartenait la pêcherie, se trouvait alors avec André dans l'une d'elles ; Zébédée, avec Jacques et Jean, ses fils et plusieurs autres personnes, étaient dans les bar- ques. Le beau-père de Pierre et trois de ses fils occu- paient celles du milieu. Tout en causant avec André et ses compagnons, Jésus marchait toujours et suivait le chemin, bordé d'une haie, qui s'étendait entre les cabanes et le rivage. Je ne vis pas qu'il s'entretint avec Pierre, du moins je sais qu'il n'était connu d'aucun. Il parla de Jean et de l'approche du Messie, et, avant de s'éloigner, il promit de revenir. A ce moment André était déjà baptisé par Jean et son disciple. Je vis ensuite Jésus quitter les bords du lac et se diriger vers le Liban, à cause des bruits qui couraient sur lui aux environs, et de l'agi- tation qui en résultait dans la contrée. Plusieurs re- gardaient Jean comme le Messie. Selon quelques-uns, Jean aurait vaguement désigné un autre que lui- même. Le nombre de ceux qui accompagnaient Jésus s'éle- vait de six à douze ; il variait pendant le voyage ; mais, quel qu'il fût, tous écoutaient Jésus avec joie, soupçon- nant parfois qu'il devait être celui que Jean faisait entrevoir. Jésus n'avait alors aucun disciple, il était vraiment s-eul ; mais il semait, et en semant préparait les esprits. Je remarquai, dans toutes ces courses. — 200 - plusieurs circonstances qui les faisaient resseijfibler à celles des prophètes, et surtout d'Elie (1). Le Sauveur, accompagné de dix personnes, arriva près d'une grande ville, située au bord de la Méditer- ranée, sur l'une des cimes du Liban, d'où la vue était d'une beauté incomparable. La ville paraissait, de là, toucher à la mer, bien qu'elle en fût éloignée de trois quarts de lieue. Elle était très grande et très bruyante ; du haut de la montagne elle faisait l'effet d'une im- mense flotte ; car sur ses toits en terrasse s'élevaient, comme des cord9,ges et des mâts, une multitude de per- ches et d'échafaudages où flottaient suspendues des banderoles de diverses couleurs, à travers lesquelles on voyait s'agiter une fourmilière d'hommes, occupés à toutes sortes de travaux. Les alentours de la ville étaient très fertiles et tout couverts de fruits. Au pied de grands arbres il y avait des sièges ; on montait même sur plusieurs d'entre eux à l'aide d'échelles ; de nombreuses réunions pouvaient s'asseoir, pour des par- ties de plaisir, au milieu des branches, comme dans des maisons aériennes. Cette ville était peuplée de païens et de Juifs, qui trafiquaient ensemble : Jésus y fut bien accueilli. Il prê- cha sous les grands arbres ; il parla de Jean, de son baptême et de la pénitence ; il annonça, dans les écoles, la venue prochaine du Messie et la destruction des idoles. La reine Jézabel, qui persécuta Elle avec tant de rage, était de ce pays. Jésus, ayant laissé ses compagnons à Sidon, &e rendit seul à Sarepta, située au midi et plus éloignée de la mer ; il voulait s'y tenir quelque temps à l'écart pour prier. Cette ville est entourée d'un côté par des bois, (1) Dans ce voyage qui précède son baptême, Notre-Seigneur, parcourt les lieux sanctifiés par les prophètes, pour inviter les hommes au baptême de Jean. Il semble ainsi montrer et toucher du doigt l'accomplissement des prophéties et dos figures, et tout ramener à Jean, le plus grand des prophètes, lequel à son tour ne fait que montrer l'agneau de Dieu. ■■^ — 201 — et de l'autre par des vignes ; elle est ceinte de murail- les épaisses. C'est là qu'Elie fut nourri par la veuve. Depuis ce temps, il régnait, parmi les Juifs, une su- perstition qui finit même par être partagée par les païens : ils logeaient des veuves pieuses dans les murs de Sarepta, croyant par là se garantir de tout danger, et pouvoir impunément se livrer aux plus grands désordres. C'était alors des vieillards, et non des veuves, qu'ils logeaient dans les murs ; l'un d'eux reçut le Sauveur. Ces saintes gens vivaient comme des ermites, adonnés à la méditation, à l'interprétation des prophéties, priant sans cesse pour l'avènement du Messie. Ils étaient pieux ; mais ils avaient plusieurs idées fausses, et, entre autres, celle que le Messie devait venir entouré d'une pompe mondaine, Jésus les instruisit à ce sujet, et leur parla Au baptême de Jean. Il logea cnez un vieillard, dans une maison établie dans la muraille. 11 prêcha aussi dans la synagogue et enseigna les en- fants. Il allait souvent prier seul dans la forêt voisine de Sarepta. Je vis ensuite Jésus se rendre au nord-est de Sarepta, dans le voisinage du champ de bataille ou Ezéchiel, ravi en esprit, vit des ossements de morts se rassem- bler dans une vaste plaine, puis se couvrir de nerfs et de chairs, et enfin recevoir d'un souffle venu d'en haut l'esprit et la vie. Il me fut expliqué que le rassemble>- ment des os qui se recouvraient de chair était accomr )li, en ce moment, par le baptême et la prédication de Tean ; mais que la communication de l'esprit et de la \ie le serait, par la rédemption de Jésus et la descente du Saint-Esprit. Jésus consola les habitants de ce lieu, qui étaient malheureux et déccuragés, et leur expliqua 'a vision d Ezéchiel. Il exhortait les Juifs à ne pas se fr.êler avec les païens. De là il se dirigea encore plus au nord, jusque dans im petit village que Jean avait nabité, en sortant du désert, et où Noëmi avait longtemps demeuré aven sa ~ 202 — fille Ruth. Elle avait laissé un si bon souvenir, que les? habitants du village parlaient encore d'elle. Le Sei- gneur y prêcha avec une grande animation. Mais le temps approche où il doit, par Sam'irie, descendre au midi pour son baptême. Cependant il ne cesse d'ensei- gner çà et là. Souvent je vois Notre-Seigneur accompa- gné, mais quelquefois aussi il voyage seul pendant la nuit. Il va maintenant nu-pieds, portant ses sandales, dont il se chausse avant d'entrer dans un lieu habitée CHAPITRE m Notre-Seigneur continue son ministère de préparation à Na- zareth, à Bethsaïde, à Capharnaiim, à Séphoris et à Béthu- lie, malgré le mécontentement de ses ennemis et -du sanhé- drin. — Possédés guéris. Je vis le sanhédrin de Jérusalem ; il envoya des mes- sages dans les principales villes de la terre promise : ordre était donné aux chefs des écoles juives de sur- veiller un homme nommé Jésus, dont Jean-Baptiste avait dit qu'il était celui qui devait venir, et qu'il vien- drait vers lui pour être baptisé, et de faire des rapports sur sa conduite. Les membres du sanhédrin disaient que, s'il était le Messie, il ne pouvait avoir besoin du baptême d/e Jean. Ils étaient fort troublés, car ils avaient entendu assurer que ce Jésus était le même qui avait enseigné dans le Temple, à l'âge de douze ans. Je vis aussi les envoyés du sanhédrin arriver à Gaza, ville située au bord de la mer, à quatre lieues d'Hébron, dans le pays où les messagers de Moïs-e et d'Aaron prouvèrent les grosses grappes de raisin (1). (1) Les messagers du sanhédrin étaient aussi des explorateur» infidèles des biens de la nouvelle terre promise, celle de l'Eglise chrétienne, dont J^ésus-Ohrist allait bientôt ouvrir l'entrée à son. ipeuple. -. 203 — Je vis Notre-Seigneur quitter la contrée où se trouvait le puits de Jacob. Il se dirigea vers Nazareth : à son approciie, la très sainte Vierge vint à sa rencontre; mais, lorsqu'elle vit qu'il était accompagné, elle ne s'approcha pas de lui, et s'en retourna chez elle sans lui avoir parlé. J'admirai son abnégation. Plus tard je vis Jésus à la synagogue de Nazareth^ avec une vingtaine des compagnons de sa jeunesse. Il enseigna devant une assemblée nombreuse. J'entendis les auditeurs chuchoter et murmurer : selon eux, son dessein, peut-être, était de se faire passer pour un per- sonnage semblable à Jean, de s'établir au lieu où 11 baptisait, et de baptiser comme lui ; mais, ajoutaient- ils, il l'essaiera en vain : Jean a vécu dans le désert ; quant à lui, nous le connaissons bien, il ne nous en- traînera pas. Deux jours après, je vis Jésus se disposant à quitter Nazareth avec quelques compagnons, pour se rendre à Bethsaïde, où il voulait préparer des âmes par son enseignement. Ses amis et les saintes femmes étaient encore à Nazareth ; je les vis rassemblés chez la très sainte Vierge. Jésus leur expliqua qu'il voulait tempo- rairement s'éloigner de Nazareth, à cause des mur- mures et du mécontentement qui s'étaient élevés contre lui, et aller à Bethsaïde, sauf à en revenir plus tard. Arrivé à Bethsaïde, Jésus prêcha, avec beaucoup de force, dans la synagogue : c'était le jour du sabbat. Il dit à ceux qui l'écoutaient : « Allez, sans tarder davan- tage, au baptême de Jean ; purifiez-vous par la péni- tence, sinon un temps viendra où vous crierez : Malheur à nous ! » La synagogue renfermait ce jour-là beaucoup de monde; je n'y vis aucun des futurs apôtres du Sauveur, excepté Philippe. Lorsque Jésus enseignait ainsi dans la synagogue, je priai pour la conversion des habitants de Bethsaïde. Pendant ma prière un tableau me fut présenté : je vis Jean : il enlevait les souillures les plus fortes. Il met- — 204 — tait à cette œuvre autant d'énergie que de rudesse et de sévérité. Son activité était si grande, que la peau qui le couvrait tombait tantôt d'une épaule, tantôt de l'au- tre. J'aperçus des écailles se détachant de quelques-uns des baptisés, de noires vapeurs sortant des autres, et des nuées lumineuses s'abaissant sur plusieurs d'entre eux : ce devait être un signe symbolique. Jésus, toujours suivi de ses compagnons, prit le chemin de Bethsaïde à Capharnaüm, entrant dans les habitations isolées, et exhortant tous ceux qui s'y trouvaient à venir l'écouter. Il entra à Capharnaüm, marchant tout droit devant lui, sans se détourner, comme s'il était tout à fait inconnu. Les habitants étaient curieux de savoir quelle était cette nouvelle doctrine. Jésus parla longuement à la foule nombreu&e qui s'était rassemblée autour de lui. Je vis Jésus, avec trois de ses disciples, se rendre à Séphoris, qui «st à quatre lieues de Nazareth, en fran- chissant une montagne. Il logea chez sa grande tante Maraha, sœur cadette de sainte Anne : elle avait une fille et deux fils. Je vis ces derniers aller et venir, en longs vêtements blancs, dans la maison. Ils s'appellent Arastaria et Cocharia, et se sont, à ce que je crois, réunis plus tard aux disciples. La sainte Vierge, Marie de Cléophas et d'autres femmes sont aussi venues ici. On lava les pieds à Jésus et il y eut un repas. A Séphoris, Jésus enseigna dans l'école des sadu- céens, et je vis une chose merveilleus-e. Il y avait, dans cette ville, un grand nombre de démoniaques, d'idiots et d'aliénés. On les faisait entrer dans la synagogue quand on s'y réunissait pour l'instruction et la prière. Ils restaient derrière les autres, dans une salle à part, d'où ils pouvaient écouter l'enseignement. Il y avait au milieu d'eux des surveillants armés de fouets, et chargés d'en garder chacun un nombre plus ou moins considérable, selon qu'ils étaient plus ou moins mé- chants. Avant l'arrivée de Jésus, je les vis tomber en — 205-r convulsion et faire des contorsions ; cependant, grâce', à la fermeté de leurs gardiens, ils se tinrent tranquilles. Lorsque Jésus entra dans la synagogue, ils furent d'abord très calmes ; mais bientôt quelques-uns com- mencèrent à crier : « C'est Jésus de Nazareth, né à Bethléem, visité par les sages de l'Orient ! etc. Il veut introduire une nouvelle doctrine qu'on ne doit pas to- lérer, etc. » Ces pauvres gens racontaient tout ce qui était arrivé à Jésus jusqu'alors. Ils élevaient la voix tour à tour ; les coups de fouet des surveillants ne pou- vaient les faire taire. Finalement ils se mirent à crier tous ensemble, et la confusion devint générale. Jésus dit alors qu'on les lui amenât devant la synagogue, puis il envoya deux de ses disciples pour réunir, dans ce même lieu, tous les possédés qui se trouvaient dans la ville. Le Sauveur fut, en très peu de temps, entouré d'une quarantaine de ces malheureux, que pressait une foule immense. Les maniaques continuèrent à crier. Alors Jésus dit : « L'esprit qui parle ainsi, par votre bouche, est d'en bas et doit retourner en bas. » Aussi- tôt tous se calmèrent et furent guéris : j'en vis même plusieurs tomber par terre. Cette guérison causa un véritable soulèvement à Sé- phoris. Jésus et ses disciples étaient en grand danger. Le tumulte devint tel, que le Seigneur dut se cacher dans une maison, et profiter de la nuit pour quitter la ville. Les saintes femmes en sortirent aussi. La mère de Jésus était accablée de douleur : c'était la première fois qu'elle voyait son fils persécuté. La plupart des gens guéris par Jésus reçurent le baptême de Jean, et devinrent plus tard disciples du Sauveur. II y avait peu de temps que Jésus et les siens avaient quitté Séphoris, quand je le vis, devant Béthulie, en- trer dans une hôtellerie, où bientôt Marie et les saintes femmes le rejoignirent. J'entendis Marie prier Jésus de ce pas enseigner dans cet endroit : elle craignait une nouvelle émeute. Jésus répondit qu'il savaif ce qu'il — 206 — äevait accomplir. Alors Marie lui fit cette question : « N'irons-nous pas maintenant au baptême de J-ean ? » Jésus lui dit gravement : « Pourquoi irions-nous à cette heure au baptême de Jean? En avons-nous besoin t J'irai d'abord là où je dois recueillir, et je dirai quand il faudra aller au baptême de Jean. » Marie garda le silence comme à Cana. Jésus fut bien accueilli à Béthulie ; il se rendit dans la synagogue pour enseigner, car nombre de perso»nes étaient venues des environs afin de l'entendre. Je vis aussi plusieurs possédés rassemblés sur les chemins que le Sauveur parcourait, et dans les rues même de la ville. Lorsqu'il passa devant eux, ils furent délivrés de leurs accès : je remarquai alors çà et là des gens qui disaient : « Cet homme doit avoir une puissance égale à celle des anciens prophètes, puisqu'il calme ces mal- heureux par sa seule présence. » Quant aux possédés, ils sentaient que Jésus les avait secourus ; aussi vin- | rent-ils à l'hôtellerie pour le remercier. Le Sauveur, dans ses instructions, exhorta avec insistance ceux qui l'écoutaient à aller au baptême de Jean : il parla, cette fois, avec beaucoup de feu, tout à fait à la manière de Jean-Baptiste. Les habitants de Béthulie montraient une grande estime pour Jésus et ses disciples. On se disputait l'hon- neur de l'avoir dans sa maison ; et ceux qui ne pou- vaient le posséder voulaient au moins recevoir un des «iens. Il leur promit de rester successivement chez les uns et les autres. Toutefois l'empressement et l'affection qu'ils témoignait à Jésus n'étaient pas tout à fait dé- sintéressés ; il le leur fit sentir dans ses instructions à la synagogue. Ils avaient un but particulier : ils vou- laient, en s'attachant au nouveau prophète, rendre à T leur ville la considération qu'elle avait perdue par ses rapports avec les païens. Leur motif n'était donc pas le pur amour de la vérité. Jésus ne resta que deux jours 11 -.207 — à Béthulie, parc« qu'il y était trop importuné : uno foule de malades et de possédés venaient des environs pour être guéris, et le Sauveur ne voulait pas se mani- fester encore par des guérisons si éclatant^es. Bientôt je vis Jésus enseigner dans une vallée, sous des arbres, dans le li€u même où les Esséniens avaient autrefois souvent rassemblé leurs disciples. Il y avait là un siège de gazon éle^é, entouré de bancs de terre où l'on pouvait s'asseoir. Le Sauveur était alors en» touré d'environ trente personnes. Le soir, je le vis s'ar- rêter dans une petite ville à une lieue de Nazareth ; on l'y accueillit très bien. Il entra dans une grande mai- son où on lui lava les pieds, ainsi qu'à ses disciples : on nettoya leurs habits, et on leur prépara un repas. Jésus enseigna dans la synagogue ; puis aussitôt il se rendit avec ses disciples dans une ville de Lévites, ap- pelée Kèdes, où il arriva, suivi de sept possédés qui proclamaient sa mission, et faisaient connaître sa vie plus clairement encore que les démoniaques de Sé- phoris. Quelques-uns des siens l'ayant précédé à Kèdes, sa venue y fut annoncée; des prêtres âgés et des jeunes gens en longs vêtements blancs vinrent à sa rencontre ; l'accueil qu'il reçut de tous fut excellent. Les possédés de cette ville avaient été enfermés par les prêtres pour éviter tout désordre : le Sauveur ne les guérit que plus tard, après son baptême. Quand il manifesta le désir d'enseigner, on lui demanda comment il pouvait avoir mission pour cela, lui qui n'était que le simple fils de Marie et de Joseph. Jésus répondit que Celui qui l'avait envoyé et de qui il était sorti le manifesterait, lors de son baptême. Il parla ensuite du baptême de Jean. — 208 CHAPITRE IV Conduite diverse de Jésus entre les Nazaréens formalistes et les publicains repentants et les pauvres. Jésus répandit son enseignement dans plusieurs pe- tites villes ; après quoi il vint pour le sabbat à Jezraël, bourgade composée de divers groupes de maisons, sé- parés par des jardins et des édifices tombés en ruines» xi y avait en cet endroit de scrupuleux observateurs de la loi juive, appelés Nazaréens : ils faisaient cer- tains vœux pour un temps plus ou moins long et pra- tiquaient diverses abstinences. Ils possédaient une grande école et plusieurs maisons. Les jeunes gens vi- vaient en commun dans un bâtiment, les jeunes filles dans un autre. Les personnes mariées s'engagaient aussi, pour un temps assez long, à la continence : alors les hommes passaient la nuit dans une maison placée auprès de celle des jeunes gens, et les femmes dans la maison des jeunes filles. Toute cette population portait des vêtements gris et blancs. Ils laissaient croître leurs cheveux, jusqu'à ce que leur vœu fût accompli ; alors ils les coupaient et les brûlaient en sacrifice. Ils offraient aussi des colombes, et chacun pouvait se char* ger d'accomplir le vœu d'un autre. Jésus enseigna le jour du sabbat : il parla du bap- tême de Jean. Il s'étendit sur les mérites de la piété ; mais, ajouta-t-il, l'exagération a son danger ; les voies du salut sont diverses ; les gens pieux, en se tenant trop à part, s'exposent à devenir une secte, et l'on ne doit pas mépriser les pauvres frères, qui ont besoin d'être aidés par les plus forts, pour se perfectionner. Cet enseignement était nécessaire aux Nazaréens, car il y avait, aux extrémités de la ville, des Juifs qui entre- à — 209 — tenaient un commerce intime avec les païens, et qui n'étaient ni avertis, ni dirigés, parce que les Nazaréens se tenaient à part. Jésus visita ces gens dans leurs maisons ; il les instruisit et leur parla du baptême. Je vis le Sauveur à un repas qui lui fut donné par des Nazaréens. Il fut question de la circoncision et de ce qu'elle était relativement au baptême. C'était la pre- mière fois que j'entendais Jésus parler du signe de l'al- liance entre Dieu et Abraham; mais je ne saurais ré- péter fidèlement ses paroles. Le sens était que ce signe avait une raison d'être, qui cesserait, lorsque le peuple de Djeu ne serait plus engendré selon la chair de la souche d'Abraham, mais spirituellement par le baptême du Saint-Esprit. Plus tard, beaucoup de Nazaréens se firent c^irétiens ; mais ils étaient si fortement attachés au judaïsme, qu'ils voulurent unir la loi juive au christianisme, et tombèrent ainsi dans l'hérésie. Jésus quitta Jezraël, et, après avoir marché quelque temps vers l'orient, il tourna au nord, du côté de Na- zareth, en côtoyant la montagne qui s'élève entre ces deux villes ; il s'arrêta à deux lieues de Jezraël, au milieu d'une rangée de maisons bâties des deux côtés de la route, et habitées par des publicains : une grille les séparait de la rue dont elle fermait l'entrée et la sortie. Les publicains qui demeuraient dans cette en- ceinte étaient riches et tenaient à ferme plusieurs douanes, qu'ils louaient ensuite à des préposés subal- ternes. Il y avait là aussi quelques pauvres Juifs, mais ils se tenaient sous des tentes et assez loin des habi- tations principales. La voie commerciale entre la Syrie, l'Arabie, Sidon et l'Egypte traversait ce lieu. On transportait par là, sur des chameaux et sur des ânes, d'énormes ballots de soie blanche, de belles étoffes blanches aussi ou bariolées, de longues bandes épaisses et tressées dont on faisait des tapis. Dès que les chameaux et leurs con- ducteurs étaient entrés dans les douanes, on fermait — 210 — Tenceinte, on déchargeait les ballots, et tout était visité. Il y avait un droit à payer, partie en marchandise, partie en argent. Les publicains formaient une sorte d'association, et partageaient entre eux ce qu'ils pouvaient gagner léga- lement ou par fraude. Ils vivaient dans l'aisance, et ne se refusaient aucun bien-être. Leurs maisons étaient entourées de cours, de jardins et de murs : ils me rap- pelaient nos riches cultivateurs, à l'exception néan- moins qu'ils vivaient isolés, n'ayant de rapport qu'en- tre eux. Jésus et ses compagnons furent bien reçus de tous ces publicains. Il alla successivement chez les uns et les autres, et il enseigna dans leur école. Il leur repro- cha surtout d'exiger plus des voyageurs que les droits ne prescrivaient. Ils en eurent de la confusion, et ils ne pouvaient comprendre d'où il savait cela. Ils ac- cueillaient les enseignements du Sauveur avec plus d'humilité que les autres Juifs. Il les exhorta à rece- voir le baptême. Jésus quitta les publicains ; il avait passé la nuit pré- cédent-e à les instruire. Plusieurs d'entre eux voulaient lui faire des présents, mais il n'accepta rien. D'au- tres et en grand nombre, voulaient le suivre au bap- tême ; ils partirent avec lui. Le Sauveur traversa, dès le jour de son dtj .rt, le pays de Dothaïm ; il arriva devant la maison où, à son retour de Nazareth, il avait calmé les démoniaques et les aliénés. Ces malheu- reux l'appelèrent à grands cris et demandèrent avec violence à sortir. Jésus ordonna aux surveillants de les laisser partir, ajoutant qu'il répondait de toutes les conséquences. On leur rendit donc la liberté, et tous, étant guéris, le suivirent. Le soir il arriva à Kisloth, viîle très voisine du Tha- bor et habitée par les pharisiens. Ils avaient entendu parler de lui, et se scandalisèrent de voir à sa suite des publicains qu'ils regardaient comme des malfai- teurs, des possédés, connus comme tels, et des gens de toute sorte. Notre-Seigneur enseigna dans Fécoîe et parla du baptême de Jean. Il dit à ses compagnons, qu'avant de le suivre ils devaient bien examiner s'ils se sentaient la force d'aller jusqu'au terme, ajoutant qu'il ne fallait pas croire que son chemin fût un chemin commode. II leur parla beaucoup en paraboles. Il di- sait que, quand un homme se dispose à bâtir une mai- son, il doit savoir si le propriétaire du sol voudra le permettre : ils devraient donc avant toiit expier leurs- péchés et faire pénitence. De même, quand un homme veut bâtir une tour, il doit d'abord calculer la dépense^ Il donna beaucoup d'autres enseignements, qui ne plu- rent pas aux pharisiens ; aussi ne l'écoutaient-ils même pas, et ils se contentaient de l'espionner. Ils convinrent entre eux de lui donner un repas, pour mieux observer ce qu'il dirait. Ils le lui préparèrent dans une salle publique : on y voyait trois tables éclairées par des lampes ; Jésus était assis à celle du milieu parmi les pharisiens ; les deux autres tables étaient occupées par ceux qui l'accom- pagnaient. Dans cette ville, 11 existait une ancienne coutume qui prescrivait d'inviter les pauvres à sa table, quand on y recevait des étrangers ; aussi Jésus demanda-t-il aux pharisiens, dès qu'il fut dans la salle du festin, pourquoi les pauvres n'assistaient pas au repas, et s'ils n'en avaient pas le droit. Les pharisiens répondi- rent, non sans embarras, que depuis longtemps cela ne se faisait plus. En effet, à Kisloth, les pauvres, très nombreux du reste, étaient fort négligés. Le Sauveur envoya trois de ses disciples, Arastaria et Cocharia, fils de Maraha, et Klaïa, fils de la veuve Séba, pour les convier au festin. Les pharisiens en furent irrités, et cette circonstance fit beaucoup de sensation dans la ville. Plusieurs pauvres étaient déjà couchés quand on les alla chercher, et dormaient : les disciples les firent — 212 — lever. Je vis, à cette occasion, toute espèce de scènes joyeuses. A leur arrivée, Jésus et ses disciples les re- çurent et les servirent (1). Puis le Sauveur fit une ins- truction touchante. Les pharisiens étaient pleins de dépit, mais ils étaient forcés de se taire ; Jésus avait le droit pour lui, et le peuple s'en réjouissait. Quand les pauvres se furent rassasiés, ils retournèrent chez eux chargés d'une part de mets pour leur famille. Jésus avait béni le festin et prié avec ces bonnes gens ; il les avait exhortés à se faire baptiser par le Précurs-eur. Le Sauveur partit dans la nuit avec ses disciples. Plusieurs de ses compagnons l'avaient quitté, les uns parce qu'ils étaient mécontents de ses avertissements, les autres pour se rendre au baptême. Pendant ce voyage nocturne, je vis parfois Jésus s'entretenir avec ses disciples, parfois s'en éloigner. Bientôt je l'aper- çus dans un village nommé Kimki ; il y rassembla les bergers dans une auberge, et les ens-eigna. Le sabbat était proche. Le soir, des prêtres de la secte des pha- risiens, et dont quelques-uns étaient de Nazareth, vinrent rejoindre le Sauveur. L'instruction que fit Jé- sus eut pour objet le baptême et la prochaine venue du Messie. Les pharisiens se montrèrent très opposés au Sauveur ; ils cherchèrent à le rabaisser, et mirent en avant sa naissance obscure. Le jour suivant, Jésus leur raconta plusieurs para- boles : il demanda un grain de sénevé ; on le lui ap- porta : alors il dit, en montrant un poirier qui se trou- vait là, que, s'ils avaient de la foi comme un grain de sénevé, ils pourraient dire à cet arbre de se transplan- ter dans la mer, et qu'il leur obéirait. Les pharisiens se moquèrent de son enseignement, qu'ils tenaient (1) C'est ainsi que le Sauveur commençait à accomplir littéra- lement la prophétie de Marie dans son cantique : « Il a rassasié ceux qui avaient faim, et renvoyé les riches les mains vides. » C'était une figure de ce qui allait bientôt se passer au banquet spirituel des sacrements, où les pauvres et les humbles allaient être admis, de préférence aux riches orgueilleux. — 213 — pour absurde. Mais les gens qui se trouvaient sur tout le chemin qu'il avait parcouru ces jours-là l'admi- raient : (c II nous rappelle, disaient-ils, tout ce que nos ancêtres nous ont transmis des derniers prophètes; mais il y a en lui une douceur beaucoup plus grande. » Le Sauveur logea chez de pauvres gens ; la maîtresse de son modeste gîte était hydropique ; il eut pitié d'elle, et la guérit, en mettant la main sur sa tête. Délivrée de son mal, elle servit à table. Jésus lui défendit de parler de sa guérison, jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême. Elle lui demanda pourquoi elle ne l'annonce- rait pas partout ; et il répondit : « Si vous voulez en parler, vous deviendrez muette. » Elle le devint en effet, et elle ne recouvra la parole qu'au retour du Sauveur. Avant de quitter ce pays, Jésus enseigna encore dans la synagogue, malgré le mauvais vouloir que lui té- moignaient les pharisiens. Il parla du Messie. « Vous vous attendez, dit-il, à le voir venir avec tout l'éclat d'une pompe mondaine ; mais il est déjà venu ; îî va paraître dans la pauvreté ; il rendra témoignage à la vérité, et recevra plus de blâme que de louange, car il veut que toute justice soit accomplie, etc. Ne souffrez pas que Ton vous sépare de lui, de peur que vous ne périssiez, comme ont péri ces enfants de Noé, qui le raillaient, pendant qu'il se fatiguait à construire l'arche où ils auraient pu trouver tous leur salut, tan- dis qu'il n'y eut de s-auvés que ceux qui, croyant en sa parole, entrèrent dans l'arche. » Puis, regardant ses disciples, il leur dit : « Ne vous séparez pas de moi comme Loth se sépara d'Abraham ; il cherchait les meilleurs pâturages, et il vint à Sodome et à Gomorrhe. Ne cherchez pas la gloire du monde, que le feu du ciel consume, afin que vous ne soyez pas changés en statues de sel. Restez avec moi dans toutes les tribu- lations, je vous viendrai toujours en aide, etc. » Les pharisiens s'irritaient de plus en plus ; ils disaient :. • '- 214 — x< Qua leur promet-ll doue? puisqu'il n'a rien lui-même î JM'est-il pas de Nazareth, le fils de Joseph et de Ma- rie ? » Il dit alors, sans s'expliquer positivement, que celui dont il était le fils l'annoncerait. Là-dessus, ils s'écrièrent : « Pourquoi parles-tu du Messie, ici et par- tout où tu vas enseigner ? Crois-tu que nous devions penser que tu te donnes pour le Messie ? » Jésus ré~ pondit : « Oui, vous le pensez. » Il y eut alors un grand tumulte dans la synagogue ; les pharisiens étei- gnirent les lampes ; Jésus et ses disciples quittèrent le village pendant la nuit, et, prenant la grande route, ils poursuivirent leur voyage. Je les vis dormir sous un arbre ; puis j'aperçus des gens qui se joignirent à Jésus ; ils l'avaient attendu sur la route. Il se dirigea avec eux vers des bergers, qui habitaient ces lieux pen- dant le temps des pâturages ; ils y étaient seuls, sans leurs femmes. A la nouvelle de l'approch« du Sauveur, plusieurs d'entre eux allèrent à sa rencontre ; d'autres tuèrent des oiseaux et firent du feu pour préparer un repas. Ils reçurent le Sauveur et ceux qui le suivaient dans une salle d'hôtellerie, isolée en quelque sorte par un mur qui se trouvait devant le foyer. Un banc de gazon, dont le dossier se composait de branches vertes tressées en- semble, régnait oiitour de cette salle. Quand tous fu- rent réunis, ils étaient environ au nombre de vingt. Les bergers lavèrent les pieds de leurs hôtes ; mais, pour Notre-Seigneur, ils se servirent d'un bassin à part. Il avait demandé qu'on lui donnât un peu plus d'eau qu'il n'était d'usage et que cette eau fût conservée. Au moment de se mettre à table, les bergers paraissant un peu agités, Jésus leur demanda ce qui les inquiétait, et -s'il ne leur manquait pas quelques-uns d'entre eux. Ils avouèrent qu-e deux des leurs étaient atteints de la lè- pre. « Nous avons craint, ajoutèrent-ils, que ce ne fût la lèpre impure, et nous les avons cachés, car peut être ne seriez-vous pas venu chez nous si vous l'aviez — 215 — su. » Le Sauveur ordonna de les amener, et les envoya chercher par ses disciples. Les lépreux, soutenus cha- cun par deux hommes, arrivèrent, enveloppés dans des draps de la tête aux pieds, de manière qu'ils avaient peine à marcher ; Jésus les exhorta, leur disant que leur lèpre n'était pas venue de l'intérieur, mais par suite de contagion extérieure : je compris qu'ils n'avaient pas péché^ par méchanceté, mais par la sé- duction d'autrui. Il ordonna de les laver avec l'eau de son bain de pieds. A peine l'eut-on fait, que les croû- tes de la lèpre tombèrent, laissant seulement après elle des marques à la peau. Il leur défendit sévèrement de parler de leur guérison, jusqu'à son retour du baptême. Il leur fit ensuite une instruction, touchant le bap- tême de Jean et la prochaine venue du Messie. Alors ils lui demandèrent, en toute simplicité, lequel ils de- vai-ent suivre de lui ou de Jean ; quel était le plus grand des deux. Jésus leur répondit que le plus grand était celui qui servait avec la plus parfaite humilité, et qui, par charité, faisait le plus complet sacrifice de lui- même. Il les exhorta aussi à se rendre au baptême. Le Sauveur leur parla ensuite de la difficulté qu'il y avait à le suivre, puis il les congédia et partit avec ses cinq disciples. Quant aux autres, il leur donna rendez-vous dans le désert, non loin de Jéricho. Plusieurs d'entre eux l'abandonnèrent tout à fait ; d'autres se rendirent vers Jean ; d'autres enfin retournèrent chex eux, pour se préparer au baptême. CHAPITRE V Entretiens de Jésus avec l'Essénien Eliud à Nazareth. Il était tard quand Jésus arriva avec ses cinq dis- ciples devant Nazareth, qui n'était cependant qu'à un« petite lieue des habitations des bergers. — 216 — ^lozareth avait cinq portes. A un quart d'heure à peine, s'élevait une montagne escarpée, d'où les Naza- réens précipitaient souvent des crimin-els, et d'où plus tard ils voulurent précipiter Jésus. Au pied de cette montagne, se trouvaient quelques cabanes. C'est là que Jésus ordonna à ses disciples de se chercher un loge- ment ; quant à lui, il se retira dans l'une d'elles pour y passer la nuit. Ils furent accueillis par les habitants, qui leur donnèrent à chacun un morceau de pain et de l'eau pour se laver les pieds. 'C'étaient des Esséniens amis de la sainte famille. Ils demeuraient là, sous des voûtes et de vieux murs en ruines, au milieu de petits jardins. Il y avait des hommes et quelques femmes vivant séparés et dans le célibat. Les hommes portaient de longs vêtements blancs, et les femmes des manteaux. Ils avaient autre- fois résidé dans la vallée de Zabulon, près du château d'Hérode, et ils étaient venus dans ce lieu par amitié pour la sainte famille. L'Essénien auquel Jésus demanda l'hospitalité était le fils d'un frère de Zacharie et se nommait Eliud : c'était un vieillard à longue barbe, veuf et menant une vie très retirée, avec sa fille, qui prenait soin de lui. Ils fréquentaient la synagogue de Nazareth. Comme ils étaient très attachés à la sainte famille, Marie, lors de son départ, leur avait confié la garde de sa maison. Le lendemain matin, les cinq disciples se rendirent à Nazareth, pour visiter leurs parents et leurs amis ; mais le Sauveur resta avec son hôte ; ils prièrent en- semble et eurent des entretiens très intimes. Eliud, homme simple et pieux, était initié à plusieurs mys- tères. Je vis la sainte Vierge et Marie, fille de Cléophas ; elles vinrent, dès le matin, trouver Jésus. Le Sauveur tendit la main à sa mère : il était toujours très affec- tueux envers elle, mais, en même temps, il se montrait grave et calme. Marie était remplie d'inquiétude ; elle — 217 — le pria de ne pas aller à Nazareth, où une grande irri- tation régnait à son sujet. Les pharisiens de cette ville l'ayant entendu dans la synagogue de Kimki, de retour chez eux, avaient excité contre lui les esprits. Jésus lui dit qu'il voulait attendre chez Ellud les personnes qui devaient aller avec lui au baptême de Jean ; que dès leur arrivée il traverserait Nazareth. Ce jour-là, il s'en- tretint longuement avec Marie, qui revint deux ou trois fois. Il lui dit, entre autres choses, qu'il irait trois fois célébrer la Pâque à Jérusalem, et que la dernière fois elle serait très affligée. Pendant toute cette journée, Jésus s'entretint très confidentiellement avec son hôte, mais Je ne puis mal- heureusement me rappeler toutes les choses que j'en- tendis, Eliud l'interrogea sur sa mission, et Jésus lui dévoila tout. Il lui dit qu'il était le Messie, et lui parla de sa généalogie humaine et du mystère de l'arche d'allianc-e. Je lui entendis expliquer comment l'objet sacré avait été porté dans l'arche, au moment du dé- luge, et comment il s'était transmis de génération en génération. Jésus dit aussi entre autre choses, que Marie en naissant était elle-même devenue l'arche d'al- liance du mystère. Eliud cependant parcourait divers écrits, et montrait du doigt plusieurs passages des prophètes que Jésus lui interprétait. Il demanda alors à Jésus pourquoi il n'était pas venu plus tôt ; le Sauveur lui répondit qu'il ne pouvait naître que d'une femme conçue comme toua les hommes l'auraient été, sans la chute originelle, et que depuis Adam et Eve il ne s'était rencontré, pour cette œuvre, aucun couple d'époux qui fût aussi pur qu'Anne et Joachim. Il lui fit aussi comprendre tout ce qui avait empêché et retardé l'avènement du salut. Jé- sus lui dit encore que sa chair s'était formée du germe béni que Dieu avait tiré d'Adam avant sa chute, que ce germe de bénédiction, afin que tout Israël y coopé- rât, avait dû se transmettre à travers beaucoup de gé- — 218 — ■4:^ nérations, et que souvent il avait été retiré, lorsque les vases s'étaient t-ernis. • Je vis, en effet, à cette occasion, les patriarches trans- mettre, au moment de leur mort, cette bénédiction à leurs premiers-nés, par une cérémonie sacramentelle ; je vis que le pain et le breuvage de la sainte coupe qu'Abraham avait reçue de l'ange qui lui promit Isaac^ étaient une figure du très saint sacrement de la nou- velle alliance, et communiquaient la force pour coo- pérer à la formation de la chair et du sang du Messie. Je vis tous les ancêtres de Jésus recevoir ce sacrement,, pour coopérer à Pincarnation de Dieu, et enfin Jésus faire, de la chair et du sang reçus de ses ancêtres, un sacrement plus sublime pour consommer l'union des; hommes avec Dieu (1). Jésus parla aussi, avec Eliud, de la sainteté d'Anne et de Joachim, et de la conception surnaturelle de Marie, sous la porte Dorée. Il dit encore qu'il avait été réellement conçu de Marie selon la chair, mais sans la coopération de Joseph ; et que la conception de Marie provenait du germe de bénédiction qui, de l'arche d'al- liance, était passé dans Joachim et Anne. Il dit enfin que, pour racheter les hommes, il avait, été envoyé, avec toute la faiblesse de la créature hu- maine, qu'il éprouvait tout ce qui lui était propre ; que, comme le serpent de Moïse dans le désert, il serait élevé sur la montagne du Calvaire, où le corps d'Adam avait été enseveli; et que, par l'ingratitude des hom- mes, il aurait beaucoup de souffrances à endurer. Eliud l'interrogeait toujours avec beaucoup de sim- plicité et de franchise ; il comprenait les paroles du (1) Le très saint Sacrement aurait ainsi existé en préparation dès le commencement. Dieu aurait tiré d'Adam, non seulement dont Eve fut formée, mais encore un autre élément sa- cramentel auquel il unit la bénédiction et qui fut la source des. grâces pour l'ancien peuple, et surtout la préparation de la chair et du sang de Jésus-Christ, instruments sacrés de toute béné^ diction. — 219 — Sauveur beaucoup mieux qu'aucun des futurs apôtres ne sut les comprendre ; il entendait le sens spirituel des choses, et cependant il ne pouvait se faire une idée de ce qui se préparait II demanda à Jésus où serait son royaume ; si ce serait à Jérusalem, à Jéricho, ou à Engaddi. Jésus répondit que là où il était, là était son royaume, que son royaume ne serait pas de ce monde. Jésus expliqua aussi plusieurs passages de l'Ecriture, où la lettre ne donne pas tout le sens spirituel et où les prophéties et les figures sensibles sont entendues trop matériellement. J^e vieillard parlait avec le Sauveur sans éprouver aucune gêne. Il lui raconta, comme s'il les eût ignorées, plusieurs choses de sa mère, et en fut écouté avec beau- coup de complaisance. Jésus parla aussi des parents de la très sainte Vierge ; il dit qu'aucune femme n'avait été plus chaste que sainte Anne, et que, si elle s'était remariée deux fois, après la mort de Joachim, elle l'avait fait par un ordre de Dieu : cette souche devant produire un nombre déterminé de rejetons. Eliud rapporta quelques circonstances de la mort de sainte Anne, et j'en vis un tableau. Anne était dans une salle située sur le derrière de la maison, couchée sur un lit ; elle parlait avec beaucoup de vivacité et nullement comme une personne qui touche à sa der- nière heure. Je la vis bénir ses plus jeunes filles et les autres personnes de la maison, qui se tenaient dans le vestibule ; Marie était à son chevet, et Jésus au pied de sa couche. Elle bénit Marie et demanda la bénédiction de Jésus, qui avait atteint l'âge d'homme et avait une barbe naissante. Je l'entendis quelque temps encore ; ses paroles étaient pleines de joie ; tout à coup elle leva les yeux au ciel, devint blanche comme la neige, et J'aperçus sur son front des gouttes semblables à des perles. Alors je m'écriai : « Ah ! elle se meurt, elle est morte I » — 220 — Eliud énuméra ensuite les vertus de Marie dans le Temple, et je vis de nouveau toute sa vie si modeste. si humble, si pieuse, telle qu'Eliud la rappelait au Seigneur. Ils s'entretinrent aussi de la conception du Messie, et Eliud rappela la visite de Marie à Elisabeth, etc., etc. Cet entretien si intime n'était interrompu que par la prière : je remarquai qu'Eliud témoignait au Sauveur du respect, mais qu'il se livrait avec lui à un enjouement naïf, et qu'il le traitait comme un homme élu, et non comme le Messie. Le nombre des Esséniens qui habitaient contre la montagne s'élevait à vingt environ, y compris cinq ou six femmes, occupant ensemble une maison à part. Ils honoraient tous Eliud comme leur supérieur, et se ras- semblaient, chaque jour, chez lui pour prier, Jésus prit, avec ce bon vieillard, un repas composé de fruits, de miel et de poisson ; mais il mangea bien peu. L'éminence, au pied de laquelle demeuraient les Es- séniens, n'était autre que la cime du mont où Nazareth est bâtie. La ville s'élève sur un de ses flancs, et en est séparée par un petit affaissement du sol ; du côté op- posé, la pente couverte de verdure et de vignobles se termine brusquement à pic ; au pied de l'escarpement, on voyait des décombres, des immondices et des osse- ments. C'est de là que plus tard les pharisiens voulu- rent précipiter Jésus. La maison de Marie était située dans la ville, contre une coUin-e, et plusieurs de ses parties semblaient des grottes creusées dans le roc. Le soir, Jésus alla à Nazareth avec Eliud. En dehors de ses murs, à l'endroit où Joseph avait eu son atelier de charpentier, demeuraient d'honnêtes familles pau- vres dont faisaient partie, pour la plupart, les compa- gnons d'enfance de Jésus. Eliud leur conduisit le Sau- veur, et ils offrirent à leurs hôtes du pain et de l'eau; à Nazareth l'eau était très bonne et très fraîche. Jésus s'assit au milieu d'eux, par terre, et les exhorta à aller au baptême du Précurseur. Ils étaient un peu timides — 221 — avec lui, qu'autrefois ils regardaient comme leur pa- reil ; c'est que maintenant il leur était amené, avec dB grands égards, par le vénérable Eliud, près duquel tous cherchaient des conseils et des consolations. Eux aussi avaient entendu parler du Messie, mais ils ne pouvaient s'imaginer que ce fût Jésus. I CHAPITRE VI Courses et nouveaux entretiens de Notre-Seigneur avec Eliud. Jésus quitta Nazareth avec Eliud, pour se diriger vers le midi. En traversant la vallée d'Esdrelon, ils arri- vèrent à une bourgade et ils entrèrent dans une au- berge. Les habitants de ce lieu se montrèrent indiffé- rents, sans être hostiles. Comme ils étaient partisans des pharisiens, ils se souciaient peu d'Eliud. Jésus dit aux chefs de la synagogue qu'il voulait y enseigner. Ils répondirent qu'on n'avait pas coutume de le per- mettre aux étrangers. Jésus alors leur déclara qu'il avait mission pour cela ; il entra dans l'école, et il fit une instruction sur le baptême de Jean et sur le Messie, dont le royaume ne devait pas être de ce monde, et qui ne se montrerait pas avec une pompe mondaine. Il se fit donner des rouleaux écrits, et expliqua plusieurs passages des prophètes. Je fus singulièrement touchée de la conversation in- time que le Sauveur eut ensuite avec Eliud ; ce bon vieillard connaissait sa mission, son origine surnatu- relie ; il y croyait ; cependant il ne paraissait pas soup- çonner que c'était Dieu lui-même. Pendant leur voyage, Eliud raconta à Jésus, avec une grande simplicité, beaucoup 'de faits de son enfance ; entre autres choses, — 222 — des détails relatifs à son séjour en Egypte; il les te- nait de la prophétes&e Anne, à qui la très sainte Vierge les avait donnés à son retour. Jésus, de son côté, ap- prit à Eliud des circonstances qu'il ignorait ; ses ré- cits étaient accompagnés d'explications pleines de pro- fondeur. Mais tout cela se passait naturellement et en toute simplicité : c'était l'entretien d'un bon vieillard avec un digne jeune homme aimé de lui. Le Sauveur parla aussi à Eliud du voyage qu'il de- vait faire pour recevoir le baptême de Jean. Rendez- vous était donné, avec plusieurs personnes, dans le dé- sert, près d'Ophra. Quant à lui, il souhaitait se rendre s-eul à Béthanie, pour visiter Lazare et causer avec lui. Lazare, comme je l'ai déjà dit, avait trois sœurs : Marthe, l'aînée, et deux autres appelées Marie ; Marie, dite Marie-Madeleine, était la plus jeune des trois ; la cadette, Marie, vivait tout à fait isolée ; elle ne parlait que rarement ; on l'appelait la Silencieuse, et l'on était tenté de la croire idiote, Jésus dit à Eliud que Marthe était bonne et pieuse, et qu'elle le suivrait ainsi que son frère. Il dit de l'idiote : « Celle-là avait beaucoup d'esprit et dïntelligence, mais c'est par miséricorde que ces facultés lui ont été enlevées. Elle n'est pas faite pour le monde, sa vie est tout intérieure, et elle ne pèche pas : si je m'entretenais avec elle, elle compren- drait les mystères les plus profonds. Elle mourra avant peu de temps : quant à Lazare et à ses deux autres soeurs, ils me suivront et donneront tout pour l'Eglise. Marie-Madeleine est égarée, mais elle se convertira et surpassera Marthe, etc. » Eliud parla au Sauveur de Jean-Baptiste, son cousin : il ne l'avait jamais vu, et n'était pas encore baptisé. Ils arrivèrent ainsi à Endor, ville en partie ruinée et pleine de décombres. D'un côté cependant s'élevaient encore des édifices grands comme des palais. Il n'y avait pas de synagogue dans cet endroit ; il me semble — 223 — que les hommes qui l'habitaient n'étaient pas de Ifr race des Juifs. Jésus se rendit, avec Eliud, sur une vaste place, occupée en partie par trois édifices, conte- nant une quantité de petites chambres, bâties près d'un étang entouré d'une pelouse, et sur lequel flottaient des nacelles de baigneurs : c'était comme un établisse- ment d'eaux minérales. Jésus entra avec Eliud dans un des édifices ; on lui lava les pieds et on l'hébergea, li enseigna sur la place, au milieu de laquelle un siège élevé ]u\ était préparé. Les femmes qui occupaient une des ailes vinrent se placer derrière les auditeurs. Les habitants de cette ville étaient au nombre d'environ quatre cents : c'étaient une sorte d'esclaves qui payaient un tribut sur les fruits qu'ils recueillaient. Ils s'étaient établis dans ce pays, à la suite d'une guerre : leur chef Sisara fut battu et ensuite tué par une femme (Juges, IV, 2). Sous David et Salomon, ils avaient dû travailler à extraire la pierre des carrières, pour la construction du Temple, et ils n'avaient pas cessé d'être employés à des travaux de ce genre. Le défunt roi Hérode s'était servi d'eux, pour faire bâtir un aqueduc long de plu- sieurs lieues, qui amenait l'eau à la montagne de Sion. Ils s'assistaient les uns les autres et étaient très chari- tables. Quoiqu'ils n'eussent aucun rapport avec les Juifs, il leur était néanmoins permis d'envoyer leurs enfants aux écoles de ces derniers ; mais ils ne le fai- saient pas, tant ils étaient opprimés et méprisés. Jé- sus fut plein de compassion pour eux ; il vit même leurs malades. Lorsqu'il enseigna, touchant le baptême et le Messie, il les exhorta à se faire baptiser. Ils lui dirent, avec une humble timidité, qu'ils ne pouvaient prétendre à une telle chose, qu'ils étaient expulsés de la société hu- maine. Alors Jésus les éclaira, en leur racontant la parabole de l'économe infidèle. Il raconta aussi la pa- rabole du fils que son père envoie prendre possession de la vigne. Il s'en servait toujours à l'égard des — 224 — païens délaissés de tous. Ces pauvres gens préparèrent à Jésus un repas en plein air ; le Sauveur y invita les indigents et les malades, et les servit à table avec Eliud. Ils en furent vivement émus. Le soir Jésus se rendit, avec Eliud, à la synagogue du faubourg; ils y célébré- ^ rent le sabbat et y passèrent la nuit. ' Le lendemain, il retourna enseigner à Endor, car la distance n'excédait pas cell« qu'il est permis de par- courir un jour de sabbat. Je crois que les habitants étaient Chananéens et du pays de Sichem. Ils avaient, dans une salle, une idole, cachée sous terre, qui, au moy-en d'un ressort, sortait, tout à coup, du sol et se plaçait sur un autel élégamment orné ; elle leur venait de l'Egypte et était connue sous le nom d'Astarté. Dans son instruction, Jésus leur reprocha cette idolâtrie, qu'ils pratiquaient en secret. L'après-midi, il se rendit encore, avec Eliud, à la sy- nagogue pour la clôture du sabbat. Les Juifs étaient très mécontents de sa visite à Endor ; mais il leur re- procha sévèrement leur dureté, envers ces hommes délaissés, et les pria de s-e montrer plus charitables à' leur égard, et de les conduire avec eux au baptême,' car ses discours les avaient décidés à le recevoir. Après avoir entendu Jésus, l'irritation des Juifs se calma. : Vers le soir, le Sauveur retourna à Nazareth avec Eliud ; et, chemin faisant, ils continuèrent leurs entre- tiens. Eliud revint sur le voyage en Egypte, amené à en parler pour avoir demandé à Jésus, si son royaume ne s'étendrait pas jusqu'aux bonnes gens de ce pays, qui avaient été touchés par sa seule présence, quoiqu'il ne fût encore qu'un enfant. Ici je fus assurée que ma vision, touchant un voyage fait par Jésus en Egypte, à travers l'Asie païenne, après la résurrection de Lazare, n'était pas un rêve : car le Sauveur dit à Eliud que partout où il avait semé, il irait, avant sa fin, recueillir les épis épars. Eliud avait quelque connaissance de Melchisédech, — 225 — ainsi que du pain et du vin bénits par lui; mais il ne pouvait s'-expliquer la nature de Jésus, et il lui de- manda s'il n'était pas quelque chose comme Melchisé- dech. Jésus répondit : « Non ; Melchisédech devait pré- parer mon sacrifice, mais c'est moi-même qui serai la victime. » CHAPITRE VII Jésus confond des savants dans la synagogue de Nazareth et refuse des jeunes gens qui s'offrent à lui pour disciples Deux pharisiens d« Nazareth vinrent alors à Jésus, pour l'inviter à se rendre, avec eux, dans l'école de la ville : ils disaient qu'on leur avait tant parlé de son en- seignement dans le pays, qu'ils désiraient, eux aussi, entendre ses explications sur les prophètes. Jésus les suivit. Ils le conduisirent dans une maison où plusieurs pharisiens étaient réunis. Ceux-ci furent très bienveil- lan'ts pour lui. Ils écoutèrent avec un vif intérêt les belles paraboles qu'il leur raconta ; ils prirent grand plaisir à son enseignement, et le conduisirent dans la synagogue, où une multitude d'auditeurs l'attendaient. Là le Sauveur parla de Moïse, et expliqua les prophé- ties touchant le Messie. Comme les pharisiens soup- çonnèrent qu'il entendait parler de lui-même, ils fu- rent fort scandalisés. Toutefois ils lui donnèrent un repas chez l'un d'eux. Le lendemain, Jésus instruisit un grand nombre de publicains qui allaient au baptême. Il enseigna de nouveau dans la synagogue, il parla du grain de fro- ment qui doit mourir. Les pharisiens se scandalisèrent une seconde fois : ils répétèrent que Jésus n'était que le fils de Joseph le charpentier, et lui reprochèrent surtout ses rapports avec les publicains et les pécheurs. ^ 226 — Ils lui parlèrent en outre des Esséniens, les traitant d'hypocrites qui ne vivaient pas selon la loi. Mais Jé- sus leur déclara qu'ils observaient la loi mieux qu'eux- mêmes ne l'observaient et que le reproche d'hypocrisie retombait sur eux s-euls. Un de leurs griefs contre lui était sa facilité à se laisser approcher par des enfants et à les bénir. En effet, entrait-il dans la synagogue, ou en sortait-il, une foule de femmes lui présentaient leurs enfants, le priant de les bénir. Les bénédictions étaient fort en usage chez les Esséniens, c'est pourquoi les pharisiens récriminèrent à ce sujet. Lorsque Jésus de- meurait encore à Nazareth, il s'occupait beaucoup des enfants, qui se calmaient et cessaient de pleurer quand il les bénissait. Les mères, se souvenant de cela, et voulant voir s'il n'était pas devenu plus fier, lui ame- naient leurs enfants. J'en vis qui avaient des convul- sions et qui poussaient de grands cris ; mais aussitôt que Jésus les eut bénis, ils se tranquillisèrent. Je vis sortir de quelques-uns comme une noire vapeur. Il mettait la main sur la tête des enfants et les bénissait à la manière des patriarches, en portant la main de la tête et des deux épaules jusqu'à la poitrine. Il se trouvait à ce moment deux familles riches à Nazareth ; elles avaient trois fils qui dans leur pre- mière jeunesse, avaient eu des rapports avec Jésus : ces ieunes gens étaient intelligents et savants. Leurs pa- rents, après avoir assisté à l'instruction de Jésus, et à qui d'ailleurs on avait beaucoup vanté sa sagesse, convinrent avec eux qu'ils iraient l'entendre, et qu'en- suite ils lui offriraient de l'argent pour qu'il leur per- mît de voyager avec lui et de participer à sa science. Ils avaient la bonhomie d'estimer assez leur fils pour s'imaginer que Jésus dût leur servir de précepteur. Les jeunes gens se rendirent donc à la synagogue, où, sur l'invitation des pharisiens, tous les hommes savants de Nazareth s'étaient rassemblés. Les pharisiens voulaient mettre Jésus à l'épreuve de toute manière. Il s'y trou- — 227 — vait, entre autres, un docteur de la loi et un médecin, grand et gros homme à longue barbe, portant une ceinture particulière, avec un insigne à l'épaule. En en- trant dans l'école, Jésus guérit deux enfants lépreux. Pendant qu'il y enseignait, il fut plusieurs fois inter- romj)u par les savants, qui lui posèrent force questions épineuses ; mais il les réduisit tous au silence, par la sagesse de ses réponses. Il résolut, en particulier, celles du docteur de la loi, par des citations tirées, avec une admirable perspicacité, de la loi de Moïse. Il condamna d'une manière absolue le divorce, disant que le mariage ne pouvait être dissous ; que, si le mari était dans l'impossibilité morale de vivre avec sa femme, il lui était permis de se séparer d'elle, mais qu'ils demeuraient toujours une seule chair et n'avaient plus la puissance de se remarier. Cela déplût extrême- ment aux Juifs. Le médecin lui demanda s'il savait dis- tinguer les tempéraments secs ou humides, s'il pouvait dire sous quelles planètes étaient nés tels ou tels hom- mes, et quelles herbes il fallait donner aux uns ou aux autres ; enfin de quelle manière était construit le corps humain. Jésus lui répondit avec une profonde sagesse ; il parla de la complexion de quelqu-es-uns des audi- teurs, de leurs maladies et des remèdes propres à les guérir ; il dit sur le corps humain des choses entiè- rement inconnues au médecin. Il parla de l'influence de l'âme sur le corps, et dit qu'il y a des maladies qui ne peuvent être guéries que par la prière et la péni- tence, et d'autres qui ont besoin du secours de la mé- decine. Ses discours furent si pleins de sagesse et d'élo- quence, que le médecin, étonné, s'avoua vaincu, et dé- clara au Sauveur qu'il n'avait jamais connu d'homm-e aussi savant que lui. Jésus décrivit ensuite le corps humain avec ses membres, ses veines, ses nerfs et ses intestins ; il fît connaître leur destination et leurs rap- ports réciproques avec une exactitude si merveilleuse et des vues si supérieures, que le médecin se fît tout — 228 — humble devant lui. Il y avait aussi là un astronome, et Jésus parla du cours des astres, de leur action les uns sur les autres, de leurs influences diverses, des comètes et des constellations. A un autre des audi- teurs il dit des choses très profondes sur l'architec- ture. Il parla aussi du commerce, et à la fin il blâma sévèrement les modes et le luxe venus d'Athènes. Il dit que ces choses étaient d'autant plus dangereuser qu'on ne les regardait pas comme des péchés, et qu'on n'en faisait pas pénitence. La sagesse profonde qui éclatait dans les paroles de Jésus ravit ses auditeurs. Ils le pressèrent de rester dans leur ville, lui offrant une maison, avec toutes les autres choses dont il pourrait avoir besoin, et lui de- mandant aussi pourquoi il était allé s'établir à Ca- pharnaüm avec sa mère. Il parla de sa vocation et de sa mission, dit qu'ils étaient allés à Capharnaüm parce qu'il voulait demeurer au centre du pays. Ils ne le comprirent pas, et furent fort mécontents de ce qu'il refusait de résider parmi eux. Ils tenaient leurs offres pour très avantageuses, et ce qu'il disait de sa vo- cation et de sa mission, pour des marques d'orgueil. Les trois jeunes gens désiraient lui parler en parti- culier; mais il ne voulut les entendre qu'en présence de ses disciples, alors au nombre de neuf, et, comme ils s'en montraient tout chagrins, Jésus insista pour qu'il y eût des témoins de leur entretien. Alors ils lui exposèrent modestement et humblement leur désir d'être reçus au nombre de ses disciples. « Nos pa- rents, ajoutèrent-ils, vous donneront de l'argent ; quant à nous, nous vous accompagnerons, nous vous servirons et vous assisterons dans vos travaux )). Je vis ./;g Jésus regrettait de ne pouvoir accorder ce qu'ils demandaient, non seulement à cause d'eux-mêmes, mais aussi à cause de ses disciples, incapables en- core de comprendre les motifs qui le faisaient agir, «c Celui, répondit-il, qui donne de l'argent pour obtenir — 229 — quelque chose veut en tirer un avantage temporel; mais celui qui a la volonfé de me suivre doit renoncer à tous les biens de ce monde, et même abandonner pa- rents et amis. » Il dit aussi que ses disciples ne pren- draient pas de femmes. Ils furent très découragés de ces paroles, et lui objectèrent qu'il y avait cependant des gens mariés parmi les Esséniens. Jésus répliqua qu'ils ne manquaient pas à leur devoir en se confor- mant à leurs règles, mais que son enseignement avait pour but d'accomplir ce qu'ils n'avaient fait que pré- parer. Il les congédia, en les engageant à réfléchir sé- rieusement. Ses disciples étaient effrayés de ce que Jésus l-eur avait imposé des obligations si difficiles : ne pouvant, pas le comprendre, ils en furent abattus. Il se rendit avec eux de Nazareth chez Eliud, et leur dit, en chemin, qu'ils ne devaient pas perdre courage ; qu'il avait eu de graves raisons pour agir comme il avait fait avec ces jeunes gens ; qu'ils ne viendraient jamais à lui ou n'y viendraient que bien tard ; quant à eux, ils n'avaient qu'à le suivre en paix et sans In- quiétude, etc. Ils arrivèrent ainsi à la maison d'Eliud. Je ne crois pas que le Sauveur revienne de nouveau voir Eliud, car il y a 15eaucoup de rumeurs et d'agita- tion à Nazareth. Les habitants sont fort irrités de ce qu'il n'a pas voulu s'y fixer. « C'est sans aucun doute, disaient-ils, un homme remarquable et de beaucoup d'esprit, à qui ses voyages ont appris bien des choses, mais il est trop fier pour le fils d'un charpentier. » Quant aux jeunes gens qui avaient voulu le suivre, je les vis retourner chez eux ; les parents se fâchèrent du refus du Sauveur, et tout le monde s'indigna contre lui. Cependant ils revinrent le trouvez chez Eliud, pour \ le prier encore une fois de les recevoir parmi ses dis- » ciples. Ils lui promirent de lui obéir en tout, comme \ des^ serviteurs. Jésus persista dans son refus ; mais il \ était affligé de ce que les jeunes gens ne pouvaient en - 2no — comprendre les motifs. 11 s'entretint ensuite, avec ses neuf disciples, de ceux qu'il venait de rejeter. « Ils ne pensent, dit-il, qu'à leurs intérêts, et sont bien loin j de vouloir se dépouiller de tout par charité ; mais vous, vous ne demandez rien, c'est pourquoi vous rece- vrez beaucoup. » Après leur avoir dit d'autres choses non moins belles et profondes sur le baptême, il les pria j de passer par Capharnaüm ; de prévenir sa mère qu'il allait au baptême, puis d'aller annoncer à Jean sa prochaine arrivée. CHAPITRE VIII Notre-Seigneur guérit un lépreux et se transfigure devant j Eliud. i Jésus quitta Nazareth, accompagné d'Eliud. Il se dé- î tourna de sa route pour aller à un endroit habité par \ des lépreux ; ils y arrivèrent, en effet, au point du jour. •; Eliud voulait empêcher Jésus d'y pénétrer, de peur . qu'il ne contractât une souillure : il disait qu'il serait .1 exclu du baptême, si Jean venait à savoir qu'il y fût i entré, etc. Jésus lui répondit qu'il connaissait sa mis- '• sion, qu'il irait là parce qu'il y avait un homme pieux qui désirait ardemment le voir. Ils eurent à traverser " le torrent du Cison, dont l'eau, sur l'autre rive, était conduite, par une rigole, dans un petit étang où se la- vaient les lépreux ; ceux-ci habitaient, au bord de ce canal, des cabanes dispersées, sans autre société que celle de leurs surveillants. Eliud resta en arrière, tandis que le Seigneur entra dans une cabane où l'un de c-es malheureux était cou ché ^ar terre, enveloppé de linges. C'était l'hommti pieux dont avait parlé Jésus. Le Sauveur s'entretin| avec lui. Le lépreux se mit sur son séant, et fut profon^ - 231 — dément touché de ce que le Seigneur était venu à lui. Jésus lui ordonna de se lever, et de se plonger dans une auge pleine d'eau qui se trouvait près de sa ca- bane. Dès qu'il y fut, Jésus étendit ses mains au-dessus de l'eau : alors cet homme fut délivré de sa lèpre. II lui défendit de parler de sa guérison jusqu'à son retour du baptême. Le lépreux l'accompagna quelque temps, puis le Sauveur lui ordonna de le quitter, et se dirigea avec Eliud vers le midi, en passant par la vallée d'Es- drelon. Tantôt ils causaient, tantôt ils marchaient sé- parés, et semblaient prier et méditer. Jésus n'avait pas de bâton, il n'en portait jamais ; et il n'avait aux pieds que des sandales. J3 ccntinuai de les voir ainsi poursuivre leur voyage, et j'eus, pendant qu'ils cheminaient, une vision mer- veilleuse. Eliud parlait à Jésus, qui marchait devant lui, de la beauté et de la conformation si parfaite de son corps. Jésus lui répondit : a Si tu revoyais ce corps dans deux ans, tu n'y trouverais ni beauté ni perfec- tion, tant ils m'auront outragé et maltraité. » Eliud ne put pas comprendre ces paroles ; il pensait toujours qu'il devait bien se passer dix ans, ou peut-être vingt, avant que Jésus eût fondé son royaume : ce qui était tout naturel, puisqu'il se le représentait comme un royaume terrestre. Peu après, Jésus s'arrêta et dit à Eliud, qui le suivait tout pensif, d'approcher, parce qu'il voulait lui faire voir qui il était, ce qu'était son corps et quel état son royaume. Eliud se tint à quel- ques pas de Jésus, et le Seigneur leva les yeux au ciel en priant. Alors il en descendit une nuée qui les en- veloppa tous deux, de sorte qu'on ne pouvait plus les apercevoir du dehors. Le ciel, s'entr'ouvrant, découvrit ses splendeurs, qui s'abaissèrent vers eux. Je vis en haut la Jérusalem céleste, la cité de Dieu, entourée de murs où brillaient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ; Dieu le Père m'apparut sous une forme lumineuse, et Jésus, participant à sa lumière, se montra dans son 12 — 232 — humanité, mais resplendissant et diaphane. D'abord Eliud, ravi en extase, regardait en haut, puis il se pros- terna la face contre terre, jusqu'à ce que la lumière et toute l'apparition se fussent évanouies. Alors Jésus se remit en marche, et Eliud le suivit, silencieux et tout irxtimidé de ce qu'il avait vu. Cette vision ressemblait à la Transfiguration ; mais je ne vis pas Jésus élevé en l'air. Je ne crois pas qu'Eliud ait vécu jusqu'au cru- cifi-ement de Jésus. Le Seigneur s'entretenait plus inti- mement avec lui qu'avec Les apôtres, car il était initié à beaucoup de secrets de sa famille, et il avait reçu de grandes lumières. Il était un des Esséniens les plus instruits, aussi fut-il très utile à la communauté (1). Le Sauveur l'avait accueilli comme un ami intime, et lui avait accordé un grand pouvoir. Je vis Jésus et Eliud arriver, au point du jour, dans un lieu où stationnaient des bergers. Ceux-ci avaient déjà quitté leurs cabanes et se trouvaient au milieu de leurs troupeaux ; ils allèrent à la rencontre de Jésus, qu'ils connaissaient, et se prosternèrent devant lui. Ils lui lavèrent les pieds ainsi qu'à Eliud, leur préparèrent une couche et mirent devant eux du pain et de petite? coupes. Ils leur firent aussitôt rôtir des tourterelles, qui avaient leurs nids dans les cabanes et voltigeaient en grand nombre çà et là. Ce fut alors que Jésus se sépara d'Eliud, après lui avoir donné sa bénédiction, qu'il re- çut à genoux. Les bergers étaient présents ; Jésus lui dit : « Attends en paix le terme de tes jours; la route que j'ai à parcourir est trop pénible pour que tu puisses m'y suivre ; je te considère toutefois comme l'un des miens ; tu as déjà fait ta part du travail de la vigne, et tu seras récompensé dans mon royaume. » Depuis la vision, Eliud était silencieux et profondément ému. Il '4 (1) ïîliud «emble être une personnification de l'esprit de eain- ^ teté produit par la loi ancienne dans les âmes d'élite, et qui, * illuminé et consommé par la présence de Jésus, devait servir à lui rendre témoignage. 1 — 233 — accompagna encore Jésus à quelque distance des ca- banes des bergers, puis le Seigneur l'embrassa, f>t Eliud se sépara de lui avec une mâle émotion. CHAPITRE IX Jésus 80 rend à Béthanie, toujours en invitant au baptême de Jean. J'ai vu les disciples envoyés en avant par Jésus ar- river avant-hier à Capharnaiim. Ils s'entretinrent avec la sainte Vierge ; d'eux d'entre eux se rendirent ensuite à Bethsaïde pour chercher Pierre et André, auprès des- quels se trouvaient Jacques le Mineur, Simon, Thaddée, Jean et Jacques le Majeur. Les disciples de Jésus va.n- tèrent sa bonté, sa douceur et sa sagesse ; ceux du Pré- curseur parlèrent avec enthousiasme de Jean-Baptiste, de l'austérité de sa vie et de son enseignement, disant qu'ils n'avaient jamais entendu personne interpréter aussi bien que lui les prophètes et la loi. Jean lui-même était grand admirat-eur de Jean-Baptiste, bien qu'il connût aussi le Sauveur : à une époque antérieure, ses parents ne demeuraient qu'à deux lieues de Nazareth, et Jésus l'aimait dès son enfance. Les disciples de Jésus et de Jean-Baptiste se mirent en route tous ensemble pour se rendre vers ce dernier. Pierre et André disaient de lui qu'il était issu d'une fa- mille sacerdotale distinguée, qu'il avait été instruit par des Esséniens dans le désert, qu'il ne souffrait aucun désordre, qu'il était aussi austère que sage. Les dis- ciples de Jésus faisaient valoir la bonté et la sagesse do .leur maître; mais les autres leur objectaient que, par I suite de sa condescendance, plusieurs continuaient de vivre dans le dérèglement; ils en citaient des exem- — 234 — pies, et ils faisai-ent observer qu'il avait dû être instruit par des Esséniens dans ses derniers voyages, etc. En les entendant parler ainsi, je me disais que les hommes^ d'alors étaient bien comme ceux d'aujourd'hui. Pendant ce temps, je vis Jésus prier seul dans l'hô- tellerie de Gur, qui n'était pas très éloignée de la ville de Mageddo. J'ai appris, par une vision, que, vers la fin du monde, une bataille sera livrée contre l'Antéchrist, dans la plaine de Mageddo. Jésus se leva au ])üint du jour, roula sa couche, mit sa ceinture, laissa une pièce de monnaie sur la couverture et continua son chemin. Il prit des détours, évitant d'entrer dans les villag-es et de communiquer avec qui que ce fût. Il passa au pied du mo'nt Garizim, ayant à sa gauche Samarie, et se dirigea vers le midi. Je le vis, en plusieurs endroits, manger des baies et des fruits, et boire de l'eau, qu'il puisait dans le creux de sa main ou dans une feuille repliée. Arrivé dans un village de bergers, le Seigneur s'ar- rêta dans une hôtellerie. Le matin il se rendit à l'école, où il enseigna, comme à l'ordinaire, sur le baptême et sur l'approche du Messie, qui, disait-il toujours, ne serait pas connu. Il reprocha à tous ceux qui étaient venus l'entendre leur attachement opiniâtre à d'an- ciennes et vaines coutumes. Ces gens étaient assez simples ; ils prirent en bonne part ses paroles. Jésus se fit conduire par le chef de la synagogue chez dix ma- lades environ, mais il n'en guérit aucun : il avait aupa- ravant dit à Eliud et à ses disciples, que jusqu'à son baptême il n'opérerait aucune guérison, dans le voisi- nage de Jérusalem. Ces malades étaient pour la plupart, des hydropiques et des goutteux ; il y avait aussi des femmes infirmes. 11 leur fit des exhortations, et dit à chacun en particulier ce qu'il avait à faire pour son salut ; car leurs maladies étaient en partie la punition de leurs péchés. Il ordonna à quelques-uns de se puri- fier et d'aller au baptême. — 235 — Il y avait un souper dans rhôtellerie ; plusieurs ha- bitants du lieu y assistaient.- Ils parlèrent de Tunioiï criminelle d'Hérode, qu'ils blâmaient, et demandèrent :.u Sauveur de faire connaître son sentiment à ce sujet. Jésus désapprouva sévèrement la conduite de ce prince, mais il dit aussi qu'avant de juger les autres, on devait se juger soi-même ; il s'éleva avec force contre les pé- chés qui se commettant dans le mariage. Le Sauveur reprit très fortement, mais en particulier, plusieurs pécheurs de ce lieu ; il leur reprocha sévère- ment leurs adultères et parla à quelques-uns de leurs péchés les plus secrets. Ils en furent si. effrayés, qu'ils promirent de faire pénitence. Ensuite il se dirigea vers Béthanie, en passant par ks montagnes. Un soir, Jésus étant entré dans une maison pour de- mander un peu de nourriture, plusieurs personnes s'approchèrent de lui, et, comme il venait de Galilée, ils l'interrogèrent sur ce docteur de Nazareth dont on parlait tant et qu'annonçait Jean-Baptiste. On lui de- manda si le baptême de ce dernier était bon. Le Sau- veur les exhorta à aller au baptême et à faire péni- tence ; il parla ensuite du prophète de Nazareth et du Messie, disant qu'il paraîtrait parmi eux sans qu'on le reconnût, et que même on le persécuterait et le maltrai- terait ; que les temps étaient accomplis, et qu'ils de- vaient faire attention à tout ; qu'il ne paraîtrait point avec pompe ni en triomphateur, qu'au contraire il se- rait pauvre et entouré d'hommes simples, etc. Ces gens ne surent qui il était, mais ils l'accueillirent et le trai- tèrent avec beaucoup de respect : ils le conduisirent même jusqu'à une certaine distance, après qu'il se fut reposé chez eux environ deux heures. ^236 — CHAPITRE X Jésus reçu à Béthanie par Lazare son ami. Jésus arriva à Béthanie dans la nuit. Le château de Béthanie appartenait à Marthe ; mais Lazare aimait à y demeurer, et ils y vivaiemt en commun. Ils attendaient Jésus, pour lequel ils avaient préparé un festin où plu- sieurs hôtes étaient conviés. Chez Marthe se trouvaient Séraphia (Véronique), Marie mère de Marc et une f^mme âgée venue de Jérusalem.. Cette femme avait quitté le Temple, à l'époque où Marie y était entrée ; mais elle y serait volontiers resté«, si elle n'avait pas reçu d'en haut l'ordre de se mari-er. Chez Lazare se trouvaient Nicomède, Jean Marc, un des fils de Siméon, €t un vieillard appelé Obed, frère ou neveu de la prc- phétesse Anne. Tous étaient devenus amis de Jésus, soit par l'intermédiaire de Jean-Baptiste, soit par des relations de famille, soit enfin à cause des prophéties de Siméon et d'Anne. Nicomède était un homme séri-eux, observateur pro- fond ; il fondait des espérances sur Jésus. Tous avaient reçu le baptême de Jean, et s'étaient rendus à Béthanie sur l'invitation de Lazare. Plus tard Nicomède se mit au service de Jésus, mais toujours en secret. Lazare avait envoyé des serviteurs au-devant de Jésus ; ils le rencontrèrent à une demi-lieue de Bé- thanie. L'un d'eux, aussi fidèle qu'âgé, et qui plus tard devint son disciple, se prosterna à ses pieds, disant : « Je suis le serviteur de Lazare ; si je trouve grâce devant vous, mon Seigneur, veuillez me suivre chez lui. » Jésus lui dit de se relever et le suivit. Il se montra très bienveillant à l'égard de cet homme, tout en con- — 237 — servant sa dignité. Charme inexprimable ! on aimait l'homme et Ton sentait le Dieu. Le serviteur le conduisit dans le vestibule du château près d'une fontaine, lui lava les pieds et lui mit d'autres sandales ; tout était préparé pour le rec-evoir. Lazare vint ensuite avec ses amis, lui apportant quelques rafraîchissements. Jésus embrassa Lazare et salua les convives en leur donnant la main. Tous le servirent avec empressement et l'ac- compagnèrent dans la maison. Lazare le conduisit d'abord dans l'appartement de Marthe. Les femmes qui étaient là, enveloppé-es de leurs voiles, se prosternèrent devant lui ; Jésus les releva, et dit à Marthe que sa mère viendrait chez elle pour attendre son retour du baptême. Ils passèrent de là chez Lazare, où un repas était servi. Jésus commença par prier et bénir tous les mets. Il était très sérieux, et même un peu triste. A table il dit aux convives que des temps difficiles approchaient, qu'il allait entrer dans une voie rude qui aboutirait pour lui à de grandes douleurs. Il les exhorta à la persévérance ; car, s'ils voulaient être ses amis, ils de- valent participer à ses souffrances. Ses paroles les tou- chèrent jusqu'aux larm-es ; mais, ignorant qu'il était Dieu, ils ne le comprirent qu'imparfaitement. Je m'étonne toujours de ce manque d'intelligence. Dans ma profonde conviction de la divinité de Jésus, je ne puis m'empêcher de me demander pourquoi ce que je vois si clairement ne leur a pas été montré. J'ai vu Dieu créer l'homme, tirer de lui et former la pre- mière femme qu'il lui donnait pour compagne ; j'ai vu la chute de tous deux, la promesse du Messie, la dis- persion de l'humanité souillée par le péché ; j'ai vu les voies merveilleuses de Dieu destinées à préparer la venue de la sainte Vierge. J'ai vu la bénédiction par laquelle le Verbe s'est fait chair suivre son cours, comme une voie lumineuse, à travers toutes les générations des ancêtres de Marie : j'ai vu enfin le message transmis — 238 — par l'ange à la sainte Vierge, et le rayon de la divinité •qui pénétra en elle, quand elle conçut le Sauveur. Et après tout cela n'ai-je pas lieu de m'étonner, moi, indigne et misérable pécheresse, de ce qu'en présence même de Jésus ces saints personnages, ses contem- porains, ses amis, qui l'aimaient -et le vénéraient, aient pu s'imaginer que son royaume dût être un royaume de ce monde, et, tout en le reconnaissant pour le Messie promis, n'aient pas compris que c'était Dieu lui-même ? Jésus n'était pour eux que le fils de Joseph et de Marie : personne ne soupçonnait que Marie fût vierge, car ils n'avaient aucune idée d'une conception surnaturelle et immaculée. Ils ignoraient même le mystère de l'arche d'alliance. Pour eux, c'était déjà beaucoup, c'était même un grand privilège de grâce que de le reconnaître et de l'aimer. Les pharisiens, malgré les prophéties de Siméon et d'Anne lors de sa présentation, et malgré surtout les merveilleuses ré- ponses qu'il avait faites au Temple dans sa douzième année, étaient enUèrement endurcis. Ils trouvaient sa famille trop obscure, trop pauvre, trop méprisable : il leur fallait un Messie glorieux. Lazare, Nicodème et beaucoup de ses disciples croyaient que la mission de Jésus était de s'emparer avec ses partisans de Jérusa- lem, d'affranchir les Juifs du joug des Romains et de rétablir le royaume de David ; mais ils n'exprimaient pas leur pensée: Il en était alors ce qui en serait aujourd'hui : chacun tiendrait pour un Sauveur celui qui pourrait rendre à la patrie la liberté et le cher gouvernement des anciens jours. Ils ignoraient encore que le royaume du salut n'est pas de ce monde, du monde de l'expiation. Ils se réjouissaient à la pensée que c'en serait bientôt fait de l'omnipotence de tel ou tel oppresseur du peuple. Cependant ils n'osaient pas parler de cela à Jésus, parce qu'ils remarquaient, avec grande confusion, qui ni sa conduite, ni ses paroles ne répondaient à leur attente. — 239 — Le repas achevé, ils entrèrent dans un oratoire où le Sauveur rendit des actions de grâces de ce que le temps de commencer sa mission était venu. Cette prière fut si touchante, que tous pleurèrent. Les femmes y as- sistaient, mais elles se tenaient à l'écart. Après que Jésus eut béni tous ceux qui l'accompagnaient, Lazare le conduisit dans le lieu où il devait se reposer. C'était une grande salle, autour de laquelle les hommes avaient leurs lits ; elle se partageait en compartiments, et était mieux disposée que dans les maisons ordinaires. La- zare alluma la lampe, se prosterna devant Jésus, reçut une seconde fois sa bénédiction et se retira. Je n'aperçus point la sœur idiote de Lazare : elle se tenait cachée, et ne disait jamais un mot devant qui que ce fût ; mais, lorsqu'elle était seule dans sa chambre ou dans son jardin, elle parlait tout haut, s'adressant la parole à elle-même ou l'adressant aux objets dont elle était entourée, et qui lui semblaient vivants. Quand il y avait là quelqu'un, elle ne faisait pas un mouvement, se tenait les yeux baissés dans l'attitude d'une statue. Cependant elle saluait en s'inclinant et observait toutes les bienséances. Dans sa solitude, elle travaillait à ses vêtements, et faisait parfaitement toutes sortes d'ou- vrages. Elle était très pieuse, néanmoins elle n'allait jamais à la synagogue, mais faisait chez elle ses prières. Je crois qu'elle avait des visions et s'entretenait avec des esprits. Elle avait une tendresse indicible pour ses frères et ses sœurs, surtout pour Madeleine. Telle était sa manière d'être depuis sa première jeunesse. Tout dans sa mise était décent, et il n'y avait rien qui indiquât la folie. Elle avait des femmes qui étaient constamment à ses ordres. Madeleine menait grand train à Magdalum ; jusqu'à présent on n'a pas parlé d'elle devant Jésus. Je vis Jésus entouré de Lazare et des amis venus de Jérusalem. Ils se promenaient dans les cours et les jardins du château; mais le Sauveur n'entra pas à — 240 — Béthanie. Tout en marchant, il enseignait avec la plus touchante gravité. Il était à la fois très affectueux et très digne; jamais je n'ai entendu une parole inutile sortir de sa bouche. Tous le suivaient avec amour, quoique sa présence leur inspirât une crainte respec- tueuse. Lazare seul usait envers lui d'une douce fami- liarité. CHAPITRE XI Entretien de Jésus avec Marie la Silencieuse. Jésus, accompagné de Lazare, alla visiter les saintes femmes, et Marthe le conduisit chez sa sœur Marie la Silencieuse, avec laquelle il voulait avoir un entretien, Jésus resta dans le jardin de Marie, et Marthe alla chercher sa sœur. Au milieu du jardin, qui était fort agréable, s'élevait un grand dattier tout entouré de plantes aromatiques. Il s'y trouvait aussi un bassin om- bragé par un pavillon, et au milieu de la fontaine était placé un siège en pierre auquel conduisait un petit pont de bois, et d'où la vue se reposait agréablement sur l'eau. Marthe dit à sa sœur de venir dans la cour, où quelqu'un la demandait. Elle obéit aussitôt, mit son voile et descendit dans le jardin ; alors Marthe la quitta. Elle était grande et belle, et avait environ trente ans : elle contemplait presque continuellement le ciel, et si parfois elle tournait les yeux vers Jésus, ce n'était que vaguement, comme si elle eût regardé dans le lointain. Elle ne disait jamais « je », mais « tu », quand elle parlait d'elle-même ; il semblait qu'elle s'adressait à quelque personne placée devant elle. Elle ne se pros- terna pas devant Jésus, qui lui adressa le premier la parole- Ils se promenèrent dans le jardin, l'un à côté de l'autre ; mais vraiment on ne saurait dire qu'ila — 241 ^ s'entretenaient ensemble. Marie, toujours les yeux air <:iel, parlait des choses célestes, comme si elle les eût vues. Jésus, de même, parlait de son Père et avec son Père. Marie se tournait souvent à demi vers lui, mais sans arrêter sur lui ses regards. Leurs discours res- semblaient bien moins à une conversation qu'à des prières et des cantiques, à des méditations sur des mystères. Marie ne paraissait pas avoir conscience de sa vie terrestre ; son âme était dans un autre monde. Les yeux levés vers le ciel, elle parlait de Flncarnation du Verbe, comme si elle l'avait vue se traiter dans le conseil de la très sainte Trinité. Je ne saurais répéter ses paroles naïves et toutefois pleines de grandeur. Elle disait, comme si la chose se fût passée sous ses yeux : « Le Père a dit à son Fils qu'il doit descendre sur la terre et prendre un corps dans le sein de la Vierge. » Puis elle exprimait la joie qui éclatait au milieu des anges, à l'ordre qui fut donné à Gabriel de se rendre auprès de Marie. Elle voyait les chœurs des anges descendre à la suite de Gabriel, et leur parlait commo un enfant parlerait à une procession défilant devant lui, exprimant sa joie à la vue de la beauté de ses rangs, de l'ordre et de la piété qui y régnent. Puis elle voyait l'intérieur de la cellule de la sainte Vierge. Elle témoi- gnait à Marie son désir ardent qu'elle accueillît le mes-i sage de Fange. Elle fit ses réflexions naïves sur l'hési- tation de Marie à donner son consentement : « Tu avais Tait vœu de rester vierge, dit-elle à Marie ; mais, si tu avais refusé de devenir mère du Seigneur, comment aurait-on fait ? Aurait-on pu trouver une autre Marie ? Israël, pauvre orphelin ! tu aurais eu longtemps encore à soupirer ! » Elle se livra ensuite à la joie de ce quö la Vierge avait consenti, et la combla d'éloges ; puis elle parla de la naissance de Jésus, s'adressant à l'enfant lui-même et lui dit, entre autres passages des pro- phètes qu'elle mêlait à ses discours : « Tu mangeras du fceurre et du miel. » Elle parla des prophéties d'Annet — 242 — ot de Sîméon. Enfin elle dit : (c Maintenant eu vas corn- riencer ta mission pénible et douloureuse, etc. » Elle parlait toujours comme si elle eût été seule, quoique sachant le Seigneur auprès d'elle, et il semblait, à rentendre, qu'il fût aussi éloigné que tous les faits qu'elle racontait. Jésus l'interrompait, de temps en temps, par des oraisons et des actions de grâces, glori- fiant Dieu et priant pour les hommes. C'était touchant et admirable à l'entendre. Jésus l'ayant quittée, elle rentra dans son calme pro- fond et revint à sa chamBre. De retour auprès de La- zare et de Marthe, Jésus leur dit : u Elle n'est nulle- ment insensée, mais son âme n'est pas dans ce monde^ elle ne voit rien de ce qui est terrestre, et l-e monde ne la comprend point : elle est heureuse, car elle ne pèche pas. » Marie la Silencieuse, entièrement absorbée dans la contemplation des choses divines, ignorait ce qui se passait autour d'elle. Jamais, devant personne, elle n'avait parlé comme auprès de Jésus. Elle se taisait avec tous, non point par orgueil ni par excès de réserve, mais parce qu'elle ne voyait personne en rapport avec le seul objet de ses pensées : la rédemption et les choses célestes. Parfois des amis de la maison, gens pieux et doctes, lui adressaient la parole ; alors elle répondait quelques mots tout à fait incompréhensibles pour eux. Ses réponses ne se rapportaient point à leurs questions, mais uniquement au monde de ses visions, qui restait caché aux savants. Toute sa famille la regardait comme idiote, et sa vie était solitaire, ainsi qu'elle devait l'être en quelque sorte, car son âme n'habitait pas la terre. Elle cultivait son jardin et s'occTipait de travaux à l'ai- guille à l'usage du Temple, avec beaucoup d'adresse, mais sans jamais sortir de son recueillement et de sa contemplation. Elle avait assurément ane certaine na- ture d'afflictions à endurer pour les péchés d'autrui : car souvent son âme était oppressée, comme si le monde — 243 — c lier eût pesé sur elle. Elle mangeait peu et toujours» . -jjle. Lorsque son frère et ses sœurs se furent mis à la Pulte de Jésus, elle mourut de douleur à la vue de ses iiiimenses souffrances, qui lui furent surnaturellement révélées (1). Marthe parla enfin au Sauveur de Madeleine, et du profond chagrin qu'elle leur causait. Jésus la consola en l'assurant qu'elle se convertirait ; cependant il lui dit qu'il ne fallait pas se lasser de prier pour elle et de i exhorter à changer de vie. CHAPITRE XII Jésus à Béthanie, avec sa mère et ses amis. Impression qu'il fait sur ces derniers. Je vis la très sainte Vierge arriver chez Marthe, ac- compagnée de Jeanne Chusa, de Léa, de Marie Salomé et de Marie Cléophas. Dès qu'elles furent annoncées^ -Marthe, Séraphia, Marie mère de Marc, et Suzanne allèrent les recevoir, dans .la salle située à l'entrée du château. Après s'être souhaité la bienvenue, on leur lava les pieds ; elles changèrent de vêtements, prirent une légère réfection, puis se rendirent dans l'habitation de Marthe. Le Sauveur et ses amis vinrent aussitôt les saluer. Jésus prit la très sainte Vierge à part ; il s'en- tretint avec elle et lui dit ouvertement, quoique avec douceur, que sa mission allait commencer, qu'il se rendait au baptême de Jean ; qu'à son retour il passe- rait quelque temps avec elle, dans les environs de 11) Marie la Silencieuse paraît être un type de la vie contem- plative et de sa mission de prières et de souffrances pour le sa- fut dos hommes. L'entretien de Jésus avec elle nous montre que le Christ est à la fois la lumière et le terme de toute la contem- plation de l'ancienne comme de la nouvelle loi. — 244 — Sârnarie, mais qu'ensuite il irait dans le désert, pour y rester quarante jours. A ce seul mot de désert, l'âme de Marie fut toute contristée ; elle pria avec insistance Jésus de ne pas s'en aller dans cet affreux séjour ; elle craignait qu'il n'y manquât de tout, même de nourri- ture. Le Sauveur lui répondit que, désormais, elle ne devait plus chercher à le retenir par des inquiétudes humaines ; qu'il ferait ce qu'il avait à faire ; qu'il allait entrer dans un chemin pénible ; que ceux qui le sui- vraient partageraient ses souffrances ; qu'elle devait, tout d'abord, faire le sacrifice de tous ses sentiments personnels ; qu'il l'aimerait comme auparavant, mais qu'il appartenait désormais à l'humanité ; qu'elle avait à accomplir ce qu'il lui dirait, et que son Père céleste la récompenserait de sa soumission : le moment était venu, ajouta-t-il, où, comme l'avait prédit Siméon, un glaive de douleur percerait son âme. Marie était très sérieuse et profondément attristée, et cependant elle se montra pleine de force et de résignation à la volonté de Dieu, tant son fils lui avait montré d'onction et de ten- dresse ! Le soir, il y eut encore un grand repas dans la mal- son de Lazare. Simon et quelques autres pharisiens y avaient été conviés. Les femmes, placées dans une salle voisine de celle du festin, n'étaient séparées des hommes que par une grille, en sorte qu'elles pouvaient entendre les enseignements de Jésus. Il parla de la foi, de l'espérance et de la charité : u Ceux qui vont me suivre, ajouta-t-il, n'ont pas à re- garder en'arrière, mais à faire tout ce que je leur pres- crirai, à supporter les souffrances qui les assailliront; pour moi, je ne les abandonnerai point. » Il parla de nouveau des persécutions auxquelles il serait en butte, disant qu'il serait poursuivi, maltraité, et que ses amis pâtiraient tous avec lui. Ceux-ci l'écoutèrent avec sur- prise et émotion : ils ne comprenaient pas cependant de quelles souffrances il parlait ; leur foi manquait de — 245 — simplicité : ils s'imaginaient que les expressions du Sauveur cachaient un sens prophétique, et qu'il ne fal- lait pas les prendre à la lettre. Du reste, il s'exprima avec une sorte de réserve, tellement que les pharisiens eux-mêmes ne furent pas choqués de ses paroles. Après le repas, Jésus prit un peu de repos ; puis il se dirigea avec Lazare seul vers Jéricho, pour se rendre au baptême. Un serviteur les précédait avec un flam- beau. Après une demi-heure de marchef ils arrivèrent à une auberge qui appartenait à Lazare, et où, plus tard, les disciples séjournèrent souvent. Jésus ôta en ce lieu ses sandales, et marcha dès lors pieds nus. Lazare fut saisi de compassion, car le chemin était rocailleux ; H le pria donc de ne pas se déchausser ainsi ; mais Jésus lui répondit : « Ne t'inquiète pas ; je sais ce qu'il faut que je fasse. » Ils s'avancèrent dès lors dans le désert. La pitié que me causait Notre-Seigneur me faisait pleurer à chaudes larmes. f Les amis de Lazare, Nicodème, le fils de Siméon, et Jean-Marc, n'avaient guère «conversé avec Jésus, maî3 entre eux et à part ; ils exprimaient la profonde admi- ration que leur inspiraient son maintien, ses discours et sa personne tout entière ; ils s'écriaient : « Quel homme ! on n'en a jamais vu et l'on n'en verra jamais de semblable : quelle gravité, quelle douceur, quelle sagesse, quelle perspicacité et quelle simplicité ! Sans comprendre entièrement ses paroles, on y croit parce qu'il les a dites. On ne peut le regarder en face, il semble lire dans les âmes. Quelle beauté, quel air ma- jestueux, quelle rapidité dans les mouvements, sans rien de précipité ! quelle grâce dans les gestes, quelle force à supporter les fatigues I II arrive sans lassitude et repart à son heure : quel homme il est devenu! » Mais nul d'entre eux ne soupçonnait que celui dont ils parlaient ainsi était le Fils de Dieu, Dieu lui-même I 246 - CHAPITRE XIII vJean-Baptiste au désert. — Sa vie de prière et de pénitence. Je vis Jean grandir au fond du désert et s'y mortifier •de toute manière. Il dormait en plein air sur la roche nue, courait sur les cailloux ou à travers les chardons et les ronces, se flagellait avec des épines, se fatiguait à façonner les arbres et à briser les pierres, et passait de longues heures en prière et en contemplation. Je Yis souvent des figures lumineuses autour de lui ; à rage de dix-sept ans, il visita secrètement la maison de ses parents : Zacharie était mort. Après cette visite, il pénétra plus avant que jamais dans Le désert, toujours se dirigeant au nord-est. Il se rapprocha de la mon- tagne dies prophètes, et s'arrêta dans ce pays, où je vis, longtemps après, saint Jean l'Evangéliste séjourner et écrire sous de grands arbres. J'y remarquai de petits arbustes à baies et une herbe assez semblable au trèfle dont le Précurseur faisait sa nourriture. Il avait aussi pour aliment une sorte de miel sauvage que je le vis re- tirer du creux de certains arbres ; il y en avait là en abondance, Jean portait autour des reins la peau de mouton que je lui avais déjà vue dans son enfance. Ce j[ut son seul vêtement, jusqu'à ce qu'il se fît un manteau de poils de chameau. Il y avait, dans ce désert, des bêtes à laine qui l'approchaient familièrement, ainsi que des chameaux qui lui laissaient arracher les longs poils de leur cou. Je le vis en tresser le vêtement qu'il portait encore, lorsqu'il reparut parmi les hommes pour les baptiser. Je remarquai que, dans ce désert, ses pénitences devinrent de plus en plus rudes, et qu'il s'adonna à la prière avec une ardeur toujours crois- sante. — 247 — Il ne vit le Sauveur que trois fois, pendant toute sa vie : d'abord, lorsque la sainte famiUe, fuyant en Egypte, passa près de lui dans le désert. La seconde fois, lorsqu'il baptisa Jésus, et la troisième fois, lorsqu'il rendit témoignage de lui, au moment où il côtoyait le Jourdain. J'entendis le Sauveur louer, devant ses apô- tres, le grand empire qu'avait Jean sur lui-même : il dit, qu'en le baptisant, il n-e l'avait regardé qu'autant que la cérémonie l'exigeait, quoiqu'il brûlât du désir de le voir, et que son cœur fût prêt à être brisé par l'amour qu'il lui portait. Plus tard, il avait mieux aimé se retirer humblement devant lui, que de céder à son amour et de chercher à se rapprocher de sa per- sonne sacrée. Mais Jean voyait sans cesse le Seigneur en esprit. Il voyait Jésus comme le but de sa mission, comme la réalisation de sa vocation prophétique. Jésus n'était pas pour lui un contemporain : c'était le Rédempteur du monde, le Fils de Dieu fait homme, l'Eternel se ma- nifestant dans le temps. C'est pourquoi la pensée de l'aborder familièrement ne pouvait même pénétrer dans son esprit. Du reste, Jean était étranger aux affaires de ce monde. Dès le sein de sa mère, il avait été initié aux choses éternelles, le Saint-Esprit ayant établi des rap- ports surnaturels entre lui et son Sauveur. Encore en- fant, il avait été enlevé au contact des hommes ; son éducation s'était faite sous des influences célestes, et au sein de la nature vivifiée par l'esprit de Dieu. Il vécut seul au fond des déserts, ne sachant rien que son Rédempteur, jusqu'au jour où, naissant en quelque sorte à une nouvelle vie, il en sortit grave, enthousiaste, ardent et intrépide, pour accomplir son merveilleux ministère. La Judée est maintenant, pour lui, ce qu'était le désert autrefois. Comme dans le désert il vivait et parlait avec les sources, les rochers, les arbres et les animaux ; ainsi il vit et parle avec les hommes et les pécheurs, sans penser à lui-même. Il ne voit et ne con- — 248 — naît que Jésus ; il ne parle que de lui. Il S8 résume ainsi : « Il vi^t ! Préparez la voie, faites pénitence, re- cevez le baptême ! Voici l'Agneau qui ôte le péché du monde I » Dans le désert, Jean était pur et innocent comme un enfant dans le sein maternel ; il est sorti du désert pur et simple comme un enfant qui repose sur les bras de sa mère. Aussi le Seigneur disait-il plus tard aux apôtres : « Il est pur comme un ange ; jamais rien d'impur n'est entré dans sa bouche, jamais le moindre mensonge n'est sorti de ses lèvres ! » CHAPITRE XIV Jean construit une fontaine symbolique pour le baptême. En ce temps-là Jean, peu de temps avant de quitter le désert, eut sur le baptême une révélation, à la suite de laquelle il établit une fontaine à peu de distance des- lieux habités. Avant qu'il commençât à la creuser, je le vis, devant sa grotte, au côté occidental d'un rocher escarpé. Il avait à sa gauche un ruisseau ; c'était peut- être une des sources du Jourdain, qui naît au pied du Liban ; à sa droite s'étendait une plaine couverte de bruyères : c'était là que la fontaine devait jaillir. Jean avait un genou en terre ; il tenait sur l'autre un long rouleau d'écorce sur lequel il écrivait avec un roseau. Le soleil dardait à plomb sur sa tête. Il tournait ses regards vers le Liban, qui s'élevait au couchant. Pen- dant qu'il écrivait ainsi, tout à coup, ravi en extase, il demeura immobile comme une statue. Je vis alors, debout devant lui, un homme qui écrivait et dessinait bien des choses sur son rouleau. Revenu à lui, Jean lut ce qui venait de lui être prescrit, et se mit à travailler à la fontaine avec une ardeur extrême. Pendant ce — 249 — labeur, il jetait souvent les yeux sur le rouleau, que deux pierres maintenaiant étendu sur la terre, car tout ce qu'il avait à faire s'y trouvait indiqué. A l'occasion d« cette fontaine et de son site, je vis une scène de la vie d'Elie. Le prophète s'était assis dans 1-e désert, tout attristé des crimes du peuple, et il s'était endormi. Il aperçut alors en songe un enfant qui le poussait avec un bâton vers une fontaine, dans laquelle il avait peur de tomber ; je le vis même rouler à quel- que distance. Je vis ensuite l'ange le réveiller et lui donner à boire. Cela se passait à l'endroit même où Jean creusait la fontaine (1). Les différentes couches de la terre que Jean eut à creuser avaient une signification : je le reconnus. Elles représentaient la dureté et d'autres défauts du cœur humain dont il lui fallait triompher, pour que rien ne fît obstacle à la grâce du Seigneur : je compris alors quo le travail et la vie de Jean, dans le désert, étaient un symbole et une figure. En tout ce qu'il faisait, il obéis- sait, comme les prophètes, à une inspiration céleste, et Dieu lui tenait compte de la bonne volonté avec laquelle il accomplissait sa mission. Jean enleva d'abord le gazon circulairement, puis il fit un bassin spacieux dans le sol, marneux et dur ; il le garnit de différentes pierres, excepté au milieu, à l'endroit le plus profond, où il avait creusé jusqu'à une petite veine d'eau. Avec la terre de l'excavation il en forma le rebord, où il ménagea cinq coupures. En face . de quatre de ces ouvertures il planta, à égale distance, quatre tiges minces dont l'extrémité était couverte de feuilles vertes. Elles étaient de quatre espèces diffé- rentes, et, chacune avait sa signification spéciale. Au (1) Jean-Baptiste a été appelé par le Sauveur lui-même un autre Elie. précurseur du premier avènement de Jésus-Christ comme Elie doit l'être du second. Tous deux ont travaillé à pu- rifier les hommes et « à préparer au Seigneur un peuple parfait. » Il n'est donc pas étonnant qu'ils aient eu, tous deux, la vision d'une fontaine en ce lieu prédestiné. ~ 250 — milieu du bassin il planta un arbre aux feuilles effilées,, portant des bouquets de fleurs de forme pyramidale et des fruits épineux. Cet arbre était resté longtemps de- vant sa grotte. Sur les bords du bassin, il fit venir des plantes de toute espèce, et à l'entour, il pratiqua un sentier, au travers des broussailles. Ce travail dura plusieurs semaines ; lorsqu'il fut ter- miné, une petite veine d'eau commença à jaillir au fond du réservoir. L'arbre du milieu, qui était déjà flétri, reverdit aussitôt. Jean prit alors dans un vase, fait d'un grand morceau d'écorce, de l'eau d'une autre source, qu'il versa dans le bassin. Il paraît que cette source avait jailli quand, étant enfant, il avait frappé le rocher de son petit bâton. Il laissa ensuite le réservoir se rem- plir, et le trop-plein se répandit par les ouvertures sur le sol et îes plantes, qu'il rafraîchit. Enfin, Jean descendit lui-même dans l'eau jusqu'à la ceinture, saisit d'une main l'arbre du milieu, et de son bâton terminé par une croix avec une oriflamme (1), il frappa l'eau et la fit jaillir jusqu'au-dessus de sa tête. A cet instant, une nuée lumineuse s'abaissa du ciel sur lui ; il reçut une communication de l'Esprit-Saint ; pui& deux anges, paraissant au bord du bassin, s'entretin- rent avec lui. Ainsi se termina sa vie du désert. Après la mort de Jésus, au temps des persécutions, quand les chrétiens fuyaient, cette fontaine servit encore au baptême des exilés et des malades ; on y venait aussi prier. (1) Le Précurseur savait d'avance que c'est la croix, étendard du salut, qui communique la vertu à l'eau du baptême, et fait rejaillir les eaux de la grâce sur la tête des cî-oyants. — 251 CHAPITRE XV 'Portrait de Jean-Baptiste. — Il prépare même matérielle- ment les voies du Seigneur. — Rapports du lieu où Jeait baptise avec l'histoire de l'Ancien Testament. Après que la fontaine baptismale fut terminée, je vi& Jean sortir du désert et retourner au milieu des hommes. Sa seule présence produisait une impression merveilleuse : sa taille était élevée ; il était fort et ner- veux, quoique amaigri par le jeûne et les macérations. On admirait sa simplicité, sa candeur, son maintien grave et noble jusqu'à la majesté. Il avait le teint brun,, le visage décharné, les joues creuses, les cheveux bou- clés, d'un brun rougeâtre, et la barbe courte. Son vête- ment consistait en une sorte de drap qui l'enveloppait et tombait jusqu'aux genoux, et en un manteau grossier, de couleur brune, fait de trois morceaux. Il tenait à la main un bâton recourbé comme une houlette. Jean adressait la parole à tout le monde, sans dis- tinction de personnes ; mais il ne parlait que d'une seule chose ; de la pénitence et de la prochaine venue du Seigneur. Tous s'étonnaient et devenaient sérieux à. son aspect. Sa voix, perçante comme un glaive, était à la fois claire, forte et agréable. Il traitait tous les- hommes comme des enfants. Partout il allait droit de- vant lui ; rien ne pouvait le détourner de sa voie, il ne se souciait de rien, il n'avait besoin de rien. Je le vis parcourir les bois et les déserts, creuser la terre, rouler des pierres, arracher des arbres, construire des retraites, rassembler autour de lui les hommes, et même les aller chercher dans leurs cabanes, pour les> associer à ses travaux. Tous le regardaient avec étonne- ment et admiration. Il ne s'arrêtait longtemps nullfr — 252 — part ; il allait sans cesse d'un lieu à un autre. Après avoir côtoyé la mer de Galilée, il suivit la vallée du Jourdain, en passant devant Tarichée et Salem ; ensuite il se rendit, par le désert, jusque vers Béthel, et s'ap- procha d€ Jérusalem, sur laquelle il jeta un regard plein de tristesse ; il gémit sur cette ville, mais n'y en- tra jamais. Grave, austère, inspiré, tout entier à sa mission, il criait sans cesse : « Préparez-vous et faites pénitence, le Sauveur vient I » Il arriva enfin dans sa patrie ; il y vint par le val des bergers. Son père et sa mère étaient morts. Quelques jeunes gens, ses parents du côté de Zacharie, furent ses premiers disciples. La sainte Vierge, qui sortait peu de chez elle depuis la mort de saint Joseph, ne le vit pas quand il passa par Bethsaïde, Capharnaüm et Nazareth ; mais des hommes de sa famille accueillirent ses exhortations et l'accom- pagnèrent quelque temps. Dans les trois mois qui précédèrent le baptême du Sauveur, Jean parcourut deux fois le pays, annonçant partout Celui qui devait venir après lui. Il agissait avec une fermeté et une énergie extraordinaires, mais 11 n'avait pas le calme de Jésus ; ses mouvements étaient plus rapides, sans être brusques. Il enseignait dans les écoles, dans les maisons particulières, ou bien il ras- semblait le peuple autour de lui, dans les rues et sur les places. Les prêtres et les magistrats l'arrêtaient quelquefois pour lui demander en vertu de quelle auto- rité il faisait ces choses ; mais, à peine l'avaient-ils con- sidéré, que surpris et émerveillés, ils le laissaient con- tinuer son œuvre. J'appris que les paroles de Jean : « Préparez la voie du Seigneur », n'étaient pas une simple figure, car je le vis commencer sa mission, en parcourant tous les lieux et tous les chemins par où passèrent plus tard Jésus et ses disciples. Il enlevait des broussailles et des f ierres, et frayait des sentiers. Il plaçait des planches sur les ruisseaux, nettoyait leur lit, creusait des fon- — 253 — laines, disposait des sièges, des bancs et des berceau^c de verdure. Je l'ai vu faire tous ces arrangements, en divers endroits où plus tard le Seigneur s'est reposé et a enseigné (1). Ses travaux, son air grave, sa simpli- cité, son isolement et son extérieur grossier attiraient sur lui l'attention des gens de la campagne, auxquels il empruntait souvent les outils dont il avait besoin. Il les exhortait, sans ménagement et avec des supplica- tions, à la pénitence, annonçant qu'il préparait la voie du Messie qui venait après lui. Souvent je le vis étendre îa main du côté où Jésus se trouvait alors. Je ne les aperçus néanmoins jamais ensemble, bien que souvent ils fussent à peine séparés par une distance d'une heure de chemin. Je l'entendis une fois crier à ses auditeurs : ç( Je ne suis pas le Sauveur qui doit venir, mais un pauvre pionnier » ; puis, étendant la main et montrant un point de l'horizon, il ajouta : « Le Sauveur, il est là. » Le cours d'eau où Jean baptisait forme comme un bras du Jourdain ; il est parfois si étroit, qu'on peut le franchir sans difficulté ; d'autres fois il est plus large. Il y a dans ses contours de petits étangs et des fontaines qui en tirent leur eau. Un de ces étangs, séparé du cours principal par une chaussée, est le lieu même où Jean baptisait ; il se trouve près d'Ainon, Des conduits traversant la chaussée y amenaient l'eau du fleuve ou l'en faisaient sortir, selon qu'on voulait qu'elle montât ou se retirât ; une petite baie avait été creusée dans le rivage; ses bords étaient dentelés, et entre deux de ses petits promontoires 1-e néophyte, pour recevoir le bap- (1) De même que Notre-Seigneur a préludé à. son ministère de Sauveur par des guérisons et d'autres œuvres do charité corpo- relle, de mime Jean-Baptiste prélude ici d'une manière même matérielle, en traçant et en réparant des chemins, à son rôle de précurseur de Jésus et de préparateur de ses voies. Nous voyons ainsi presque toujours, dans le plan de Dieu, les choses matérielles être en même temps la préparation et la figure prophétique des choses spirituelles. C'est là une des clefs de l'explication de« Ecritures: « Dieu a uni toutes choses dans sa sagesse. • — 254 — tême, se plongeait- dans l'eau jusqu'à la ceinture, s'ap- puyant sur une barrière qui ceignait le rivage. Jean, •debout sur l'un des deux promontoires, lui versait de l'eau sur la tête à plein vase, tandis qu'un homme déjà baptisé imposait une main sur son épaule. Jean avait usé de même à l'égard de celui-ci. Ceux qui se pré- sentaient au baptême étaient enveloppés d'un linge blanc, qui ne laissait voir que les épaules. Jean revê- tait, pour la cérémonie, une longue robe pareillement blanche. Le Précurseur demeurait à Ainon, dans une cabane, placée sur les débris d'un château écroulé, qui avait appartenu à Melchisédech, et où l'herbe poussait au milieu des ruines. J'ai vu plusieurs scènes qui se sont passées là, à une époque très ancienne ; la seule chose que je me rappelle, c'est une vision qu'Abraham eut en ce même lieu, et à la suite de laquelle il y érigea deux pierres commémoratives : l'une était comme un autel, et l'autre formait une sorte de degré sur lequel il s'agenouillait. Sa vision me fut montrée : c'était la Cité de Dieu, la Jérusalem céleste, d'où descendaient d3S courants d'eau et de lumière qui se répandaient de tous les côtés. Il lui fut aussi recommandé de prier pour l'avènement de la Cité sainte. Cette vision eut Jieu environ cinq ans avant que Melchisédech élevât ici son château. C'était à vrai dire une grande tente, avec des galeries et des escaliers, élevée sur des fondements en pierre d'une grande solidité. C'était comme une hôtellerie gratuite et magnifique au bord de ces belles eaux, et où s'arrêtaient beaucoup de passants et d'étrangers. Peut-être Melchisédech, que j'ai toujours vu servir de conseiller et de guide aux peuples et aux tribus nomades d'alors, avait-il bâti ce château pour y enseigner ou pour y donner l'hospita- lité ; mais il y avait dès lors quelque chose qui se rap- portait au baptême. Ce lieu était aussi un point central d'où Melchisédech se rendait, soit auprès d'Abraham, — 255 — soit à Jérusal-em, soit ailleurs : il y réunissait deî familles auxquelles il assignait de nouvelles résidences. Melchisédech me sembla un jeune homme d'environ -vingt-cinq ans. Il m'apparut à plusieurs époques, mais jamais plus âgé. Son extérieur tenait moins de l'homme que celui de Jésus. Sa tête était constamment décou- verte, et ses grands cheveux blonds descendaient der- rière ses oreilles. Quand il était absent, je le supposais dans le paradis, parmi les anges. Je ne vis jamais près de lui, ni parents, ni prêtres. Dans tous ses actes, il semblait poser la pierre fondamentale d'une grâce future, attirer l'attention sur un lieu consacré, com- mencer une œuvre de haute importance. Jacob aussi avait séjourné longtemps près d'Ainon, avec ses troupeaux. La citerne de la fontaine baptis- male existait déjà dès ce temps, et je vis Jacob occupé à la réparer. C'est ici qu'Elie divisa les eaux du fleuve avec son manteau, et qu'il le traversa. Elisée, qui l'ac- compagnait alors, renouvela en ce lieu 1-e même mi- racle. C'est encore ici que les enfants d'Israël ont passé le fleuve (1). CHAPITRE XVI Entrevues successives d'Hérode, des pharisiens, des publi- cains, des soldats, des envoyés du sanhédrin avec Jean- Baptiste. Deux semaines environ s'étaient écoulées depuis que Jean s'était rendu célèbre par ses prédications et son baptême, lorsque des messagers d'Hévode se présen- tèrent devant lui ; ils arrivaient de Callirhoé, localité (1) Ces rapprochements nous montrent l'unité de toutes les flffures en Jésus-Christ, et la profonde sagesse que Dieu a mig3 dans la préparation du mystère de ia Eédemptiou. T. I. 13 — 256 — située au levant de la mer Morte, dans une contrée où/ il y a beaucoup de sources et de bains d'eau thermale, Hérode, qui y habitait un château, faisait inviter Jean à le visiter. Jean répondit qu'il n'en avait point le loisir, et que, si Hérode tenait à lui parler, il pouvait venir lui-même le trouver. Je vis alors Hérode en route,, avec une escorte de soldats, sur un char à roues basses, et assis sur un siège élevé d'où il pouvait tout aperce- voir de loin; il s'arrêta dans une petite ville, située à. cinq lieues au sud d'Ainon ; il fit appeler Jean, qui s'y rendit. Hérode seul, sans suite, alla le rejoindre dans la pauvre auberge où il était entré. Ils eurent un entre- tien dont je ne me rappelle rien, sinon qu'Hérode lui demanda pourquoi il demeurait à Ainon dans un si misérable gîte ; il lui offrit de lui faire bâtir une maison ; mais Jean répondit que cela n'était pas néces- saire, qu'il avait ce qu'il lui fallait, et qu'il faisait la volonté d'un plus grand que lui. Jean se tint à une cer- taine distance d'Hérode, ne le regarda point, lui parla peu, mais avec dignité et autorité. Plusieurs prêtres vinrent aussi vers Jean des contrées voisines et de Jérusalem, disant : « Qui es-tu ? qui t'a ejnvoyé ? qu'enseignes-tu ? » et lui faisant encore d'au- ties questions. Je l'entendis répondre avec sévérité: il leur annonça la venue prochaine du Messie, et les accusa d'hypocrisie et d'endurcissement. Bientôt il y eut affluence de pharisiens et de scribes, accourant de Nazareth, d'Hébron et de Jérusalem vers Jean, pour l'interroger sur sa mission. Ils avaient aussi un grief à lui reprocher : c'était de s'être établi de sa propre autorité au lieu où il baptisait. Beaucoup de publicains étaient venus aussi ; il les avait baptisés, et avait fortement parlé à leur cons- cience. Parmi eux était le publicain Lévi, surnommé plus tard Matthieu, issu d'un premier mariage d'Alphée, époux de Marie de Cléophas. Il fut très touché, se re- x'ouôcï et changea de vie. Jean réprimanda fortement — 257 — tous ces publicains, en renvoya beaucoup, mais il en baptisa aussi un grand nombre. Les soldats de la garde d'Hérode, qui se trouvaient à Callirhoé, vinrent lui dire qu'ils voulaient se faire baptiser par Jean. Ce n'était chez eux qu'un calcul : ils cherchaient par là à s'attirer plus de considératior parmi le peuple. Hérode leur répondit qu'il n'était pas nécessaire de recevoir ♦le baptême de Jean, et que, puisqu'il ne faisait pas de miracles, on n'était pas au- torisé à lui attribuer une mission. Il leur permit du reste de consulter à Jérusalem. Ils allèrent donc dans cette ville, et s'adressèrent aux chefs de trois sectes différentes. Ils furent reçus par ces chefs dans la cour du tribunal où Pierre renia le Seigneur. On y rendait ce jour-là la justice, et il y avait beaucoup de monde assemblé. Les prêtres leur dirent d'un ton moqueur qu'ils pouvaient faire comme ils l'entendraient, parce que c'était une chose tout à fait indifférente. Une tren- taine de ces soldats se rendirent néanmoins auprès de Jean, qui les réprimanda fortement, comme s'ils eussent été incorrigibles. Aussi n'en baptisa-t-il qu'un petit nombre dans lesquels il trouva quelques bonnes dispo- sitions. Il m'a été montré qu'à cette époque les dispo- sitions des hommes étaient, à peu près, ce qu'elles sont aujourd'hui. La foule à Ainon était considérable, et pendant plu- sieurs jours Jean, au lieu de baptiser, se borna à prê- cher avec beaucoup d'ardeur et de force. Des Juifs, des Samaritains et des païens accouraient de tous côtés ; ils se tenaient sur les collines et sur les chaussées, les uns à l'abri, r"autres en plein air, autour de l'endroit où enseignait Jean. Après l'avoir entendu prêcher et avoir reçu le baptême, ils se retiraient. Sur ces entrefaites, une longue délibération sur Jean- Baptiste, eut lieu dans la grand conseil, à Jérusalem. Neuf hommes furent envoyés par lui par trois autori- tés. Anne choisit Joseph d'Arimathie, le fils aîné de — 258 — Siméon, et un prêtre chargé de l'inspection des vic- times ; le conseil députa trois de ses membres ; on en- voya aussi trois simples particuliers. Ils étaient chargés de demander à Jean qui il était, et de le convoquer à Jérusalem, attendu qu'il était tenu de se présenter au Temple, s'il avait une mission véritable. On le blâmait de se vêtir d'une façon si étrange, et surtout de bap- tiser des Juifs, tandis qu'ordinairement on ne baptisait que les païens. Quelques-uns croyaient qu'il était Elie ressuscité d'entre les morts. Au moment où les envoyés de Jérusalem arrivèrent près de Jean, il était occupé à baptiser. Ils demandèrent à être entendus aussitôt, mais il leur dit d'attendre qu'il eût fini. Ils lui remontrèrent alors qu'il n'agissait que de sa propre autorité, qu'il aurait dû se présenter à Jérusalem, et qu'il devait ne pas s'habiller d'une ma- nière si choquante. Il leur répondit vertement et en peu de mots, et ils se retirèrent. Joseph d'Arimathie et le fils de Siméon restèrent seuls auprès de Jean, et lui demandèrent le baptême. Plusieurs personnes qu'il n'avait pas voulu baptiser coururent auprès des en- voyés, pour se plaindre de sa prétendue injustice. Les futurs apôtres, après avoir reçu le baptême, re- tournèrent dans leur pays, où ils parlaient beaucoup de Jean, tout en faisant plus d'attention à Jésus ; car ils commençaient à soupçonner que ce pouvait bien être lui que le Précurseur annonçait. Une nuit, pendant que Jean-Baptiste se reposait dans sa cabane, je vis un ange s'approcher de lui et lui dire qu'il eût à se rendre de l'autre côté du Jourdain, vers Jéricho, parce que Celui qui devait venir était proche, et que son devoir était de l'annoncer. Je vis alors Jean et ses disciples abattre leurs caba- nes, près d'Ainon, et suivre, en descendant pendant quelques heures, la rive orientale du Jourdain ; puis, après avoir rencontré un village, traverser le fleuve et yemonter un peu le long de l'autre bord. — 259 — Bientôt, de Jérusalem, des pharisiens et des sadu- céens furent envoyés à Jean, qui avait été informé par l'ange de leur arrivée. Ils dépêchèrent un courrier pour le prier de venir au-devant d'eux, dans un endroit voisin de sa demeure. Jean, tout en continuant à bap- tiser et à enseigner, refusa, disant qu'ils pouvaient venir jusqu'à lui. Ils vinrent donc eux-mêmes, mais Jean continua son œuvre, sans faire attention à eux. Après avoir écouté sa prédication, ils se retirèrent. Quand il eut fini d'instruire, il leur fit dire qu'il les attendait, et leur donna rendez-vous sous une tente que ses disciples avaient dressée. Jean était accompagné de ses disciples et de beau- coup d'autres personnes ; les envoyés de Jérusalem lui firent une série de questions, commençant par lui de- mander s'il était ceci ou cela. Il répondit constamment non. Puis ils l'interrogèrent sur ce qu'était cet homme dont on parlait tant. Il y avait, disaient-ils, d'anciennes prophéties, et à cette heure le bruit se répandait que le Messie était déjà venu. Jean répondit que quelqu'un qu'ils méconnaissaient avait paru au milieu d'eux. Bien que lui-même ne l'eût jamais vu, il lui avait ordonné, et dès avant sa naissance, de préparer sa voie et de le baptiser ; il ajouta que dans trois semaines il viendrait à lui pour se faire baptiser. « Quant à vous, leur dit-il d'un ton sévère, vous n'êtes venus qu'à dessein d'es- pionner. » Ils lui répondirent qulls savaient mainte- nant qui il était ; qu'il baptisait sans mission ; qu'il n'était qu'un hypocrite malpropre, etc. ; puis ils s'éloi- gnèrent. Peu après, le grand conseil de Jérusalem lui délégua vingt personnes de toute profession. On y remarquait des prêtres ; ils étaient coiffés de bonnets, avaient de larges ceintures et de longues bandes supendues au bras. Ils dirent à Jean qu'ils étaient députés par le grand conseil tout entier, afin de lui intimer l'ordre de /comparaître devant lui, pour s'expliquer sur ses œuvres — 260 — S'il désobéissait au grand conseil, ce serait, ajoutaient- ils, la preuve qu'il n'avait pas d-e mission. Jean leur répondit que bientôt Celui qui l'avait envoyé viendrait vers lui, et qu'ils n'avaient qu'à l'attendre. Il désigna clairement le Sauveur, disant qu'il était né à Bethléem, qu'il avait été élevé à Nazareth, qu'il s'était enfui en Egypte, etc. En entendant ces paroles, ils l'accusèrent d'être en connivence secrète avec Jésus, et de commu- niquer avec lui à l'aide de messagers. Jean répondit qu'il ne pouvait pas montrer à leurs yeux aveuglés les messagers invisibles qu'ils s'envoyaient l'un à l'autre. Enfin je vis les députés quitter Jean ; ils étaient très mécontents. Je continuai à apercevoir, de tous côtés, un nombre considérable de païens et de Juifs qui allaient trouver Jean. Hérode aussi envoyait souvent des émissaires, pour se faire rendre compte de ses enseignements. En ce moment, je vis toutes choses beaucoup mieux arrangées, dans le lieu où se confère le baptême. Jean et ses disciples y ont élevé une grande tente ; ils y donnent leurs soins aux malades ou aux pèlerins fati- gués. J'y ai entendu chanter en particulier un psaume sur le passage des enfants d'Israël à travers la mer Rouge (1). Il s'établit, peu à peu, en cet endroit, comme une petite ville de cabanes et de tentes, couvertes soit avec des peaux, soit avec des joncs. Je n'ai pas vu de Galiléens auprès de Jean, si ce n'est ceux qui sont devenus plus tard disciples de Jésus. C'est pour cette raison que Jésus, dans ses courses en Galilée, exhorte si vivement les habitants à se rendre au baptême de Jean. A peu de distance des eaux dans lesquelles baptisait Jean, se trouvait le lieu où il enseignait, lieu cher aux (1) C'est probablement le psaume OXIII: In exitu Israel de JEg'ûpto, qui allait bientôt recevoir son accomplissement, par l'entrée des vrais Israélites dans la terre promise de l'Egliae, h travers les eaux du baptême. — 261 — Juifs par les souvenirs qui s'y rattachaient. Je 1-e vis entouré de murs, auxquels s'appuyaient des cabanes couvertes de jonc. Au milieu de cet enclos, se trouvait une grande pierre oblongue, sur l'emplacement même où les Israélites, après le passage du Jourdain, avaient déposé l'arche d'alliance, puis célébré une fête d'actions de grâces. Une tente couverte de roseaux avait été dressée par Jean au-dessus de cette pierre, au pied de laquelle était sa chaire à prêcher (1). Il y enseignait ses nombreux disciples, au moment où Hérode vint à lui, mais il ne voulut point se déranger pour le recevoir. Hérode désirait épouser Hérodiade, la femme de son frère ; celle-ci l'avait rejoint à Jérusalem, avec sa fille Saîomé, âgée de seize ans. Il était en lutte avec le sanhédrin, qui refusait de sanctionner ce mariage. Hé- rode, redoutant la voix publique et espérant apaiser le peuple par la décision d'un prophète, alla vers Jean ; il pensait que, pour s'attirer ses bonnes grâces, le Pré- curseur lui donnerait satisfaction. Je le vis donc, accompagné d'Hérodiade, de Salomé, de leurs femmes et d'une trentaine de personnes, se diriger du côté dv Jourdain. Il était sur un char, ainsi que ies princesses et leurs femmes. II avait envoyé un messager à Jean, mais celui-ci ne voulait pas qu'il s'arrêtât au lieu du baptême, de peur que lui et ceux qui l'accompagnaient ne profanassent la sainte cérémonie. Il la suspendit donc, se rendit avec ses disciples à l'endroit où il avait coutume de prêcher, et blâma sévèrement le mariage qu'Hérode voulait contracter ; puis il dit qu'il lui faliatt attendre Celui qui viendrait après lui ; qu'il ne baptise- rait plus longtemps dans ce lieu, devant faire place à Celui dont il était le Précurseur. Hérode, voyant bien que ses intentions étaient con- nues de Jean, n'alla pas jusqu'à lui, et lui fit remettre (1) En prêchant la pénitence, Jean-Baptiste préparait les cœur» a la foi en Jésus-Christ, véritable pierre angulaire eur laquelle repose tout l'édifice surnaturel. — 262 — ?in gros rouleau qui contenait la justification de Tacte Je ne sais pas bien, cependant, si ce fu- rent exactement ces trois derniers mots ; mais c'étaient trois dons qui renfermaient tout ce qui est nécessaire à l'homme pour rapporter au Seigneur un esprit, une âme et un corps régénérés. Au sortir de la fontaine, André et Sarturnin, placés auprès de la pierre triangulaire, à la droite du Précur- seur, enveloppèrent le Sauveur d'un linge, avec lequel il s'essuya ; puis ils le revêtirent d'une long«ue robe baptismale de couleur blanche ; et lorsqu'il fut monté sur la pierre rouge triangulaire qui se trouvait à droite dans le bassin, ils lui imposèrent la main sur les épau- les, pendant que Jean la lui imposait sur la tête. La cérémonie terminée et au moment où ils allaient remonter les degrés, la voix de Dieu se fit entendre au- dessus de Jésus, qui se tenait, seul, en prière, sur la pierre. Il se fit dans le ciel un bruit semblable au ton- nerre ; tous les assistants tressaillirent et levèrent les yeux en haut : une nuée blanche et lumineuse descen- dit, et au-dessus de Jésus parut une figure ailée, res- plendissante, qui l'inonda d'un torrent de lumière. Je vis le ciel s'entr'ouvrir et le Père céleste apparaître sous sa forme accoutumée, et au milieu du bruit du tonnerre, j'entendis ces mots : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis mes complaisances (1). )> (1) A c« moment où Jésus-Christ inaugure la vie chrétienne par l'institution du baptême, pendant qu'il se confond avec les pécheurs. Dieu le Père le manifeste à tous comme son Fils et son ■envoyé. Les trois personnes divines apparaissent, car c'est en leur nom que le baptême doit être désormais administré. — 271 — Jc5U3 était inondé de lumière, et Ton pouvait à peine le regarder : il était comme transparent et entouré d'une ioule d'anges. Je vis, à quelque distance, Satan se montrer au-dessus des eaux du Jourdain : il m'apparut sous une figure noire, comme un nuage ténébreux; et je vis une four- milière de serpenta et d'autres bêtes noires et hideuses se presser et s'agiter autour de lui. Il s^emblait que, pendant cette descente du Saint-Esprit, tout ce qu'il y avait de mal, de péché et de venin dans le pays, eût pris des formes visibles et se fût absorbé comme dans sa source, en cet être ténébreux (1). Cet horrible spec- tacle rehaussait encore l'éclat inexprimable de la splen- deur joyeuse dont le Seigneur et l'île entière étaient Inondés. La sainte fontaine brillait jusqu'au fond, et tout était transfiguré : les quatre pierres sur lesquelles avait reposé l'arche d'alliance resplendissaient d'une lumière merveilleuse, et, sur les douze pierres où s'étaient placés les lévites, on voyait des anges en ado- /•ation ; car l'esprit de Dieu avait rendu témoignage, devant tous les hommes, à la pierre vivante et fonda» mentale, à la pierre angulaire de l'Eglise, pierre choi- sie et précieuse, sur laquelle nous devons être posés tous comme des pierres vivantes, pour former un édi- fice spirituel, un sacerdoce saint, afin de pouvoir offrir à Dieu un sacrifice agréable, par son Fils bien-aimé, en qui il a mis ses complaisances (2). Jésus remonta ensuite les degrés, et entra dans la tente, à côté de la fontaine, où, Saturnin lui ayant ap- porté ses habits, il s'en revêtit. De là, il se rendit, en- Ci) Le baptême est en effet la destruction du péché, la purifi- cation de notre nature, la séparation des ténèbres d'avec la lumière, du mal d'avec le bien. Cette belle scène fait visiblement allusion au fiât lux qui sépara la lumière des ténèbres, sur les eaux, à l'origine des cboses: c'est qu'en effet Dieu envoyait ici «on esprit sur les eaux pour « régénérer tout ce qu'il avait créé «t renouveler la face de la terre. » (2) Remarquons toujours l'admirable correspondance des figures — 272 — touré de ses disciples, vers le milieu de l'île. Alors Jean, ravi de joie, se mit à parler au peuple et à rendre té- moignage de Jésus, déclarant qu'il était le Fils de Dieu et le Messie promis. Il énuméra les promesses faites aux patriarches et aux prophètes, et déclara qu'elles étaient désormais accomplies ; il parla de ce qu'il avait vu, d^e la voix de Dieu que tous avaient entendue, et ajouta qu'il se retirerait dès que Jésus reviendrait ; il rappela que l'arche d'alliance, lorsque Israël était entré dans la terre promise, avait reposé au lieu même où Celui qui allait mettre à l'alliance le sceau de sa perfection avait reçu le témoignage du Dieu tout-puissanl, son Père. Il exhorta tout le monde à aller désormais à lui, et finit en remerciant Dieu de ce bienheureux jour, où l'attente d'Israël avait été remplie. Jésus déclara simplement que Jean avait dit la vérité, ajoutant qu'il allait s'éloigner pendant quelque temps ; mais qu'ensuite tous les malades et les affligés pour- raient venir à lui pour être consolés et guéris ; il les engagea à se préparer à son retour par la pénitence et les bonnes oeuvres ; il dit aussi qu'il se mettrait .en pos- session du royaume que son Père céleste lui avait donné. Jésus parlait en parabole, se comparant à un fils de roi qui, avant de prendr^e possession de son trône, se retire dans la solitude pour se recueillir, etc. Quelques pharisiens, qui étaient au nombre de ses auditeurs, interprétaient ses paroles d'une manière ri- dicule. <( Il n'est peut-être pas, disaient-ils, le fils du charpentier, mais l'enfant substitué de quelque roi, qui va rassembler ses partisans et s'emparer de "Jérusa- anciennes avec les mystères de la nouvelle loi. L'arche d'alliance avait ouvert aux Hébreux l'entrée de la terre promise, à travers les eaux du Jourdain: Jésus-Christ, véritable arche d'alliance du Nouveau Testament, nous ouvre l'entrée de l'Eglise à travers les eaux du baptême. C'est sur la pierre où l'Arche sainte s'était reposée au milieu du Jourdain qu'il veut recevoir le baptême, lui la véritable pierre angulaire de l'édifice dont les figurea d' Vancienne loi n'étaient que l'humble fo"'<5ment. — 273 — . lern. » Tout cela leur semblait étrange et mêxïie extrava- gant. Jean continua, ce jour-là, à baptiser tous les assis- tants sur nie, clans la fontaine baptismale de Jésus. La plupart des nouveaux baptisés devinrent plus tard dis- ciples du Sauveur. Bientôt le Seigneur s'éloigna avec ses neuf disciples et quelques autres, parmi lesquels se trouvaient Lazare, André et Saturnin ; sur son commandement, ils avaient rempli, pour l'emporter, une outre de l'eau du bassin dans lequel il avait été baptisé. Les assistants se jetè- rent à ses pieds, et le supplièrent de retourner avec eux. Il leur promit de revenir et s'éloigna. Arrivé à la ville de Luz, Jésus entra dans la synago- gue et y fit un long discours où il expliqua le sens sym- bolique de beaucoup de passages de l'Ecriture sainte. Il rappela que les enfants d'Israël, après avoir passé la mer Rouge, errèrent longtemps dans le désert, à cause de leurs péchés ; mais enfin, lorsqu'ils eurent traversé le Jourdain, ils entrèrent en possession de la terre pro- mise. Il disait à ses auditeurs que cela n'était qu'une figure de ce qui allait maintenant arriver : car, s'ils res- taient fidèles et observaient les commandements de Dieu, leur baptême dans le Jourdain les ferait entrer en possession de la véritable terre promise et de la cité de Dieu. Il voulait parler de la Jérusalem céleste. Mais eux s'imaginaient toujours qu'il avait en vue un royaume terreste et l'affranchissement du joug des Ro- mains. Il parla ensuite de l'arche d'alliance et de la sévérité de la loi ancienne, qui punissait de mort celui qui s'approchait seulement de l'arche pour la toucher : maint-enant la loi allait être accomplie, et la grâce of- ferte dans la personne du Fils de l'homme. Le temps était enfin venu où l'ange allait ramener, dans la terre de promission, Tobie, si longtemps captif et opprimé, mais toujours néanmoins fidèle aux divins commande- ments. La veuve Judith avait tranché la tête à l'Assy- — 274 — rien Holopherne plongé dans l'ivresse ; elle avait délivré par là Béthulie sur le point de périr : mais maintenant la vierge, qui avait été dès le commencement, allait croître et grandir, et beaucoup de têtes orgueilleuses qui opprimaient Béthulie devaient tomber. Il désignait par là l'Eglise et sa victoire sur les princes de ce monde. Jésus, en expliquant ces différents symboles, qui se réalisaient alors, ne disait jamais : « C'est moi, » mais il s'exprimait toujours à la troisième personne (1). Il dit en outre, que celui qui voulait le suivre devait re- noncer à tout ce qu'il possédait, et ne pas laisser son cœur s'appesantir dans les soins de cette vie ; car c'était chose plus importante d'être régénéré que de trouver de quoi vivre ; que s'ils renaissaient de l'eau et du Saint-Esprit, celui-là les nourrirait qui les aurait régénérés. Il ajouta que ceux qui voulaient le suivre devaient quitter les leurs et ne pas se marier, car ce n'était pas le temps des semailles, mais de la moisson. Il parla aussi du pain céleste. L'auditoire était pénétré d'admiration et de respect, tnais il donnait à ses ensei- gnements un sens terrestre et grossier. CHAPITRE XX Jésus visite d'abord les lieux où Marie s'est arrêtée pendant son voyage à Bethléem. Après avoir quitté Luz, Jésus traversa le désert et se dirigea, avec ses disciples, vers le midi. Pendant ce voyage, je vis une fois le Sauveur et les disciples ; ils marchaient entre deux rangées de dattiers, et, comme (1) Jésus ne s'est manifesté que peu à peu en ce monde. Comme le soleil, que sa main conduit dans le firmament. Il n'a voulu QUO peu à peia faire le jour dans les âmes. C'est qu'il est cette Sagesse divine <• qui atteint ses fins avec force et dispose toutes pliosea avec suavité. » — 275 — ils hésitaient à ramasser les fruits tombés par t-erre, Jésus leur dit qu'ils pouvaient en manger, que doré- navant ils ne devaient pas se montrer trop minutieux, mais cherclier la perfection dans la pureté de leur âm«, et de leurs discours, et non la faire consister dans ce qui entre dans la bouche. Le Sauveur arriva bientôt dans un village app-elé Ensemès. Les habitants vinrent au-devant de lui, car déjà l'arrivée du nouveau prophète leur avait été an- noncée. Ils le saluèrent et se prosternèrent devant lui ; Jésus leur fit un accueil plein de bonté. Les gens les plus considérables voulurent l'amener chez eux ; mais les pharisiens le conduisirent à l'école. Ils étaient bien disposés, et se réjouissaient d'avoir un prophète au milieu d'eux ; mais lorsqu'ils surent, par les disciples, que Jésus était le fils de Joseph, charpentier de Na- zareth, ils trouvèrent en lui bien des choses à repren- dre. Le Sauveur ayant enseigné sur le baptême, ils lui demandèrent si son baptême était meilleur que celui de Jean. Jésus répéta ce que Jean avait dit de son baptême et de celui du Messie, ajoutant que ceux qui mépri- saient le baptême du Précurseur n'estimeraient pas da- vantage celui du Messie. Il ne dit cependant jamais : t< C'est moi, » mais il s'exprima toujours à la troisième personne, de même qu'il s'appelle le Fils de l'homme dans l'Evangile. Il prit un léger repas, dans une des maisons où il avait été invité ; puis, avant de se livrer au repos, il pria avec se,s disciples. Le jour suivant, Jésus partit d'Ensemès, toujours ac- compagné des siens, et entra dans la Judée, en pas- sant le torrent de Cédron. Il prend constamment les chemins de traverse ; il veut, je crois, visiter les villa- ges situés dans un certain rayon autour du lieu où Jean baptise, et suivre les vallées dans lesquelles s'est arrê- tée Marie pendant son voyage à Bethléem. Il verra aussi cette dernière ville et les lieux où la sainte Vierge a passé une nuit pendant sa fuite en Egypte. Il ensel- — 27G — gnera et guérira partout sur sa route, et à son retour il passera devant le lieu du baptême. Le temps est assez froid; je découvre de la gelée blanche dans les vallées profondes ; mais, du côté ex- posé au soleil, tout est vert et riant. Les arbres sont chargés de fruits, dont le Seigneur et ses disciples man- gent, chemin faisant. Jésus, à l'heure qu'il est, se détourne des villes» parce que partout on s'entretient de son baptême, de ce qui s'y est passé, et des paroles de Jean-Baptiste. A Jérusalem même, il n'est pas question d'autre chose. Jésus veut, après son retour du désert, placer en Ga- lilée le centre de ses excursions. Il ne traverse main- tenant cette contrée que dans le désir charitable de dé- terminer encore quelques âmes à se rendre au bap- tême. Il n'a pas toujours avec lui tous ses disciples à la fois. Souvent deux seulement l'accompagnent ; les au- tres se dispersent dans des maisons de bergers, isolées et écartées de leur chemin, et cherchent à éclairer ces bonnes gens ; car tous ont une si haute opinion de Jean, qu'ils regardent Jésus comme un de ses aides, et l'appellent le Coopérateur. Les disciples leur font con- naître la descente du Saint-Esprit, leur parlent de la voix qui s'est fait entendre pendant le baptême. Ils leur disent que Jean lui-même a déclaré qu'il n'est que celui qui prépare les voies du Seigneur, et que c'est pour cela aussi qu'il a frayé la route avec tant de zèle et d'ardeur. Alors les bergers et les tisserands, qui ha- bitent en grand nombre ces vallées, viennent à Jésus, écoutent les instructions qu'il donne sous les arbres et les hangars, puis ils se prosternent devant lui : il tes bénit et les exhorte. Pendant ce voyage, le Seigneur expliqua aussi à ses disciples que ces paroles de son Père céleste : « C'est mon Fils bien-aimé, » étaient dites de tous ceux qui auraient reçu dignement le baptême du Saint-Esprit. Ce jour-là, Jésus arriva, avant midi, à la maison où — 277 — la sainte Vierge avait été si mal reçue, et il y enseigna la foule qui s'y était rassemblée. Le maître de cette maison était un vieillard grossier qui refusa de rece- voir le Seigneur : il se comporta avec la brutalité de certains paysans de nos jours, qui aiment à dire : « Est- ce que j'ai besoin de cela? j-e paie mes dîmes et je vais à l'église, » et au demeurant veulent vivre à leur guise. Les gens de cette maison disaient aussi : « Est-ce que nous avons besoin de cela ? Nous avons notre loi que Dieu lui-môme a donnée à Moïse ; elle nous suffit. » Alors Jésus leur parla de l'hospitalité et de la miséri- corde que tous les patriarches tenaient en honneur, et leur demanda comment ils auraient pu être mis en possession de la bénédiction d'Abraham, si celui-ci eût repoussé les anges qui l'apportaient? Le Seigneur leur dit encore en parabole : « Que celui qui avait rebuté la mère portant son enfant dans son sein, lorsque, épui- sée de fatigue, elle frappait à sa porte ; celui qui s'était moqué du mari qui cherchait un gîte hospitalier re- poussait aussi le fils et le salut qu'il apportait. » Il dit cela si clairement, qu-e ses paroles frappèrent comme d'un coup de foudre le cœur de cet homme, et que les plus anciens des assistants en furent stupéfaits ; car, sans nommer ni lui-même, ni sa mère, ni Joseph, il avait raconté en parabole tout ce qui s'était passé. Alors le maître du logis se prosterna aux pieds de Jésus, le conjurant de vouloir bien entrer chez lui et d'y accepter un repas : car il devait être prophète pour savoir ce qui s'était passé trente ans auparavant. Mais le Sauveur n'accepta rien. Il continua à instruire les bergers ; il leur dit que toutes leurs actions étaient ïe type et le germe de leur conduite future (1), que par le (1) Cette sentence du Sauveur explique comment la correspon- dance dea figures anciennes avec les réalités qui en sont nées repose sur la nature même des choses. Les mœurs dures de cette tamille furent la cause toute naturelle qui lui fit repousser le salut tout comme les mauvaises dispositions des Juifs, transmises do père en fils, devaient aboutir à leur faire rejeter Jésus-Clirist. — 278 — rep-entir et la pénitence ils pouvaient couper les racines du péché, et qi.2 l'homme qui se convertissait et renais-^ sait par le baptême du Saint-Esprit porterait des fruits pour la vie éternelle. Jésus continua sa marche à travers les vallées, et enseigna en différents endroits. Les possédés le pour-' suivirent de leurs cris, mais, à son commandement, ils. devenaient silencieux. Je vis ensuite Jésus arriver à une autre maison de hergers située sur une colline, et où la sainte Vierge avait aussi séjourné. Le maître du lieu possédait de nombreux troupeaux. On voyait, dans les vallées, de longues rangées de maisons, habitées par des gens qui ■faisaient des tentes. Ils travaillaient, les uns en face des autres, à de longues bandes d'étoffe suspendues en plein air. On apercevait aussi de nombreux troupeaux de moutons et beaucoup de gibier. Jésus fut très bien accueilli. Les gens de la maison, -les voisins et même les enfants accoururent au-devant de lui et se prosternèrent à ses pieds. La sainte Vierge -et Joseph y avaient été reçus autrefois de la. façon la plus bienveillante : cette habitation était actuellement occupée par deux jeunes gens, enfants de l'ancien maî- tre du logis, qui vivait encore, et par un petit homme tout courbé de vieillesse et appuyé sur une houlette. Jésus accepta quelques aliments qui lui furent présen- tés ; c'étaient des frui-ts et de petits pains cuits sous la -cendre. Ces gens étaient pieux et éclairés. Ils conduisirent Jésus dans la chambre où la sainte Vierge avait passé la nuit. Ils l'avaient, depuis long- temps, transformée en oratoire. Les quatre angles avaient été coupés, de manière à donner à cette pièce la forme octogone. Une lampe était suspendue au cen- tre ; une ouverture avait été ménagée au plafond ; je vis, devant la lampe, une table assez semblable à nos* appuis de communion ; on pouvait s'y soutenir pourl prier. Ce lieu avait toute l'apparence d'une chapelle. Lô' 1 à ■ — 279 — '\'ieillard y conduisit Jésus et lui montra l'endroit où avait reposé sa sainte mère ; il lui indiqua aussi où sa grand'mère, sainte Anne, avait dormi, lorsqu'elle vint visiter la sainte Vierge à Bethléem. Ces braves gens avaient entendu raconter la nais- sance de Jésus, l'adoration des rois, les prophéties de Siméon et d'Anne, la fuite en Egypte et le merveilleux •enseignement de Jésus au Temple. l's avaient célébra plusieurs fois ces anniversaires par des prières dans leur oratoire, et, dès le commencement, ils avaient fidè- lement cru, espéré et aimé. Ils firent à JésufJ des questions pleines de simplicité, ■et tout à fait à Iti manière des habitants de la cam- pagne. — En voici quüqu€S-unes : c( Que se passe-t-il donc maintenant ? Les grands per- sonnages de Jérusalem disent que le Messie va venir en roi, pour relever le royaume de David et délivrer les Juifs du joug des Romains ; est-ce que cela aura lieu? )> Jésus leur expliqua la chose en parabole. C'était un fils de roi que son père avait envoyé prendre possession de .son trône, restaurer le sanctuaire et retirer ses frères de l'esclavage ; il dit qu'on ne reconnaîtrait point ce fils, qu'au contraire on devait le persécuter et le mal- traiter ; mais qu'il serait exalté et attirerait à lui, dans le royaume de son Père céleste, tous ceux qui observe- raient ses commandements. Ceux qui interrogeaient ainsi le Sauveur étaient amis des bergers qui l'avaient visité dans la crèche ; c'est ce qui explique leurs bon- nes dispositions. Le Seigneur et ses disciples firent, dans les vallées, beaucoup d'excursions ; partout les bergers et les ou- vriers se rassemblaient en foule autour d'eux, Jésus les enseignait par des comparaisons tirées de leurs tra- vaux, leur recommandait le baptême et la pénitence, en leur annonçant l'approche du Messie et des jours de salut. T T — ^80 — Pendant que Jésus enseignait ainsi, une réunion d'ou- vriers venant de Sichar passa tout près de lui. Ils por- taient des pelles, des pioches et de longues perches, et rentraient chez eux, après avoir fourni leur travail d'es- clave pour la construction des édifices et des chemins publics. N'osant pas s'approcher des Juifs, ils écou- taient timidement à distance l'instruction de Jésus. Mais il les fit venir près de lui, et leur dit que son Père céleste appelait tous les hommes à lui par son minis- tère : il parla ensuite de l'égalité de tous ceux qui font pénitence et reçoivent le baptême. Ces pauvres gens furent très émus de sa bonté ; ils se jetèrent à ses pieds et le prièrent de se rendre aussi à Samarie, car c'était là qu'ils demeuraient. Le Sauveur leur répondit qu'il irait les visiter, mais qu'il devait auparavant se pré- parer à entrer dans le royaume que son Père céleste lui avait transmis. Les bergers conduisirent aussi Jésus par les diffé- rents chemins qu'avait suivis sa mère ; il connaissait tous ces lieux mieux que ceux qui les lui indiquaient, tellement qu'ils s'écrièrent, pleins d'étonnement : « Sei- gneur, vous êtes un prophète et un fils pieux, puisque vous reconnaissez les voies de votre bienheureuse mère et suivez la trace de ses pas. » Je vois les disciples, ils se répandent dans toute la contrée, annoncent le Messie, exhortent au baptême et à la pénitence ceux qui ne sont pas encore baptisés ; ils en attirent un grand nombre aux lieux où Jésus leur a dit qu'il enseignerait. Le Sauveur, de son côté, fait de longues excursions dans le pays et souvent, pendant la nuit, je l'aperçois monter seul sur les collines pour y prier, en sorte que tout Le voyage est utilisé. J'ai en- tendu les disciples s'inquiéter de la vie austère de Jé- sus, de son habitude d'aller nu-pieds, de ses jeûnes et de ses veilles nocturnes, dans une saison qui est froide et humide. Ils l'engagèrent à ménager un peu ßon corps ; mais, tout en accueillant avec bonté leurs "^^B — 281 — recommandations, il continua à vivre comme aupara- vant. Un matin, au point du jour, je vis Jésus, avec ses disciples, descendre dans la vallée des Bergers. Les ber- gers qui demeuraient là connaissaient d'avance son arrivée. Ils avaient tous reçu le baptême de Jean, et plusieurs d'entre eux avaieïit été avertis, par des son- ges et des visions, de l'approche du Seigneur. C'est pourquoi quelques-uns veillaient, le regard toujours fixé sur l'endroit par où il devait arriver. Lorsqu'il descendit dans la vallée, il leur apparut tout entouré de lumière ; car plusieurs de ces gens simples étaient favorisés de grâces extraordinaires. Ils sonnèrent aus- sitôt du cor pour réveiller et appeler ceux qui demeu- raient au loin. C'était leur signal dans toutes les cir- constances un peu importantes. Tous accoururent au- devant du Seigneur et se prosternèrent la face contre terre. Ils le saluèrent avec des passages de psaumes qui annoncent l'avènement du Sauveur, et célèbrent la reconnaissance d'Israël pour l'accomplissement des promesses. Jésus leur parla très affectueusement et leur vanta le bonheur de leur condition. II les enseigna çà et là dans leurs cabanes, qui bordaient toute la large vallée des prairies, leur racontant des paraboles tirées surtout de la vie pastorale. Il vint ensuite avec eux à travers la vallée, jusqu'à la tour des Bergers. Il leur parla de la visite qu'il leur faisait en ce moment, à eux qui l'avaient salué dans son berceau, €t qui s'étaient montrés charitables envers ses parents. Il les instruisit par des paraboles, dans les- quelles il était question du pasteur et du troupeau, di- sant que lui aussi serait un pasteur, qui réunirait son troupeau pour lui donner ses soins et sa direction jus- qu'à la consommation des siècles. Les bergers lui racontèrent l'apparition des anges et l'histoire de la sainte famille et de l'Enfant ; ils dirent qu'eux auss.i avaient vu l'image de l'Enfant dans un — 282 — astre, au-dessus de la grotte de la crèche. Ils l'entre- tinrent des rois mages qui avaient vu la tour des Ber> gers dans les astres, ainsi que des dons de toute es pèce qu'ils avaient faits en se retirant. Il y avait encore là plusieurs vieillards qui, dans leur jeun^ess«, avaient visité la crèche ; ils racontèrent à Jésus tout oe qu'ils avaient vu à c-ette époque. Le jour suivant, les bergers conduisirent le Sauveur et ses disciples, chez les fils des trois chefs des bergers auxquels les anges étaient apparus d'abord, lors de la naissance de Jésus. Les tombeaux de ces chefs se trou- vaient tout près de leurs maisons, situées à une lieue de la grotte de la crèche. Les trois fils de ces bergers déjà d'un âge mûr, se trouvaient là. Leur famille exer- çait une certaine autorité sur les autres bergers, comme les trois rois sur leurs compatriotes. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d'humilité, et le condui- sirent aux tombeaux de leurs pères. C'était un ensem- ble de grottes, creusées dans un coteau planté de vi- gne. Ils ouvrirent à Jésus les portes de la grotte sépul- crale, et je vis les corps ensevelis avec leur visage noi- râtre. Ils firent aussi voir au Sauveur leur trésor. C'étaient des barres d'or pur, enveloppées dans des pièces d'étoffe précieuse brochée d'or, que les trois rois avaient données à leurs pères, et qu'ils avaient cachées dans le caveau. Ils demandèrent à Jésus s'il voulait qu'ils offrissent tous ces trésors au Temple ; mais il leur dit de les garder pour l'Eglise, qui allait rempla- cer le Temple. Il leur annonça aussi qu'un jour on élèverait une église au-dessus du caveau (ce qui fut réalisé par sainte Hélène). A partir de cette colline, on voyait se développer jusqu'à Gaza un. vignoble où se trouvait le cimetière commun des bergers. Ils conduisirent ensuite le Seigneur à la grotte de la Nativité, située à une lieue de là. Ils traversèrent une vallée charmante, que longeaient trois sentiers séparés n# — 2S3 — par des groupes d'arbres fruitiers (1). Ils s'entretenaient • eu chemin du cantique des anges ; et toutes ces scènes me furent de nouveau rappelées. Les bergers accompa- gnèrent le Sauveur à la grotte de la crèche ; ils l'avaient transformée en oratoire ; afin que personne ne foulât plus ce sol sacré, ils avaient environné d'une grille le lieu même de la crèche. Autour de la grotte, ils avaient creusé des cellules dans le rocher, comme dans un cloître. Les parois et le sol étaient ornés de tapis don- nés par les Mages. Ce fut un vendredi au soir, à l'ouverture du sabbat, que les bergers arrivèrent avec Jésus à la grotte de la crèche. Des lampes avaient été allumées Jésus leur montra l'endroit où il était né ; ils ne le connaissaient pas ; il leur fît une instruction, et tous célébrèrent en- semble le sabbat (2). Pendant ce temps-là, Jésus passait très souvent les- nuits sur les collines, seul et en prière. En quittant les bergers, il annonça à ses disciples que son intention était d'aller, sans eux, visiter des gens qui l'avaient reçu avec charité, lors de la fuite en Egypte. Il y avait chez eux des malades à guérir et un pécheur à rame- ner. Aucun des lieux visités par ses saints parents ne devait être sans bénédiction. Il voulait rechercher et conduire dans la voie du salut tous ceux qui s'étaient montrés hospitaliers envers eux. Leur hospitalité et leur charité avaient été une participation à l'œuvre du (1) Cette vigne, où reposent les restes des bergers fidèles qui avaient été les prémices de la nouvelle Eglise, rappelle involon- tairement la vigne élue et fidèle qui représente l'Eglise dans nos saintes lettres. — Trois sentiers riclies en fruits d'œuvres saintes et de mérites y mènent aussi au sanctuaire intime de Jésus: ce Bont la foi, l'espérance et l'amour. (2) Cette visite de Jésus aux bergère et à la crèche, immédiate- ment après son baptême, forme un rapprochement touchant entre sa naissance et le saint baptême, qui est la naissance du chrétien. Les premiers enseignements du Sauveur, après l'inau- guration solennelle de sa vie publique, sont encore pour ces ber- gers et ces pauvres, qui les premiers avaient été admis à le recounaître dans son berceau. - 284 - salut, et devaient l'être toujours. De même qu'il visi- tait tous ceux qui s'étaient montrés bons pour lui et ses parents, ainsi son Père céleste n'oublierait-il aucun de ceux qui auraient fait du bien au moindre de leurs frères. Il ordonna ensuite à ses disciples de l'attendre un des jours suivants, près d'une grotte dans le voi- sinage d'une ville de la tribu d'Ephraïm. Je vis donc Jésus arriver seul à la frontière du terri- toire d'Hérode, et se diriger vers le désert, près d'Anim, à deux lieues de la mer Morte, à travers une contrée sauvage, quoique assez fertile. On y apercevait beau- coup de chameaux qui paissaient. Jésus entra dans une auberge, destinée aux voyageurs qui traversaient le désert. Cet endroit avait été le dernier du territoire d'Hérode, où la sainte famille avait séjourné dans sa fuite en Egypte. Les gens qui demeuraient là, quoique de vrais brigands, avaient pourtant bien accueilli la sainte famille. Jésus demanda l'hospitalité dans la mai- son même où Joseph et Marie l'avaient reçue quand ils le transportaient avec eux ; Ruben, le maître de cette habitation et âgé d'environ cinquante ans, s'y trouvait déjà à cette époque. Jésus lui ayant adressé la parole et l'ayant regardé, ■un éclair de ses yeux pénétra le cœur de cet homme et le bouleversa tout entier. Les paroles et la salutation de Jésus furent comme une bénédiction, et il lui répon- dit tout ému : « Seigneur, c'est comme si la terre pro- mise venait avec vous dans ma maison. » Jésus lui dit que, s'il avait foi à la promesse et n'en rejetait point Taccomplissement, il aurait aussi son héritage en la terre de promission. Il parla ensuite des bonnes œu- vres et de leurs fruits, ajoutant qu'il venait à lui pour lui annoncer le, salut, parce que, trente ans auparavant, sa mère et son père nourricier, étant en . fuite, avaient été bien accueillis dans sa demeure ; que cette bonne œuvre, comme toute action bonne ou mauvaise, portait son fruit. A?ors cet homme, profondément touché, se — 285 — jeta la fac€ contre terre en disant : « Seigneur, corn« ment peut-il se faire que vous entriez dans la maison d'un misérable réprouvé comme moi ? » Jésus lui répon- dit qu'il était venu pour appeler les pécheurs et les purifier. Cependant cet homme ne cessait de s'accuser d'avoir gravement offensé Dieu, ajoutant que tous les gens de cette contrée étaient de grands pécheurs. Puis il raconta à Jésus que ses petits-enfants étaient mala- des -et dans un état pitoyable. Le Seigneur lui répon- dit que, s'il croyait en lui et voulait se faire baptiser, il rendrait la santé à ses petits-enfants. Ruben lava les pieds à Jésus, et lui servit tout ce qu'il avait. Sdr ces entrefaites ses voisins arrivèrent ; il leur dit qui était Jésus et leur répéta sa promesse. Puis il con- duisit Jésus auprès de ses petits-enfants malades. Ils étaient ou lépreux ou perclus. Le Seigneur leur com- manda de se lever, et ils furent guéris. Il alla aussi voir des femmes, qui étaient sujettes à des pertes de sang, et il prescrivit, qu'on leur préparât un bain. On mit, sous une tente, un grand vase plein d'eau, dans lequel Jésus versa un peu de l'eau baptismale du Jour- dain qu'il portait dans un flacon, à son côté, sous sa longue robe. Le Sauveur ayant béni l'eau, les malades s'y lavèrent : tous furent guéris et rendirent grâce au Seigneur. Bien qu'il ne les baptisât pas, cette ablution fut pour eux comme un ondoiement ; Jésus engagea tous les gens de ce pays à se rendre au Jourdain pour se faire baptiser. Ils lui demandèrent si le Jourdain avait une vertu particulière ; et il leur répondit que le cours de ce fleuve avait été mesuré et fixé, et que tous les lieux de Terre-Sainte avaient été désignés par son Père céleste avant d'être habités, et même avant leur existence. Il dit là-dessus des choses admirables qui me sont sorties de la mémoire. Jésus traita aussi du mariage, recom- manda la chasteté et la continence, et attribua à leurs unions illicites la démoralisation de la population et — 286 — î'état misérable d© leurs enfants : il leur expliqua la funeste influence que les péchés -des parents exercent sur les enfants, et indiqua, comme moyens d'arrêter le mal, la renaissance par le baptême, la pénitence et la satisfaction. Il leur rappela tout ce qu'ils avaient fait autrefois pour ses parents en fuite, et enseigna aux lieux mêmes où ils s'étaient reposés et restaurés. Le Sauveur leur présenta aussi toutes les actions qu'ils avaient faites, à cette époque, comme autant de figures prophétiques de leurs efforts actuels pour sortir du péché et entrer dans la grâce. Ils préparèrent au Seigneur un repas auquel ils mirent tous leurs soins. Quand Jésus quitta Anim, il fut accompagné de plusieurs habitants de cett-e localité. Vers le soir, il arriva près d'une ville, située sur les deux flancs d'une montagne. Là ses compagnons, ayant pris congé de lui, il fit le tour d'un côté de la ville, et rencontra, dans un vallon, ses disciples auxquels il avait donné rendez-vous. Il les conduisit à une grotte spacieuse, située dans un lieu sauvage et d'un difficile accès. Ils y passèrent la nuit. C'était là que la sainte famille avait fait sa sixième station, lors de la fuite en Egypte. Jésus raconta cette circonstance à ses disciples, qui allumèrent du feu, en faisant tourner rapidement un morceau de bois dans un autre. Jésus leur parla de la sainteté de ce lieu. Le prophète Samuel s'y était sou- vent réfugié pour prier ; David avait gardé aux alen- tours les troupeaux de son père ; il aimait à prier dans cette grotte ; il y reçut, par le ministère des anges, les ordres du Seigneur, et notamment l'ordre d'aller com- battre Goliath. Je vis de nouveau que la sainte famille en fuite ar- riva là dans un état de fatigue et d'accablement extrême; la sainte Vierge en particulier était fort triste et pleu- rait ; ils y furent merveilleusement soulagés : une source jaillit inopinément, et une chèvre vint à eux — 287 — et se laissa traire. Jésus entretint ses disciples dea grandes souffrances qui les attendaient, eux et tous jeux qui voudraient le suivre. Il leur raconta les peines que sa sainte mère et lui avaient endurées, à l'endroft même où ils se trouvaient. Il dit enfin qu'on bâtirait un jour une église au-dessus de cette grotte, qu'il bénit comme pour la consacrer. Le matin, Jésus quitta la grotte avec les siens ei se dirigea du côté de Bethléem, en faisant le tour de la montagne et de la ville. Arrivés près de quelques mai- sons isolées, ils entrèrent dans une auberge où ils firent un léger repas et où on leur lava les pieds. Les gens de la maison étaient bons, mais fort curieux. Jésus leur parla de la pénitence, de l'approche du Messie et de ce qu'il y avait à faire pour le suivre. Ils lui deman- dèrent pourquoi sa mère avait entrepris le long voyage de Nazareth à Bethléem, tandis qu'elle était si hier» chez elle. Jésus répondit par un enseignement sur la promesse, et dit qu'il avait dû naître à Bethléem, dans la pauvreté et parmi les bergers, parce qu'il était lui- même un pasteur chargé de réunir son troupeau : c'est pourquoi, aussitôt après le témoignage que lui avait rendu son Père céleste, il avait voulu visiter ces con- trées habitées par des bergers. Un peu plus loin, d'autres bergers lui posèrent avec une grande simplicité cette question : » Quel est le plus grand de vous ou de Jean ? — C'est, répondit le Sau- veur, celui auquel Jean rend témoignage. » Et comme ils lui parlaient du zèle de Jean et de sa force, et le complimentaient lui-même sur la beauté parfaite et la vigueur de son corps, il leur répondit qu'avant quatre années ils ne trouveraient en lui ni beauté, ni éclat, et pourraient à peine le reconnaître, tant ce corps serait défiguré. Il vanta ensuite le zèle et l'ardeur de Jean, qu'il compara au serviteur chargé de frapper à la porte de — 2S8 — ceux qui dorment, avant l'arrivée du maître ; à l'ou' vrier qui prépare le chemin, dans I0 désert, pour lais* ser passer le roi ; au torrent impétueux qui vient ba- layer et purifier le lit du fleuve. CHAPITRE XXI Jésus montré par Jean-Baptiste pendant que le sanhédrin le calomnie à Jérusalem. Le matin, à la première heurs du jour, Jésus partit avec ses disciples, accompagné en outre d'une foule de gens qui, ici même, s'étaient joints à lui; il se dirigea vers' le Jourdain, dont il était éloigné d'environ trois lieues. Du bassin baptismal de Jean on dominait les deux rives du fleuve, qui coule vers le midi, dans une belle et fertile vallée d'une lieue de largeur ; le coup d'œil était magnifique. Déjà le Sauveur avait dépassé la pierre de l'Arche d'alliance, et, à un quart de lieue de la cabane où, à ce moment même, le Précurseur enseignait, il traversa une vallée dont l'ouverture laissait apercevoir Jean dans le lointain. Jésus ne fut que quelques minutes en vue du Précurseur. Mais Jean, saisi aussitôt de l'Esprit, mon- tra Jésus du doigt, s'écriant : « Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde. » Jésus pour- suivit sa marche ; un groupe de disciples le précédait et un autre le suivait. Après eux venait la troupe qui s'était tout récemment réunie à lui (1). C'était le com- (1) Cette scène renferme un symbole évident de l'Eglise tant ancienne que nouvelle. Jésus passe entre les deux troupes qui l'accompagnent: il est le centre des deux peuples, l'ancien et le nouveau. La deuxième troupe se compose de deux groupes de disciples, tout comme l'Eglise nouvelle est formée des Juifs et des Gentils. Enfin, Jean qui montre le Sauveur représente tout l'ordre prophétique et apostolique dont la mission est de fair« reconnaître Jésus-Obrist. — 289 — mencement du jour. Les paroles de Jean furent enten- dues d'un grand nombre de personnes ; beaucoup d'entre elles s'élancèrent du côté du vallon ; mais Jésus était déjà loin, et ils ne purent le suivre que de leurs acclamations (1). Ils retournèrent alors vers Jean et lui dirent qu'une multitude d'adhérents suivaient Jésus. Ils avaient aussi entendu dire que ses disciples s'étaient mis à baptiser. Qu'allait-il arriver de tout cela? Jean leur répéta en- core une fois qu'il allait bientôt quitter ce lieu et céder la place à Jésus, car il n'était que le précurseur, l'hum- ble serviteur du maître. Cela plaisait peu à ses disci- ples, qui, en général, étaient un peu jaloux de ceux du Sauveur. Jésus cependant, tournant au nord-ouest et laissant à droite Jéricho, s'en alla à Galgala, qui en est à deux lieues. Pendant ce trajet, il s'arrêta en divers endroits; les enfants le suivaient, chantant des cantiques de louange, ou bien ils couraient chez leurs parents pour les prévenir de sa venue. Jésug, avant d'entrer dans la ville, s'arrêta dans un lieu sacré, où l'on avait coutume de conduire les pro- phètes et les docteurs célèbres. C'était là que Josué avait fait connaître aux enfants d'Israël le secret qui lui avait été confié par Moïse mourant. Il consistait en six malédictions et six bénédictions. La colline entourée d'un mur, où les Israélites furent circoncis, n'était pas loin. (1) D'après les indications de la sœur, ce jour-là était le 11 tisri ou le second jour de la fête des Expiations, pendant laquelle on chassait dans le désert le boue émissaire, chargé par le grand prêtre des malédictions Qu'il voulait détourner de dessus le peuple. La coïncidence de cette cérémonie avec les paroles de Jean : « Voici l'Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde », sert particulièrement à les expliquer. Lorsque Jean, le plus grand des prophètes, montre l'Agneau de Dieu, c'est comme si l'Anciea Testament tout entier, avec »es figures et ses rites symboliques» se tournait vers Jésus pour désigner et saluer en lui la grande; victime qu'il avait attendue et préparée. r — 2:0 — A oe moment, j'eus une vision de la mort de Moïso. Il expira sur une petite colline escarpée, située au cen- tre des montagnes de Nébo, entre l'Arabie et Moab. Le. camp des Israélites s'étendait à une grande distance à l'entour. Il la gravit, accompagné de Josué et d'Eléazar^ Je crois qu'il eut une vision que les autres ne virent pas. Il donna à Josué un rouleau où étaient écrites six malédictions et six bénédictions, qu'il devait faire con- naître au peuple lorsqu'il serait entré dans la terre pro- mise ; puis il les embrassa, et leur dit de s'éloigner et de ne pas regarder en arrière. Il se mit alors à genoux, les bras étendus, et tomba sur le côté : il était mort. Soudain la terre s'entr'ouvrit pour recevoir sa dépouille mortelle, et se referma aussitôt. A son retour, Josué lut au peuple les bénédictions et les malédictions que Moïse lui avait communiquées sur cette montagne (1). Jésus, vers la colline de la Circoncision, enseigna en présence d'une foule considérable. Un bras du fieuva passait par là, et sur la rive qui s'élevait en terrasse, on avait disposé un emplacement pour se baigner ou faire ses ablutions. Au-dessus s'étendaient des pavillons, et tout autour des jardins de plaisance, des bosquets et du gazon. Saturnin, et je crois deux autres discî- ples de Jean, baptisèrent en ce même lieu. Dans une instruction sur le Saint-Esprit, le Sauveur parla de ses divers attributs et des signes auxquels on pouvait re- connaître qu'on l'avait reçu. Le baptême de Jean n'était précédé que d'une exhor- tation générale à la pénitence, puis d'une déclaration de repentir, avec promesse de ne plus pécher ; mais au baptême de Jésus, il n'y avait pas seulement confession des péchés en général, chacun s'accusait en particulier et confessait ses vices dominants. Le Sauveur exhortait (1) Le passage du Sauveur en cet endroit annonçait l'heure pro- chaine de l'ensevelissement de la loi promulguée par Moïse et l'abolition de la circoncision, que remplacerait le baptême, nou- vellement institué. Tous les pas de Notre-Seigneur ont eu leur signification. — 291 — ensuite les néophytes à changer de vie ; souvent même il révélait en face leurs péchés, à ceux qui, par orgueil ou par mauvaise honte, ne voulaient pas les avouer, afin de les porter ainsi à la contrition. Jésus parla de la cir- concision qui avait été opérée en ce lieu même, disant que c'était pour cela qu'on y donnait maintenant le baptême, afin qu'il opérât la circoncision du cœur ; enfin il entretint ses auditeurs de l'accomplissement de la loi, etc. Ceux qui avaient été baptisés (ils étaient environ au nombre de trente) se retirèrent tout émus, tout heureux ; ils disaient : « Nous sentons bien, à pré- sent, que nous avons reçu le Saint-Esprit. » Jésus enseigna ensuite dans les écoles. Il parla aux jeunes filles de la chasteté et de la retenue, de la curio- sité qu'on devait réprimer, et de la modestie dans les parures. Il dit qu'il fallait cacher sa chevelure et se voi- ler la tête dans le Temple et à l'école ; que Dieu et ses anges étaient présents dans les lieux consacrés, et que les anges eux-mêmes voilent leur visage. Jésus fut surtout très affectueux envers les enfants : il les prit dans ses bras et les bénit ; eux, de leur côté, témoignaient beaucoup d'affection pour lui. Le peuple se montra en général très satisfait du Sauveur, et lors- qu'il quitta l'école, la foule qui l'entourait s'écria : » Que la promesse s'accomplisse, qu'elle reste auprès de nous, et qu'elle ne nous quitte pas ! » Pendant ce même temps, il s'élevait à Jérusalem de grandes contestations relativement à Jésus, dont on entendait déjà beaucoup parler. Les prêtres et les pha- risiens entretenaient partout des espions qui les tenaient au courant. Il y eut une longue délibération à son sujet dans le sanhédrin, tribunal composé de soixante et onze prêtres et docteurs. Ceux-ci nommèrent un comité de vingt personnes, et une enquête sérieuse fut com- mencée : les recherches qu'ils firent, dans les registre» généalogiques, les forcèrent à avouer que Joseph et Marie étaient de la race de David, et la mère de Marie — 292 — ^e celle d*Aron ; mais, disaient-ils, maintenant ces fa- milles étaient déchues et tout à fait obscures ; et d'ail- \ leurs Jésus courait avec des gens de rien ; il caressait même les esclaves, et se souillait par ses relations avec des publicains et des gentils. Ayant appris que tout der- nièrement, non loin de Bethléem, le Sauveur s'était entretenu familièrement avec les Sichémites revenant du travail, ils présumaient qu'il avait peut-être le des- sein d'exciter un soulèvement populaire. Quelques-uns prétendaient que Jésus était un enfant supposé, qui un Jour se déclarerait le fils d'un roi : c'était une fausse interprétation de sa parabole. Comme il se retirait sou- vent dans la solitude et passait les nuits da-ns le désert, ils croyaient qu'il avait reçu une secrète instruction du diable. Parmi ces vingt personnes, on en comptait plu- sieurs qui connaissaient mieux Jésus, et qui, ayant été touchées de ses discours, s'étaient rangées au nombre de ses amis secrets ; mais ils s'abstenaient de contredire les autres, afin de pouvoir plus tard lui être utiles, ainsi qu'à ses disciples, auxquels souvent, dans la suite, ils envoyèrent des avertissements. La suprême décision des vingt (ainsi qualifiait-on leur opinion) finit par se répan- dre à Jérusalem : c'était que Jésus devait avoir été ins- truit par le diable. Jean fut informé, par ses disciples, du baptême qui avait été conféré à Galgala : c'était, à leurs yeux, une usurpation de ses propres droits. Mais il protesta de nouveau, avec une profonde humilité, qu'il céderait bientôt la place à son Seigneur, dont il n'était que le précurseur et auquel il avait seulement préparé la voie : ■ses disciples néanmoins ne le comprirent pas. — 293 — CHAPITRE XXII Nouvel entretien du Sauveur avec Marie la Silencieuse. Après avoir traversé Sukkot, Jésus se rendit à Bétha- nie. Lazare vint à sa rencontre, et l'accompagna jusqu'à sa maison, où plusieurs de ses amis de Jérusalem Tat- tendaient. C'était Nicodème, Joseph d'Arimathie, Obed fils de Véronique, Jean-Marc et Simon le Lépreux, pha- risien de Béthanie. Jésus fit une instruction qui eut pour objet le baptême de Jean et celui du Messie. Ils s'entre- tint aussi avec les femmes, dans l'ancien appartement de Madeleine, d'où l'on apercevait le chemin de Jéru- salem. Le Sauveur désira voir Marie la Silencieuse ; Lazare la lui amena, et aussitôt il s'éloigna, ainsi que les autres femmes, qui se retirèrent dans le vestibule. La conduite de Marie fut tout autre que la première fois qu'elle fut présentée au Sauveur : je la vis se pros- terner à ses pieds et les lui baiser. Jésus se laissa faire, puis il la releva en lui donnant la main. Bientôt elle prit la parole, et les yeux levés vers le ciel, elle dit, d'une manière très simple et très naturelle, les choses les plus profondes et les plus merveilleuses. Elle parla de Dieu, de son Fils et de son royaume, comme une jeune fille de village parlerait du père de son seigneur et de l'héritage qu'il devrait lui laisser. Son discours était tout entier prophétique. Elle parla des dettes énormes que des serviteurs et des servantes infidèles avaient contractées par leur mauvaise administration ; elle dit que, maintenant, le Père avait envoyé son Fils pour rétablir l'ordre et tout acquitter ; mais elle ajouta qu'il devait être mal acueilli, mourir dans d'incom- mensurables souffrances, que ce ne serait qu'au prix -.294 — de son sang qu'il rachèterait son royaume et libérerait l€s serviteurs, afin qu'ils puissent redevenir les enfants de son Père. Elle disait tout cela, avec autant de clarté et de naturel que s'il se fût agi d'une chose qui se passât sous ses yeux : elle s'en réjouissait, puis elle s'attristait à la pensée qu'elle était une servante inutile et que le Fils du Père miséricordieux aurait une tâche si douloureuse à remplir. Elle gémissait aussi de l'aveu- glement des serviteurs, qui ne voulaient pas comprendre ce qui se passait ; c'était cependant bien naturel et de toute nécessité. Elle parla ensuite de la résurrection : elle dit que le Fils irait aussi vers les serviteurs retenus dans la prison souterraine, pour les consoler et les déli- vrer après les avoir rachetés ; qu'enfin il retournerait auprès de son Père, et que tous ceux qui ne le recon- naîtraient pas pour leur Sauveur, et qui persisteraient dans leur dépravation, seraient Jetés dans le feu, quand il reviendrait pour juger les hommes. Elle parla en- suite de la mort et de la résurrection de Lazare. « II quitte la terre, dit-elle, et l'on pleure autour de lui, comme s'il ne devait jamais revenir : mais le Fils le rappelle, et il travaille à la vigne ». Puis elle parla de jVEadeleine, disant : « La jeune fille est dans l'affreux désert où étaient les enfants d'Israël,, à la mauvaise place qui est si sombre et que le pied de l'homme n'a jamais foulée ; mais elle en sortira pour aller dans un autre désert, où elle réparera tout par la pénitence ». Marie la Silencieuse parlait d'elle-même comme d'une captive. Son corps lui était une prison. Cette vie n'était pas la vie pour elle : aussi désirait-elle ardemment re- tourner dans sa véritable patrie. Tout lui semblait étroit sur la terre, et nul ne la comprenait. Elle se résignait cependant à rester en ce monde : elle voulait tout en- durer avec patience, car assurément elle était indigne d'un meilleur sort. Jésus lui parla avec amour, la consola et lui dit : « Tu retourneras dans la patrie après la Pâque, lorsque je — 295 — reviendrai ici. » Ensuite, elle se mit à genoux, et il lui donna sa bénédiction en lui imposant les mains. C'était une bien sainte âme que Marie la Silencieuse, mais qui n'était ni connue, ni appréciée ; sa vie était tout absorbée dans ses visions touchant l'œuvre de la,' Rédemption, que personne ne prévoyait, mais qu'elle^ comprenait d'une manière toute naïve. Lorsque le Sau-( veur lui fit connaître l'époque où elle mourrait, il l'as- sura qu'alors elle sortirait de sa prison pour entrer dans sa demeure ; puis, prenant pitié d'elle, il fit une onction sur son corps, en vue de sa sépulture, pour remplacer l'embaumement dont elle devait êfre privée, étant tenue pour idiote. On voit par là que la dignité du corps est plus grande qu'il ne le paraît à beaucoup de gens. CHAPITRE XXIII Jésus au désert. — Il & des visions de sa passion. Jésus avait dit à ses amis qu'il voulait se retirer dans la solitude, pour se préparer à accomplir sa pénible mission ; mais il ne leur parla point du jeûne qu'il avait des&ein de s'imposer. Il äfvait quitté Béthanie accom- pagné de Lazare ; bientôt il le congédia et continua sa route seul et nu-pieds. Il s'avança vers le Jourdain par des chemins détournés. A une lieue de Jéricho, il gravit une montagne du haut de laquelle la vue était très étendue. Cette montagne, en partie couverte de buis- sons, en partie nue, sauvage et escarpée, porte aujour- d'hui le nom de m.ontagne de la Quarantaine. Elle a trois crêtes à son sommet, et renferme trois grottes placées l'une au-dessus de l'autre. Jésus entra dans la grotte supérieure, derrière laquelle s'ouvraient les som- bres profondeurs d'un précipice : toute la montagne était sillonnée de crevasses pleines de péril et d'horreur — 296 — Elie aussi était resté longtemps caché en ce lieu, et même il avait agrandi Tune des grottes ; de là il se rendait au milieu du peuple pour prophétiser, sans que personne sût d'où il sortait. C'était au pied de cette montagne qu'était situé le camp des Israélites, lorsqu'ils firent le tour de Jéricho, au son des trompettes en por- tant l'Arche d'alliance. Ces paroles de l'Ecriture : « Il fut conduit au désert par l'Esprit », veulent dire que le Saint-Esprit, qui était descendu sur lui, en tant que l'humanité de Jésus se soumit à l'action de Dieu sur elle, le poussa à s'enfoncer dans le désert pour s'y préparer, comme homme, sous le regard de son Père céleste, aux souffrances auxquelles il était destiné. Je vis dans la grotte Jésus, à genoux et les bras éten- dus, prier son Père de 1© fortifier et de le consoler dans toutes les douleurs qui l'attendaient. Ses souffrances lui furent montrées d'avance, et il demanda la grâce nécessaire pour subir chacune d'elles. J'eus cette vision durant près de trois heures : elle renfermait tant de choses, qu'il me semblait qu'elle avait duré pour moi une année entière. Je vis des représentations de toutes les peines, de toutes les souffrances de Jésus jusqu'à sa mort. Je l'en- tendis implorer son Père, et^je vis qu'il recevait, pour chacune d'elles, la force, la consolation, et tout ce qui pouvait rendre ses douleurs méritoires. J'aperçus aussi une nuée blanche et lumineuse descendant sur lui. Elle était grande comme une église ; puis, après chacune de ses prières, je vis des figures incorporelles qui vinrent à lui ; elles prenaient la forme humaine quand elles l'a- vaient atteint : alors elles lui rendaient hommage, et chacune lui apportait une consolation et une promesse. Je ne saurais exprimer tout ce que je vis et comment je le vis. Jésus conquit pour nous, au désert, tout ce que nous pouvons obtenir de consolations, d'encourage- ments, de secours et de victoires dans les tentations; — 297 — tout ce qui donne de la force et de la valeur à nos com- bats, à nos triomphes, à nos mortifications et à nos jeûnes ; il offrit là à Dieu le Père ses œuvres et ses dou- leurs futures, pour faire le mérite des prières, des sacri- fices et des luttes spirituelles de tous ceux qui croiraient en lui. Je vis le riche trésor qu'il amassait ainsi pour , l'Eglise, et qu'elle ouvre au temps du carême. Je remar- quai que, pendant sa prière, Jésus avait une sueur de sang, et dans cette vision, j'en eus moi-même la tête et la poitrine tout inondées. A l'aube du jour, le Sauveur descendit de la mon- tagne et se dirigea vers le Jourdain, entre Galgala et le lieu où Jean donnait le baptême. Il traversa, sur une poutre, le fleuve, qui, dans cet endroit, était resserré et profond. Sur la rive orientale, il laissa à droite Bétha- bara, pour s'engager dans les montagnes par le désert. Puis il traversa une vallée où les enfants d'Israël avaient défait Sehon, roi des Amorrhéens. Dans cette bataille les Israélites étaient trois contre seize, mais il se fit un prodige en leur faveur. Un bruit effrayant fut entendu par les Amorrhéens et les frappa de stupeur. Jésus arriva ensuite sur des montagnes tout à fait sauvages, où l'air était beaucoup plus âpre que sur le mont situé près de Jéricho. C'était le lieu où il devait accomplir son jeûne de quarante jours. Je l'y ai vu en prière et découvrant, dans toute leur étendue, les souf- frances cruelles qui l'attendaient. Satan ne s'est pas encore approché du Sauveur, dont la divinité et la mission lui sont tout à fait cachées. Il n'a compris ces paroles : « C'est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis mes complaisances », que comme s'il se fût agi d'un homme, d'un prophète. Cependant les tourments intérieurs com- mencent à assaillir l'âme de Jésus. Sa première tenta- tion est dans cette pensée : « Ce peuple est trop dépravé : dois-je souffrir tout cela pour lui, sans pouvoir accom- plir entièrement mon œuvre ? » Mais sa charité et sa miséricorde infinies triomphèrent de ce premier assaut. — 298 — dont la cause fut l'aspect de ses incommensurables souf- frances. Pendant que Jésus, à genoux, priait sans relâche et parlait à son Père, je vis se présenter, aux regards de son âme, tous les péchés du monde entier, depuis la chute du premier homme jusqu'à la consommation des siècles. Tout cela s'appesantit sur lui, comme un im- mense amas de nuées d'orage : il vit tout ce qu'il aurait à souffrir pour ces crimes, ce qui serait gagné et ce qui serait perdu.. Je vis Satan alentour s'approcher furtivement de l'en- trée de la grotte et y faire du bruit. Il avait pris les traits d'un des fils des trois veuves que Jésus aimait tout particulièrement. Il pensait que le Sauveur s'irriterait, en voyant qu'un de ses disciples l'avait suivi, malgré sa défense. C'était une supposition ridicule, absurde et digne de Satan. Jésus ne le regarda même point. Le tentateur scruta des yeux la grotte et fît mille men- songes au sujet de Jean-Baptiste, disant, entre autres choses, qu'il était très mécontent d'apprendre que Jésus avait fait baptiser en différents lieux, sans avoir aucune mission pour cela. Un autre jour, je vis Jésus couché, la face contre terre ; je restai longtemps auprès de lui, contemplant ses pieds, qui étaient à découvert jusqu'aux chevilles : ils étaient rouges et blessés par les âpres sentiers du désert où il avait marché sans chaussure. Je le vis prier, tantôt à genoux, tantôt prosterné. Je pouvais tout voir, car il était entouré de lumière. Soudain il se fit un bruit dans le ciel ; une grande clarté pénétra dans la grotte, et avec elle une multitude d'anges portant diffé- rents objets. Je me sentis tellement saisie et oppressée par la crainte, qu'il me sembla, pour ainsi dire, péné- trer dans le rocher, qui cédait devant moi. Je vis les anges se prosterner devant Jésus, lui rendre leurs hommages, et, après avoir obtenu de lui la per- mission de remplir leur mission, lui demander si c'était — 299 — toujours sa volonté de souffrir en tant qu'homme pour ses frères, comme au jour où, descendant du ciel, il s'était incarné dans le sein de la Vierge. Jésus ayant agréé de nouveau le calice d'amertume, les anges dres- sèrent, en sa présence, une grande croix dont ils avaient apporté séparément les diverses parties. Cette croix était faite de quatre morceaux, comme les pressoirs qui me sont montrés en vision. Je crois avoir vu environ vingt-cinq anges, dont cinq portaient la partie infé- rieure de la croix, trois le morceau supérieur, trois le bras gauche, trois le bras droit, trois l'appui de bois pour les pieds, trois une échelle ; d'autres enfin un panier avec des cordes et des outils, une lance, un roseau, des verges, des fouets, une couronne d'épines, des clous et aussi les vêtements de dérision qu'on devait substituer aux siens : en un mot tous les instruments de la passion. La croix, qui était creuse et s'ouvrait, était pleine d'in- nombrables instruments de supplice. Au centre, à l'en- droit où fut percé le cœur de Jésus, j'en vis qui repré- sentaient toutes les tortures imaginables. La seule cou- , leur de la croix causait une douloureuse émotion : elle était d'un rouge de sang. Chacune de ses parties offrait, en outre, à l'œil une teinte particulière, représentant la peine spéciale qui devait y être endurée ; et de toutes ensemble partaient des rayons qui venaient converger au cœur. Le Sauveur eut aussi sous les yeux la vue de tous les hommes qui devaient lui faire endurer l£ plus fréquemment des souffrances cachées, comme les phari- siens avec leur malice, le traître Judas, les Juifs cruel- lement insensibles à sa mort pleine de douleur et d'igno- minie. Les anges faisaient passer tout cela, sous les yeux de Jésus, avec un respect et une solennité indi- cibles. Pendant cette représentation de sa passion, je via Jésus pleurer avec les angea -.300 — CHAPITRE XXIV Diverses formes de la tentation. — Prières et jeûne de Jésus. Le lendemain, le diable fit apparaître devant lui sept ou huit de ses disciples, qui, étant entrés l'un après l'autre dans la grotte, vinrent lui dire qu'Eustache leur avait fait connaître sa retraite, et qu'ils l'avaient cher- ché pleins d'inquiétude. Ils le conjurèrent de ne pas les laisser, de ne pas vouloir mourir de faim sur cette montagne. Ils ajoutaient que les bruits les plus étranges circulaient à son sujet, qu'il ne devait vraiment pas se laisser imputer tant de mauvaises choses. Au lieu de répondre, Jésus dit : « Retire-toi de moi, Satan, le temps n'est pas encore venu ». Alors le démon disparut. Un autre jour, j'aperçus un vieillard, d'une faible complexion et d'un aspect vénérable, qui gravissait péniblement la pente escarpée de la montagne. Sa fatigue était telle que j'en avais pitié. Arrivé à la grotte, il tomba d'épuisement, sur le seuil, en poussant des gémissements. .J'étais tentée de regretter que Jésus ne vînt pas à son secours ; mais il ne le regarda môme pas. Le vieillard, s'étant relevé lui-même, dit au Sauveur : « Je suis un Essénien du mont Carmel ; j'ai entendu parler de vous, et, quoique mourant, je me suis efforcé de vous chercher jusqu'ici ». Puis il le pria de vouloir bien le recevoir et s'entretenir avec lui des choses de Dieu, ajoutant que lui aussi savait ce que c'est qu(e jeûner et prier, et que, quand deux, personnes s'unis- sent dans la prière, l'édification est plus grande, etc. Jésus répondit de nouveau : ce Arrière, Satan, le temps n'est pas encore venu. » Aussitôt je vis que c'était le démon, car. en s'éloignant et en s'évanouissant, il devint 301 — sombre et sa figure exprima une rage indicible. Alors i! me sembla risible qu'il se fût jeté par terre et qu'il eût- été réduit à se relever tout seul. Satan ne connaissait pas la divinité du Christ, qu'il regardait seulement comme un prophète. Il avait re- marqué sa sainteté dès sa jeunesse, et auJSi la sainteté de sa mère, qu'il n'avait jamais induite en aucune tentation : car il n'y avait en elle aucune faiblesse par où il pût la séduire. Quoiqu'elle fût la plus belle des Tierges, on ne lui avait jamais vu de prétendants, si ce n'est à l'époque où Dieu manifesta sa volonté dans le Temple, au moyen de la branche fleurie, et où elle fut forcée de prendre un époux. Quant au Sauveur, le malin esprit était trompé, parce qu'il n'avait pas, à l'égard de ses disciples, la même sévérité que les pharisiens, tou- chant divers usages de peu d'importance ; et que cer- taines irrégularités de leur part causaient du scandale aux Juifs. C'est parce que Satan avait souvent remarqué Jésus plein d'ardeur, qu'il avait conçu l'espoir de l'irri- ter en faisant apparaître devant lui ses disciples, qui semblaient l'avoir suivi contrairement à sa volonté. Puis rayant vu plein de mansuétude, il avait cherché à l'émouvoir par l'aspect d'un vieillard pieux et défail- lant, afin de trouver ainsi le moyen d'entrer en discus- sion avec lui. Les jours suivants, je vis Jésus prosterné dans la grotte, la face contre terre. Il pria aussi agenouillé et debout, et je vis des anges entrer et sortir. J'aperçus, en effet, près de la grotte, une nuée lumineuse, dans la- quelle je vis se dessiner comme des visages. Il en sortit des anges qui avaient la forme humaine. Ils allèrent à Jésus, le fortifièrent et le consolèrent. Une autre fois, comme Jésus était dans la grotte, couché sur le côté, je vis entrer l'Essénien Eliud qui s'approcha de lui. C'était une nouvelle ruse du tenta- teur, qui avait dû apprendre que, tout récemment, la croix avait été offerte au Sauveur ; car il lui dit qu'it — 302 — avait su, par révélation, quelles terribles souffrances Tattendaient, et qu'il avait bien senti qu'elles seraient au-dessus de ses forces. Il ajouta qu'il n'était vraiment pas en état de jeûner quarante jours ; aussi, poussé par l'affection, il avait voulu le voir une dernière fois ; il venait même le prier de lui permettre de partager sa solitude, et de se charger d'une partie du vœu qu'il avait fait. Jésus, sans faire la moindre attention à tout cela, se releva, tendit les mains au ciel, et dit : (( Mon Père, délivrez-moi de cette tentation ! » A l'instant Satan disparut, plein de rage. Jésus se mit alors à genoux pour prier. Bientôt je vis venir à lui trois jeunes gens, qui l'avaient suivi lorsqu'il avait quitté Nazareth pour la première fois, et qui l'avaient ensuite abandonné. Ils s'approchèrent timi- dement du Sauveur, se prosternèrent à ses pieds, et im- plorèrent leur pardon, sans lequel ils ne pourraient obtenir, disaient-ils, un instant de repos. Ils le con- jurèrent d'avoir pitié d'eux, de les admettre de nou- veau auprès de lui, et de leur permettre même d'expier leur faute en partageant son jeûne. Ils promirent d'être désormais ses plus fidèles disciples. Ils se lamentaient ainsi, avec de grands cris. Jésus leva les mains au ciel, invoqua Dieu, et aussitôt ils disparurent. Le lendemain, comme je regardais Jésus qui priait à genoux dans la grotte, je vis Satan, revêtu d'une robe resplendissante, arriver à travers les airs et planer près de l'endroit où le rocher était coupé à pic. De ce côté, il n'y a pas d'entrée dans la grotte, mais seulement quel- ques fissures. Jésus ne regarda pas Satan qui voulait faire l'ange. Celui-ci vola alors à l'entrée de la grotte et dit : Je suis envoyé par ton Père pour te consoler. Jésus ne le regarda pas. Alors il reparut à une des ouvertures äe la grotte, du côté où elle est tout à fait inaccessible ât dit à Jésus qu'il devait reconnaître en lui "un ange, à la manière dont il planait au-dessus du rocher. Mais Jésus ne tourna pas les yeux de son côté. Alors Satan — 303 — entra en fureur, et fit semblant de vouloir le saisir avec ses griffes, à travers l'ouverture ; son aspect devint hor- rible et il disparut, sans que Jésus l'ait regardé ! Jésus continua ensuite à prier dans la grotte, tantôt couché, tantôt à genoux, tantôt debout. Durant presque toute cette nuit, j'ai prié aussi, agenouillée à côté de lui. Ce fut une affreuse nuit. Il faisait si mauvais et si froid sur cette montagne ! il y avait un orage si violent, accompagné d'une si grande pluie, mêlée d'une grêle si épouvantable ! Je vis, durant cette tempête, la déprava- tion du monde entier, et aussi ma propre perversité. Je vis le triste état de l'Eglise, et la corruption qui devait ravager le clergé lui-même. Je vis l'abondance de grâces Bt les moyens innombrables de salut dont Jésus nous a comblés, et je sentis tout ce qu'il avait déjà conquis pour nous, par son pénible jeûne dans le désert. J'étais bri- sée, foudroyée de douleur, et en même temps, j'éprou- vais pour Jésus une compassion qui me déchirait l'âme. Au milieu de toutes ces douleurs, succombant à ma fai> blesse, je ne pouvais m'empêcher de me faire de temps en temps cette question : « Pourquoi Jésus ne me dit-il rien ? Pourquoi ne me dit-il pas : Lève-toi I » car je me croyais incapable d'endurer toutes ces souffrances. J'étais près de défaillir, lorsqu'il m'adressa ce seul mot : Patience ! et je me sentis soulagée. Je restai encore quelque temps à genoux, souffrant toujours de la froide et âpre température du désert. Jésus a les pieds nus, il porte sa robe ordinaire, mais îi n'a pas de ceinture ; la sienne est par terre, avec son manteau et deux poches comme en portent les Juifs. Quelquefois il s'appuie sur son manteau. Il se prive de toute nourriture, de toute boisson. Il souffre souvent de la faim, et alors les anges le réconfortent. Je vois des- cendre sur lui comme une nuée légère, et une sorte de rosée coule dans sa bouche. Les quarante jours dans le désert, ainsi que les quar rante années qu'y ont passé les Israélites, sont un nom- '■ '■ 15 bre mystique et qui fait allusion à quelque chose que i'ai oublié. Chaque jour Jésus accomplissait une nou- velle œuvre par sa prière ; chaque jour il conquérait pour nous de nouvelles grâces : sans ces œuvres, ces prières et ces victoires de Jésus, jamais nos victoires sur les tentations n'auraient pu être méritoires (1). Un autre jour, inaperçus Satan, sous les traits d'un ancien ermite du mont Slnaï, qui se dirigeait vers la grotte de Jésus. Il y montait avec beaucoup de peine, le corps à moitié nu et couvert seulement d'une peau de bête. Sa barbe vénérable cachait un air hypocrite et moqueur. Il dit à Jésus qu'un Essénien du mont Carmei lui avait parlé de son baptême, de sa sagesse, de ses miracles et du jeûne rigoureux qu'il accomplissait en ce moment. Il avait donc entrepris ce long voyage pour avoir le bonheur de le voir : il voulait s'entretenir avec lui, d'autant plus qu'ayant une longue expérience de la mortification, il pensait devoir l'engager à s'arrêter là, car il en avait fait assez. De plus, il s'offrait à accomplir une partie de ce qu'il s'était imposé. 11 parla longtemps dans le même sens. Enfin Jésus regarda de côté et dit r V. Retire-toi de moi, Satan ! » Alors je vis Satan se transformer en ténèbres, et, sous la forme d'un globe noirâtre, rouler à grand bruit jusqu'au pied de la mon- tagne. Je me demandai ensuite comment il avait pu ignorer si longtemps la divinité de Jésus-Christ, et je reçus là- dessus de beaux et admirables éclaircissements, que malheureusement j'ai oubliés. Je \is clairement qu'il était utile et nécessaire pour les hommes, que ni Satan ni eux n'en eussent connaissance : ils devaient appren- dre à croire. Je me rappelle cependant que le Seigneur me dit : « L'homme ne savait pas que le serpent qui le- séduisait était Satan ; c'est pourquoi Satan ne devait (1) Los théologiens enseîgneiît en eStet qn« Jésus-Christ noua Ä Eîérité, par chacune de ses actions, la grâce spéciale pour l'imi- i«er dans chacune des nôtres et la rendre méritoire à eon tour. — 305 — pas savoir non plus que celui qui rachetait l'homme fût Dieu ». Je vis, en outre, que Satan ne connut la divinité du Christ qu'au moment où le Seigneur délivra les âmes des limbes. J'aperçus ensuite des anges ; ils firent passer, sous les yeux du Sauveur, de nombreux tableaux représentant l'ingratitude, le doute, la moquerie, l'insulte, la trahison, le reniement des hommes ; enfin toutes les injures que ses ennemis et ses amis devaient lui faire endurer jus- qu'à sa mort et même après. Ils lui montrèrent aussi tout ce qui, de ses efforts et de ses peines, devait 'être en pure perte. Puis, pour le consoler, ils lui firent voir tout ce qui était et serait gagné. Le lendemain, Jésus était profondément triste et abattu, à la vue des pertes et de l'inutilité de ses efforts pour le salut de tant d'âmes. Il commençait à souffrir beaucoup de la faim, et encore plus de la soif. Je le vis parfois fortifié par les anges, mais jamais mangeant ni buvant. Il ne paraissait pas sensiblement amaigri, mais il était devenu très pâle. Il ne sortait jamais de la grotte. Un jour je vis Satan venir à lui. II avait pris les traits d'un ancien ermite, et il lui dit: «J'ai bien faim, je vous prie de me donner des fruits qui sont sur la montagne, devant la grotte, car je ne me permettrais pas d'en cueillir sans le consentement du maître (il fai- sait semblant de prendre Jésus pour le propriétaire) ; puis nous nous assiérons ensemble pour parler de choses édifiantes ». Il y avait, à quelque distance, sur le côté opposé de la grotte, des figues, une espèce de noix et des baies. Jésus lui répondit : u Retire-toi de moi ! toi qui es menteur depuis le commencement des siècles, et ne touche pas à ces fruits ». Alors j'aperçus l'ermite transformé en une petite figure noire ; il s'enfuit par- dessus la montagne, en exhalant une vapeur sombre et une odeur infecte. En ce même jour je vis André : il était triste et in- — 306 — quiet de ce que Jésus demeurait si longtemps au déisert Il était agité, et avait des doutes à combattre au sujet d^ son retour. Il alla s'en entretenir chez un frère ou demi- frère, qui fut ensuite disciple de Jésus, mais qu'il n.& faut pas confondre avec Pierre (1). Satan vînt encore vers Jean», sous la forme d'un voyageur. Il lui demanda s'il ne voulait pas manger de ces beaux raisins que l'on voyait dans le voisinage et qui désaltéraient si bien. Jésus ne répondit rien, et ne tourna même pas les yeux de son côté. Puis il le tenta de la même manière, en lui parlant d'une source. Le lendemain, il se présenta de nouveau au Sauveur ; il avait pris la forme d'un habile faiseur de tours ; il venait à lui, disait-il^ comme à un sage, pour lui mon- trer que lui aussi savait faire quelque chose d'extraor- dinaire. Il le pria donc de regarder dans une machine suspendue à son bras et qui ressemblait à une boule, ou plutôt à une cage d'oiseau. Jésus ne lui accorda pas un seul regard, et pénétra plus avant, dans la grotte. Satan disparut dès que le Sauveur lui eut tourné le dos. Je vis ce qu'il y avait à voir dans la boite. Elle offrait aux yeux un paysage délicieux, qui représentait un jardin de plai-sance, plein de beaux ombrages, de sources fraî- ches, d'arbres chargés de fruits et de raisins magnifi- ques. Tout cela semblait si rapproché, que l'on croyait le toucher, et il s'y faisait sans cesse des transforma- tions de plus en plus séduisantes. Par ce nouveau stratagème, le démon voulait inter- rompre le jeûne de Jésus, qu'il voyait chaque jaur souf- frir davantage de la faim et de la soif. Il ne savait plus^ à quel artifice recourir. Il connaissait les prédiction» qui le concernaient, et il sentait que Jésus avait pouvoir (1) Lß jour où la sœur fit cette communication était celui d© la fête de Saint André. C'est ce qui expliqua pourquoi sa vue inté- rieure se porte sur c^t apôtre. Qu'elle voit aussi dans «n état de tentation. Nous devons tous partager plus ou moins les épreuves de Jésus. — 307 — sur lui, mais il ignorait qu'il fût le ^Messie, le Dieu- Homme que rien ne pouvait empêcher d'accomplir soa œuvre. Il lui était impossible de le penser, parce qu'il le voyait jeûner, subir les tentations, avoir faim, endu- rer des souffrances, et agir en tout comme un homme ordinaire. Aveuglé à cet égard autant que les pharisiens, il le considérait cependant comme un saint homme, mais qu'il pouvait au moins tenter, et peut-être faire faillir. CHAPITRE XXV Les trois dernière& tentations. — La consolation^ Jésus endurant toutes les tortures de la faim et de la soif, était agité et inquiet. Je le vis plusieurs fois devant la grotte. Vers le soir, j'aperçus Satan gravir la monta- gne, sous l'apparence d'un homme grand et vigoureux, portant deux pierres de la dimension de deux petits- pains. Tout en montant, il ne cessa de les pétrir pour leur en donner la forme exacte ; lorsqu'il entra dans la grotte, sa figure exprimait une rage comprimée. Tenant une pierre dans chaque main, il dit à Jésus : « Tu as rai- son ée ne pas manger de fruits, ils ne font qu'exciter l'appétit ; mais, si tu es le Fils bien-aimé de Dieu, sur qui l'Esprit est descendu au baptême, dis que ces pierres, auxquelles j'ai donné la forme de pain, deviennent des pains ». Jésus ne daigna pas même tourner les yeux sur Satan, et se contenta de prononcer ces mots : « L'homme ne vit pas seulement de pain ». Je n'ai entendu ou re- tenu que ces paroles, bien que, dans l'Evangile, il y en ait d'autres encore qui ne me reviennent point. Je vis alors Satan étendre ses griffes vers Jésus et faire éclater toute sa fureur. Puis il s'enfuit, et je ne pus m'empêcher de rire, en lui voyant sur les bras ses pierres, qu'il remportait. — 308 — Le lendemain, vers le soir, je vis Satan, sous la forme d'un ange puissant, voler vers Jésus à grand bruit. Il était revêtu d'une espèce d'armure, comme celle que porte saint Michel dans mes visions ; mais, à travers son éclat le plus grand, on peut toujours entrevoir quel- que chose de sinistre et de haineux. Se vantant de son pouvoir, il dit à Jésus : « Je veux te montrer qui je suis, ce que je puis, et comment les anges me soutiennent de leurs mains. Voilà Jérusalem I voilà le Temple ! Je te transporterai sur son faîte le plus élevé. Montre là' ce que tu peux faire. Voyons si les anges te porteront jusqu'en bas. » Jésus ne lui ayant rien répondu, Satan le saisit par les épaules, et le transporta, à travers les airs, jusqu'à Jérusalem, en volant tout près de terre ; il le plaça sur le sommet d'une des quatre tours, qui s'élevaient aux quatre coins du parvis du Temple. Cette tour, située du côté occidental, vis-à-vis de la forteresse Antonia, sur un point où la montagne était très escarpée, se termi- nait, comme les trois autres, par une plate-forme sur laquelle on pouvait se promener. Au milieu de cette plate-forme, il y avait une élévation conique, surmon- tée d'une grosse boule où deux personnes pouvaient se tenir debout. De là on apercevait le Temple tout entier. Satan y déposa Jésus, qui gardait toujours le silence. Puis, volant jusqu'au bas de la tour, il lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit: Il ordonnera à ses anges de te porter dans leurs mains, de peur que ton pied ne se heurte contre quelque pierre. » Mais Jésus lui répondit : a II est écrit aussi : Tu ne ten- teras point le Seigneur ton Dieu. » Sur quoi, Satan étant retourné près de lui plein de rage, Jésus lui dit : « Use du pouvoir qui t'a été donné. » Alors Satan, saisi d'une nouvelle fureur, le prit par les épaules et s'envola avec lui vers Jéricho, en traver- sant le désert. Cette fois, il me parut voler plus lente- ment; je le vis tantôt planer au haut des cieux, tan- — 309 — tôt raser la terre, vacillant, comme enivré d'une vio- lente haine qu'il eût voulu assouvir, ce qui n'était pas en sa puissance. Il porta Jésus, à sept lieues de Jéru- salem, sur la montagne où il avait commencé son jeûne. Il le déposa au sommet de la montagne, sur un roc- inaccessible et Incliné sur l'abîme. Il faisait nuit ; mais au moment où Satan montra du doigt Thorizon, tout fut illuminé, et l'on voyait, de tous côtés, les plus riantes contrées du globe. Le démon dit alors à Jésus i « Je sais que tu es un grand docteur, que tu veux t'en- tourer de disciples et répandre ta doctrine. Vois tous ces magiiiiiques pays, ces puissantes nations, et vois ce qu'est la petite Judée en comparaison ; c'est là qu'il faut aller. Je te donnerai toutes ces choses si, te pros- ternant, lu m'adores. » Ce terme d'adoration signifiait seulement une posture suppliante, que les Juifs d'alors et les ph;irisiens eux-mêmes avaient coutume de pren- dre, en présence de grands personnages dont ils vou- laient obtenir quelque chose. Tandis que le doigt de Satan indiquait les divers points de l'horizon, on voyait apparaître de grands royaume? baignés par des mers, puis leurs cités, puis leurs rois qui se montraient dans toute leur gloire, en- tourés de cortèges «t d'armées. On apercevait tout cela, aussi distinctement que si l'on y eût été; bien plus, on se serait cru réellement dans tous ces lieux : chaque pays, ch.que peuple se présentait avec sa pompe, sa magnificeace, ses mœurs et ses usages particuliers. Satan indiqua à Jésus les avantages de chaque peuple, et vant 1 particulièrement une contrée où l'on voyait de graii 13 et beaux hommes. Je crois que c'était la Perse : ; l'engagea à s'y rendre de préférence pour en- seigner, lisant que la Palestine était un pays sans au- cune importance. Jésus répondit enfin : « Retire-toi, Satan, car il est écrit : 1 H adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne servi- ras que lui seul. » Alors je vis Satan, sous une forme — 310 — d'une laideur inimaginable, se précipiter dans l'abîme, et disparaître comme si la terre Veut englouti. Aussitôt des anges s'approchèrent de Jésus et s'incli- nèrent devant lui ; ils le soutinrent de leurs mains, je ne sais de quelle manière. Puis, planant doucement avec lui sur le rocher, ils le déposèrent dans la grotte où il avait lait son jeûne. Ces anges, qui étaient au nombre de douze, étaient suivis d'une multitude d'anges inférieurs : je ne sais plus bien s'il y en avait soixante-douze, mais j'incline à le penser : car toute cette vision me rappela le souvenir des apôtres et des disciples (1). Les anges alors célébrèrent dans la grotte, la victoire de Jésus, par des actions de grâce et par une îêle solennelle. Je vis les anges l'orner de pampres, et suspendre une couronne triomphale de feuillage au-des- sus de la tête du Sauveur. Cela se fit avec une solennité, une promptitude et un ordre merveilleux : tout était lumineux et symbolique ; tout répondait d'une manière frappante à sa destination et à Tintention qui l'avait inspiré. Les anges apportèrent aussi une table toute servie d'aliments mystérieux et célestes, laquelle, petite d'abord, se développa et grandit avec rapidité. Les mets et les vases étaient les même#que ceux que je re- marque toujours sur les tal)les célestes: je vis Jésus et les anges se les assimiler ; mais ils ne les mangeaient pas matériellement : les essences seules des aliments passaient dans les convives, qui en étaient réconfortés. C'est quelque chose d'ineffable. A l'un des côtés de la table on voyait, environné de petites coupes, un grand calice, semblable à celui qui servît à l'institution de la sainte Cène ; mais plus grand, plus immatériel et tout resplendissant. On y apercevait aussi une assiette, avec de petites tranches de pain (1) La hiérarchie dn sacerdoce est en effet, avec ses divers degrés €ubordonné3 les uns aux autres, l'image de la hiérarchie céleste. Voyez saint Denis l'A réop-a gîte, ëe la Hiérarchie céleste. m — 311 — rondes et très minces. Jésus versa du vin du calice dans les coupes, y trempa des morceaux de pa,in, et les dis- tribua aux anges, qui aussitôt les emportèrent. Dans ce moment le tableau -disparut, et Jésus quittant la grotte descendit vers le Jourdain. Les anges avaient pris des formes différentes, pour servir Jé^us. Ceux qui, en dernier lieu, s'éloignèrent, en emportant le pain et le vin, étaient en habits sacer- dotaux. Je vis alors que les amis présents et futurs du Sauveur reçurent des consolations merveilleuses et d^ordres divers. A Cana, Jésus se présenta à la sainte Vierge et la réconforta. Lazare et Marthe furent excités à un nouvel amour pour le Sauveur. Un ange apporta, de la table du Seigneur, l'aliment céleste à Marie la Silencieusej qui le reçut avec la simplicité d'un enfant. Elle avait vu toutes les douleurs et toutes les tentations de Jésus ; sa vie se passait à les contempler et à y com- patir, et elle n'éprouva aucune surprise de ce qui lui arrivait. Madeleine revînt tout d'un coup à résipiscence. Elle se parait pour assister à une fête, lorsque soudain elle fut prise d'un vif repentir de sa conduite et d'un ardent désir du salut. Aussitôt, bravant les railleries de son entourage, elle jeta toutes ses parures par terre ; Natlianaël fut vivement ému du souvenir de ce qu'il avait entendu dire de Jésus, mais cette impression ne fut que passagère. Pierre, André et tous les autres fu- turs apôtres furent aussi touchés, fortifiés et remplis d'ardeur (1). (1) C'est ainsi que la consolation suit la tentation dans les des- «eixis de Dieu. La consolation est portée par les anges ministres de sa grâce, -et nous vient dinect-ement ùes nbériiea de Jésus, qui a fait de aea propres peines la souroe de t-ous nos biens spirituels. — 312 — 1 1 CHAPITRE XXVI Nütre-Seigneur sur les bords du Jourdain. — H établit un bassin pour le baptême. Pendant le jeûne de Jésus, Marie demeurait dans sa maison, près de Capharnaüm. Il arrivait alors ce qui arriverait aujourd'hui, car la faiblesse humaine n'a point changé : la sainte Vierge était souvent visitée par d'indiscrètes voisines qui, sous prétexte de la consoler, blâmaient Jésus, disant qu'il s'en allait on ne savait où, et la délaissait ; c'était pourtant, ajoutaient-elles, son devoir de prendre une profession pour subvenir aux besoins de sa mère, etc. Du reste, on parlait beaucoup de Jésus dans toute la contrée ; les merveilles qui avaient signalé son baptême, le témoignage de Jean, les récits de ses disciples, tout se réunissait pour fixer sur lui l'attention générale. La sainte Vierge était concentrée dans son recueille- ment ; extérieurement séparée de Jésus, elle lui restait intérieurement unie, et souffrait tout avec lui. Vers la fin des quarante jours, Marie se trouvait à Cana, en Galilée, chez les parents de la fiancée de Cana. C'étaient des gens très distingués et très riches ; ils possédaient une belle maison au centre de la ville, qui était bien bâtie et très agréable. Le mariage devait se faire dans cette maison. Ils en avaient une autre qu'ils devaient donner toute meublée à leur fils. En atten- dant, ils y avaient logé la sainte Vierge. Le fiancé était à peu près de l'âge de Jésus ; c'était un fils du premier lit de l'une des trois veuves de Nazareth. Chez sa mère, il dirigeait la maison et, après le mariage, il devait as- sister son beau-père dans ses affaires. Ces bonnes gens interrogent la sainte Vierge sur les moyens de bien — 318 — élever leurs enfants, et lui confient tous leurs secrets.- La fiancée s'entretient aussi avec elle; c'est une belle jeune fille, et je la vois parfois se rencontrer avec son fiancé, mais toujours voilée et en présence d'autres per- sonnes. Jean, pendant ce temps, continuait toujours à bap- tiser, lïérode lui envoyait des messagers pour obtenir qu'il vînt le voir, ou du moins qu'il lui donnât quelques renseignements sur Jésus ; Jean s'y refusait toujours, et se bornait à répéter ce qu'il avait déjà dit du Sauveur. Je remarquai que le Précurseur enseignait constamment que, par le baptême du Sauveur et la descente du Saint-Esprit sur lui, l'eau avait été sanctifiée. Je sus aussi que la présence du Saint-Esprit avait donné plus de sainteté au baptême, et qu'à l'instant même, l'eau avait été purifiée et dégagée de beaucoup de mauvais éléments (1). C'était pour cela que Satan, entouré d'af- fïeuses bêtes, avait plané dans un nuage au-dessus du Jourdain, lors de la descente du Saint-Esprit. C'était! comme un exorcisme de l'eau. Jésus voulut être bap- tisé, afin de sanctifier l'eau ; car pour lui il n'avait pas besoin du baptême. A cette fin le bassin qui servit au Sauveur fut mis en communication avec le Jourdain et avec la fontaine baptismale, qui servait à tous. Dans le même but, Jésus et ses disciples prenaient toujours de cette eau, pour l'emporter partout et la mêler à celle, du baptême. Jésus descendit de nouveau la rive du Jourdain, jus- qu'au lieu où Jean baptisait. Alors le Précurseur, qui yj enseignait, le montrant du doigt, s'écria, comme la pre- mière fois : « Voici l'Agneau de Dieu, voici Celui qui ôte le péché du monde. » Jésus revint ensuite du bord du fleuve vers Béthabara. André et Saturnin, qui se tenaient près de Jean, (1) Au lieu du baptêm© cérémonial, qui n'était qu'une excitation -extérieure à la pénitence, le baptême de Jésua-Christ venait d'inau- gurer, pour tous les dirétiens, le sacrement de la régénération. — 314 — s'empressèrent de le suivre. Or Jésus, s'étant retourné et les voyant qui le suivaient, leur dit : « Que cherchez- vous ? » André, heureux de l'avoir retrouvé, répondit : (( Où demeurez-vous ? n II leur dit : « Venez et voyez ». Puis il les conduisit à une hôtellerie, située en avant da Béthabara. Ils restèrent avec Jésus ce jour-là, et il prit un repas avec eux. Jésus leur dit qu'il allait commen- cer son ministère, et qu'il voulait maintenant choisir les disciples qui devaient le suivre. André lui parla de plusieurs personnes à lui connues qu'il croyait dignes de cette vocation ; il nomma, entre autres, Pierre, Phi- lippe et Nathanaël. Jésus dit aussi que quelques-uns d'entre eux devaient baptiser là, dans le Jourdain, mais qu'il n'y avait, dans les environs, de place convenable que celle où Jean baptisait, et que pourtant il ne fallait pas déplacer celui-ci. Jésus confirma ensuite tout ce que Jean avait dit de lui-même et du Messie, et ajouta que la mission du Précurseur allait bientôt finir. Le Sauveur parla aussi de la préparation à son ministère public, faite dans le désert, et de la nécessité de s-e disposer à toute action importante. Il se montra affectueux et con- fiant envers ses disciples, qui de leur côté étaient hum-^ blés et respectueux. Jésus ordonna à quelques-uns d'entre eux, de se rendre, après le sabbat, à une lieue au-dessus de Bétha- bara, et d'y rétablir un bassin baptismal dont Jean, venant d'Ainon, s'était servi, avant d'aller baptiser sur la rive occidentale du Jourdain. Je vis peu après le Sauveur accompagné d'André, de Saturnin et d'une foule nombreuse, au nombre de laquelle se trouvaient plusieurs disciples de Jean, se rendre à cette fontaine. D^s qu'il y fut arrivé, il versa, dans le bassin baptis- mal, un peu de l'eau de celui où lui-même avait été baptisé dans l'île, et qu'André avait apportée dans une outre ; puis il bénit l'eau. André et Saturnin alors se mirent à baptiser. L'immersion n'était pas complète, et les néophytes descendaient seulement dans l'eau près- — 315 — du bord. On leur imposait les mains s^jr les épaules;, puis le baptisant versait, de isa main, trois fois de l'eau sur leur tête, au nom du Père, du Fils, et du Saint- Esprit. Tous l-es baptisés étaient singulièrement émus^ et beaucoup de personnes accouraient, surtout de la Pérée, pour recevoir le baptême. Jésus enseigna debout, sur un petit tertre de gazon qui se trouvait près de la fontaine ; il parla de la péni- tence, du baptême et du Saint-Esprit. Il dit : « Mon Père a envoyé le Saint-Esprit, lors de mon baptême, et il a dit : » C'est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis (( mes complaisances. » Il adresse les mêmes paroles à tout homme qui aime son Père céleste, et qui a la con- trition de ses fautes ; il envoie son Saint-Esprit sur tous ceux qui reçoivent le baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; ils sont tous ses enfants, et en tous il met ses complaisances : car il est le père de ceux qui reçoivent son baptême, et qui renaissent de l'eau et de l'Esprit-Saint. ^) Je m'étonne toujours que les récits de l'Evangile soient si abrégés. Jésus n'avait pas encore choisi André pour disciple ; il était venu de lui-même s'offrir au Sauveur. Il était plus hardi, plus empressé que Pierre, qui était porté à se dire : « Je n'en suis pas digne, cela est au-dessus de mes forces. » Sur quoi il retournait à ses travaux. Saturnin et les deux neveux de Joseph d'Arimathie, Aram et Thémini, avaient aussi suivi Jésus spontané- ment, comme André. Plusieurs autres disciples de Jean seraient venus à Jésus, s'ils n'avaient été détournés de leur dessein par quelques-uns de leurs compagnons, qui étaient jaloux du Sauveur. Ceux-ci se plaignaient à Jean, disant que Jésus avait tort de baptiser, et qu'il n'avait pas de mission pour cela. Jean avait grand'peine à éclairer leurs esprits étroits. Il leur rappela qu'il avait toujours dit qu'il ne faisait que préparer la voie du Seigneur, et qu'il se retirerait dès que sa mission serait accomplie. — 316 — 'Hais ils lui étaient trop attachés pour que ces idées pussent leur entrer dans l'esprit. De là, après avoir passé par Béthabara et Dibon, Jésus vint à Eléalé, où il entra dans la synagogue et ■enseigna en paraboles : il était question de branches d'arbre agitées par le vent, qui laissant tomber leurs fleurs sans port-er de fruits. Il voulait par là reprocher à ses auditeurs que, trop souvent, après avoir reçu le baptême d-e Jean, ils ne s'amendaient point, mais lais- saient emporter, par tous les vents, les fleurs de la pé- nitence, sans qu'elles parvinssent à porter des fruits. Il choisit de préférence cette comparaison, parce que la plupart d'entre eux vivaient du produit de leurs ver- gers. Jusqu'alors Jésus n'avait pas encore trouvé de contradicteurs. Les habitants de Dibon et des alentours l'aimaient, et disaient qu'ils n'avaient jamais entendu personne parler comme lui ; les vieillards le compa- raient aux prophètes, dont leurs ancêtres leur avaient fait connaître l'enseignement. ^ Vers le soir, je vis Jésus gravir la pente douce d'une montagne, et arriver au sommet jusqu'à Silo, ville dé- A^astée, et aux portes de laquelle on voyait de grandes tours à demi-ruinées. La synagogue se trouvait tout au faîte de la montagne ; elle dominait la ville, et, dans le lointain, on apercevait la mer de Galilée, puis une mul- titude de montagnes, entre autres celles de Jérusalem. Les habitants de Silo étaient orgueilleux, pleins d'assu- rance et de présomption. Jésus, suivi d'une douzaine de personnes, vint dans tme maison habitée par des pharisiens et des scribes. J'en vis environ une vingtaine autour de lui. Ils fei- gnaient de ne pas le connaître, et lui lançaient des épi- -grammes. « Comment se fait-il, disaient-ils, qu'il y ait maintenant deux baptêmes, celui de Jean et celui de Jésus, le fils du charpentier de Galilés? Lequel des deux est îe bon ? On dit aussi que plusieurs femmes suivent la mère de ce Jésus; entre autre telle veuve — 317 — avec ses deux enfants (j'ai oublié le nom), et qu'elle parcourt le pays avec elles pour gagner des partisans à son fils. Qu'avons-nous besoin de telles nouveautés ? n'avons-nous pas la promesse et la loi? » Ils ne disaient pas tout cela brusquement et ouvertement au Sauveur.; mais ils prenaient avec Jésus un air d'urbanité rail- leuse, qui me rappelait tout à fait la malveillance astu- cieuse et voilée de douceur hypocrite que j'ai souvent trouvée le long de mon Chemin de Croix, de la part de gens instruits, venus pour m'épier comme une personne suspecte. Jésus répondit à leurs sarcasmes qu'il était celui dont ils parlaient. Et, faisant mention de la voix qui avait été entendue à son baptême, il dit que c'était la voix de son Père, qui était aussi le Père de quiconque se repentait de ses péchés et renaissait par le baptême. Sur une éminence, à la place où l'arche d'alliance avait jadis été déposée, on voyait s'élever, sous un toit soutenu par une arcade, une colonne pareille à celle de Galgala. Au-dessous subsistait encore le caveau qui avait été creusé dans le roc pour abriter l'arche d'al- liance. Un peu plus loin on apercevait l'ancienne place où l'on égorgeait les victimes, et la fosse couverte qui recevait les immondices des animaux immolés. Les pharisiens et les scribes ne voulaient pas laisser Jésus et ses disciples s'avancer jusqu'à la place où s'é- tait trouvée l'arche d'alliance, parce que c'était un lieu très saint ; il y alla cependant. Il leur dit d'un ton de reproche, que leurs pères avaient, par leurs iniquités, perdu l'arche d'alliance, et qu'eux suivaient leurs exemples près de cette place vide ; qu'ils avaient violé la loi autrefds, et qu'eux la violaient maintenant à leur tour ; il ajouta que, de même que l'arche d'alliance leur avait été enlevée, de môme aussi, et bientôt, l'accomplis- sement de k promesse se retirerait d'eux. Aussitôt Ils voulurent discuter avec lui au sujet de l'interpré- tation de la bi. Jésus les plaça deux à deux, les inter-, — 318 — rog^a comme des eniants, et leur proposa diverses diffi- cultés auxquelles ils ne purent rien répondre. Ils en furent aussi inités que confus, se po-ussèrent les uns les autres en muj:^m.urant, puis se retirèrent peu à peu. lésus les conduisit alors à la fosse destinée aaix débris du sacrifice «et, l'ayant fait découvrir, il leur dit : (( En ce lieu où était le sanctuaire qui a été retiré à vos pères à cause de letirs iniquités, vous ressemblez, vous, à cette fosse pleine à Tintérieur de pourriture et d'immonKiîces impropres au sacrifice, mais dont Texté- ^ rieur est soigneusement recouvert. » Il ajouta qu'il ne reviendrait pas les visiter; sur quoi tous le quittèrent pleins de rag«, Jésus enseigna dans la synagogue, et traita particu- lièrement du respect dû à la vieillesse et de la piété filiale. Il s'exprima sur ce sujet avec sévérité, parce que, depuis longtemps, les habitants de Silo avaient la dé- testable coutume de mépriser leurs vieux parents, de les négliger et de les abandonner. CHAPITRE XXVII Jésus appelle à lui Pierre^ Philippe et Nathanaël. Cependant André, Saturnin et les neveux de Joseph étaient partis de Silo pour la Galilée. André vint à Beth- saïde, dans sa famille. Il annonça à Pierre qu'il avait retrouvé le Messie, auquel il se proposait de le conduire, dès sa prochaine arrivée en Galilée. Tous ceux-là se rendirent easuite à Arbela, appelée aussi Betharhel, auprès de Nathanaël Kased, qui y était è'abli ; puis ils se rendirent ensemble à Gennabris pour y célébrer la fête de la Dédicace du Temple. Ils s'entretenaient beau- coup de Jésus,, et, comme ils avaient en grande esümd- — 319 — Nath-anaël, ils désiraient savoir son opinion sur lui. Mais Nathanaëi ne paraissait pas attaciier grande im- portance à ces événements. Bientôt, André, Pierre et Jean s'-en allèrent à la ren- contre du Seigneur, auprès 67"une petite ville située à six lieues de Tlbériade. Pierre était venu avec Jean pécher dans les en\^irons, et André leur avait persuadé de se rendre auprès de Jésus. André amena Pierre au Sei- gneur : Jésus lui dit, entre autres cho&es : « ïu es Si- mon, fils de Jonas ; tu seras, à Tavenir, appelé Céphas. )>, Il ne s'entretint pas longuement avec lui. A J-ean, qui luii était connu déjà depuis longtemps, il dit qu'ils ne tar- deraient pas à se revoir. Pierre et Jean partirent ensuite pour Gennabris, tandis qu'André demeura auprès de Jésus, qui se rendit avec lui à peu de distance de Ta- richée, dans une maison appartenant à la pêcherie et voisine du lac de Tibériade : jie crois qu'on y vendait ou salait des poissons ; André y avait retenu un logement. Le jour suivant, le Sauveur, avec quelques disciples, alla dans les montagnes du voisinage ; il s'y retira à l'écart et pria. Il passa deux jours près de Tarichée. Son but, en s'y arrêtant, était de laisser à ses apôtres et à ses disciples le temps de se communiquer les bruits qui avaient circulé, en particulier les récits d'André et de Saturnin, et de s'entendre entre eux à ce sujet. Je m'aperçus que, quand le Sauveur parcourait les ■environs, André restait au logis et écrivait des lettres, îLvec un roseau, sur des bandes d'écorce, et les envoyait à Philippe, à son demi-frère Jonatham, à Pierre et aux autres disciples qui se trouvaient à Gennabris. Il leur faisait aussi savoir que Jésus serait à Capharnaüm le jour 'Qu sabbat, et il les engageait à l'y rejoindre. Jésus ne serait peut-être allé que plus tard à Caphar- naüm, si l'on n'eût fait savoir à André qu'un messager venu de Cadès pour implorer l'assistance du Sauveur, l'y attendait depuis plusieurs jours. Jésus partit donc 9 jour- là mêm-e a^ec André, Saturnin, et quelques 1^ ^^ -■ 320 — ' autres disciples de Jean, de la maison de pêcheurs voi- sine de Tarichée, pour se rendre à Capharnaüm. Capharnaüm n'est point placée tout à fait au bord du lac, mais sur le flanc méridional de la montagne qui y'étend et forme une vallée au couchant, du côté de l'embouchure du Jourdain. C'est un peu au-dessus de l'entrée du fleuve dans le lac, qu'est placée Bethsaïde, Le Sauveur et les siens cheminaient par groupes sé- parés. Ils s'engagèrent au levant de Magdalum, dans le chemin qui suit le bord du lac, et laissant Bethsaïde sur la droite, ils arrivèrent, par la vallée, devant Ca- pharnaüm. André rencontra Philippe et son demi-frère Jonathan, qui n'abordèrent pas encore Jésus, mais restèrent avec André, en avant ou en arrière. J'entendis ce dernier leur raconter avec beaucoup d'animation tout ce qu'il savait du Sauveur : il leur dit que c'était vraiment le Messie ; que, s'ils voulaient s'attacher à lui, ils n'avaient pas besoin de lui en faire la demande ; car, s'ils le désiraient du fond du cœur, il les admet- trait d'un seul mot ou même d'un simple geste. Arrivé à Capharnaüm, Jésus logea avec André, Sa- turnin, Lazare et quelques disciples, dans une maison qu'y possédait Nathanaël, le fiancé. Cependant les fu- turs disciples venus de Gennabris se tenaient encore à l'écart ; ils hésitaient entre l'autorité qu'avait à leurs yeux l'opinion de Nathanaël Kased, et les merveilles qu'André et les autres disciples leur avaient racontées de Jésus. De plus, la timidité les retenait ; et d'ailleurs André leur avait dit qu'il n'était pas nécessaire pour eux d'aller s'offrir au Sauveur, qu'il leur suffirait d'écouter son enseignement, qui assurément les déci- derait bientôt à le suivre. Les fils de Cléophas, qu'on nommait les frères de Jésus, se rendirent auprès de lui. Je vis le messager qui avait attendu Jésus deux jours à Capharnaüm, venir le trouver. Il se prosterna à ses pieds, disant qu'il était le serviteur d'un homme de Kadès, et que son maître l'avait envoyé pour le supplier — 321 — de venir guérir son petit garçon, lépreux et possédé d'un démon muet. Ce serviteur fidèle dépeignit avec grande émotion l'affliction de son maître. Jésus lui ré- pondit qu'il ne pouvait l'accompagner à Kadès, mais qu'à cause de l'innocence de l'enfant, il voulait néan- moins lui venir en aide. Il dit au serviteur que le père devait se coucher sur l'enfant les bras étendus, et faire une certaine prière, après quoi la lèpre disparaîtrait. Ensuite le serviteur lui-même devait s'étendre à son tour sur l'enfant, et lui souffler dans la bouche. Alors une vapeur bleuâtre sortirait de lui, et il recouvrerait la parole. J*ai vu le père et le serviteur guérir l'enfant selon l'ordre de Jé- sus. Cette prescription reposait sur certaines raisons mystérieuses dont je ne me souviens plus bien. Je crois que cet enfant était le fils du serviteur et de la femme du maître, auquel la chose était restée cachée. En con- séquence, maître et serviteur devaient prendre chacun sa part de la dette contractée par sa naissance. Le jour du sabbat, j'entendis Jésus enseigner à la synagogue dans laquelle se pressaient de nombreux auditeurs : tous les amis et les parents de Jésus s'y trouvaient. Son enseignement, nouveau pour la plup'arf de ceux qui l'écoutaient, fit une impression profonde. Il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la lampe qu'on ne doit pas mettre sous le boisseau, du semeur, de la foi semblable au grain de sénevé. Il exposa ces paraboles sous une forme toute différente de celle qui nous est connue. Il ne s'en servait que comme des exemples ou des comparaisons pour expliquer sa doctrine. J'ai entendu, dans ses prédications, bien d'autres paraboles que celles qu'on trouve dans l'Evan- gile ; mais cette fois c'étaient exactement les mêmes ; il ies redisait souvent, quoique avec des commentaires toujours variés. Après le sabbat, Jésus se retira, avec ses disciples, dans un petite vallée solitaire. Les fils de Marie de — 322 Ciéophas et ceux de Zébédée raccompagnaient ; mais. Philippe, qui était humble et timide, restait en arrière •et n'osait pas le suivre. Alors Jésus, qui marchait en avant, tourna la tête vers lui et lui dit : « Suis-moi I » Aussitôt Philippe, tout joyeux, se réunit aux autres,, qui étaient environ au nombre de douze. Jésus enseigna dans ce lieu ; il parla de l'appel qu'il adressait à ceux qui devaient le suivre et de ce qu'Us avaient à faire. André, ravi de la profonde impression que l'enseignement du Sauveur avait produite le j,our du sabbat, et désireux que tous fussent convaincus, comme il l'était lui-même, que Jésus était le Messie,, avait le cœur si plein, qu'il saisissait toutes les occasions d'attester de nouveau ses miracles et les merveilles arrivées à son baptême. Jésus prît le Ciel à témoin qu'ils verraient de plus grandes choses encore, et s'entretint, avec son Père, de sa divine mission. Puis il leur dit qu'ils devaient se tenir prêts à tout quitter, lorsqu'il les appellerait ; mais qu'il prendrait soin d'eux tous et ne les laisserait manquer de rien. Il ajouta qu'il leur permettait de con- tinuer à exercer leurs professions, car il lui restait quelque autre chose à accomplir jusqu'à la Pâque pro- chaine ; mais qu'à son appel, il faudrait accourir sans hésitation, sans inquiétude. Il leur dit ces choses, parce qu'ils lai avaient, ouvertement demandé comment ils devaient en user à l'égard de leurs parents. Ainsi,, par exemple, Pierre objecta qu'il ne pouvait pas aban- donner immédiatement son vie^ux b^au-père (oncle de Philippe). Jésus résolut toutes leurs difficultés, en dé- clarant de nouveau qu'il ne ferait rien avant les fêtes de Pâques ; que, dès ce moment, ils avaient à renoncer à leurs professions, en en détachant leurs cœurs ; mais qu'ils pouvaient les continuer extérieurement, jusqu'à ce qu'il vînt les appeler ; en attendant, ils devaient mettre ordre à leurs affaires, et se tenir en état de les trans- mettre à d'autres. Il se rendit ensuite à l'habitation de j — 323 — sa mère, qui était située entre Capharnaüm et Betlï*^ saïde, et où. ses plus proches parents le suivirent. Après cela Jésus partit de très grand matin pour Cana. Ses parents et s-es, disciples l'accompagnaient. Marie et les autr-es femmes prirent, à travers les mon- tagnes, un chemin plus direct et plus court. L^s femmes préféraient ces étroits sentiers, parce qu'elles y ren- contraient moins de monde. Du reste, elles n'avaient pas besoin d'an chemin bien large : car elles marchaient, d'ordinaire à la sui+e les unes des autres, avec un guide à leur tête et un autre qui les suivait. Jésus, avec ses compagnons, passa par Gennabris;; ce chemin, qui était plus large, convenait mieux à sa manière de voyager i car il s'arrêtait souvent pour, montrer et expliquer quelque chose. Geanabris était une belle ville, très commerçante^, qui possédait une synagogue et une école de rhétorique. Nathanaël exerçait ses fonctions dans la maison qu'îl^ liabitait,. dans une sorte de faubourg. Mais, il ne vint: pas à la ville, quoique les disciples, ses amis, l'y enga- geassent. Jésus enseigna dans la. synagogue, et accepta un léger repas chez un riche pharisien avec quelques hommes de sa suite ; les autres avaient pris les de- vants. Avant de partir, Jésus chargea Philippe d'aller trouver Nathanaël et de le lui amener sur le chemin de- Cana., Jésus fut traité av€c beaucoup de respect à Gennfe- bris ; les habitants le prièrent de rester plus, longtemps auprès d'eux et de prendre pitié de leurs malades, allé.-- guan-t qu'il était à quelques égards leur compafriotar mais il avait hâte d'arriver à Cana. Cependant Philippe entra chez Nathanaël, qui était au travail, entouré de plusieurs scribes, dans la salle haute de sa maison ; et il lui dit, avec l'accent d'une vive joie : « Nous avons trouvé celui de qui Moïse a: écrit dans la loi, celui qu'ont annoncé les propheteSg, iésiiE, fils de Joseph de Nazareth. » — 324 — Nathanaël, tenace dans ses opinions, mais plein de droiture et de sincérité, répondit à Philippe : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » Car la ré- putation des gens de cette ville lui était connue ; leurs écoles se faisaient remarquer par un grand esprit de contradiction ; on n'y connaissait guère la vraie sagesse. Un homme élevé là, se disait Nathanaël, pouvait bien plaire à ses amis, gens simples et bienveillants ; mais quant à lui, il serait plus difficile d« le contenter ; car il avait des prétentions au savoir. Philippe le pressa de venir et de voir lui-même qui était Jésus ; il allait, dit- il, passer près de là, sur la route de Cana. Nathanaël suivit Philippe ; ils prirent un petit sentier, et abou- tirent précisément à un endroit où Jésus, accompagné de quelques disciples, venait de s'arrêter. Philippe, depuis que Jésus l'avait appelé, était aussi à l'aise avec Lui qu'il avait été timide auparavant. En l'abordant avec Nathanaël, il prononça tout haut ces mots : « Maître, j'amène celui qui demandait s'il peut venir quelque chose de bon de Nazareth. » Jésus dit à ses disciples, d'un ton d'amitié et de tendresse: « Voici un vrai Israélite, en qui il n'y a point d'artifice. » Na- thanaël répondit: « D'où me connaissez-vous? » Il voulait dire par là : Comment pouvez-vous savoir que je suis sincère et sans artifice, puisque nous ne nous sommes jamais parlé? Jésus lui répondit : « Avant que Philippe t'appelât, je t'ai vu lorsque tu étais sous le figuier. » En disant ces mots, Jésus fixa les yeux soir lui, d'une manière si touchante et si significative, qu'il réveilla, tout à coup, dans Nathanaël, le souvenir que l Jésus était cet homme, dont le regard sérieux et profond avait exercé sur lui une salutaire influence, lorsque, étant sous un figuier dans le jardin des bains de Bé- thulie, il luttait contre la tentation dans laquelle l'avait iaduit la vue de belles femmes jouant au bord de la prairie. Il n'avait oublié ni ce regard, ni la victoire qu'il lui avait due ; il n'en était peut-être pas de même — 325 — de la figure de Jésus; mais, l'eût-il immédiatement re- connu, ce que nous ne savons" pas, il n'aurait pu croire^ qu'il eût voulu alors produire sur lui un tel effet en le regardant. Maintenant que le Sauveur faisait une allu- sion directe à cette circonstance, et jetait sur lui un œil scrutateur, il fut tout bouleversé et saisi d'une vive émotion ; il comprit qu'il avait lu dans son âme et avait été pour lui un ange gardien ; car Nathanaël avait le cœur si pur que la moindre mauvaise pensée le faisait cruellement souffrir. La connaissance que le Seigneur avait eue de ses pensées, lui suffit pour recooanaître en lui son sauveur ; et son cœur sincère, prompt et re- connaissant le poussa à le confesser immédiatement devant tous les disciples. Il dit donc, en toute humilité : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d'Israël. » Alors Jésus lui répondit : ments des bras, de la tête portés. Jésus dit à Marie que son temps est venu, qu'il veut quitter ce pays et se rendre en Judée, où après la fête de Pâques il doit devenir plus que jamais une occasion de scandale. A Gapharnaüm on fait les préparatifs d'une fête ; on orne la synagogue et les bâtiments principaux avec des guirlandes de fleurs et de feuillage. Les musiciens jouent d'un singulier instrument ; ils sont placés sur des gale- ries que supportent le toit de la synagogue et ceux de quelques grands bâtiments. L'objet de la fête était de remercier Dieu, qui avait accordé de la pluie. Jésus fit une instruction bien tou- chante, dans la synagogue, sur la pluie et la séche- resse. Il raconta qu'Elie avait, sur le mont Carmel; demandé l'eau du Ciel, et qu'après avoir interrogé sepf fois son serviteur, il avait vu, à la septième interrogra — 353 — lion, s'élever, du lac de Génésareth, un petit nuage qui s'était agrandi de plus en plus et avait enfin arrosé tout le pays. Il dit que les sept interrogations d'EIie présageaient les sept époques qui devaient précéder l'accomplisse- ment de la promesse, et il décrivit le nuage comme un type du temps accompli, et la pluie comme le symbole de la venue du Messie, dont la doctrine devait arroser les cœurs desséchés de tous les hommes. Maintenant tous ceux qui avaient soif seraient désaltérés, et qui- conque avait labouré son champ recevrait la pluie. II dit toutes ces choses en termes si pénétrants et si admi- rables, que tous les auditeurs en furent émus jusqu'aux larmes : Marie et toutes les saintes femmes pleurèrent aussi, et moi je pleurai avec elles. Les habitants de Capharnaüm sont, jusqu'à ce moment, très favorable- ment disposés. Jésus, voulant quitter la contrée, prit congé hier au soir de ses parents et des disciples de Bethsaïde. Il n'emmena avec lui que douze des siens, tous natifs de Nazareth et de Jérusalem ; c'étaient d'anciens disciples de Jean. De Capharnaüm, le Sauveur se dirigea vers le sud entre Cana et Séphoris. Marie et huit autres saintes femmes l'accompagnèrent à quelque distance de la ville. Après avoir salué les saintes femmes qui accom- pagnent sa mère, Jésus la prend à l'écart pour prendre congé d'elle ; je la vois pleurer ; il l'embrasse comme il fait habituellement, soit qu'il la quitte, soit qu'il la rejoigne, quand ils sont seuls. S'il y a quelqu'un, il se borne à lui serrer la main, et à s'incliner aflectueuse- ment. Marie me paraît encore jeune. Elle est grande et maigre, son front est élevé, son nez long, ses yeux, humblement baissés, sont grands ; sa bouche est ad- mirable ; elle a le teint brun, éclatant, et les joues co- lorées. — 354 - CHAPITRE XXXÎ Voyage de Capharnaüm à Béthanie. Après avoir quitté sa mère, Jésus se rendit à Sépho ris, ville située sur une élévation et entourée de mon- tagnes de tous côtés. Les docteurs de la synagogue ne firent pas grand cas de lui ; beaucoup de méchantes gens en disaient même du mal ; entre autres choses, ils lui reprochaient de courir le pays au lieu d'avoir soin de sa mère. Il ne guérit personne en ce lieu et se tint sur la réserve ; cependant il enseigna le jour du sabbat dans la synagogue, et fit quelques visites, surtout à des Esséniens, les consolant et les fortifiant, pour qu'ils supportassent les railleries et les calomnies dont cer- tains habitants de la ville les accablaient, à cause de leur dévouement pour lui. Il dit à plusieurs d'entre eux, ainsi qu'à ses cousins, de ne pas le suivre pour le moment, de lui rester secrètement attachés, et de se contenter de faire le bien, jusqu'à ce que sa mission fût accomplie. Ses parents répandaient beaucoup de bien- faits dans ce lieu, et pourvoyaient en partie aux be- soins de la sainte Vierge. Je ne saurais exprimer avec quelle douceur et avec quelle bonté le Sauveur s'entre- tint avec plusieurs familles ; sa condescendance affec- tueuse me touchait jusqu'aux larmes. Il y eut, la nuit suivante, dans la terre promise, un violent orage, semblable à celui qui éclate ici dans ce moment ; je vis Jésus prier avec d'autres personnes. 11 pria les bras étendus pour éloigner le danger. J'eus ea même temps une autre vision : je vis, sur la mer de Galilée, les barques de Pierre, d'André et de Zébédée, agitées par un vent impétueux ; elles étaient en grand — 355 — péril Les apôtres dormaient tranquillement à Beih-; saïde, tandis que leurs serviteurs seuls étaient exposés à la tempête. Mais, pendant la prière de Jésus, je Taper-, çus au-dessus des barques, tantôt sur l'une, tantôt sur; l'autre ; on aurait dit que c'était lui qui travaillait, qui gouvernait, qui repoussait le danger. Il n'y était pas corporellement, car je ne le vis pas marcher, mais son esprit planait sur ces malheureux. Ils ne l'apercevaient pas, son âme seule travaillait dans la prière, et il les aidait à leur insu. Peut-être avaient-ils eu foi en lui et ava4ent-ils imploré sa protection. Le Sauveur vint de là à Nazareth, qui n'était qu'à deux lieues de Séphoris. Les trois riches jeunes gens, qui plusieurs fois déjà avaient prié Jésus de les prendre pour disciples, vinrent le trouver dans la matinée pour renouveler leur demande ; ils se mirent presque à ge- noux devant lui, mais le Sauveur ne les reçut point au nombre des siens ; il leur indiqua néanmoins à quelles conditions il les pourrait admettre. Il savait bien que leurs vues étaient purement humaines. Ils voulaient le suivre comme philosophe, comme savant rabbin, pour faire honneur ensuite à la ville de Nazareth par leur grand savoir; peut-être aussi éprouvaient-ils un cer-, tain dépit de ce qu'il semblait leur préférer des fils de pauvres gens. Le soir, commençait le quatorzième jour d'adar, et avec lui la grande fête des Purim. Jésus se rendit chez le vieil Essénien Eliud, où il demeura presque toute la nuit. Ce saint homm^ me paraît devoir bientôt mourir de vieillesse ; il est presque toujours alité ; je vois Jésus assis par terre à côté de son lit, et appuyé sur le coude; il s'entretient avec lui ; Eliud est tout absorbé en Dieu. Lorsque Jésus quitta Nazareth avec ses disciples, les prêtres l'accompagnèrent. Aucun d'eux ne pouvait com- prendre comment il avait pu acquérir tant de savoir dans le peu de temps qu'avait duré son absence, ils- trouvaient sa doctrine irréprochable. Je pensai alors à — 356 — la manier« dont ils devaient le traiter par la suite. Cependant plusieurs d'entre eux étaient secrètement ja- loux de ses succès. Lazare vint au-devant du Sauveur avec Jean Marc, Obed et deux autres disciples ; vers le soir ils arrivèrent sans être aperçus, à tine maison de campagne de La- zare, où tout était préparé pour les recevoir. Cette maison s'élevait auprès d'une ville du nom de Thirza, située à six ligues de Samarie, dans une agréable contrée très fertile en grains, en vin et en fruits. Cette propriété de Lazare lui vient de son père ; il est partout très considéré, comme un homme riche, pieux et éclairé; Lazare a beaucoup de distinction ; il est très sérieux, parle fort peu, et toujours avec douceur et autorité. Lazare avait, dans ce domaine, un économe juif avancé en âg«, qui portait une ceinture et allait nu-pieds. Il avait reçu Marie et Joseph, lors de leur voyage à Bethléem ; ils s'étaient arrêtés dans ce lieu. Jésus prê- cha dans la synagogue de Thirza, mais il ne guérit per- sonne. Je vis bientôt Jésus, les disciples et Lazare quitter Thirza et se diriger vers la Judée. Ils prirent la route qu'avaient suivie Marie et Joseph pour se rendre h Bethléem. Cependant ils ne s'engagèrent pas dans les mêmes sentiers, mais passèrent par la chaîne des monts qui côtoient Samarie. Je les aperçus gravissant une haute montagne, pendant une nuit claire et se- reine ; une rosée bienfaisante couvrait la terre. Jésus était accompagné de dix-huit disciples qui marchaient deux à deux dans les sentiers ; les uns le précédaient, les autres le suivaient. Le Seigneur s'arrêtait souvent pour enseigner ou pour prier, selon que le chemin le permettait. Après avoir voyagé toute la nuit, ils se re- posèrent le matin et firent un léger repas ; puis, pour éviter les villes, ils continuèrent à s'avancer à travers les montagnes, malgré le froid qui y régnait. A peu de distance de Samarie, un jeune homme de cette ville se — 357 - prosterna devant Jésus et lui dit : « Sauveur des hommes, vous qui voulez affranchir et rétablir la Ju- dée, etc. » Il croyait, lui aussi, que Jésus voulait former un royaume terrestre, et il le priait de lui accorder une place auprès de lui. Ce jeune homme était orphelin ; iî avait hérité de grands biens et exerçait un emploi à Samarie. Jésus l'accu-eillit avec bonté, et lui dit qu'à son retour il lui indiquerait ce qu'il devait faire : il ajouta qu'il ne désapprouvait pas son désir, et qu'il aimait sa bonne volonté et son humilité, etc. Mais jB vis que le Sauveur savait qu'il tenait à ses richesses ; iî ne lui dira ce qu'il devra faire qu'après l'élection des apôtres, voulant leur donner à cette occasion l'ensei- gnement qui se voit dans l'Evangile. Le soir qui précéda le sabbat, le Sauveur arriva chez des bergers, entre les deux déserts, à quatre ou cinq lieues de Béthanie, dans le lieu même où Marie et les saintes femmes avaient passé la nuit en venant le re- joindre en cette ville, peu de temps avant le baptême. ïjes bergers des alentours se réunirent et offrirent au Seigneur des présents et des aliments. Puis ils lui dis- posèrent un oratoire, où il célébra le sabbat et leur fît une instruction. Une vingtaine de bergers environ en- touraient Jésus, sans compter leurs femmes et leurs en- fants. Tous étaient heureux et touchés, et Jésus lui- même semblait plus serein parmi ces gens simples et innocents. Après le sabbat, Jésus i}t les siens prirent une légère réfection ; puis ils partirent pour Béthanie, qui n'était qu'à quelques lieues de là. TROTFIÈME PARTIE FIE PUBLIQUE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST (suite) DEUXIEME ANNEE CHAPITRE PREMIER Jésus à Béthanie et au Temple. — Sa dernière entrevue avec Marie la Silencieuse. Jésus occupait toujours la même chambre dans le château de Lazare. C'était l'oratoire de la famille : au milieu se trouvait le pupitre d'usage, sur lequel on mettait des recueils de prières et d'autres écrits. Jésus reposait dans une petite cellule à côté de l'oratoire. J'entendis dire, çà et là dans Jérusalem, que le nou- veau prophète de Nazareth était à Béthanie. Beaucoup se réjouissaient, d'autres étaient mécontents. Je vis sur le chemin et dans les jardins de la montagne des Oli- viers, une foule de peuple, auquel s'étaient mêlés des pharisiens : tous attendaient le passage de Jésus. Dès qu'il parut, plusieurs se retirèrent timidement derrière la haie, et nul ne lui adressa la parole. Ils se disaient les uns aux autres : « Voilà le prophète de Nazareth, le fils du charpentier Joseph. » On apercevait, de tous côtés, des gens occupés à ar- ranger leurs jardins, à cause de l'approche de la fête ; on nettoyait les chemins, on taillait et attachait les haies^ etc. — 360 — Je vois le Seigneur à Jérusalem ; il va partout sans crainte ; son vêtement habituel est une longu€ robe blanche, tissée et semblable à celles des prophètes. Souvent son extérieur ne présenta rien qui attire les re- gards ; d'autres fois, au contraire, il est lumineux, et • tout en lui paraît extraordinaire et surhumain. Après avoir passé la journée à Jérusalem, le Sauveur se rendit à Béthanie ; quelques disciples de Jean, parmi lesquels se trouvait Saturnin, vinrent à lui ; ils le sa- luèrent et lui parlèrent du Précurseur. « Peu de per- sonnes, dirent-ils, lui demandent le baptême, mais il a fort à faire avec Hérode. » Jésus se rendit ce matin à Bethléem, chez Simon le pharisien, qui possédait, dans cette ville, une hôtellerie dans laquelle avaient lieu des réceptions et des fêtes. Simon y donna un banquet, auquel assistaient Lazare, Nicodème, les disciples de Jérusalem et les anciens dis- ciples de Jean, ainsi que Marthe et les saintes femmes. Nicodème parle peu en présence de Jésus ; il l'écoute avec admiration. Joseph d'Arimathie, au contraire, s'exprime à cœur ouvert, il adresse même souvent des questions au Seigneur. Simon le pharisien n'est pas un . homme méchant ; mais il hésite encore entre sa secte et Jésus, avec lequel il entretient des rapports par amitié pour Lazare. Pendant le repas, Jésus parla des prophètes et de l'accomplissement des prophéties. Il raconta les circonstances merveilleuses de la conception de Jean-Baptiste, dit comment Dieu l'avait sauvé du massacre des Innocents, et comment il était venu pour préparer la voie. Reprochant aux hommes de ne faire que peu d'attention à l'accomplissement des temps, il dit : « Il n'y a guère plus de trente ans (qui s'en sou- vient aujourd'hui, sinon quelques hommes simples et pieux ?), trois rois de l'Orient suivirent mon étoile avec une confiance filiale, pour chercher le roi des Juifs nou- vellement né ; ils trouvèrent un pauvre enfant né de parerfts pauvres, et ils demeurèrent auprès de lui trois — 361 — jours I S'ils avaient visité l'enfant d'un empereur, on ne les aurait pas si vite oubliés. » Il ne dit pourtant pas que cet enfant était lui-même. Un autre jour, je vis Jésus assister avec Lazare, Sa- turnin, Obed et d'autres disciples à un sacrifice qui se fît dans le Temple : sa présence y produisit un-e sensa- tion extraordinaire parmi les Juifs. Ce qui pouvait pa- raître étonnant, c'est que chacun renfermait ses im- pressions en soi-même. J'appris, par illumination di- vine, que la Providence ménageait ainsi au Sauveur le temps d'accomplir ses travaux. Si les Juifs s'étaient communiqué leurs sentiments, l'irritation aurait aug- menté ; tandis qu'ainsi, chez plusieurs, la haine et la rage étaient contrebalancées par une sainte émotion, et que le désir curieux de connaître Jésus en portait d'autres à se mettre en rapport avec lui. Ce jour-là était un jour de jeûne établi en souvenir de la mort Ides enfants d'Aaron. Je vois maintenant Jésus de retour à Béthanie, chez Lazare. Les disciples et plusieurs autres gens pieux sont rassemblés autour de lui, dans une grande salle qui renferme une chaire. Le Sauveur prêche à peu près comme l'autre jour, lorsqu'il parlait des trois rois; il appelle de même l'attention sur des événements de sa jeunesse. « N'y a-t-il pas dix-huit ans, dit-il (1), qu*uû petit bakhir (cela signifie probablement écolier) con- testa si doctement dans le temple avec les scribes, qu'ils en furent tout irrités contre lui? » Puis il leur raconta ce qu'avait dit le petit bakhir. Le soir, Jésus célébra le sabbat dans la synagogue de Béthanie. Je vis de nouveau le Sauveur au Temple, pendant la célébration du sabbat ; il était accompagné d'Obed, qui y exerçait un emploi, et des autres disciples de Jé- rusalem. Il se tenait debout parmi ses amis, à côté des <1) n n'y avait pas encore tout à fait dix-neuf ans. — 362 — autres jeunes gens Israélites, qui étaient rangés deux à deux. Il portait une robe blanche tissée, une ceinture et un manteau blanc. 11 y avait quelque chose de particu- lier dans sa manière d'être. Son vêtement était d'une netteté remarquable et paraissait très élégant, sans doute parce que c'était lui qui le portait. Il prenait part aux chants et aux prières qui se font alternative- ment, d'après les rouleaux d'écriture. Il attira de nou- veau sur lui l'attention de tous ; nul cependant ne lui adressa la parole ; les Juifs n'osaient même point parler ouvertement de lui entre eux, et chez plusieurs je re- marquai une émotion extraordinaire. J'entendis trois instructions concernant les enfants d'Israël, la sortie d'Egypte, et l'agneau pascal. On offrit aussi de l'encens sur un autel, près du Saint des saints : je ne pouvais pas voir le prêtre, mais je vis le feu à travers une grille au-dessus de laquelle était sculpté un agneau pascal, entouré de rayons et d'arabesques. Tout autour de Jérusalem et dans les espaces vides de ia ville, on dresse beaucoup de cabanes et de tentes pour abriter les gens qui se rendent en foule à la Pâque, surtout les ouvriers, les journaliers, les domestiques et les marchands. On amène aussi à la ville beaucoup d'agneaux et d'autres animaux, avec des provisions de toute espèce. Une multitude de païens arrivent à Jéru- salem pour la fête. A Béthanie, Jésus enseigne et guérit déjà publique- ment, et on lui a amené des malades étrangers. Des parents de Zacharie sont venus, des environs d'Hébron, pour le voir et le prier de visiter leur pays. Je le vis une seconde fois au Temple et, le soir, lorsque les prê- tres se furent presque tous retirés, il commença, de la place où il se tenait ordinairement, à enseigner ses dis- ciples et d'autres gens de bien. Il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la fête de Pâques, de l'accomplis- sement prochain de toutes les prophéties et de toutes les figures, même de celle de l'agneau pascal. Plusieurs — 363 — prêtres, qui avaient encore à faire dans le Temple, écoutèrent, avec un trouble et un mécontentement secrets, ses paroles graves et saisissantes. Maintenant les préparatifs de la fête se continuent dans le Temple avec une grande activité; beaucoup de changements ont lieu dans l'intérieur ; on ouvre les passages, on enlève les cloisons entre les différentes salles, de sorte qu'on peut arriver à l'autel de tous les côtés. On ne s'y reconnaît plus. Jésus s'avança dans le parvis. Les prêtres et les lévites étaient assis sur des bancs circulaires autour de la chaire, d'où on leur faisait une instruction sur la fête de Pâques. La présence du Souveur produisit une grande sensation parmi les assistants, surtout parce qu'il leur adressa plusieurs questions et fit des objec- tion» auxquelles nul d'entre eux ne sut répondre. Il dit, entre autres choses, que le temps était proche où la figure de l'Agneau pascal trouverait son accomplisse- ment, et qu'alors ce temple et son culte finiraient. Il s'expliqua en termes allégoriques, et cependant si clairs, que je le compris parfaitement. Ce passage du Fange lingua : Aniiquum documentum novo cedat ritui, « que le culte antique cède au rite nouveau, » me revint aus- sitôt à la pensée, car Jésus dit quelque chose d'ana- logue. Les auditeurs, étonnés, demandèrent au Sauveur comment il avait su toutes ces choses. Il leur répondit que son Père les lui avait apprises, mais il ne dit pas qui était son Père. Il parlait toujours en termes géné- raux. Les pharisiens, très surpris, mais aussi très irri- tés, n'osèrent rien tenter contre lui. Il était défendu aux laïques d'entrer dans le Saint, mais il y entra à titre de prophète ; Jésus y enseigna même dans la dernière année de sa vie publique. Après le sabbat, il retourna à Béthanie ; il y resta quelque temps, avant que je l'aie vu s'entretenir avec Marie la Silencieuse. Elle est bien changée, et sa fin approche visiblement. Elle est couchée par terre sur — 364 — des couvertures grises, et des servantes la soutiennent dans leurs bras. Je raperçois dans une sorte de défail- lance. Elle semble cette fois moins étrangère à la vie terrestre ; elle aura encore beaucoup à souffrir ici-bas. Jusqu'alors son esprit avait toujours été absent; elle ne savait rien des choses de ce monde. Elle avait vu Jésus et tous les autres, sans s'en préoccuper et sans éprouver de grandes souffrances ; elle était dans sa chambre comme dans un palais enchanté. Mais, en ce moment, elle semble appartenir davantage à la vie réelle ; elle va savoir maintenant que ce Jésus, qui est là à Béthanie, qui vit de son temps et non loin d'elle, est celui qui doit si cruellement souffrir. Elle participera corporel- lement à ses douleurs et mourra bientôt après. Dans la nuit, Jésus se rendit chez elle ; leur entretien a été très long. Tantôt Marie était assise sur sa couche, tantôt elle se promenait dans sa chambre. Elle a main- tenant toute sa liberté d'esprit et distingue les choses d'ici-bas d'avec celles d'en haut ; elle sait que Jésus est le Sauveur et l'agneau pascal, et qu'il doit passer par de cruelles souffrances. Elle en est infiniment désolée, et le monde lui semble une sombre prison où elle ne peut respirer. L'ingratitude des hommes, dont elle a le pressentiment, déchire, son cœur. Jésus après avoir parlé longt-emps avec elle de l'approche du royaume de Dieu et de sa passion, la bénit et la quitta. Elle est maintenant d'une beauté touchante et lumin^euse ; son visage est blanc comme la neige, ses mains ressemblent à l'ivoir-e, et ses doigts sont minces et effilés ; sa fin.' approche de moment en moment. ■ Dans la matinée, Jésus guérit publiquement un grand nombre de paralytiques, d'aveugles, etc., dont plusieurs étaient des étrangers attirés à Jérusalem par la fête. Quelques Juifs, attachés au service du Temple, vinrent le trouver pour lui demander compte de sa conduite et^ -de ses procédés, ce De qui, lui dirent-ils, tenez-vous 3e droit d'interrompre l'instruction par des objec- — 365 — lions, etc., etc.? » Le Sauveur répondit avec dignité qu'il tenait ce droit de son Père. Les pharisiens n'osè- rent pas encore l'attaquer ; sa présence leur faisait peur ; elle leur inspirait un sentiment dont ils ne se rendaient pas compte. CHAPITRE II Jésus chasse les vendeurs du Temple. — Première Pâque célébrée chez Lazare avec les disciples. Lß jour suivant, Jésus étant venu au Temple avec tous ses disciples, fit sortir du parvis et relégua dans l'avant-cour destinée aux gentils plusieurs vendeurs d'herbages, d'oiseaux, d'agneaux, de vivres, etc. ; il le fit avec douceur et ménagement. Il leur dit, entre autres choses, que le bêlement des brebis et le beugle- ment des bœufs ne devaient point se mêler aux prières des hommes ; il leur aida lui-même, avec ses disciples, à transporter leurs tables et à trouver des places pour leurs marchandises. Ce même jour il guérit à Jérusalem beaucoup de malades étrangers, notamment des ou- vriers paralytiques, qui habitaient aux environs du Cé- nacle près de la montagne de Sion. Une foule incroyable s'agite à Jérusalem. On voit autour de la ville de vastes agglomérations de tentes et de cabanes. Au milieu des places s'étendent de longues rangées de constructions provisoires, où l'on vend, à ceux qui en ont besoin, tout le matériel d'une tente, et tout ce qui est nécessaire pour faire la Pâque. Une mul- titude d'ouvriers et de pauvres gens de tout Israël sont occupés à transporter çà et là des objets divers, et à les mettre à leur place. Déjà depuis quelque temps on a fait disparaître, tant à Jérusalem qu'autour de la ville, tout ce q\i\ pouvait gêner la circulation ; on a arrangé — 366 — les places, les marchés, taillé les haies, ouvert les che- mins, réparé les routes et aplani les sentiers dans tout le pays. Ainsi faisait-on pour l'agneau pascal ce que Jean-Baptiste avait fait pour le véritable Agneau de Dieu. Peu après, Jésus revint au Temple avec ses disciples, et fit une seconde fois sortir les vendeurs du parvis. Comme tous les passages étaient ouverts, à cause de l'immolation prochaine des agneaux, plusieurs d'entre eux y avaient de nouveau pénétré. Les choses ne se pas- sèrent pas alors aussi tranquillement que la fois pré- cédente : il y avait, au nombre des marchands, des gens insolents qui faisaient opposition au Sauveur en gesticulant vivement, de sorte qu'il dut sévir ; il enleva même une table de ses propres mains. Leur résistance fut inutile ; les apôtres firent place vide devant Jésus, et toutes les marchandises furent transportées dans î'avant-cour. Le Sauveur dit ensuite à ces récalcitrants qu'il les avait deux fois éloignés avec bonté ; mais que, s'il les retrouvait encore là, il les chasserait de force. A ces paroles, les plus impertinents l'injurièrent : « Quel pouvoir s'arroge-t-il donc, ce Galiléen, cet écolier de Nazareth ? s'écriaient-lls. Nous ne le craignons pas ! » Il y avait une foule nombreuse qui admirait Jésus. Les Juifs pieux lui donnaient raison et le louaient. On criait : « Voilà le prophète de Nazareth ! » Les phari- siens en concevaient du dépit. Depuis plusieurs jours déjà, ils avaient secrètemenf exhorté le peuple à ne pas s'attacher à cet étranger pendant la fête, à ne pas courir après lui, et à éviter même d'en parler. Toute- fois, l'attention publique se portait de plus en plus sur lui, car il y avait là beaucoup de personnes qu'il avait enseignées ou guéries. En sortant du Temple, Jésus guérit dans le parvis tin paralytique qui invoquait son secours. Cet homme entra au Temple, transporté de joie et bénissant Jésus : il y fit une grande sensation. — 367 — Jean-Baptiste n*est pas à la fête ; il n'est vraiment pas un Juif selon la loi ; d'ailleurs il ne ressemble en rien aux autres hommes; ce n'est réellement qu'une voix dans une chair mortelle. Pour le moment, la grande foule que la fête attire à Jérusalem lui amène aussi beaucoup de personnes qui sollicitent son bap- tême. Je vis Jésus rester à Béthanie un jour entier, et les vendeurs pénétrer encore dans le parvis ; s'il était là, pensai-]e, mal leur en prendrait. Durant l'après-midi, on immola les agneaux de la Pâque dans les cours du Temple. Cela se fit avec un ordre et une habileté admi- rables. Chacun apportait son agneau sur ses épaules. Autour de l'autel, il y avait trois cours où tous pou- vaient trouver place, mais il était défendu de se tenir entre l'autel et le temple. Les sacrificateurs avaient devant eux des balustrades et des tables, avec les instruments nécessaires à l'immolation. Ils étaient si pressés, si serrés, que le sang d'un agneau immolé re- jaillissait à l'entour sur les autres sacrificateurs ; les vêtements en étaient tout humectés. Les prêtres, rangés depuis le temple jusqu'à l'autel, faisaient passer de main en main les bassins pleins ou vides, et je vis l'immolation se prolonger jusqu'au soir; je remarquai que le ciel était, au coucher du soleil, d'un rouge san- glant. Lazare, Obed fils de Siméon et Saturnin immolèrent trois agneaux qui devaient servir à la cène de Jésus et de ses disciples. Le repas eut lieu dans la maison de Lazare, près de la montagne de Sion. L'agneau était attaché à un morceau de bois, et comme crucifié. La salle était magnifiquement décorée ; les convives, ré- partis en trois groupes, mangèrent à une table que je fus étonnée de voir dressée en forme de croix. Lazare était assis au haut bout de la table, à l'extrémité de la croix ; il avait devant lui plusieurs plats composés d'herbes amères. Les agneaux de la Pâque étaient pla- — S68- cés, Tun entre Jésus et Pierre, sur un bras de la croix, l'autre sur l'autre bras devant Obed, et le troisième sur le long bout devant Saturnin. Jésus était entouré des membres de sa famille et des disciples galiléens ; Obed et Lazare des disciples de Jérusalem ; et Saturnin de ceux de Jean. Il y avait à ce repas plus de trente per- sonnes réunies. Cette Pâque fut célébrée plus à la manière des Juifs que la dernière Pâque que fit Jésus ; tous les conviés te- naient des bâtons à la main (à la cène Jésus avait deux bâtons réunis en croix) ; ils avaient leurs vêtements re- troussés, et mangeaient debout, en toute hâte, l'agneau pascal, sans en rien laisser ; puis ils chantèrent des psaumes. Cependant ils supprimèrent divers usages in- troduits par les pharisiens. Jésus leur expliqua ce qui devait se faire. Il dépeça les trois agneaux, et les distri- bua lui-même ; il dit qu'il agissait, en cette occasion^ comme serviteur. Les chants et les prières S6 prolon- gèrent jusqu'à la nuit. Il régnait, ce jour-là, à Jérusalem, un calme dont je fus empressionnée ; les Juifs qui n'immolaient pas se tenaient dans leurs maisons, qui toutes étaient décorées de feuillage d'un vert sombre. Après l'immolation,, cette foule immense d'hommes était occupée dans l'in- térieur des maisons, et au dehors tout restait silen- cieux : j'en ressentais une profonde mélancolie. Au Temple, pendant une grande partie de la nuit, on brûlait la graisse de l'agneau ; à la première veille,, l'autel fut purifié, et les portes rouvertes à l'aube du jour. Dès ses premières lueurs, Jésus et ses disciples s'y rendirent ; un gN.nd nombre de lampes y brûlaient. Déjà de toute part on venait présenter ses offrandes. Jésus, entouré de ses disciples, enseignait dans l'avant- cour. Une foule de marchands s'étaient installés jusque xians le parvis; ils étaient à peine éloignés de quelques -369 — pas des personnes qui priaient. Comme il en arrivait un nombre plus considérable encore, Jésus les arrêta, et ordonna à. ceux qui se trouvaient là de se retirer ; mais ils lui résistèrent, et appelèrent pour les soutenir les gardiens, qui, n'osant rien faire sans autorisation, allèrent rapporter au sanhédrin ce qui se passait. Le Sauveur réitéra l'ordre qu'il avait donné ; et, comme les vendeurs le bravaient avec Impudence, il prit sous sa robe une corde d'osier ou de joncs très minces, qui formait, à l'un de ses bouts, comme un fouet de corde- lettes. Puis il s'avança vers eux, renversa les tables et chassa les récalcitrants : les disciples l'escortaient à droite et à gauche, et marchaient devant lui enlevant et emportant tout. Une foule de prêtres du sanhédrin étant arrivés, ils demandèrent à Jésus qui lui avait donné le pouvoir de faire ces choses, il leur répondit que, quand même l'arche d'alliance ne se trouverait plus dans le Temple, quand même la ruine du Temple serait proche, c'était pourtant toujours un lieu consacré par les prières de tant de justes, et non pas une »maison de trafic, de tromperies ou d'usure. 11 dit aussi qu'il agissait par la volonté de son Père ; et, comme ils lui demandaient qui était son père, il leur répondit qu'il ne le leur dirait pas, parce qu'ils ne le comprendraient point ; puis, sans s'inquiéter d'eux, il continua à chas- ser les vendeurs. Bien que deux troupes de soldats fussent arrivées, les prêtres n'osèrent pas résister à Jésus ; ils rougissaient eux-mêmes de ce désordre, et le peuple assemblé donnait raison au prophète ; de sorte que les soldats eux-mêmes furent obligés d'aider à enlever les tables renversées et les marchandises des vendeuTs. Jésus toléra cependant la présence de ceux qui se tenaient respectueusement dans les cellules pra- tiquées dans les murs de l'avant-cour, et qui vendaient des colombes, des petits pains ou d'autres choses néces- saires à la vie. 11 retourna ensuite, avec ses disciples, dans le parvis; cela eut lieu vers sept ou huit heures — 370 — du matin. Le soir, on s« rendit en procession dans la vallée du Cédron, pour couper la gerbe des prémices. Jésus guérit, dans le parvis du Temple, une dizaine de paralytiques et de muets, ce qui fit encore une grande sensation ; car, dans leurs transports de joie, ces derniers le glorifièrent par toute la ville. A cette occasion, les prêtres et les pharisiens voulurent derechef faire rendre compte à Jésus de sa conduite ; mais il leur répondit très sévèrement, et le peuple manifesta un grand enthousiasme pour sa personne. Dans l'après- midi, le Sauveur assista, avec ses disciples, à finstruc- tion qui se fit dans Tjne salle du Temple. Il réfuta plu- sieurs objections, car il était permis de discuter en ce lieu, et il donna des explications tout à fait nouvelles, qui réduisirent au silence tous les docteurs de la loi. CHAPITRE III Persécution j contre Jésus et les saintes femmes. — Mort de Marie la Silencieuse. Durant ces jours, Jésus ne vit presque point sa mère, qui demeurait chez Marie, mère de Marc. Elle passait son temps dans les prières et les larmes, pleine d'in- quiétude à cause de la sensation qu'il produisait. Bien qu'elle ne sût pas tout encore, elle pressentait tout. Jésus célébra le sabbat à Béthanie, dans la maison de Lazare, où il s'était retiré à cause du bruit que faisaient ses guérisons au Temple. Après le sabbat, les pharisiens le cherchèrent à Jérusalem, chez la mère de Marc ; ils voulaient l'arrêter, mais ils n'y trouvèrent que la sainte Vierge et quelques autres femmes, aux- — 371 — quelles ils ordonnèrent, en termes fort durs, de quitter la ville. Elles en furent toutes très affligées. Je vis Ma- rie, le visage baigné de pleurs, entrant chez Marthe à Béthanie. Marthe soignait sa sœur Marie la Silencieuse, alors très malade ; à peine arrivée auprès de Marthe, la mère du Sauveur s'évanouit, s'affaissant sous le poids d€ sa douleur : aussitôt Marie la Silencieuse, qui était tout à fait rendue à la vie extérieure, et qui voyait s'ac- complir ce qu'elle avait vu autrefois en esprit, n'eut plus la force de supporter la souffrance qu'elle ressen- tait ; elle expira, en présence de la sainte Vierge, de Marie de Cléophas, de Marthe et des autres saintes femmes. Elle fut déposée plus tard dans un sépulcre neuf, à peu de distance du château de Lazare. Nicodème vint cette nuit à Jésus, conduit par Lazare, chez lequel il l'avait rencontré plusieurs fois, sans cependant avoir eu encore d'entretien confidentiel avec lui : la persécution qui menaçait Jésus ne l'arrêta pas. Je vis le Seigneur assis à terre à côté de lui, et l'ins- truisant pendant toute la nuit. Avant l'aube du jour, il se rendit avec Nicodème à Jérusalem, dans la maison de Lazare, près de Sion, où Joseph d'Arimathie les rejoignit. Nicodème et Joseph s'humilièrent devant le Seigneur, disant : « Nous re- connaissons bien que vous êtes plus qu'un homme ; nous promettons de vous servir fidèlement jusqu'à la fin. » Jésus leur recommanda la discrétion ; à leur tour, ils le prièrent instamment de les conserver dans la charité. Tous les disciples qui avaient mangé la Pâque avec le Sauveur vinrent le trouver. Il leur donna diverses instructions et divers ordres, pour l'avenir le plus pro- chain ; ses disciples se prirent tous par les mains en pleurant ; ils essuyèrent leurs larmes avec la petite bande d'étoffe qu'ils portaient autour du cou, et qui leur servait aussi à envelopper leurs têtes. Dans la matinée, Lazare conduisit la mère de Jésua ~ 372 — dans une hôtellerie située devant Béthanie. Je vis le corps de Marie la Silencieuse étendu par terre et la maison en deuil. Les disciples venus de loin se disper- sèrent bientôt en divers lieux, soit chez eux, soit dans les endroits où Jésus les envova. Marie étant retournée dans l'habitation de Lazare, les pharisiens la poursui- virent de leurs interrogations, ainsi que les saintes femmes, partout où il les rencontrèrent, les menaçant de les chasser du pays. C'est ainsi qu'elle se retira d'a- bord à Nazareth, puis à Capharnaüm. Pendant quelques jours, Jésus resta caché, soit à Bé- thanie, soit à Bahurim, petit village situé au nord-est de Bétlianie. C'était en ce lieu que Séméi avait jeté des pierres à David en l'accablant d'injures, lorsqu'il fuyait devant Absalon. Jésus s'y retira souvent, lors des per- sécutions qu'il eut à subir dans le Temple, en particu- lier le jour où l'on voulut le lapider (1). CHAPITRE IV Jésus prêche le baptême sur les bords du Jourdain. — Lettre et envoyé du roi d'Edesse. Trois semaines après la Pâque, Jésus se rendit de Béthanie au lieu où l'on baptisait, près d'Ono. Quelques gardiens y avaient été laissés, pour veiller sur la fon- taine baptismale. Les disciples s'y réunirent de nou- veau, et bientôt un grand nombre de personnes y furent rassemblées. Je vis le Sauveur assis près de la chaire; il enseignait le peuple, qui se tenait en cercle autour (1) Nous Bommes loin de soupçonner la perfection avec laquelle la divine Sagesse a disposé et accompli toutes les figures de l'an- cienne loi. - 373 — de lui. Dans quelques endroits, on avait dressé des gra- dins en bois, afin que l'on pût s'asseoir. Parmi les au- diteurs de Jésus, j'aperçus les disciples de Jean. Au même temps, je fus témoin d'une scène qui se passa, dans une ville, non loin de Damas. Un roi souf- frait d'une éruption qui, à demi sortie, lui ét^it tombée sur les pieds, ûe sorte qu'il boitait. Des voyageurs lui avaient beaucoup parlé de Jésus, de ses miracles et de l'irritation qu'il avait excitée parmi les Juifs l4 jour de Pâques ; leurs récits inspirèrent au roi, qui était homme de bien, une grande affection pour Jésus et le désir de le voir. Il espérait même être guéri par lui, et il lui écrivit pour l'appeler auprès de sa per- sonne. En outre, il manda un jeune homme de sa cour qui savait peindre, et lui remit sa lettre, lui ordonnant de faire le portrait de Jésus, s'il ne pouvait pas le déter- miner à satisfaire â sa demande, appuyée par des pré- sents. L'envoyé partit aussitôt avec six serviteurs, lui sur un chameau, eux sur des mules. Je vis cet homme arriver, avec sa suite, à quelque distance de l'endroit où Jésus enseignait, et où plusieurs personnes avaient établi leurs tentes. Il chercha, sur- le-champ, à pénétrer jusqu'à lui„ Ne pouvant pas lui parler pendant qu'il prêchait, il voulut, du moins, l'écouter et faire, en même temps, son portrait. Depuis longtemps déjà il s'efforçait en vain de se faire jour à travers la foule attentive, lorsque Jésus, l'apercevant, dit à un ancien disciple de Jean qui se trouvait près de lui, d'aider cet homme qui ne pouvait écarter la foule, de le faire approcher et de lui ménager une place sur un banc. Le disciple, après avoir conduit l'envoyé au lieu désigné par Jésus, fit aussi asseoir les gens de sa suite, de manière qu'ils pussent voir et entendre le Sei- gneur. Ces derniers apportaient les présents du roi, qui consistaient en étoffes, en petites plaques d'or et en plusieurs couples de beaux et bons agneaux. Le fidèle envoyé, tout joyeux de se placer en face du ~ 374 — Sauveur, s'empressa de dresser son chevalet sur ses genoux, regarda Jésus avec une attention pleine d'ad- miration et se mit à l'œuvre. Il fit d'abord l'ébauche de sa tête et de sa barbe. Il couvrit ensuite la tablette de I quelque enduit, puis il retoucha, à plusieurs reprises, son esquisse avec le crayon ; il continua longtemps ce travail, mais sans arriver à en être satisfait. A chaque regard qu'il jetait sur Jésus, son visage semblait lui causer un étonnement nouveau, et il se voyait contraint de recommencer. Jésus enseigna quelque temps encore, et envoya en- suite dire à cet homme qu'il pouvait se présenter et remplir son message. Il vint donc vers le Sauveur, suivi des serviteurs et des présents. Il ne portait pas de manteau, mais seulement un vêtement court qui res- semblait à l'habit d'un des trois rois. Le tableau, qui avait la forme d'un bouclier, était suspendu par un cordon à son bras gauche ; dans la main droite il tenait la lettre du roi. Il se prosterna, ainsi que les siens, la face contre terre, devant le Seigneur, et lui dit : « Votre serviteur est l'envoyé d'Abgare, roi d'Edesse, qui étant malade vous adresse cette lettre, et vous supplie d'agréer ces présents. Jésus lui répondit qu'il était sa- tisfait des bonnes dispositions de son maître, puis il ordonna aux disciples de prendre les dons et de les dis- tribuer aux plus' pauvres des assistants, ensuite il ouvrit la lettre. Je ne me souviens plus du contenu, sinon que le prince lui disait, entre autres choses, qu'il avait le, pouvoir de ressusciter les morts, et qu'il le priait de vouloir bien venir le guérir. Lorsque Jésus eut lu la let- tre, il la retourna, prit un crayon, qu'il tira de son sein, et écrivit plusieurs mots en gros caractères, après quoi il la replia. Jésus se fit alors donner de l'eau, se lava le visage, contre lequel il pressa l'enveloppe molle de la lettre, qu'il remit enfin à l'envoyé. Celui-ci l'appliqua sur son portrait (je crois que Jésus lui avait dit de le faire) : alors le portrait changea d'aspect et devint par- — 375 — faitem^nt ressemblant (1). Le peintre, ravi de joie, montra le portrait aux assistants, se prosterna devant Jésus, et s'en retourna aussitôt. Quelques-uns des serviteurs d'Abgare restèrent auprès de Jésus, qui, après cette prédication, traversa le Jour- dain et se rendit à la seconde fontaine baptismale de Jean. Ils s'y firent aussitôt baptiser. Je vis cependant l'envoyé arriver à Edesse. IL.e roi vint au-devant de lui dans son jardin, et fut profondé- ment ému, en regardant le portrait et en lisant la let- tre. Il s'amenda, et renvoya un grand nombre de fem- mes avec lesquelles il vivait. Jésus, ayant traversé le fleuve au-dessus de Bétha- bara en face de Galgala, arriva à l'emplacement où Jean avait baptisé en dernier lieu ; ses disciples y étaient déjà établis. Pendant une quinzaine de jours, il fit baptiser un grand nombre de personnes par André, Saturnin, Pierre et Jacques. Plusieurs disciples de Jean vinrent à lui, et il y avait plus d'affluence au baptême donné par ses disciples qu'à celui de Jean. Jésus par- lait du baptême avec plus de sublimité, et sa douceur, comparée à l'austérité et à la rudesse de Jean, fit que le peuple l'aima et le glorifia davantage. Il s'éleva, à cette occasion, une contestation entre les disciples de Jean et des Juifs qui avaient été baptisés par les disci- ples de Jésus, touchant la purification produite par l'un ou par l'autre baptême. Les disciples de Jean étaient jaloux de Jésus, et mé- contents de voir un grand nombre des leurs aller au nouveau Maître. Ils s'en plaignirent au Précurseur ; il leur répondit ce qu'on lit dans l'Evangile (Jean, iir, 22-26). Cette contestation au sujet de la purification, (1) Il est fait mention de cette lettre et de ce portrait dans l'histoire ecclésiastique. Ce mii*acle est évidemmer^t symboliciue. mais c'est vous qui en mettez trois de trop, car il n'y en a pas plus de vingt, et je les ai développées ». Alors Jésus énuméra vingt maximes, selon le nombre des let- tres de l'alphabet hébraïque que le Juif avait rappelé ; puis il parla du crime que commettent ceux qui ajoutent à la vérité quelque chose, et du supplice qui les at- tend (1). Mais le vieux Juif s'obstina à ne point vouloir reconnaître son tort ; et déjà quelques-uns des témoins de cette scène lui donnaient raison, et l'écoutaient avec une satisfaction malicieuse. Jésus lui dit alors : « Vous av-ez là un beau jardin ; allez me chercher les plus re- marquables et les plus saints de vos fruits : ils se gâte- ront pour protester contre votre procédé déloyal. Pour la même cause, votre corps droit et robuste de- viendra contrefait, parce que vous êtes dans votre tort^ et vous verrez ainsi jusqu'à quel point les meilleures choses s'altèrent et se corrompent, dès qu'on ajoute à la vérité. Si vous pouvez opérer un seul prodige, alors les vingt-quatre vérités seront tenues pour vraies. » Le Juif courut aussitôt, avec ses partisans, à son jardin, qui se trouvait près de là. Il y avait réuni toutes sortes de plantes, de fleurs et de fruits rares et précieux ; on y voyait aussi, à travers des treillis, une multitude d'ani- (1) Il s'agissait probablement d'un certain nombre de maximes traditiounelles dans la synagogue, qui contenaient les principales vérités du salut, et que les pliarisiens altéraient, en y ajoutant quelques-unes de leurs vaiaes traditions ou fausses maxim©«. — 387 — i maux et d'oiseaux de luxe, et au milieu un vaste bassîr I avec des poissons rares. Aidé de ses amis, il eut en pev d'instants cueilli les plus beaux de ses fruits, tels quf des pommes vermeilles et des raisins mûrs ; il en rem plit deux petites corbeilles. Il prit ensuite divers oiseaux et animaux, qu'il transporta enfermés dans des cages. Pendant que le Juif était dans son jardin, Jésus en- seigna encore sur l'obstination et sur les déplorables suites des additions faites à la vérité. Au moment où le vieillard reparut, accompagné de ses amis, et déposa au pied de la chaire où se tenait Jésus ces cages et ses corbeilles, il se fit dans la foule un grand mouvement. Comme il s'opiniâtrait dans son orgueil à soutenir sa première affirmation, voilà que les menaces de Jésus s'accomplissent pleinement. Une fermentation intérieure se produit dans ces fruits, et bientôt il en sort, de toute part, des vers qui les dé- vorent. Les animaux tombent morts, et n'apparaissent, peu d'instants après, que comme des morceaux de chair informes et rongés par les vers. L'aspect de tout cela était tellement hideux, que la foule, qui s'était avancée avec curiosité, se prit à crier en se détournant, pleine du plus profond dégoût ; ce dégoût se changea ; en horreur, quand le vieux Juif devint pâle et défait, se tordit sur lui-même et resta tout contrefait d'un côté. A ce miracle, des cris et un grand tumulte éclatèrent dans la multitude, le vieux Juif pleura, confessa sa faute et supplia Jésus d'avoir pitié de lui. Le tumulte s'accrut tellement, que le premier magis- trat, qui s'était retiré, fut rappelé pour rétablir l'ordre. En même temps, le Juif reconnut publiquement qu'il avait ajouté à la vérité. A la vue du profond et vif re- pentir de ce malheureux, qui conjurait les assistants d'intercéder pour lui, Jésus bénit tout ce qui lui avait été présenté et le vieillard lui-même : aussitôt les fruits, les animaux et le Juif furent rendus à leur premier état. — 385 — Le vieillard se jeta aux pieds de Jésus, en pleurant et «n lui témoignant sa reconnaissance. La conversion de cet homme ïut si sincère, qu'il de- vint un des plus fidèles partisans du Sauveur, et lui en ^.ttlra plusieurs autres. Pour l'expiation de sa faute, il distribua aux pauvres presque tous les beaux fruits d-e son jardin. €e miracle fit une impression profonde sur tous les auditeurs. Un prodige de cette nature était né- cessaire ici, car ces gens, lors même qu'ils, se savaient 4ans l'erreur, s'opiniâlraient à la défendre, ce qui ar- rive souvent chez les hommes qui tienïient d'un sang -étranger. Or ils étaient issus de Samaritains qui, pour ^voir contracté des mariages mixtes avec les païens, •avaient été chassés de Samarie. Au lieu de jeûner en 'mémoire de la ruine du temple de Jérusalem, ils jeû- naient pour rappeler leur expulsion. Ils versaient quel- quefois des larmes sur leurs erreurs, néaronoins ils refusaient d'y renoncer. Ils avaient fait à Jésus un accueil très favorable, parce que, 4'après une ancienne révéla.tion faîte aux païens, plusieurs signes leur avaient fait connaître que îe temps était venu où Dieu devait leur accorder des faveurs signaléss. A cause 'de cette révélation, le lien même oh elle s'était manifestée et où se trouvait le jar- xîin des bains se nommait le lieu de Grâce. Le souvenir qui me reste à ce sujet, c'est que les païens, dans un temps de grande détresse, avaient invoqué le Ciel ; alors 11 leur avait été révélé qu'ils trouveraient grâce devant Dieu, lorsque de nouveaux cours d'eau se jetteraient dans le lac, et que îa ville s étendrait de ce côté jusqu'à la fontaine. Or toutes ces choses venaient >de s'accom- plir; des eaux d'une pureté extraordinaire avaient jailli €e la fontaine -de la Grâce, et s'étaient répandues, par cinq ruisseaux, jusqu'au lac. Gomme Jésus devait bap- tiser dans cet endroit, cette prophétie touchajit Teau se rapportait probablement à îa grâce sanctifiante de son •baptême. — 389 — Je vois fréquemment la sainte Vierge. Elle demeure seule avec une servante dans la maison située près de Capharnaiim. Je l'aperçois travaillant ou priant. Les saintes femmes la visitent, et les disciples lui apportent des nouvelles. Je remarque que souvent elle ne reçoiî pas les personnes venues pour la voir de Nazareth et de Jérusalem. A Jérusalem, tout est tranquille en ce qui concerne le Sauveur. Lazare y habite dans son château ; il reçoit souvent des messages de Jésus et des disciples, et il leur envoie les siens. CHAPITRE VII Parabole de l'économe infidèle. — Baptême donné par Jésus au jardin de la Grâce. Jésus enseigna encore le jour suivant dans la syna- gogue ; il exhorta les Juifs à ne pas tant gesticuler pen- dant la prière, et surtout à ne pas juger trop sévèrement les pécheurs et les païens; mais, au contraire, à avoir pitié d'eux. A cette occasion, il leur raconta la para- bole de l'économe infidèle. Comme ils en furent fort surpris, il leur expliqua pourquoi le maître avait loué la conduite de l'économe. La sœur avait malheureusement oublié cette expli- cation. Il lui semblait néanmoins que le Christ, par l'économe infidèle, entendait la synagogue, et, par les débiteurs, les sectes et les gentils : la synagogue devait remettre aux schismatiques et aux païens une partie de leur dette, puisque, maintenant qu'elle ne le méritait plus, elle possédait injustement les richesses, c'est-à- dire l'autorité et les grâces ; elle était louable de prendre ses précautions pour que, lorsqu'elle-même les aurait perdues, elle pût avoir recours à l'intercession des dé- biteurs, les ayant traités avec ménagement. — 3210 — Je n'étais qu'une enfant quand déjà toutes les para bDles 3€ présentaient à mes yeux : c'étaient conime de? taiDleaux vivants. Voici ce que je me rappelle de celle qui a rapport à 1 économe infidèle. L'économe demeurait dans le désert d'Arabie, sur la frontière de la terre promise, à peu de distance du lî-eu où les enfants d'Israël murmurèrent contre le S-eigneur. Son maître habitait au-delà du mont Liban ; il y possé- dait des terres qui produisai^ent du froment et de l'huile. Ces terres étaient affermées à d-eux paysans. L'économe était un petit homme bossu, à barbe rousse, alerte, décidé et rusé. Il se dit : Peut-être le maître ne viendra point ; et là-dessus il se mit à vivre dans la dissipation ; le plus grand désordre régna dans la fortune qui lui avait été confiée ; les deux paysans aussi dissipaient tout en folles dépenses. Tout à coup je vis le maître partir ; bien loin, par delà de hautes montagnes, j'aperçus une ville et un palais magnifiques ; je vis une belle route qui partait du palais et al)outissait directement à la maison de l'intendant. Le roi la prit, accompagné de toute sa cour, d'un grand cortège de chameaux et de petites voitures basses attelées d'ânes. C'était un roi céleste qui avait, sur la terre, des champs qui produi- saient du froment et de l'huile : il venait avec un« suite nombreuse, à là façonnes vieux rois patriarches. Je le vis arriver, par le chemin qui descend de la Jérusalem céleste : car l'économe était accusé auprès de lui d'avoir dissipé ses biens. La maison de l'économe était située dans le désert : les champs de froment et d'oliviers, des deux côtés des- quels habitaient les paysans, étaient plus rapprochés d-e la terre de Chanaan. Le seigneur descendit donc sur ces champs. Les deux fermiers, outre leur dilapida- tion, pressuraient leurs pauvres administrés ; on aurait pu les comparer à deux mauvais curés, et l'économe h im évoque infidèle, ou plutôt à un méchant préfïft. L'é- conome, voyant de loin son maîtr-e, eut grand'peur; Il — 391 — f)répara un grand festin ; il était très a^té et très af- fairé. Lorsque le maître fut entré dans la maison, il lui dit: « Qu'est-ce que j'entends? On m'assure que tu dis- sipes mes biens. B-ends-moi tes comptes, car tu ne peux plus êtr^ mon économe ». L'économe alors se hâta d'appeler les deux débiteurs de son maître : ils vinrent portant des cahiers. Il leur demanda combien ils lui devaient, cair il n'en savait rien. Lorsqu'ils le lui durent montré, il leur fit écrire bien vite des obligations moindres que leurs dettes, se •disant : « Lorsque j'aurai été renvoyé de ma charge, ils me recevront dans leurs maisons, car je n'ai pas la force de travailler à la terre ». Les débiteurs envoyèrent alors leurs gens au maître, avec des chameaux et des ânes chargés de sacs de fro- ment et de corbeilles d'olives. Ils apportaient aussi de l'argent : c'étaient de petits bâtons de métal en faisceaux de diverses grosseurs, selon les sommes qu'ils repré- sentaient. Le maître, d'après ce qu'il recevait ordinai- rement, vit que ces faisceaux d'argent étaient trop petits et, devinant dans quel but l'économe avait fal- sifié les obligations, il dit avec un léger sourire aux débiteurs : c( Voyez comme cet homme est rnsé et pré- voyant, il se fait des amis parmi ses administrés : car les fils du siècle sont plus prudents entre eux que les fils de la lumière ; ceux-ci font rarement pour le bien ce que ceux-là font pour le mal : s'ils avaient la même ardeur, ils seraient récompensés comme celui-ci sera puni )). Le maître ôta au fourbe bossu l'administration de ses biens, et le renvoya dans le désert, où le sol était jaunâtre, dur -et peu propre à la culture. Il y croissait •d-es aunes (pour moi sign« d^inf^rtilité). Ce misérabl-e était consterné et désolé : il dut se résigner à piocher et à labourer la terre. Les deux débiteurs furent chassés à leur tour : leur maître les envoya aussi dans des 'terres sablonneuses, mais un peu plus f-ertiles. Les pau- vres gens auxquels on avait enlevé tout ce qulls pas- — 392 — sédaient furent obligés de cultiver les champs laissés en friche. Jésus se rendit ensuit« au lieu dit de la Grâce avec ses disciples, pour donner le baptême. Il se servit, comme fontaine baptismale, d'un étang dans lequel l'eau pénétrait par un bras du Jourdain. Le bassin était entouré d'un fossé ; deux personn-es pouvaient y entrer à la fois. L'eau du bassin centra] coulait dans le- fossé, par cinq conduits qu'on fermait à volonté. Le bassin et les cinq conduits n'avaient pas été faits pour le baptême ; cette forme, qui se Tetrouvait souvent en Palestine, notamment dans les cinq entrées de la piscine de Béthesda, dans la fontaine de Jean au dé- sert et dans celle où fut baptisé Jésus, devait avoir un rapport symbolique avec les cinq plaies du Sauveur. Jésus continua à enseigner en cet endroit pour pré- parer au baptême. Les néophytes portaient de longs manteaux, qu'ils ôtaient pour la cérémonie ; leurs reins étaient ceints d'un linge, et un petit manteau couvrait leur poitrine ; ils descendaient ainsi vêtus dans le fossé, alors rempli. Ceux qui baptisaient (c'étaient cons- tamment quatre disciples) se tenaient avec les parrains sur les passages, et versaient trois fois de Teau sur les néophytes au nom de Jéhovah et de son envoyé ; en même temps deux autres disciples leur imposaient les mains. Tout cela dura Jusqu'au soir ; plusieurs furent refusés et renvoyés. Cependant il y avait à Adama un parti opposé au Sei- gneur ; deux pharisiens membres de ce parti assistèrent aux instructions de Jean, pour savoir ce qu'il disait de Jésus ; puis ils allèrent à Bethabara et à Capharnaüm. Ils avaient annoncé dans ces villes que Jésus parcourait leur pays ; qu'il y baptisait et y faisait des disciples. A leur retour, ils racontèrent ce qu'ils avaient entendu dire de lui, et ajoutèrent à ce récit toutes sortes de calomnies et d'insultes : leur parti cependant n'était ni nombreux ni puissant. — 393 — Dans un repas, quelques-uns des principaux habi- tants d'Adama, voulant surprendre Jésus, lui deman- dèrent ce qu'il pensait des Esséniens ; car ils croyaient avoir remarqué quelque ressemblance entre sa doc- trine et la leur, et Jacques le Mineur, son parent, qui était avec lui, appartenait aux Esséniens. Ils blâmèrent leurs opinions sur la continence et sur le célibat. Le Sauveur, sans entrer dans aucuns détails, répondit qu'il n'y avait pas lieu de leur faire de reproches ; qu'au con- traire, si telle était leur vocation, il fallait les louer de îa suivre, ajoutant que chacun avait la sienne, et que si, par exemple, un boiteux voulait marcher droit, cela ne lui réussirait pas et ne lui siérait nullement. Enfin, pour réfuter l'accusation portée contre les Esséniens de ne plus laisser de postérité, le Sauveur cita beaucoup fl-e leurs familles très nombreuses, et fit l'éloge de la bonne éducation qu'ils donnaient à leurs enfants. Il s'é- tendit aussi sur la bonne et la mauvaise propagation des races. Comme à cet égard, il ne se prononça ni pour ni contre les Esséniens, ils ne le comprirent pas. CHAPITRE VIII Grande prédication de Jésus sur la montagne voisine d'Adama. Entre Cadès et Azor se trouve une montagne où Ton enseigne souvent ; j'ai vu au sommet une chaire placée au milieu d'une roche tapissée de verdure. Les disciples ont engagé les habitants des deux villes, ainsi que les bergers des environs, à s'y rendre pour y entendre prê- cher Jésus. Une grande foule s'est rassemblée sur la montagne; bon nombre de personnes s'y sont rendues dès la veille — 3% — ipoiir tout préparer. Cetix qui habitent les maisons si- tuées sur les côtés de la montagne s'occupent à fair& des tentes, et, avec des perches et des cordes, ils en ont dressé quelques-unes sur la cime la plus élevée. On y a aussi apporté de l'eau, du pain et du poisson. C'était un lieu mémorable ; Josué y avait célébré une fête d'actions de grâces, après avoir défait les Chana- néens. Lorsque Jésus se montra sur la montagne, le peuple assemblé le salua en criant : (( Vous êtes le vrai Prophète, le Sauveur, etc. ; » et, lorsqu'il passa à tra- vers la foule, tous s'inclinèrent. Il était environ neuf heures du matin quand Jésus arriva sur la montagne, après avoir fait près de six à sept lieues pouî* venir d'Adama. On avait amené au Sauveur beaucoup de pos- sédés qui criaient et s'agitaient violemment ; Jésus les regarda et leur ordonna de se taire ; il n'en fallut pas davantage pour îes calmer et les délivrer. Les disciples ayant établi le silence parmi le peuple,, JésuiS adressa une prière au Père céleste, de qui vient tout don parfait, et le peuple pria aussi. Puis il parla de ce lieu et de ce qui y était arrivé aux enfants d'Is- raël. Il dit comment Josué y avait paru autrefois, et avait délivré la terre de Chanaan de l'idolâtrie, et com- ment aussi Azor avait été détruite. Il présenta tous ces faits comme des symboles ; il ajouta que, maintenant, la vérité et la lumière venaient à eux avec mansuétude, pour les délivrer de l'empire du péché et les combler de grâces. Il les exhorta à ne pas résister comme les Cha- nanéens, de peur que la colère de Dieu ne tombât enfin sur eux, comme elle était tombée sur Azor. Il enseigna aussi sur la pénitence et sur l'approche du royaume de Dieu : il parla cette fois plus clairement de lui-même et du Père céleste qu'il n'avait fait auparavant dans ce pays. Le fils de Jeanne Chusa et celui de Véronique vin- rent, de la part de Lazare, annoncer au Sauveur que Us pharisiens de Jérusalem avaient envoyé deux émis- — 395 — saires à Adama. Il leur dit que Lazare ne devait pas a-voir d'inquiétude à son sujet, qu'il remplirait sa mis- sion ; et il les remercia enfin de leur dévouement. Sur ces entrefaites, les émissaires des pharisiens arri- vèrent d'Adama avec plusieurs Juifs mécontents ; Jésus ne teu-r parla point ; mais, tout en enseignant, il dit ouvertement qu'on l'espionnait et le poursuivait ; que toutefois on ne parviendrait pas à l'empêcher d'ac- complir l'œuvre dont son Père céleste l'avait chargée, et qu'il reviendrait encore parmi eu» pour leur annoncer la vérité et le royaume de Dieu, etc. Plusieurs femmes de l'auditoire demandèrent qu'il les bénît, elles et leurs enfants. Les disciples, qui appréhendaient les espions, lui conseillèrent de ne point satisfaire leurs désirs en présence de telles gens. Alors le Seigneur leur reprocha ces vaines craintes ; il leur dit que cos femmes étaient pieuses, et que leurs enfants deviendraient bons ; puis il traversa la foule et les bénit. Il enseigna depuis dix heures du matin jusqu'au soir ; alors le peuple s'assit pour prendre un repas. Il y avait d'un côté de la montagne du feu auquel on faisait cuire des poissons sur des grils. Le plus grand ordre régnait partout : les habitants de chaque ville étaient placés ensemble, puis répartis par voisinages et par familles. Chaque groupe, composé de quatre à cinq per- sonnes, avait un chef qui recevait de l'un des disciples une part d'aliments, et la subdivisait. Jésus bénit la nourriture avant qu'on fît les parts, et il advint qu'elle se multiplia et se multiplia ; ce qu'on en avait apporté n'eût pas suffi à beaucoup près pour les deux mille personnes qui se trouvaient réunies. Chaque groupe ne reçut qu'une petite portion : cependant, après avoir mangé, tous étaient rassasiés, et il resta encore beau- coup de morceaux, que les pauvres recueillirent dans des -corbeilles et emportèrent avec eux. Il y avait, parmi les assistants, plusieurs soldats ro- mains qui étaient sous les ordres de Lentulus. Il les — 396 — 'avait peut-être chargés de s'enquérir de Jésus ; ils s'a- dressèrent même aux apôtres, leur demandant, au nom de leur général, quelques-uns des pains bénits par Jé- sus. Ils en reçurent plusieurs, et les mirent chacun dans le sac qu'ils avaient au dos. A la fin du banquet, la nuit était venue, et l'on avait allumé des flambeaux. Jésus bénit le peuple et quitta la montagne avec ses disciples. CHAPITRE IX Retour à Capharnaüm dans la maison de Marie. La nuit suivante, je vis Jésus sur une autre mon- tagne, avec Saturnin et un second disciple. Comme il s'était éloigné d'eux pour prier seul, ils lui en demandè- rent la raison : alors il leur donna des enseignements sur la prière faite en particulier et sur la prière faite en commun. Le Sauveur partit pour Capharnaüm ; mais n'ayant pas suivi la voie directe, il n'arriva que le lendemain après minuit. Dans ce moment, son ardeur infatigable et les fati- gues de ses disciples et de ses apôtres se présentent vi- vement à mon esprit. Bien des fois, au commencement surtout, ceux-ci succombaient de lassitude et cédaient tout accablés au sommeil. Quelle différence entre eux et les apôtres de nos jours, qui souvent s'endorment d'ennui ! Ces disciples zélés allaient sur les chemins publics ; ils couraient après les gens pour les instruire ou pour les inviter à l'enseignement de leur Maître. Dans la maison de Marie, se trouvaient Lazare, Obed, fils de Siméon, les neveux de Joseph d'Arimathié, le) fiancé de Cana et quelques autres disciples, avec sept | femmes, parentes ou amies de la sainte Vierge. On — 397 — attendait iPésus, et à. chaque instant on allait voir s'i arrivait. En ce moment, les disciples de Jean survin- rent, apportant la triste nouvelle, de l'emprisonnement de leur maître. Ils allèrent ensuite à la rencontre de Jésus pour liHi annoncer ce malheur. Ils le rencontrè- rent, hors- de Caphamaüm. Jésus les consola, leur dit d'aller en avant, et vint chez sa mère. Il y entra seul. Lazare accourut, et lui lava les pieds dans- le vestibule de la maison. Tous, disciples et amis^ l'attendaient avec une extrême impatience. Ils étaient dans la salle qui précédait la chambre du foyer : c'était là que se tenait ordinairement Marie ; et elle y était avec eux. Les autres femmes, au "nombre desquelles se trouvaient les veuves, la fiancée de Cana et Marie de Cléophas, se tenaient dans une aile de la maison. Lorsque Jésus entra dans la salle, l^s hommes s'in- clinèrent profondément. Il les salua tous et, s'avançant vers sa Mère, il lui tendit les mains ; elle aussi s'in- clina, pleine d'humilité et- de tendresse. On ne se pré- cipitait pas ici dans les bras les uns des autres ; on restait maître de soi, mais tout se faisait avec une douce et aimable simplicité, qui témoignait la tendresse et la bonté des cœurs, et qui se manifestait, de la ma- nière la plus touchante, dans les attitudes et dans l'expression des physionomies. Jésus alla ensuite visiter les femmes dans leur logement séparé ; elles s'agenouil- lèrent devant lui, enveloppées de leurs voiles. Il les bé- nit toutes, comme il avait coutume de faire quand il arrivait ou qu'il partait. Pendant ce temps, je vis apprêter un repas ; je re- marquai que les hommes y assistèrent couchés autour de la table, Rt les femmes, assises à l'une des extrémi- tés, les jambes croisées. Les convives parlèrent avec in- dignation de l'emprisonnement de Jean ; Jésus les er* reprit, disant qu'ils ne devaient pas juger ni s'irriter ; que tout ce qui se passait était dans les desseins de Dieu ; qu^ si Jean n'avait pas été mis à l'écart, il n'au- - 398 — rait pu commencer son œuvre et se rendre immédiate- ment à Béthanie. Je vis le Sauveur s'entretenir seul avec Marie : elle pleura, en apprenant qu'il allait braver les dangers dont il était menacé aux environs de Jérusalem. Il la consola, et lui dit de ne pas s'abandonner à ses inquié- tudes ; il devait, disait-il, accomplir sa mission ; mais, ajoutait-il, les jours de deuil ne sont pas encore arri- vés ; il lui recommanda de se tenir constamment en prière ; puis s'adressant à tous : « Abstenez-vous, di- sait-il, de rien dire concernant l'emprisonnement de Jean ; ne le jugez pas ; gardez le silence sur les procé- dés des pharisiens à mon égard ; la moindre impru-5 dence ne ferait qu'aggraver le danger. D'ailleurs, la^ conduite des pharisiens qui se perdent eux-mêmes entre -dans les vues de Dieu. » On parla aussi de Madeleine : on répéta ce que Vé- ronique en avait dit ; à quoi Jésus ajouta : « Votre de- voir est de prier pour elle et de vous montrer chari-" tables à son égard ; elle ne tardera à se transformer ^u point qu'elle deviendra un modèle pour plusieurs. » Jésus partit pour Béthanie de bon matin ; Lazare l'ac- <;ompagnait avec cinq disciples de Jérusalem. CHAPITRE X Derniers jours de la prédication de Jean au bord du Jourdain Je vis, de l'autre côté du Jourdain, Hérode et sa femme, avec une escorte de soldats, se rendre au lieu où était Jean ; celui-ci s'était remis à prêcher avec plus de hardiesse et de véhémence que jamais, et le té*^ trarque voulait savoir s'il ne disait rien qui lui fût dé- favorable ; car il l'avait tout récemment fait enlever>; fit retehu longtemps en une prison, où il l'eût gardé. — 399 — sans la crainte de la foule immense de peuple qui étai acourue pour entendre le prophète. Mais ce n'était pas son seul motif ; sa femme répudiée, vertueuse et belle, s'était retirée chez Arétas son père, prince arabe, lui avait parlé de Jean, de sa prédication, de ses répri- mandes publiques à Hérode. Arétas, pour consoler sa iille et se faire une conviction par lui-même, s'était mêlé, sous un vêtement des plus simples, aux disciples de Jean, parmi lesquels il cherchait à se cacher. Hérode néanmoins venait d'en être informé, et il avait intérêt à voir par lui-même si Arétas ne cherchait pas à exciter le peuple à la révolte contre lui. Cependant sa femme illégitime feignait d'être bien intentionnée à l'égard de Jean ; mais je vis qu'elle cherchait astucieusement et secrètement l'occasion de pousser son mari à le faire mourir. Jean enseigne maintenant en face de Salem, à une lieue et demie à l'est du Jourdain, près d'un charmant petit lac, au pied d'une colline sur laquelle se trouvent des habitations, un château et d'antiques édifices d'un aspect seigneurial. Il semble être animé d'une ardeur nouvelle depuis qu'il a recouvré sa liberté. Sa voix est extrêmement agréable, et en même temps si sonore, si forte et si in- telligible, que plus de deux mille personnes l'entendent à la fois de très loin. Il est toujours revêtu de peaux de bêtes ; son aspect n'a point changé. Il raconte, d'une voix tonnnante, comment on a per- sécuté Jésus à Jérusalem : « Là, » s'écrie-t-il en mon- trant du doigt la haute Galilée, « là il enseigne, là il guérit maintenant, et bientôt il viendra ici ; ses persé- cuteurs ne pourront rien contre lui, avant qu'il ait achevé son œuvre. » Hérode était assis sur une des terrasses du château , sa femme se tenait à quelque distance, entourée de ses femmes et de ses gardes, assise sur des coussins magni- fiques ; un pavillon lui formait une sorte de tente. Jean T. I. 19 ^400 — dit au peuple qu'il ne devait pas se révolter contre Hé- rode, à cause de son mariage ; qu'il fallait l'honorer^ el ne pas l'imiter. Ces paroles au fond ne déplaisaient pas à Hérode ; néanmoins elles ne laissèrent pas de i irriter. Le lendemain, Jean parla avec plus de véhé- mence, et il mêla son instruction de reproches à Hérode- au sujet de son adultère. Je crains qu'il ne soit bientôt arrêté, car on dirait qu'il est pressé dachever sa car- rière. Il a déjà dit à ses disciples que son temps touche à sa fin, et il les a engagés à le visiter quand il serait en prison. Depuis trois jours, il n'a ni bu ni mangé, et n'a pas discontinué de prêcher et de parler de Jésus avec une chaleur toujours croissante. Souvent ses disci- ples l'ont prié de se reposer et de prendre quelques rafraîchissements, mais il a constamment refusé. Son enthousiasme n'a pas de borne. Je le vois souvent prier seul; d'autrefois je l'aperçois', pendant la nuit, couché sur le dos et contemplant le ciel. La foule est, en ce moment, très grande autour de lui. De la hauteur où il prêche, la vue est d'une ravis- sante beauté ; on découvre, au milieu des champs,, plusieurs villes et des vergers avec le fleuve dans le lointain. CHAPITRE XI lArrestation et emprisonnement de saint Jean-Baptiste. Jean est en prison ; j'ai vu les soldats d'Hérode l'ar- rêter; je poussais des cris, je courais, je voulais dire à ses disciples par quel chemin on l'avait emmené, car ils ne le savaient pas. Mais ils ne me comprenaient point ; ils ne semblaient pas me voir. Ils couraient, eux aussi, pleins d'effroi, de tous côtés : j'étais dans des angoisses mortelles ; je mêlais mes larmes aux leurs. Jean savait bien que le temps où il devait être jeté eo — 401 — prison était proche : les discours véhéments et pleins d'enthousiasme qu'il prononça quelques jours avant son emprisonnement étaient son dernier adieu à ses disciples. Il leur annonça le Sauveur plus clairement qu'il ne l'avait fait jusque-là ; il devait, répéta-t-il, lui faire place. Il prêcha encore, et qualifia ses auditeurs de race dure et incrédule ; il leur dit qu'ils devaient se souvenir comment il était venu d'abord ; il avait pré- paré les voies du Seigneur, enlevé les pierres, frayé des sentiers, jeté des ponts, conduit les eaux et cons- truit des fontaines pour le baptême. La terre avait été sèche, le bois noueux, la roche dure, le travail rude et difficile ; ensuite, ajouta-t-il, il avait eu à faire de sem- blables travaux avec un peuple intraitable, opiniâtre et endurci. Quant à ceux qui avaient vraiment entendu sa voix, ils devaient maintenant aller au Seigneur, au Fils bien-aimé du Père : celui qu'il recevrait serait sauvé, celui qu'il rejetterait serait perdu. Le Seigneur venait pour enseigner, baptiser et accomplir ce que lui-môme avait préparé. Puis il fit, devant tout le peuple, de sévères reproches à Hérode sur son adultère. Hérode, qui avait peur de Jean, cacha sa violente co- lère et prit congé de lui d'un air bienveillant. Après le départ du roi, Jean envoya quelques-uns de ses disciples de différents côtés avec des messages. Vers le soir, plusieurs d'entre eux étaient revenus au- près de lui, mais dans les environs il n'y avait plus personne ; on apercevait seulement quelques tentes dans le lointain. Jean congédia tous les siens et entra dans sa modeste demeure, pour se recueillir dans la prière et prendre un peu de repos. J'aperçus alors les soldats d'Hérode, arrivés la veille, s'approcher au nombre de vingt environ de la tente de Jean (le reste de leur troupe était en arrière), après avoir placé des sentinelles aux alentours et cerné son habitation de tous les côtés. Un soldat seul y entra pour l'avertir, »^^is il fut suivi bientôt de plusieurs autres. Jean leur — 402 — dit qu'il ne ferait aucune difficulté de les suivre, sa- chant que son heure était venue, et qu'il devait faire place à Jésus. Il ajouta qu'il n'était donc pas besoin rîe lui imposer de liens. Il pria aussi les soldats de l'em- mener sans bruit, pour éviter toute manifestatio . Ceux-ci partirent en toute hâte avec lui. Jean neui- porta que le vêtement de poils de chameau dont il était couvert et son bâton. Quelques disciples s'étant appro- chés au moment où il quittait sa tente, il leur dit adieu du regard, et les pria de venir le visiter dans la prison. Une grande foule de disciples et de peuple accourut alors en poussant des lam^entations et des cris de dou- leur, et en disant : « On a jeté Jean en prison! » Tous voulaient courir après lui, mais ils ne savaient pas quelle direction prendre, car les soldats eurent bientôt quitté le chemin ordinaire pour s'engager dans un sen- tier qui se détournait vers le midi. Le désordre était au comble : on n'entendait que cris et gémissements : je pleurai avec eux, je criai bien haut pour leur in- diquer le chemin qu'avait pris le cortège, mais ils ne m'entendaient point. Les disciples de Jean prirent la fuite lorsqu'on se saisit de leur maître ; ainsi firent plus tard ceux de Jésus quand on l'arrêta ; les uns et les auti^s se dispersèrent de tous côtés, annonçant la triste nouvelle dans tout le pays Le lieu où Jean donnait le baptême, lorsqu'il fut arrêté, est en effet cet Ainon que FEcriture place dans le voisinage de Salem. Melchisédech y avait dressé ses tentes, sur des fondations qui se trouvaient là même où prêchait le Précurseur. Je crois qu'il y séjournait déjà, lorsque Abraham arriva dans le pays. C'était lui aussi qui avait le premier disposé la fontaine baptis- male et l'étang, et posé les fondements d'une partie de Jérusalem. Melchisédech appartient au chœur, des anges gardiens des villes et des pays qui visitèroot les patriarches et leur apportèrent divers messages,- comme .Gabriel, Raphaël, Michel, etc. — 403 — Les soldats conduisirent Jean à Hésebon, et ils l'en- fermèrent dans la tour d'un château inhabité. Bientôt le peuple s'y ressembla en fouie ; les gardes avaient grandpeine à le tenir à distance. Je vis Jean debout devant une ouverture de sa prison ; il criait, pour se faire entendre au dehors par le peuple, qu'il avait pré- paré les voies, abaissé les montagnes, etc., enfin qu'il avait eu à manier les matériaux les plus durs et les plus résistants ; que tel était aussi le peuple auquel il avait adressé ses exhortations, et que c'était pour cela qu'il se trouvait en prison. « Allez maintenant, ajouta- t-il, vers Celui que j'ai annoncé, vers Celui qui s'ap- proche par le chemin préparé. Le Seigneur étant arrivé, le Précurseur doit se retirer. Je ne suis même pas digne de délier la courroie de sa chaussure ; car il est, lui, la vérité, la lumière, le Fils du Père céleste. Quant à vous, mes disciples, vous pouvez venir me voir dans ma prison ; mon heure n'étant pas arrivée, on n'osera pas encore porter la main sur moi. » Il enseignait avec tant de liberté et parlait si haut, qu'on l'aurait cru comme d'habitude au milieu du peuple assemblé. Les gardes réussirent peu à peu à disperser la foule. Le soir, je vis les soldats et Jean se remettre en marche. 11 était assis, entre plusieurs personnes, dans une sorte de cage, placée sur un char étroit et bas traîné par des ânes. Ils le conduisirent dans la prison de Machérunte, qui est située sur une montagne escar- pée. D'abord ils lui firent gravir un sentier qui ser- pentait le long de la montagne, ensuite ils l'introdui- sirent secrètement dans le château par une poterne pratiquée dans le rempart, dissimulée par du gazon, ^t ils allèrent, en descendant, jusqu'à une porte d'ai- rain qui s'ouvrait sur un long corridor. Le corridor les conduisit enfin à un grand caveau qui recevait le jour par quelques trous pratiqués dans la voûte ; cette prison était assez propre, mais entièrement nue. Je vis ensuite Hérode dans le château d'Hérodium, — 404 — où, un jour, par divertissement, le vieil Hérode qu! Tavait bâti fît noyer plusieurs hommes. Hérode le Jeune s'y était retiré, et même caché, pour échapper aux sollicitations de ceux qui, en grand nombre, de- mandaient la délivrance de Jean ; il s'y tenait inac- cessible à tous, parcourant, tout agité, les apparte- ments et tremblant de peur. CHAPITRE XII Fête donnée par Madeleine à Magdalum. C'est demain la fête de Madeleine. Aussi viens-je de quitter Jean pour me transporter à Magdalum. Il y avait réunion chez elle ; ses hôtes étaient à table dans la salle, ornée de miroirs et d'arbustes ; le repas paraissait terminé. La société se composait d'une vingtaine de personnes, tant Juifs que païens. L'un d'eux était traité par tous en maître du logis ou comme mari de Madeleine : ce n'était pourtant qu'un amant, pour le moment dans ses bonnes grâces : les autres convives étaient de ses amis. On comptait parmi eux des Romains, des artistes, des aventuriers et des officiers, fort nombreux en cet endroit. Madeleine était encore très belle, mais sa mauvaise conduite avait porté atteinte à la distinction de son rang. Sa mai- son semblait ouverte à tous ; aussi les fêtes y étaient- elles habituelles, et elle se montrait non seulement généreuse, mais même prodigue. Son château cepen- dant était très négligé, si l'on en excepte les appar- tements qu'elle occupait ; il en était de même des jardins. Sa mise, un peu étrangère, était distinguée, sans être somptueuse. J'entendis, pendant le repas, une conversation qui — 405 — ressemblait beauceup au discours que l'on tient de nos jours sur les choses saintes. Madeleine parla avec respect et une secrète émotion de Jésus, au'elle avait vu une fois à Jezraël. Elle dit, entre autres choses, que Véronique, qui était venue la voir huit jours- auparavant, le vénérait et lui était entièrement dé- vouée. Alors ces hommes se mirent tous ensemble à la contredire, et, oubîiaxit qu'ils étaient des gens de rien, les uns païens, les autres violateurs de la loi, ils s'éton- nèrent qu'elle pût défendr-e un tel homme et de tels partisans : il fallait, disaient-ils, que la femme dont elle parlait fût bien aveuglée pour s'attacher à des gens de cett-e sorte. Les parents de Jésus étaient pauvres et sans aucune considération ; lui-môme courait le monde, comme un fou. A la mort de son père, au lieu de choisir une profession honorable et de prendre soin de sa mère, il l'avait abandonnée pour mener une vie d'aventurier et ameuter le peuple; dans la Galilée il avait trouvé une jolie compagnie d'ignorants et de pêcheurs paress^eux qui, après avoir délaissé les leurs, le suivaient au lieu de travailler : on savait bien son histoire. A la fête de Pâques, il avait été expulsé de Jérusalem à cause du tumulte que sa fausse doctrine avait excité ; on avait également renvoyé sa mère chez elle ; mais, au lieu de profiter de cet avertis- sement, il parcourait maintenant la haute Galilée» tournant les têtes faibles et suscitant partout le désor- dre. Quelques-uns des convives, qui étaient Romains^ avouèrent cependant que Jésus s'était fait un renom étonnant ; qu'il comptait des amis à Rome même, que Lentulus, par exemple, homme du plus haut rang, plein d'enthousiasme pour lui, s'était fait transmettie ses doctrines ; qu'à l'arrivée des vaisseaux provenant de la Judée, il allait s'enquérir lui-même et sur-le- champ de sa personne et de ses oeuvres. Néanmoins les propos des premiers portèrent tout -d'abord atteinte aux bons sentiments de Mudeleine: — 406 — elle leur prêta même une oreille complaisante ; mais lorsqu'enfin ils devinrent par trop grossiers, elle se retira dans la chambre voisine où elle se tenait ordi- nairement. Leur langage inconvenant, leurs manières blessantes révoltèrent sa fierté et lui firent sentir sa •déchéance, à elle si accoutumée aux délicatesses d'un monde distingué. Les paroles de Véronique et la vie Innocente. de ses sœurs se présentèrent à son esprit, et elle comprit toute son abjection, toute sa misèrev. Quand son amant vint lui demander ce qu'elle avait, elle se mit à pleurer, et le pria de la laisser seule. Tou- tefois ses femmes de chambre ne la quittèrent point ; elle en avait deux, l'une mauvaise, l'autre bonne. Cette dernière informait soigneusement sa famille de sa conduite et de ce qui se passait en elle. Je viâ alors l'état de son àme : elle avait été fort émue quand elle avait rencontré Jésus à Jezraël ; mais cette impression s'était bientôt évanouie, et elle était tombée, depuis lors, dans un plus grand avilissement ; maintenant le souvenir de sa vie antérieure, qui, bien que criminelle, était tout autrement relevée 3t brillante, ouvrait la voie à la conversion, et une lutte intérieure s'engageait en elle. Lorsque Véronique venait la voir, elle passait la nuit chez elle. Cette femme, âgée et respectable, la visitait toutes les fois qu'elle allait chez Marie. Comme elle était liée d'une amitié intime avec sa famille, elle cher- chait à la ramener au bien. Les amis de Madeleine qui venaient ainsi la visiter n'entraient jamais dans la par- tie de la maison où elle s'adonnait à ses plaisirs ; ils étaient reçus dans une aile du château, et elle se ren- dait auprès d'eux par une galerie placée sur le portique et qui réunissait deux bâtiments. D'une part, ces visi- tes lui étaient désagréables, parce qu'elles donnaient lieu à des remontrances qui la faisaient rougir; de l'autre, elles flattaient son orgueil, parce qu'elle es- pérait conserver sa considération dans le monde, tant — 4o7 — que ses parents, gens estimés et haut placés, ne d^ daigneraient pas de la fréquenter. Quelque temps avant que Marthe eût déterminé Ma- deleine à assister à la prédication qui la convertit, Jacques le Majeur, touché de compassion, s'était aussi rendu près d'elle pour joindre ses instances à celles de Mai'the; je le vis plusieurs fois à Magdalum; il prenait pour prétexte de ses fréquentes visites des messages dont sa sœur l'avait chargé. Jacques avait un aspect imposant; il était grave, parlait sagement et s'expri- mait même avec grâce. Madeleine prenait plaisir à le voir; elle l'invita à s'arrêter chez elle quand il se trou- verait dans son voisinage. Elle le recevait secrètement, et personne chez elle ne sut rien de leurs entrevues. Le futur apôlre lui parlait avec bonté et ménagement. Il faisait l'éloge de ses facultés intelleclueiles, et l'enga- geait à aller une seule fois entendre Jésus, assurant que sa prédication était la plus spirituelle, la plus éloquente et la plus instructive que l'on pût imaginer : elle n'avait pas à se gêner à l'égard des autres audi- teurs, ajoutait-il, elle pouvait y venir avec sa mise ordinaire. Madeleine prit en bonne part ses invitations réitérées, et dit qu'elle y penserait. A ce moment elle était vraiment disposée à faire ce qu'il lui conseillait, et cependant elle fit beaucoup de difficultés quand plus tard Marthe, à\son tour, vint la presser d'aller en- tendre le Sauveur. Je vis encore une fête à Màgdadum, à ce que je crois, le jour anniversaire de la naissance de son amant, ofïicer juif de la garnison. Je vis danser un bon nombre de personnes, dans une grande et magnifique salle, voisine de celle où l'on prenait les repas. Cette salle était décorée de miroirs, de sorte que les dan- I seurs pouvaient se rendre compte de tous leurs mou- vements. Sur un des côtés, on avait placé sous un dais un siège pour Madeleine. Elle se promenait aussi par- fois avec les invités, mais je ne la vis pas danser. — 408 - Elle s'occupait peu de ses hôtes, et ceux-ci ne sem« blaient pas songer davantage à elle. Il paraissait que l'officier se fût chargé de tous soins de réception ; lea convives d'ailleurs agissaient chez elle comme dans un lieu où l'on n'est pas tenu de se gêner. La société réunie chez Madeleine était composée de femrrves et de filles légères et frivoles, mondaines et émancipées, d'officiers, d'aventuriers et d'employés de Magdalum. Leur danse n'était pas, comme la nôtre, sautillante et tournoyante, c'était une espèce de menuet ; on passait les uns au milieu des autres d'un pas léger, et avec des mouve- ments gracieux de la tête, des mains et de tout le corps. Bien qu'elle parût convenable et bienséante, elle était cependant voluptueuse, et se prêtait à expri- mer toutes sortes de passions. Les danseurs faisaient partie de ce monde pécheur et adonné au luxe qui vit selon la chair, et cache sa honte et ses vices sous de beaux habits et sous des manières élégantes. Ils étaient cependant bien inférieurs en rang à la société dans laquelle avait autrefois vécu Made- leine. Elle fréquentait alors des hommes d'esprit, des savants et des artistes, aimant à lire et à composer des vers ou des énigmes : elle sentait vivement sa dé- chéance et prenait peu de part à ces amusements. Après la danse, qui eut lieu en plein jour, les hô- tes de Madeleine passèrent dans la salle voisine où l'on avait dressé une table richement servie. Les femmes étaient assises et toutes d'un même côté ; '.es hommes étaient couchés autour de l'autre partie de îa table; Madeleine était au milieu, sur un fauteuil garni de coussins. Le repas venait de commencer, lorsque quel- ques nouveaux convives annoncèrent qu'Hérode avait fait mettre Jean en prison. On applaudit i\ cette me- sure de la manièrs la plus inconvenante. Mais Made- leine en fut contristée, et en exprima son regret par quelques paroles compatissantes : alors les hommes 68 mirent à rire et à se moquer de Jean. Madeleine — 409 — fut très mécontente, et se retira dans une pièce tout entourée de coussins, et qui était voisine de la salle à manger ; c'est là que je la quittai. CHAPITRE XIII Enfance de Madeleine. — Ce qui causa sa perte. , Le grand-père de Lazare éiait un princ« syrien dé- ^ possédé, dont le fils naquit dans la contrée que les trois rois traversèrent à leur retour de Bethléem. Celui- ci profita de la guerre pour acquérir de grands biens en Galilée et dans le voisinage de Jérusalem. Il s'était fait Juif, et avait épousé une jeune fille d'une famille pharisienne très distinguée. Son fils, Lazare, possédait à Béthanie un château très grand, entouré d'une dou- ble enceinte de fossés, ayant pour dépendances plu- sieurs jardins, où l'on remarquait des terrasses et beaucoup de fontaines. Dans la famille de lazare, on connaissait les prophéties d'Anne et de Siméon : aussi attendait-on le Messie. Dès l'enfance de Jésus, Lazare ^t les siens avaient formé des liens d'amitié avec Ma- rie et Joseph, comme cela se voit de nos jours entre des gens pieux, bien qu'appartenant à des classes différentes de la société. Madeleine était la plus »jeune des sœurs ie Lazare; sa taille élancée et la précocité de son esprit lui don- nèrent de bonne heure l'apparence d'une grande fille ; elle était très fantasque et très capricieuse. Elle perdit ses parents à l'âge de sept ans. Dès sa plus tendre en- fance, elle avait éprouvé pour eux une sorte de répul- sion à cause de leurs jeûnes austères. Elle était ex- trêmement vaine, fîère, friande, mobile, exaltée, or- gueilleuse et toujours esclave de l'impression du mo- ■ment. J'ai vu beaucoup de choses qui ont rapport à — 410 — ses premières années. Elle aimait le luxe et ^a parure - mais son bon cœur et la sensibilité naturelle qu'élis? tenait de sa mère la rendaient bienfaisante jusqu'à, la prodigalité. Sa mère et ses tantes la gâtaient ; elles voulaient qu'on remarquât sans cesse et qu'on admirât ses es- piègleries et ses gentillesses. Elles la paraient magnifi- quement, et la faisaient asseoir avec elles à la fenêtre : telles furent les premières causes de sa perte (1). Je la voyais souvent à la fenêtre, ou assise dans un riche fauteuil, sur une des terrasses qui entouraient le châ- teau. Là les gens qui passaient pouvaient la consi- dérer dans toute sa parure. Elle avait à peine neuf ans quand elle commença à se montrer légère -et in- considérée. Ses charmes, ses brillantes qualités intellectuelles ne- tardèrent pas à se développer, à croître de jour en Jour, à lui attirer l'admiration et une vraie renom- mée. Elle était savante et aimait à écrire, sur de pe- tits rouleaux de parchemin, des maximes propres à exciter la passion de ses adorateurs, auxquels elle ne manquait pas de les envoyer ; tout le monde vantait son esnrit. Je ne me suis jamais aperçue qu'elle aîm.ât réelle- ment, ou qu'elle inspirât un amour véritable : tout en elle était vanité, sensualité et adoration d'elle-même. Elle était un scandale pour son frère et ses sœurs,, qu'elle méprisait à cause de la simplicité de leur vie. Dans le partage des biens de la famille, le beau château de Magdalum échut à Madeleine. Elle avait une prédilection marquée pour ce séjour; dès l'âge de- onze ans elle alla s'y établir, avec de nombreux do- (1) Notis ne pouvons nous empêcher de faire remarquer ici com- bien est déplorable cette faiblesse aveugle des parents, Qui ne savent exprimer leur amour qu'en flattant sans cesse l'orgueil naissant, la gourmandise et tous les défauts de leurs enfants. Cette éducation molle et sensuelle est trop souvent la première causo des désordres sur lesquels ils ont à pleurer plus tard. — 411 — mestiques et une pompe toute seigneuriale. Ses préten- dants l'y suivirent ; mais ceux-là même qui l'avaient séduite et qui partageaient sa vie dissipée et volup- tueuse s'irritèrent de ses infidélités ou, de ses ca- prices, et devinrent &es ennemis et ses calomniateurs. Tout d'abord, la société qui se réunissait à Magda- lum, quoique mondaine, se composait, comme je l'ai dit, de gens de distinction. Mais, quand sa vie volup- tueuse devint dissolue, les personnes distinguées qui tenaient à leur réputation se retirèrent, et dès lors le désordre fut poussé jusqu'au scandale. Elle laissa le château tomber dans le délabrement, et tout dépérir dans les jardins-. Cependant elle maintint toujours dans un état brillant et magnifique les appartements où elle donnait ses fôtes. Je me rappelle une salle dont les mur? et le plafond étaient recouverts de miroirs métalliques ; les fleurs et les arbustes y abondaient. Je vis une fois Madeleine livrée à une amère tris- tesse : elle était tombée malad-e et devenue un objet de mépris. De plus elle se trouvait dans des embarras pécuniaires ; et ceux même qui la compromettai-ent l'avaient alors abandonnée. Dans une telle situation^ elle rechercha la solitude ; mais, ayant recouvré la santé et la beauté, elle s'abandonna de nouveau au désordre. Sa conduite déréglée à Macrdalum se pro- longea environ quatorze ans ; elle en avait vingt-cinq quand elle fut convertie par la nrédication de Jésus. CHAPITRE XIV Jésus à Bétlianie, au milieu de ses amis. — Ses oraisons au jardin des Oliviers. Déjà, au château de Béthanie, on savait que Jésus allait arriver. Là se trouvaient rassemblés Saturnin, Nicodème, Joseph d'Arimathie et ses neveux, Jean — -412 — Marc, les fils de Siméon, les fils de Jeanne Chusa ei de Véronique, trois fils d'un employé du Temple appelé Obed, qui venait de mourir, et quelques disciples d-e Galilée. Il y avait en outre la veuve d'Obed, femme de distinction et parante de la mère de Lazare, Véronique, Jeanne Chusa, Marie mère de Jean Marc, Marthe et sa vieille servante, qui plus tard entra dans la com- munion de l'Eglise et servit le Seigneur. Toutes ces personnes se tenaient cachées dans le grand souter- rain du château de Lazare, où je les retrouvai encore, quelque temps avant la douloureuse passion de Notre. Seigneur. Vers quatre heures de l'après-midi, Jésus entra, par une porte de derrière, dans le jardin du château. Lazare le reçut sous un portique et lui lava les pieds. Il y avait, dans ce lieu, un bassin qui, par un tuyau, recevait de l'eau de l'intérieur, et je vis, dans le logis, Marthe qui versait de l'eau chaude, pour qu'elle se mê- lât à celle du bassin. Jésus, assis sur le bord, y baigna ses pieds ; Lazare les lui lava, et après les avoir es- suyés, nettoya ses vêtements, lui mit une autre chaus« -sure et lui servit une collation. Ensuite Jésus le suivit au château, où ils se rendi- rent en passant sous un long berceau de feuillage : ils descendirent dans les appartements inférieurs. A leur entrée, les femmes s'agenouillèrent sans lever leurs voiles, et les hommes s'inclinèrent profondément. Le Seigneur les salua avec quelques paroles et les bénit tous. On se mit aussitôt à table. Nicodème éprouva une vive émotion en voyant le Sauveur ; il était bien désireux de l'entendre. On parla -avec amertume de l'emprisonnement de Jean. Jésus assura que cet événement entrait dans les desseins de Dieu; ajoutant qu'il n'eût pu se mettre à l'œuvre si Jean n'eût pas été enlevé, a Les pétales des fleurs doi- vent tomber, dit-il, pour que les fruits se développent. » Il ajouta qu'il fallait éviter de parler de ce fait, pour — 413 ~ ne pas attirer l'attention et s'exposer ainsi à des dan- gers inutiles. Lorsque, plus tard, les disciples et les amis du Sau- veur s'entretinrent de l'espionnage et des persécutions des pharisiens, il leur recommanda de même la paix et :a réserve. Il dit que les pharisiens étaient des écono- mes infidèles, qui n'agissaient pas prudemment, comme avait agi l'économe de la parabole ; mais qui négli- geaient de se procurer un retuge pour le jour où ils seraient rejetés. Après le repas, on se rendit dans un appartement où l'on avait allumé des lampes : Jésus fit les prières d'usage, et tous célébrèrent le sabbat. Enfin le Sauveur, après s'être entretenu quelques ins- tants avec les hommes,^ se retira, et chacun alla pren- dre du repos ; dès que les disciples et les amis de Jésus se furent endormis, il se leva de sa couche et se rendit seul et sans éveiller personne, à la grotte du mont des Oliviers, où il devait lutter et souffrir une si cruelle agonie. Pendant plusieurs heures, il pria son Père céleste, lui demandant la force d'accomplir sa mission. Avant l'aube, il retourna à Béthanie, sans que son ab- sence eût été remarquée. Toute la population était calme, et personne encore ne savait l'arrivée de Jésus. Ce même jour, pendant le repas, le Seigneur raconta ses voyages dans la haute Galilée et dans les contrées d'Améad, d'Adama et de Séleucie. Comme un grand nombre de convives atta- quaient avec véhémence les sectes, il leur reprocha leur manque de charité, et leur raconta la parabol-e de l'homme qui, descendant de Jérusalem à Jéricho, était tombé entre les mains des voleurs et avait été secouru par un Samaritain, tandis qu'un lévite l'avait repoussé. Notre-Seigneur a raconté cette parabole à plusieurs reprises, mais chaque fois d'une manière différente. Il prédit aussi la ruine de Jérusalem. La nuit suivante, pendant que tout le monde repo- sait, Jésus se rendit de nouveau au mont des Oliviers. — 414 — pour prier -dans la ^otte. Il fut saisi des plus cruelles ansjoisses. Il m'apparut comme un fils qui, au moment de la plus périlleuse entreprise, se jette entre les bras de son père pour y trouver là force et la consolation. Mon guide me dit que toutes les fois que Jésus se trou- vait à Béthanie, il avait toujours été prier dans la grotte, et que c'était ainsi qu'il se préparait à son ago- nie suprême. J'appris aussi qu'il préférait ce lieu à tout autre, parce que c'était là que s'étaient réfugiés Adam et Eve après avoir été chassés du paradis. Je les ai vus, dans cette même grotte, s'affliger et pleurer. Ce fut dans ce même jardin des Oliviers que Caïn s'ir- rita contre son frère et résolut de le tuer. En voyant cela, je pensai à Judas. Caïn commit son fratricide sur la montagne du Calvaire, et Dieu lui en demanda compte dans le jardin des Oliviers. A l'aube du jour, ^ésus retourna à Béthanie. CHAPITRE XV Organl a4on des hôtelleries destinées à recevoir le fauveur et ses disciples dans leurs voyage?. Le sabbat étant terminé, on songea à s'occuper d'une affaire qui avait surtout déterminé Jésus à se rendre à Béthanie. Les saintes femmes avaient été profondé- ment affligées, en apprenant toutes les privations que lui et ses disciples avaient eues à supporter pendant leurs voyages. Ainsi, elles avaient su, qu'en allant à Tyr, il avait été réduit à tremper dans l'eau, tant ils étaient desséchés, les morceaux de pain que Saturnin avaient mendiés pour lui. Pour éviter une telle pénu- rie, les saintes femmes demandèrent à Jésus de leur permettre de faire des dispositions dans plusieurs hô- telleries de sa route, de sorte qu'il y pût trouver le né- ~ 4^5 — <;essaire. Il y consentit, et vint s'ente«ndre avec elles pour les mesures à prendre. Lazare lui avait proposé de pareilles précautions, sachant que les pharisiens s'étaient efforcés de per- suader aux Juifs des villes qui entourent Jérusalem de refuser tout à Jésus et à ses disciples. Lors donc que le Seigneur annonça que désormais il enseignerait pu- Jésus leur répondit qu'il fallait y mettre -plus de soin encore que la femme de la parabole en peine de sa drachme, et le pasteur de sa brebis perdue. Profondément émues des paroles du Sauveur, toutes promirent de chercher Madeleine avec plus de sollici- tude que leur perle, et de se réjouir bien davantage quand elles l'auraient retrouvée. Plus tard quelques-unes des saintes femmes prièrent Jésus de recevoir parmi ses disciples le jeune homme de Samarie, qui après la Pâque lui avait demandé cette grâce. Elles louèrent beaucoup sa sagesse et son savoir. Mais Jésus leur dit que ce jeune homme vien- drait difficilement à lui, parce qu'il était aveuglé par un trop grand attachement aux biens de ce monde. Le soir, plusieurs des assistants se disposèrent à se rendre à Béthoron, où le Seigneur voulait enseign-er le lendemain. Jésus alla encore secrètement sur la mon- tagne Ses Oliviers. Après y avoir prié avec beaucoup de ferveur, il se rendit à Béthoron accompaa^né de La- zare et de Saturnin. Il était une heure après minuit quand je les vis tous trois dans le désert : Béthoron était â six lieues d-e Béthanie. CHAPITRE XVI Prédications aux environs de Jérusalem. — Epreuves et souffrances des apôtres. Deux disciples, qui avaient devancé Jésus, se ren- dirent chez le chef de la synagogue pour lui en deman- der les clefs, en disant que leur Maître voulait y prê- -^ 418 -" cher ; d'autres parcoururent les ru€s pour appeler le peuple. Dès que les portes furent ouvertes, le Seigneur entra avec Lazare et Saturnin dans la synagogue, qui bientôt fut remplie d'auditeurs. II enseigna encore avec beaucoup de force sur le maître de la vign-e dont les serviteurs sont mis à mort par les vignerons infidèles, qui ôtent enfin la vie à son propre fils envoyé par lui *- il termina en disant qu'après ce dernier crime le maî- tre donnerait la vigne à d'autres. Puis il dit que, de même qu'on avait persécuté les prophètes et empri- sonné Jean, ainsi mettrait-on la main sur lui ; enfin il parla du jugem-ent et des malheurs qui frapperaient Jérusalem. Ses paroles produisirent une grande sen- sation parmi les Juifs : 'quelques-uns en étaient con- tents, d'autres s'en fâchaient et murmuraient. « D'oit- celui-ci vient-il ainsi soudainement? disaient-ils; per- sonne n'a été averti de sa venue. » Plusieurs d'entre eux qui avaient entendu dire que, dans l'hôtellerie d& la vallée, il y avait des femmes qui suivaient Jésus, allèrent les y trouver pour s'enquérir de ses desseins. Après avoir guéri des fiévreux, le Sauveur quitta Bé- thoron. Je le vis, tantôt seul, tantôt accompagné de ses disciples, traverser plusieurs petites villes et des villages voisins, dans un rayon de quelques lieues. Il ne se borna pas à prêcher dans les synagogues : il en- seigna en plein air, sur les collines et sur les places publiques, au milieu du peuple rassemblé. Une partie de ses disciples parcoururent les vallées, les hameaux et jusqu'aux cabanes les plus isolées, pour engager les habitants à se rendre aux lieux où il voulait prêcher. Dans toutes ces courses successives, Jésus et ses disci- ples eurent à supporter des peines et des fatigues ex- trêmes. Partout où passa le Sauveur, il guérit un grand nombre de malades qu'on lui amena ou qui vinrent implorer son assistance. Beaucoup de possédés le pour- suivirent de leurs cris, mais il leur ordonna de se taire et de se retirer. En ces jours-là, Jésus avait de — 419 — plus à lutter contre les mauvaises dispositions des ha- bitants et contre les insultes des pharisiens. Les villes- et les vilag-e« des environs de Jérusalem étaient rem- plis de gens qui lui étaient hostiles. Il en était alors- comme de nos jours; dans les petites localités, on ré- pète tous les bruits qui circulent sans aller au fond des choses. Là-dessus venait l'apparition subite de Jé- sus suivi de ses nombreux disciples, et sa prédication: sévère et quelquefois menaçante : car il parlait par- tout, comme à Béthoron, du dernier temps Je la grâce,„ qui était arrivé, et du jour du jugement, qui appro- chait. Il rappelait continuellement aux Juifs le sang: des prophètes qui avait été versé par leurs pères ; et l'emprisonnement de Jean, qui lui-même avait eu à en- durer des persécutions de leur part. Il expliquait la parabole du maître de la vigne, disant que ïe roi avait envoyé son fils, que le royaume était proche, et que le fils en devait prendre possession ; puis il criait mal- heur à Jérusalem et à ceux qui ne voulaient pas rece- voir son royaume, ni faire pénitence. Il passait ainsi d'un lieu à l'autre, n'interrompant ses prédications que par de nombreuses guérisons et des œuvres de charité. Les disciples avaient beaucoup à souffrir. Souvent, lorsqu'ils annonçaient leur Maître, on leur faisait des questions injurieuses: « Le voilà de nouveau! que vient-il faire ici ? d'où vient-il ? ne lui a-t-on pas dé- fendu de courir le pays ? » Puis on les raillait eux- mêmes, on criait après eux. Quelques Juifs cependant les recevaient avec joie, mais leur nombre n'était pas grand. Personne n'osait attaquer Jésus pendant qu'il enseignait entouré de ses disciples, ou qu*îî tra\ersait les rues au milieu d'eux ; c'était à ces derniers seuls que s'adressaient tous c^eux qui voulaient faire du Ibruit. On les prenait à part, on les questionnait ; n'ayant compris qu'à demi ou à contre-sens les dis- cours sévères de Jésus, on voulait des explications. Mais au milieu de toutes ces rumeurs retentissaient — 420 — aussi des cris joyeux : car le Seigneur avait guéri des malades, et les contradicteurs s'en irritaient et s'éloi- gnaient. Ajoutez à toutes ces peines une marche ra- pide et fatigante, sans repos, sans réfection, sans au- cune espèce de soulagement. Les apôtres me paraissaient encore bien faibles et bien charnels : souvent, quand Jésus enseignait et qu'on les interrogeait, ils chuchotaient entre eux, ne pouvant comprendre où il en voulait venir. Ils avaient des heures dé mécontentement. Ils se disaient à eux- mêmes : « Nous avons tout abandonné pour lui, et nous voilà jetés dans les embarras et les inquiétudes. Quel est ce royaume dont il parle ? Est-ce qu'en effet il l'établira ? » Ils cherchaient à cacher de telles pen- sées, qui trop souvent se trahissaient par leurs irré- solutions. Jean seul suivait son maître avec la con- fiance et l'obéissance d'un enfant. Tous cependart avaient vu tant de miracles, et en voyaient encore tous les jours ! Combien il était touchant de voir Jésus, bien qu'il coinnût leurs moindres pensées, se montrer constam- ment le même à leur égard, toujours bienveillant, tou- jours affectueux ! Il poursuivait l'œuvre de son Père, sans s'inquiéter de leurs hésitatiohs, avec son calme, sa gravité, sa sérénité inaltérables. CHAPITRE XVII Jésus au puits de Jacob. — Entretien avec Dina la Samaritaine. Le jour suivant, Jésus accompagné d'André, de Jac- ques le Mineur et de Saturnin, tourna le m.ont Gari- zim sur la droite, et se dirigea vers Sichar. Le reste de ses disciples prit une autre route; je ne sais plus — 421 — bien pourquoi. Le Seigneur vint au puits de Jacob, qu> est situé dans l'héritage de Joseph, au nord du mont Garizim, et sur une colline à l'ouest de laquelle on aperçoit Sichar, à environ un quart de lieue de dis- tance. Cette vill« se trouve dans une vallée qui a une lieue d'étendue. A deux lieues au nord-ouest de Sichar s'élève la montagne sur laquelle est située la ville de Samarie. Plusieurs cliemins creusés dans le roc viennent de divers côtés, en serpentant 1-e long de la montagne, aboutir au bâtiment octogone à arcades, entouré d'ar- bres et de bancs de gazon, qui renferme le puits de Jacob. Les arcades qui régnent autour de l'édifice peu- vent contenir environ vingt personnes. On trouve, en face de la porte, une pompe, au moyen de laquelle on peut faire monter l'eau du puits jusqu'au mur du bâ- timent. Cette eau retombe, sous le portique, dans trois bassins creusés sous le péristyle, du côté du levant, du midi et du couchant. Les voyageurs y font leurs ablutions, s'y baignent les pieds et peuvent y désalté- rer leurs animaux. Jésus arriva vers midi à la colline ; il envoya les dis- ciples qui l'accompagnaient à Sichar pour acheter des aliments, car il avait faim. En les attendant, il gravit seul le monticule. Il faisait très chaud, et il souffrait de la soif. Accablé de fatigue, il s'assit à quelque dis- tance du puits, au bord du chemin de Sichar, et, ap- puyant sa tête sur une de ses mains, il s'abandonna à ses méditations : il semblait attendre quelqu'un qui vînt puiser au puits et lui donner à boire. Je vis alors ane grande et belle femme d'une trentaine d'années, ayant une cruche posée sur le bras droit, qui gravis- sait la colline pour remplir sa cruche. Je connus que son nom était Dîna. Ses mouvements étaient prompts et gracieux, sa mise distinguée, mais un peu recher- chée. Elle était vêtue d'une robe bleue à raies rouges et brodée de fleurs jaunes. Son voile, d'un ßn et beau — 422 — tissu de laine, jeté en arrière, lui couvrait les épaules et le dos. Elle avait recouvert, en partie du moins, sa cruche d'un tablier brun de poils de chèvre ou de cha- meau : il semblait que ce fût un de ces gros tabliers dont on se servait pour ne pas salir ses vêt€ments, quand avec le seau ou .la cruche on puisait de l'eau. Son air intelligent, franc et bienveillant, me plaît beaucoup. Elle est née d'un mariage mixte, et appar- tient à la secte samaritaine. Son domicile actuel est Sichar, où elle est connue sous le nom supposé de Sa- lomé. Comme elle n'est pas native de cette ville, on ne ■sait rien de sa vie antérieure ; cependant son mari et elle sont très aimés, à cause de leur franchise et de leurs manières engageantes. Les sinuosités que décrit le sentier empêchèrent Dina de voir Jésus avant qu'elle fût devant lui. Il était assis au bord du chemin, seul, dévoré par la soif, et plongé dans la méditation ; son aspect avait quelque chose d'excessivement frappant. ïl portait une robe Manche de laine fine, serrée au- tour de la taille par une large ceinture. C'était une robe à la façon des prophètes. Les disciples la por- taient dans tous les voyages du Sauveur, parce qu'il s'en revêtait quand il enseignait ou agissait en qualité de prophète. Au détour du chemin, Dina aperçut tout à coup Jésus : il était devant elle. Elle fut troublée, baissa son voile sur son visage et hésita à passer outre. Je vis les pensées qui préoccupaient son esprit : « Quoi ! un homme! que fait-il là? veut-il me tenter? » Jésus, en qui elle reconnut un Juif, jeta sur elle un regard se- rein et bienveillant, et retirant ses pieds, car le che- min au bord duquel il se trouvait assis était fort étroit, il lui dit : « Passez et donnez-moi à boire. » Cette demande fit sur elle une vive impression, at. tendu que les Juifs et les Samaritains se détestaient mutuellement. Elle s'arrêta de nouveau et lui dit : « Pourquoi êtes-vous ici tout seul à cette heure? Si — 423 — l'on me voyait avec vous, on en serait scandalisé. )> AFors Jésus lui répondit que ceux qui l'accompa- gnaient étaient allés à la ville pour acheter des ali- ments ; et elle s'écria : « Ah I oui, les trois hommes que j'ai rencontrés ! mais pour le moment ils ne trouveront pas grand'chose, car les Sichémites ont aujourd'hui besoin peur eux-mêmes de tout ce qu'ils ont préparé. » Elle ajouta qu'il y avait à Sichar une fête, et nomma une autre ville où les disciples auraient plus facile- ment pu se procurer des vivres. Jésus lui dit une seconde fois : « Continuez votre che- min et donnez-moi à boire ! » Dina alors passa devant lui, et il se leva pour la suivre au puits. Pendant qu'il? allaient ainsi ensemble, la femme fît cette question • •« Comment, vous qui êtes iuif, me demandez-vous ô boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? » Jesu? lui répondit : (( Si vous connaissiez le don de Dieu, si A^ous saviez qui est celui qui vous dit : Donnez-moi 5 boire, peut-être lui eussiez-vous demandé vous-même à boire, et il vous aurait abreuvé^ d'eau vive. » En ce moment ils arrivèrent au puits : Jésus s'assit, et Dina, tout en retirant le couvercle, repartit : « Sei- gneur, vous n'avez pas même de quoi puiser, et le puits est très profond, d'où auriez-vous donc de l'eau vive ? Etes-vous plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, où il a bu ainsi que ses enfants et ses troupeaux ? » Elle pensait que le Seigneur par- lait d'eau de source. Au moment où elle parlait ainsi, je vis Jacob creusant le puils et l'eau jaillissant de terre devant lui (1). Dina fit descendre le seau dans le puits à l'aide d'une poulie, et, l'ayant retiré, ell3 retroussa ses manches, plongea avec le bras nu sa <;ruche dans le seau et la remplit ainsi. Puis elle versa de l'eau dans un petit gobelet d'écorce, qu'elle présenta (1) On voit encore ici un exemple des innombrables rapports prophétiques que la divine Sagesse a su établir entre les faits des de'T' +'estamQnts. — 424 — à Jésus. Il en but et lui dit : « Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif; car l'eau que je lui donnerai deviendra une fontaine d'eau jaillissante jusque dans la vie éternelle (1). » Dina, qui était une femme aux allures franches et enjouées, dit en souriant à Jésus : « Seigneur, donnez- moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici. » Les paroles de Jésus tou- chant l'eau vive avaient cependant fait une grande im- pression sur elle, et, sans bien s'en rendre compte, elle se doutait qu'il entendait par cette eau vive l'accom- plissement de la promesse. Ainsi ce fut un mouvement prophétique de son cœur qui la poussa à demander de- l'eau vive. J*ai toujours remarqué que ceux avec qui Notre-Sei- gneur s'est mis en rapport ne sont pas de simples indi- vidus, mais bien des représentants de toute une classe d'hommes : il en était ainsi, parce que la plénitude d'^s- temps était arrivée. Dina, en présence du Rédempteur^ figure toute la secte samaritaine, séparée de la vraie (1) Les fontaines jaillissent à une hauteur CLui égale celle d'où, leurs eaux descendent. L'eau vive, le Saint-Esprit, est descondu au puits scellé de l'humanité du Fils de Dieu, et Jésus est monté à son tour jusqu'à la droite du Père. Le Seigneur lui-même a dit: « Des torrents d'eau vive, comme s'exprime l'Ecriture, couleront du sein de celui qui croit en moi. » Il disait cela de l'Esprit qu© devaient recevoir ceux qui croyaient en lui. Pour bien saisir le véritable sens de l'entretien de Jésus avec la femme Samaritaine, il faut se rappeler que, dans le langage des prophètes comme dans celui de l'Ecriture en général, ces mots: eau, pluie, source, fontaine, puits, fleuve, servent à exprimer les idées d'origine, de fécondation, de propagation, de bénédiction du «mariage. Balaam, dans sa prophétie sur la race de Jacob, dit: « L'eau coulera de ■on vase, et sa postérité sera comme les grandes eaux » (Num., XXIV, 7). En plusieurs endroits de la sainte Ecriture, les saint» Pères ont interprété les expressions d'eau vive et de torrents d'eau, dans le sens de la grâce du Messie, de l'envoi du Saint-Esprit dans le baptême. D'autre part, l'Ancien Testament est avec raisott appelé l'ancien mariage, et le Nouveau Testament, le Nouveau mariage : l'Eglise est en elïet notre mère; noua devons renaître de l'eau et du Saint-Esprit dans ses fonts baptismaux. (Note de l'écrivain.) I — 425 — foi d'Israël, qui était la source d'eau vive. Jésus, au puits de Jacob, avait soif des âmes élues de Samarie, il voulait les désaltérer en leur donnant des eaux vives dont elles s'étaient éloignées. Cette secte, dans sa par-, tie guérissable, que représentait Dina, avait soif de cette eau vive ; elle tendait en quelque sorte la main pour la recevoir. Samarie disait, par la bouche de Dina : « Donnez-moi, Seigneur, la bénédiction de la promesse, apaisez m-a soif brûlante, procurez-moi do l'eau vive, afin que je reçoive le soulagement que ne peut me donner le puits terrestre de Jacob, qui seul nous conserve encore un reste d'union avec les Juifs. » A ces paroles de la Samaritaine : « Seigneur, donnez- moi de Teau vive », Jésus répondit : » Allez, appelez votre mari et venez ici. » Il prononça deux fois ces mots pour signifier qu'il n'était pas là pour instruire une seule personne. Le Rédempteur s'adressait ainsi à la secte schismatique : « Samarie, appelle devant moi l'époux à qui tu appartiens' par une sainte alliance, qui engendre de toi dans un mariage légitime. » La femme répondit au Sauveur : « Je n'ai point de mari. » Samarie confessait à l'Epoux des âmes qu'elle n'avait pas d'alliance, qu'elle n'appartenait légitimement à per- sonne, qu'il ne naissait d'elle aucune fleur que le Saint-Esprit pût féconder, que la Mère du Messie ne pouvait pas sortir de son sein. Jésus ajouta: « Vous avez bien dit : Je n'ai point de mari; car vous avez eu cinq maris, et celui que vous avez maintenant n'est pas \otre mari ; en cela vous avez dit vrai. » Le Messie, par ces paroles, disait à la secte : « Samarie, tu dis la vé- rité : tu as été l'épouse des idoles de cinq peuples, et ta liaison actuelle avec Dieu n'est qu'une fornication, et non pas une sainte alliance (1). » (1) Ces paroles de Jésus se rapportaient à cinq peuplades que le roi d'Assyrie avait transplantées à Samarie avec leur culte ido- latrique, après que la plus grande partie du peuple eût été em- menée en captivité à Babylone. I^ea Juifs qui étaient restés à Samarie s'étaient mêlés avec ces peuplades, et le culte de Dieu — 426 — Alors Dina, baissant les yeux et courbant la tête, ré pondit: « Seigneur, je vois que vous êtes vraiment pro phète ; » puis elle laissa de nouveau son voile tombei sur son visage. La secte samaritaine confessa ainsi sa faute, et recon- nut la mission divine du Seigneur. « Celui que \öus avez maintenant n'est pas votre mari. » Votre alliance actuelle avec le vrai Dieu est il- légale, en dehors de la loi ; le culte des Samaritains s été séparé de l'alliance de Dieu avec Jacob par une au- torité usurpée et coupable. Comme si la femme eûl compris le vrai sens de ces paroles et qu'elle cherchât à s'éclairer, elle montra du doigt le temple du mont Gari- zim et dit : « Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous dites que Jérusalem est le lieu où il faut adorer, x Jésus répondit : « Femme, croyez-moi, Theure vient où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne, ni à Jé- rusalem. » Ce qui signifiait : « Samarie, l'heure vieni où l'on n'adorera Dieu ni ici, ni dans Is sanctuaire du temple de Jérusalem, parce qu'il est au milieu de vous. » Et il ajouta : « Vous adorez, vous, ce que vous ne con- naissez point ; nous, nous adorons ce que nous connais- sons, parce que le salut vient des Juifs. )) Il lui fit en- suite une comparaison tirée des arbres et de certains rejetons sauvages, qui ne produisent que du bois et des feuilles. Le Sauveur voulait par là dire à la secte : « Samarie, tu n'as aucune garantie de la véricé de ton culte : tu n'ss ni alliance, ni sacrements, ni fruits : ce avait été mélangé avec le culte du démon de la manière la plus abominable. L'homme qui vivait avec Dina n'était pas aon époax légitime : cela signifiait que, si Samarie, au temps de Jésus, n'était plus adonnée à l'idolâtrie, elle n'bonorait pourtant le vrai Dieu que suivant ses caprices, et non pas selon la loi, La seule chose qui conservait aux Samaritains un rapport avec l'œuvre du salut, c'était que, dans leur sang, malgré son mélange avec tant d'im- pures sources païennes, le sang de Jacob se retrouvait encore, et cette parenté était représentée par leur participation au puits ter- restre du patriarclie. Le Sauveur était altéré de leur salut a» puits de Jacob; et Safnarie y puisa de l'eau et lui donna à boir«k (Note de l'écrivain.) — a: — s. . .00 Juiis qui ont la promesse et son accomplisse- ment, c'est d'eux que naîtra le Messie. )) Jésus dit encore : « Mais il vijent une heure, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » Le Sauveur disait par là ; <( Samarie, il vient une heure, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père dans le Saint- Esprit et dans le Fils, qui est la voie et la vérité (1). » La femme lui dit : « Je sais que le Messie vient ; lors donc qu'il sera venu, il nous apprendra toutes ces choses. » Par ces paroles, la portion du peuple samari- tain qui avait des titres à la participation aux pro- messes disait : « Je crois à l'avènement du Messie, il est mon espérance : 11 nous sauvera. » Jésus lui dit : « Je le suis, moi, moi qui vous parle. » Le Pcédempteur disait par là à tous les Samaritains qui voulaient se convertir : « Samarie, je me suis rendu au puits de Jacob, ayant soif de toi, eau sortie de ce puits, et tu m'as donné à boire ; je t'ai promis de te donner de l'eau vive qui ne laisse plus avoir soif à celui qui en boit ; tu m'as exprimé avec foi et confiance ton désir ardent de cette eau ; voici que je te récompense ; car tu as apaisé, par le désir que tu as de moi, la soif que j'avais de toi : Samarie, voici la fontaine d'eau vive, je suis le Messie, moi qui te parle. » Quand Jésus dit : « C'est moi, moi qui vous parle »,, la femme, tressaillant d'une sainte joie, le regarda avec un étonnement profond ; puis elle se leva subite- ment, laissa là sa cruche, et, oubliant de remettre le couvercle du puits, elle descendit rapidement la colline pour aller dire à son mari et aux habitants de Sichar ce qui lui était arrivé. Il était rigoureusement ordonné de fermer le puits : mais que lui importait le puits, que lui Importait sa cruche remplie d'eau terrestre 1 Elle (1) Dans une de ses lettres à l'évêque égyptien Sérapion, saint Athanase dit aassi « qu'adorer le Père en esprit et en vérité est la même chose qu'adorer dans le Fils et le Saint-Esprit Celui qui est à> la fois trois et un. » — 428- avait reçu l'eau vive, et son cœur aimant et généreux la pressait de procurer à tous le bonheur qu'elle res- sentait. En sortant du bâtiment qui entourait le puits, elle rencontre les trois disciples, qui étaient revenus avec des vivres, et qui, depuis quelque temps déjà, se tenaient devant la porte, fort étonnés de voir leur Maître parler si longtemps avec une femme samaritaine. Néanmoins, par respect pour le Seigneur, aucun d'eux ne lui demanda pourquoi il s'entretenait avec elle. Ce- pendant Dina courut à Sichar, et s'empressa de dire à son mari et aux personnes qu'elle rencontra : « Venez au puits de Jacob, et vous y verrez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait : n'est-ce point le Christ ? » Dans le même temps, les disciples s'étaient appro- chés du Sauveur, et, lui ayant présenté du pain et du miel, ils lui dirent : « Maître, mangez. » Mais le Sei- gneur, quittant le puits, leur dit : « Moi, j'ai à m.anger une nourriture que vous ne connaissez point ». — Les disciples se demandèrent alors entre eux : u Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger? » Ils eurent même la pensée que la Samaritaine lui avait procuré des ali- ments. Jésus descendit dans la vallée de Sichar, ne vou- lant pas prendre son repas auprès du puits ; et pendant que ses disciples le suivaient en mangeant, îl leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son œuvre ». Il entendait par là qu'il devait convertir les habitants de Sichar, du salut •desquels son âme avait faim. A quelque distance de la ville, la Samaritaine accou- rut à la rencontre de Jésus. Elle l'aborda avec beau- coup d'humilité, mais joyeusement et avec franchise, et le Seigneur lui parla longuement, tantôt en s'arrê- tant, tantôt en marchant à pas lents. Il lui dévoila toute sa conduite et l'état complet de son âme. Elle en éprouva une profonde émotion, et promit au Sauveur, tant en son nom qu'en celui de son mari, de tout — 429 -- ■abandonner pour le suivre. Le Seigneur alors lui dit ce qu'elle avait à faire pour réparer ses fautes et expier ses péchés. CHAPITRE X^ III Jésus évangélise les habitants de Sichar. Dina était née dans une maison de campagne située près de Damas, appartenant à sa famille. Sa mère était juive, et son père païen ; ils étaient tous les deux d'une naissance distinguée. Elle était très intelligente ; mais, orpheline dès ses premières années, elle fut aban- donnée aux soins d'une nourrice débauchée, et elle suça avec le lait les plus funestes penchants. Elle avait eu successivement cinq maris, qu'elle s'était aliénés, soit en leur causant du chagrin, soit par ses désordres. Tandis que le Seigneur parlait avec Dina, les dis- ciples se tenaient toujours en arrière, se demandant ce qu'il pouvait avoir à lui dire, et trouvant étrange qu'il ne voulût pas manger ce qu'ils avaient eu tant de peine à lui procurer. A quelque distance de la ville, Dina se sépara de Jésus, et courut vers son mari et vers une grande foule de peuple qu'attirait le désir de voir le Sauveur. Quand il fut auprès d'eux, elle le leur montra du doigt ; ils- lui souhaitèrent la bienvenue, poussant des acclama- tions et des cris de joie. Il s'arrêta, et d'un signe de la main il leur dit, entre autres choses, qu'ils pouvaient croire tout ce que cette femme leur avait raconté. Les- paroles de Jésus étaient si affectueuses, son regard était si vif et si pénétrant, que leurs cœurs émus furent irrésistiblement attirés vers lui. Ils le prièrent, avec instance, de demeurer quelque temps dans leur ville et d'y enseigner. Il s'y engagea pour l'avenir, mais ce jour-là il passa outre. — 430 — Jésus s'entretenait encore avec eux, lorsque Pierre et tous les autres disciples, qui étaient allés prendre quel- ques dispositions au dehors, vinrent le rejoindre. Ils furent étonnés et presque mécontents de le voir si long- temps s'entretenir avec des Samaritains. Elevés dans le préjugé qu'on ne devait point avoir de rapports avec ce peuple, c'était à leurs yeux une chose inouïe : ils furent tentés de se scandaliser. De plus ils pensaient aux peines, aux insultes, aux outrages, aux souffrances qu'ils avaient eus à endurer la veille. Tout arrivait contrairement à leur attente ; ils savaient que l^.s saintes femmes avaient fait des dépenses considérable-; pour leur procurer le nécessaire, et cependant ils ne se trouvaient pas bien pourvus. Maintenant qu'ils voyaient des rapports établis avec les Samaritains, ils se disaient que, leur Maître sa permettant de telles tîhoses, il n'était pas étonnant qu'on les accueillît si mal. Rêvant toujours à un royaume terrestre, ils peJn- saient que, si la conduite du Sauveur en *ce lieu venait à être connue en Galilée, on les outragerait bien plus encore à leur retour en ce pays. Jésus, tirant au nord-est, fit avec ses disciples une demi-lieue ; puis ils se reposèrent sous des arbres. Là le Sauveur leur paria des moissons : « Ne répétez-vous pas souvent, leur dit-il : encore quatre mois, et la moisson viendra ? Mais moi, je vous dis maintenant que les paresseux veulent tout remettre au lendemain ; vous devez voir que les campagnes blanchissent déjà et que le temps de la moisson est venu. » (Il voulait dire que les Samaritains et les païens étaient près de ;8e convertir.) « Pour moi je vous ai envoyés moisson- ner où vous n'avez point semé ; d'autres avaient tra- vaillé, tels que les prophètes, Jean et moi-même. Celui qui moissonne reçoit une récompense et recueille des fruits pour la vie éternelle, afin que celtii qui a semé se réjouisse aussi bien que celui qui a moissonné : car répondirent-ils. Jésus reprit : « Vous le savez, et pourtant vous n'en faites rien ; c'est pour cela que vous êtes inexcusables et que vous serez plus sévèrement p'.mis. » Puis il — 436 — i)lâma en particulier les pharisiens de cettd ville d'avoir inventé une foule de commandements inutiles, au lieu d'observer la loi ; il parla des vêtements sacerdotaux et de leur signification, et ajouta : « Vous ne respectez pas les prescriptions de Moïse, mais vous y faites des changements arbitraires. )) Ils étaient tous excessive- ment irrités, mais ils ne pouvaient point trouver de prise sur Jésus, qu'ils appelaient dédaigneusement entre eux « le prophète de Nazareth, le fils du char- pentier î). L'un d'eux, meilleur que les autres, quoiqu'il fût aussi un espion, invita Jésus et ses disciples à un re- pas. Après le repas, le Seigneur retourna à la syna- gogue, devant la porte de laquelle on avait placé plu- sieurs malades. On le pria de les guérir et de faire voir un miracle. Mais il refusa, disant qu'il ne voulait point faire de miracle devant ceux qui ne voulaient point croire en lui. Ces pharisiens souhaitaient qu'il guérît le jour du sabbat, pour pouvoir plus tard l'en accuser. Le sabbat fini, les plus distingués d'entre les dis- ciples de Galilée retournèrent chez eux. Jésus, accom- pagné de Saturnin et de quelques autres des siens, se rendit à la maison de campagne de Lazare, près de Ghinéa. C'était un touchant spectacle de voir Jésus instruire, dans le jardin, les enfants du gardien de la maison rangés autour de lui. Quelquefois il prenait deux des plus petits dans ses bras. Il leur apprenait à obéir à leurs parents et à honorer les vieillards. Puis il leur parla des fils de Jacob et des Israélites : il leur dit que ces derniers n'étaient pas entrés dans la terre promise, parce qu'ils avaient murmuré contre Dieu : puis mon- trant à ces enfants les fleurs et les beaux fruits de leur jardin, il leur parlait du royaume des cieux promis à ceux qui observent les commandements de Dieu ; il leur expliquait que, pour entrer dans ce céleste séjour f — 437 — en comparaison duquel la terre n'est qu'un désert, ils devaient obéir de bon gré à la volonté de Dieu, et sup- porter avec actions de grâces toutes les peines que la divine Providence leur enverrait. Ils ne devaient ja- mais murmurer, s'ils voulaient entrer dans le royaume de Dieu, et ne jamais douter de sa beauté, comme avaient fait les Israélites dans le désert, mais être bien convaincus que tout y est plus parfait et plus ravissant qu'ici-bas. Enfin Jésus ajouta que le royaume céleste devait être toujours présent à leur pensée, et qu'il fal- lait le mériter par toute espèce de peines et de tra- vaux. De là Jésus se rendit, avec ses disciples, à environ deux lieues de Samarie, à Atharoth, que les sadu- céens considéraient comme leur chef-lieu. Ceux qui y demeuraient, lorsque les disciples avaient été persé- cutés après la Pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'instigation des pharisiens de Gennabris et leur avaient fait subir des interrogatoires pénibles. Quel- ques-uns de ces saducéens, ayant assisté aux instruc- tions de Jésus dans l'hôtellerie près de Sichar où û s'était fortement élevé contre la dureté des saducéens et des pharisiens envers les Samaritains, s'en irritè- rent, et dès lors résolurent de le tenter. Dans ce but, ils le prièrent à Atharoth de guérir un malade le jour du sabbat : mais, pénétrant leur astuce, le Sauveur partit pour Ghinéa. Ces perfides ne s'en tinrent pas là ; ils se concertèrent avec les pharisiens de cette ville, et lui envoyèrent le message suivant : « Vous qui avez parlé si admirablement et d'une manière si convaincante de l'amour du prochain, vous ne pouvez refuser de venir à Atharoth guérir un malade : si vous consentez à faire ce prodige, nous-mêmes et les phari- siens de Ghinéa nous croirons en vous, et vous aide- rons à répandre votre doctrine dans notre contrée. » Le prétendu malade était mort depuis plusieurs jours, mais ils déclaraient à tous qu'il était ravi en — 438 — extase, et sa femme elle-même ignorait qu'il ne fût plus i vie. Jésus connaissait leur astuce et démêlait la supercherie. Si le Seigneur Tavait ressuscité, ils au- raient dit qu'il n'était pas mort. Ils allèrent au-devant •de Jésus pour le conduire dans la maison de cet homme, qui avait été un des chefs des saducéens, et qui s'était montré très hostile aux disciples. A l'arri- vée de Jésus, on porta le corps dans la rue, sur une litière. Une grande foule de peuple s'assembla autour ûes saducéens, qui étaient au nombre de quinze. Le corps du mort s'était bien conservé ; on l'avait em- baumé pour tromper Jésus. Mais le Seigneur dit : « Cet homme ne reviendra pas à la vie, il est mort. » Alors iils dirent qu'ils le croyaient en extase, et que, s'il était mort, ce ne pouvait être que depuis quelques instants. • Jésus répliqua : « Il a nié la résurrection, il ne res- suscitera que pour le dernier jugement. Voyez de quels parfums vous l'avez rempli ! découvrez sa poitrine ! » Alors l'un d'eux souleva la peau à l'endroit où l'on avait ouvert le corps pour l'embaumer, et il en sortit une foule de vers hideux. Les saducéens furent extrê- mement irrités, car le Seigneur déclara que le défunt était un grand pécheur et que c'étaient les vers de sa mauvaise conscience qu'il avait su cacher, mais qui maintenant lui rongeaient le cœur. Puis il blâma sé- vèrement la supercherie des saducéens, et les menaça ■en général du jugement qui devait frapper Jérusalem et tous ceux qui ne voulaient point entrer dans la voie du salut. Ils reportèrent en toute hâte le corps dans la maison, proférant des injures contre le Seigneur et faisant un vacarme épouvantable. Lorsque Jésus et ses disciples quittèrent la ville, la populace ameutée les poursuivit en leur jetant des pierres. Je vis cependant, au milieu de cette foule de mé- chants, plusieurs personnes bien intentionnées qui pleuraient. Des femmes affligées de pertes de sang, et qui habitaient une rue voisine, se tenaient séparées du — 4:^0 - peuple ; elles avaient foi en Jésus, mais, n'osant à cause de leur impureté s'approcher de lui, elles l'im- ploraient de loin. Le Sauveur, connaissant leurs pen- sées et touché de compassion, alla dans la rue où elles demeuraient. Aussitôt qu'il fut passé, elles baisèrent les traces de ses pas ; il jeta en se retournant un re- gard sur elles, et toutes furent guéries. CHAPITRE XX Jésus guérit de loin le fils du centurion de Oapharnaüm. Jésus se dirigea ensuite à trois lieues de là, sur une colline près d'Enganniin, où il passa la nuit sous un hangar, avec André, Nathanaël le fiancé, et deux ser- viteurs du centurion de Gapiiarnaüm, qui étaient ve- nus à sa rencontre pour le prier d'aller en toute hâte chez leur maître, car son fils était très malade. Maiâ le Seigneur avait répondu qu'il irait en son terops. Ce centurion, chargé jadis par Hérode Antipas du gouvernement d'une partie de la Galilée, était en re- traite. Ses bonnes intentions l'avaient porté à protéger les disciples, lors des dernières persécutions des pha- risiens, et même à les secourir de sa bourse. Il croyait à la puissance de Jésus, mais sa foi était faible encore, ^t il désirait ardemment de lui un miracle, d'abord dans l'intérêt de son fils, puis aussi pour confondre les pharisiens ; les disciples le souhaitaient pareillement, et tous disaient : « Ce sera alors que les pharisiens se dépiteront et qu'ils verront qui est Celui que nous sui- vons. » Sous l'influence de ce motif, André et Natha- naël avaient conduit les serviteurs de l'officier auprès de Jésus ; le Sauveur le savait bien. Dès son entrée à Cana, Jésus fut reçu dans la mai- son d'un scribe, tout près de la synagogue. Pendant — 440 — qu'il se reposait et prenait un léger repas, un grand nombre de personnes se réunissaient dans Favant-cour ; car on avait appris qu'il devait venir d'Engannim, et tous l'attendaient. Il prêcha* une matinée entière ; et il prêchait encore,, entouré d'une grande foule de peuple, quand survint en toute hâte un centurion de Capharnaüm, accom- pagné de plusieurs serviteurs. Cet homme semblait dévoré d'inquiétudes et de soucis, et faisait de vains- efforts pour traverser la foule, afin de pénétrer jusqu'à Jésus. Gomme il n'y pouvait réussir, il se mit à crier avec force : « Respectable maître, laissez venir à vous votre serviteur; je suis ici comme envoyé de mon maître de Capharnaüm : je parle en son nom et comme père de son enfant : je vous supplie de venir. avec moi au plus tôt, car mon enfant > est très malade et se meurt. » Jésus sembla ne pas l'entendre ; mais lui, voyant qu'il avait attiré l'attention de la foule, s'efforça de pénétrer plus avant ; ne pouvant y parvenir, il se mit à crier de nouveau : (c Mon fils se meurt, venez, oh ! venez avec moi ! )> Comme ses cris étaient inces- sants, Jésus se tourna vers lui et lui dit devant tout le peuple : » Si vous ne voyez des miracles et des pro- diges, vous ne croyez point. Je connais le secret de votre cœur, vous cherchez une occasion de mortifier les pharisiens et de vous glorifier vous-même, quoique vous ne valiez guère mieux. Je ne suis pas venu faire des miracles pour satisfaire votre vanité. Je n'ai pas besoin de votre témoignage. Mes œuvres rendront' té- moignage de moi, quand ce sera la volonté de mon Père, et je ferai des prodiges lorsque ma mission l'exi- gera., » Jésus continua longtemps à le réprimander devant la foule assemblée, lui reprochant de vouloir faire vanité de la guérison de son fils : <( Il faut, dit- il, croire et se convertir, et non pas demander des mi- racles pour satisfaire Tamour-propre. » L'envoyé écouta tous ces reproches sans se laisser — 441 — déconcerter : il s'approcha même davantage du Sau- veur, et élevant la voix, il dit : u Maître, à quoi bon tout cela? Venez avec moi tout de suite, il est peut-être déjà mort. » Jésus lui répondit : » Allez, votre fils vit. » Le centurion s'écria alors : « Est-ce bien certain ? » Le Seigneur répondit : « Vous pouvez me croire, à cette heure même, il a recouvré la santé. » L'homme alors crut à la parole de Jésus, et s'en alla à Capharnaüm, sans lui demander davantage de le suivre. Jésus dit ensuite au peuple qu'il avait bien voulu exaucer la prière du centurion, mais qu'à l'avenir, en pareille cir- constance, il n'agirait pas de même. Ce messager était k surintendant du lieutenant d'Hèrode à Capharnaüm, lequel, n'ayant pas d'enfant, avait adopté l'enfant de sa femme, né, avant son mariage, de l'homme qu'il venait d'envoyer. L'enfant était dans sa treizième année, et celui qui, de la part de son maîtr-e, avait été trouver Jésus, était réellement son père. Le langage qu'il avait tenu était donc, en toutes choses, conforme à la vérité. Tous ces secrets de famille me furent révélés ; m.ais ils étaient restés ignorés du dehors. Ce fut peut-être le motif pour lequel Jésus se laissa si longtemps supplier par le pauvre serviteur. L'enfant, dès l'origine, soupirait après lui. Toutefois, comme la maladie ne paraissait pas grave, c'était sur- tout pour se glorifier aux yeux des pharisiens que l'on désirait le secours de Jésus. Mais, depuis une quinzaine de jours, l'état du malade était devenu alarmant, et à tous les remèdes qu'on lui présentait, il disait : » Tout cela ne me sert de rien ; il n'y a que le prophète de Na- zareth qui puisse me guérir, » Jésus cependant tardait à le faire, voulant punir l'officier de ses mauvaises in tentions. Comme le messager revenait à Capharnaüm, deux serviteurs lui annoncèrent que son fils était plein de vie; l'officier les avait chargés de le rejoindre et de lui dire de s'épargner désormais frais et fatigues, parce — 442 — qu'à la septième heure la fièvre avait cessé d'elle-même. Le «centurion raconta alors à ces nouveaux venus les- paroles du Seigneur ; ils en furent remplis d'admiration et s'en retournèrent avec lui chez leur maître. Zoro* babel (tel était le nom de l'officier) et l'enfant allèrent à leur rencontre jusqu'à la porte. Après avoir embrassé son fils avec bonheur, l'envoyé redit les paroles de Je:- • sus, que ses compagnons avaient entendu répéter aussi par d'autres témoins. Puis on prépara un repas de ré- jouissance, où l'enfant se trouva assis entre son père adoptif et son père véritable ; la mère était présente. L'enfant aimait son vrai père autant que son père d'a- doption ; et le premier avait aussi, dans la maison, une grande autorité. Gomme Jésus approchait de Capharnaüm, plusieurs possédés s'agitèrent devant les portes et dans les rues même, en criant : « Le prophète arrive, qu'y a-t-il entre nous et lui ? » Ils se dispersèrent aussitôt qu'il arriva devant la ville, où une grande tente avait été dressée. L'officier vint recevoir le Seign-eur avec le père et l'en- fant lui-même qui marchait entre eux ; toute la famille- les suivait, ainsi que les serviteurs et les esclaves; ces der- niers étaient des païens qu'Hérode fournissait à son lieutenant. Ils formaient un grand cortège, et tous se prosternèrent devant Jésus en lui rendant grâces. Après lui avoir lavé les pieds, on lui offrit des rafraî- chissements. L'enfant s'étant agenouillé devant lui, le Seigneur lui imposa la main sur la tête et lui donna quelques avertissements salutaires. Le nom de l'enfant était Jessé, mais dès lors on l'appela Joël. L'officier sup- plia le Seigneur d'honorer sa maison à Capharnaüm de sa préser ce et d'y prendre un repas ; Jésus refusa, et lui reprocha encore d'avoir voulu obtenir un miracle pour humilier ses ennemis. Il ajouta qu'il n'avait guéri l'enfant qu'à cause de la foi vive et inébranlable de son envoyé. Après avoir dit c«la, le Seigneur repartit. Alors l'officier fit un grand festin. Il y convia tous les — 443 — serviteurs et tous les ouvriers qui travaillaient dans ses; nombreux jardins. 31 leur raconta la guérison miracu- leuse ée son enfant. Us en éprouvèrent une grande émotion et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces ser- viteurs chantèrent une hymne d'action de grâce, et les pauvres, auxquels on distribua beaucoup d'aumôneis dans le vestibule, se joignirent à eux. Dès le même jour, le miracle du Sauveur en faveuT de Zorobabel fut connu, et celui-ci l'avait fait lui-même annoncer à la sainte Vierge et aux apôtres, que je vis tous occupés de nouveau à leurs pêcheries. Je vis aussi porteo: la nouvelle à la belle-mère de Pierre, qui était; malade et gardait le lit. CHAPITRE XXI Jésus enseigne à Caphamaüm. Jésus fît le tour de la ville pour arriver à la maison de sa mère, où étaient Pierre, André, Jacques et Jean avec cinq d'entre les saintes femmes. Tous sortirent à sa ren- contre, et lui témoignèrent la joie que leur causaient son retour et ses miracles. Après avoir pris un léger repas, il entra dans Gapharnaüm pour y célébrer le sabbat avec ses disciples. Les femmes restèrent à la. maison. Une grande foule s'était rassemblée ; elle con- tenait beaucoup de malades. Les possédés poursuivirent Jésus de leurs cris dans les rues ; il leur imposa silence,, et se rendit à la synagogue en traversant leurs rangs,. Après la prière, Manassé, pharisien endurci, se dispo- sait à faire la lecture, ainsi que le voulait l'ordre établi ;, mais Jésus lui demanda qu'on lui donnât les rouleaux,^ disant qu'il lirait lui-même. Il lut le commencement du Deutéronome jusqu'aux murmures des Juifs ; ensuite ili fit une instruction sur l'ingratitude de leurs pères^ — 444 — sur la miséricorde de Dieu envers eux et sur l'approche du royaume des cieux, disant qu'il fallait bien se garder de commettre les fautes qu'ils avaient commises. Il re- présenta les courses des Israélites comme des symboles des égarements des Juifs de son temps, et compara à la terre promise d'alors le royaume des cieux qui s'ap- prochait. Il lut aussi le premier chapitre d'Isaïe, qu'il appliqua au temps présent ; il parla des iniquités des Juifs, des châtiments qui en furent la conséqi:\ence ; de la manière dont ils traiteraient le prophète qu'ils avaient si longtemps désiré. Puis il dit que les animaux eux-mêmes reconnaissent leur maître, mais qu'eux ne voulaient pas reconnaître le leur ; qu'ils outrageraient celui qui venait opérer leur salut ; il dit aussi que celui qui venait pour les secourir se ferait reconnaître aux mauvais traitements qu'ils lui feraient souffrir, il ajouta que Jérusalem serait châtiée, que la communauté des saints serait d'abord peu nombreuse, mais que le Seigneur lui donnerait de l'accroissement, tandis que ses ennemis seraient exterminés. Il les exhorta à se convertir et à crier vers Dieu, qui, fussent-ils tout cou- verts de sang, les purifierait de leurs iniquités. Enfin il ouvrit, comme par hasard, un rouleau, et lut le pre- mier verset du xiv^ chapitre d'Isaïe : <( Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils... Il mangera du beurre et du miel, » Il appliqua ces paroles à lui-même et à l'avènement du Messie. Peu de temps avant son baptême, étant à Nazareth, il avait déjà donné une interprétation semblable de ce passage, et l'on s'était moqué de lui, disant : « Ce n'est pas chez son père, le pauvre charpentier, que nous eus- sions pu le voir manger beaucoup de beurre ou de miel. M Les pharisiens et d'autres habitants de Capharnaüm étaient très fâchés de la sévérité avec laquelle il avait parlé de leur ingratitude ; ils avaient, au contraire, sup- posé qu'il leur exprimerait gracieusement sa reconnais- — 445 — sance du bon accueil qu'on lui avait fait. Le Seign-eur enseigna assez longtemps ; lorsqu'il sortit, quelques pharisiens se dirent à l'oreille : « Oserait-il guérir, un jour de sabbat, les malades qu'on lui a amenés? » On avait allumé des flambeaux dans les rues ; et les maisons, à l'exception de celles de gens mal intention- nés, étaient ornées de lampes. Sur le passage du Sau- veru, on avait placé des malades et de la lumière à côté d'eux. Il régnait partout une grande animation : las pos- sédés poursuivirent Jésus de leurs cris ; il er. chassa les malins esprits par un simple commar.deiXiCiit. Je via l'un d'eux se précipiter sur lui, 1*î visa.se enflammé de colère, les cheveux hérissés, crian- : « Que veux-tu faire ici, qu'y a-t-il entre nous : » Le Seigneu Et tous, se faisant gloire de ce qu*îl était de leur ville, prénai'ent grand plaisir à l'entendre. Ils lui témoignèrent beaucoup de bienveillance, et il prit wn repas avec eux. Alors ils lui firent savoir qu'il y avait beaucoup de malades dans îa ville, et le prièrent — 458 — de ]es guérir. Le Seigneur ne parut pas prêter l'oreille- u leur demande ; ils n'insistèrent pas, dans l'espoir qu'il : / ferait le lendemain. Après le repas, Jésus retourna :<)}ÇZ' les Esséniens. Ceux-ci étaient tout joyeux du bon ;ccueil qu'on lui avait fait, mais il leur dit que le jour 4Aivant les choses ne se passeraient pas de la même: .^janière. Le lendemain matin, Jésus prêcha de nouveau dans- i; synagogue. Au moment où, selon la coutume, celui. !! li devait lire un passage de l'Ecriture allait prendre- ie rouleau, Jésus le lui demanda:, et, choisissant le iv* chapitre du V« livre de Moïse, il prêcha sur le devoir d'obéir aux commandements de Dieu, auxquels il était, rigoureusement défendu de faire le moindre change- ment. Il dit que Moïse avait bien des fois rappelé aux: enfants d'Israël tout ce que Dieu leur avait ordonné ;, mais que trop souvent ils avaient désobéi. Puis, après avoir fait la lecture des dix commandements, il prêcha sur l'amour de Dieu ordonné tout d'abord. Il les blâma sévèrement d'avoir imposé au peuple des charges qu'il ne pouvait porter, en faisant des additions inutiles à la loi qu'ils violaient eux-mêmes. Ces reproches les irri- tèrent excessivement, car leur conscience les forçait de reconnaître que les paroles du Sauveur étaient pleines de vérité. Ils murmuraient, s-e disant les uns aux au- tres : ({ Comment se fait-il qu'il ose parler tout à coup avec une telle audace ? Après une courje absence de quelques années, veut-il être regardé comme une mer- veille ? Il parle avec autant d'autorité que s'il était le Messie lui-même ! N'est-ce pas là le fils de Joseph, le pauvre charpentier ? D'où a-t-il tiré son savoir ? Il faut qu'il présume beaucoup de lui-même pour nous débiter de telles choses ! » Etre humiliés devant tout le peuple. les remplissait d'une colère qu'ils n'osaient pas encora laisser éclater. Le Seigneur continua à enseigner tranquillement;, puis il retourna chez les Esséniens pour prendre quel- que nourriture. Là les jaunes gens riches qui, plusieurs fois déjà, l'avaient sollicité de les admettre parmi ses disciples, vinrent le trouver. Ils le prièrent de venir prendre un repas chiez leurs parents, mais Jésus n'ac- cepta pas leur invitation. Ils renouvelèrent aussi en vain la demande d'être admis auprès de lui; ils di- saient qu'ils avaient accompli tout ce qu'il leur avait prescrit. Jésus leur répondit : « S'il en est ainsi, vous n'avez pas besoin de devenir mes disciples, vous êtes déjà maîtres vous-mêmes. » Et là-dessus il les congé- dia. Pendant ce temps les pharisiens tinrent conseil con- tre le Sauveur. Après s'être excités les uns les autres^ ils résolurent, s'il parlait ce soir-là avec la même témé- rité, de lui montrer qu'il n'en avait pas le pouvoir, et d'exécuter ce que depuis longtemps on avait tramé con- tre lui à Jérusalem. Néanmoins ils espéraient encore qu'il tiendrait à conserver leur faveur et qu'il leur ac- corderait quelque miracle. Lorsque Jésus arriva à la synagogue pour la clôture du sabbat, les Nazaréens avaient placé plusieurs malades devant la porte ; mais il la franchit sans en guérir un seul. Il parla de nou- veau de sa mission, de la consommation des temps, de la punition et de la mort éternelle de ceux qui ne se convertissent pas, et de sa mission de prêcher l'Evangile, de guérir les malades, de sauver les âmes Lorsque leur colère, qui augmentait de plus en plus, commença à se manifester par des murmures, 11 leur dit : « Assurément vous m'appliquerez le proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ; et vous allez me dire . Ces grandes choses que tu as faites à Gapharnaüm, fais-les ici dans ta patrie. » Puis il ajouta: « En vé- rité, je vous le dis : Nul n'est prophète en son pays. » Alors, pleins de dépit, ils murmurèrent plus fort. Jésus dit encore : « Aux jours d'Elie, lors de la famine, il y avait beaucoup de veuves en Israël, et le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles, mais il fut envoyé à la — 460 — ^euve de Sarepta. A fépoque où vivait Elisée, il y ^vait Uîl grand nombre de lèpretix en Israël ; au^un 'd'eux rte î^i guéri, et le prophète guérit Naaman, le Syrien. » Cette comparaison mit les pharisiens hors \i'eux-mèm^s, e^t ils s'emport-èrent contre lui et vou- lurent se saisir de lui. Alors il l-eur dît : « Observez vos •propres enseignements fet ïie violez point le sahbat ; -plus tard von^s ïerez -ce que vous avez en l'esprit. » Ils le laissèrent donc continuer à prêcher, maïs Ils quit- tèrent lenrs sièges et se j^laeèî^nt devant la porte, en vomissant contre lui des injures et des impréca- tî-ons (1). Lorsque le Seigneur sortit de la synagogue, une vingtaine de phtirisiens se jetèrent sur lui et se saisi- rent de sa personne en disant : c( Eh bien 1 suis-nous ^'aintenant à une place d'honneiiT; là tu pourras ex- "pöser ta doctrine ; c'est là que nous te donnerons la î'ëponse que tu mérites ! » il lenr dit qu'ils n'avaient que t'aite d'user de Aäolence, qu'il les suivrait de bon gré. îls se contentèrent alors de le garder en l'entourant, et s'eTi allèrent accompagnés d'une foule nombreus-e. Dès que le sabbat fut fini, leur emportement me ctinnut plus de bornes; Ils accablèrent ïésns d'injures, et 'C'était à qui lui adresserait les in-sultes les plus grossières. « Nous allons te répondr-e ! Va 'Soulager la veuve de Sarepta. Va guérir Naaman le Syrien. Si tu ^es Eîie, ^ëlève-toi au ci-tl, nous te ferons voir une belle place I t^uî es-tu ? Pourquoi n'es-tu pas entouré de tes parti- sans ? Tu n'as donc pas osé les amener ici ! Ton père qui t'a nourri n'a-t-il pas gagné son pain au milieu de nous? Et maintenant que tu ne manques de rien, tu viens nous insulter 1 Mais nous ne nous i^îusons (1) Lei pré^icr.>'-' r qu. 'r'tiiiagînent au€, pour réussir dans leur aaiïit ministère, il -ai^, 'tajr- --s «t a^atrt tout piaire à îeure atwÜ- t-eurs, pourraient tion*6r •as,:- g œ fait, 'rapporté tout au l^ng dans ;i'EYaii*,-ile (i/uc, cb. 1%*, T -t à 30) ia preuve ciu'il faut Quelciuefc- ^irr dë^lairo pour îi^.ve vmiaent acm d<üV;?if. — 461 - pas à t'entendre. Nous te laisserons parler en plein air devant tout le peuple : là nous te donnerons notre réponse. )j A ces outrages se mêlaient les cris de la foule, et c'est ainsi qu'on suivit le chemin qui conduisait au sommet de la montagne. Le Seigneur restait calme et serein : il ne répondait que par des paroles de l'Ecri- ture ou par de sages instructions qui, en déconcertant ses ennemis, augmentaient leur courroux (1). Comme la nuit était venue, ils avaient deux falots avec eux. On arriva enfin à la crête la plus élevée du mont qui, du côté du nord, s'abaissait en pente douce jusqu'à des marécages, tandis que, du côté du midi, il s'avançait en surplombant au-dessus d'un abîme pro- fond, dans lequel on avait coutume de précipiter ceux qui avaient commis de grands crimes. Ils voulaient encore une fois questionner Jésus, puis le jeter dans le précipice. Comme ils approchaient du bord, le Sei- gneur, qu'ils gardaient comme un prisonnier, s'arrêta tout à coup, tandis que ses ennemis continuèrent leur chemin sans cesser leurs imprécations. Au même ins- tant je vis deux figures lumineuses auprès de Jésus, qui revenait tranquillement sur ses pas à travers la foule pressée. Ensuite, longeant le mur de la ville, il arriva à la porte par laquelle il était entré le jour pré- cédent, et se rendit chez les Esséniens qui l'atten- daient. Son absence prolongée ne leur avait point causé d'inquiétude, car ils croyaient en lui. Il fit une collation, leur raconta ce qui s'était passé, et leur rap- pela qu'il leur avait prédit l'événement de la journée. Puis, après leur avoir conseillé de se réfugier à Ca- pharnaüm, il les quitta pour se diriger vers Cana. Il serait difficile de se faire une idée de l'étonne- ment, de la consternation des pharisiens, lorsqu'ils s'aperçurent que Jésus leur avait échappé. Tous criaient : « Qu'est-il devenu ? Arrêtez-le ! » Ceux qui (1) Rien de plus divin que ce calme de la divine Sagesse au milieu des violences des hommes insensés — 462 — marchaient les premiers revenaient sur leurs pas, pen- dant que ceux qui étaient en arrière se portaient en avant; on se culbutait sur l'étroit sentier, le désordrô était épouvantable. Chacun saisissait son plus proche voisin ; on se disputait ; on vociférait ; on courait avec des torches à la main pour le chercher dans tous les ravins, au risque de se casser le cou ou les jambes ; l'un accusait l'autre de l'avoir laissé s'évader. Enfin il fallut se retirer, mais à ce moment le Sauveur avait déjà quitté Nazareth, Toutefois ils ne rentrèrent chez 8UX qu'après avoir placé des gardes autour de la mon- tagne, et ils se dirent les uns aux autres : < Voilà ce 4ue c'est ; c'est un magicien que le démon protège. Sans doute il reparaîtra demain pour tout troubler dans une autre ville. » CHAPITRE XXIV IToyage de Jésus vers Capharnaüm. — Il guérit des lépreux à Tarichée, instruit ses disciples pendant la route, et délivre ^ne femme possédée du démon. Jésus marcha seul durant toute la nuit. Vers le ma- tin, il rencontra les trois disciples auxquels il avait ordonné de se rendre, après la clôture du sabbat, dans un endroit voisin de Tarichée, du côté du levant. U leur raconta ce qui s'était passé à Nazareth, puis il leur recommanda de rester calmes et obéissants, pour ne pas entraver son œuvre en attirant sur eux l'atten- tion publique. Je le vis ensuite lui-même se détourner des villes et suivre dans les secrets vallons des sentiers sohtaires ; il se dirigea ainsi vers l'embouchure du Jc>urdain dans la mer de Galilée. A l'extrémité de cette "öaer, au pied d'un rocher, était située Tarichée. C'était - 4G3 - ^ne graïKie ville fortifiée et séparée du lac per une pentt3 doue« couverte de verdure. Jésus li'y entra pas; il loiigea les remparts, et se dirigea vers «quelques ca- banes construites pour d^ lépveux. Il était environ quatre heures de Taprès^midi lorsque le Seigneur ar- riva près de ces cabanes. Il dit à ses disciples : « Ap- pelez de loin les lépreux tt dites-leur -de me suivre, afin qu€ je les guériâcC ; mais retirez-votis quands ils sor- tiront, pour ne pas vous souiller ; ne parlez pas dô ce que je ferai, car vous ne devez scandaliser per- sonne, et vous savez quelle est déjà l'irritation des ha- bitants de Nazareth. >* Le Sauveur s'en alla ensuite du côté du Jourdain, tandis ^e les disciples appelaient les lépreux, en criant : « Sortez et suivez le prophète de Nazareth ! il vous guérira. » Quant à eux, ils se hâtèrent de s'éloigner, dès qu'ils eurent accompli l'or- dre qui leur avait été donné» Pendant ce temps, le Sei- gneur marchait lentement, en se rapprochant du Jour- dain. J'aperçus bientôt cinq hommes quittant leurs caba- nes ; ils se suivaient, en défilant avec ordre jusqu'au momjent où ils rejoignirent Jésus. Ils étaient couverts de longs vêtements blancs sans ceinture ; leur coiffure consistait en un capuchon et en une sorte de voile qui s'y rattachait, et qui, à l'exception des yeux, pour les- quels on avait ménagé des ouvertuTes, cachait entiè- rement le visage. Dès qu'ils se trouvèrent auprès du Sauveur, qui s'était arrêté dans un lieu isolé, celui qui ouvrait la marche se prosterna devant lui la face con- tre terre, et baisa le bord de son vêtement ; Jésus se tourna de son côté, lui mit la main sur la tête et le Dénit en priant, puis il lui dit de faire place à celui qui le suivait : il agit de même pour tous les cinq. Ces pau- vres gens, sentant que leur lèpre avait disparu, décou- vrirent leurs mains et leurs visages. Alors le Seigneur les exhorta à, ne pas retomber dans le péché qui avait été la cause de leur mal, et leur défendit de dire par. — 464 — qui ils avaient été guéris. Ils lui répondirent : « Sei neur, il y a si longtemps que nous espérions en vous, que nous soupirions après vou§, et nous n'avions per- sonne pour vous informer de notre misère et vous amener auprès de nous. Et vous, Seigneur, vous pa- raissez si subitement, si inopinément au milieu de nous ! comment pourrions-nous taire notre joie et vos miracles ! » Alors il leur défendit de nouveau de par- ler de leur guérison avant qu'ils se fussent montrés aux prêtres, et que ceux-ci eussent déclaré qu'ils étaient purifiés. Puis il leur ordonnai d'offrir Is don prescrit par Moïse. Après s'être de nouveau agenouil- lés devant le Seigneur, ils se retirèrent dans leurs cel- lules. Jésus continua sa route vers le Jourdain avec ses dis- ciples. Le pays qu'ils traversèrent était délicieux : des groupes d'arbres et des avenues s'apercevaient de ton« tes parts. Le Sauveur et les siens s'arrêtèrent dans un endroit écarté, pour se reposer et pour prendre un lé- ger repas ; là encore Jésus les instruisit, comme il fit souvent pendant ce voyage ; c'était presque toujours sous la forme de paraboles, qui avaient pour sujets différents états et professions ; il tirait aussi des com- paraisons des arbres, des plantes, des pierres et de tous les objets qui s'offraient sur leur passage. Les disciples interrogèrent Jésus sur plusieurs choses dont ils avaient été témoins à Séphoris et à Nazareth. Au sujet de la contestation qu'il avait eue avec les phari- siens à roccasion du divorce, il blâma de nouveau ces derniers avec force, disant que Moïse n'avait permis la répudiation que parce qu'il avait à faire à un peu- ple grossier et pécheur. Les disciples rappelèrent au Seigneur le reproche que les habitants de Nazareth lui avaient fait de ne pas aimer son prochain, parce qu'il avait refusé de faire des miracles dans sa ville natale, qui pourtant devait lui être plus chère que toute autre ville : ils lui — 465 — demandèrent donc si l'on n'était pas obligé de regar- der ses compatriotes comme son prochain. Alors le Seigneur les instruisit longuement en paraboles sur l'amour du prochain ; tantôt il leur posait des ques- tions, tantôt il indiquait dans le lointain les lieux où l'on exerçnit particulièrement les professions dont il tirait ses comparaisons. Ensuite il dit que celui qui voulait le suivre devait quitter son père et sa mère, et cependant observer le quatrième commandement ; que Ton devait traiter sa ville natale comme il avait traité Nazareth, si elle le méritait, et toutefois remplir les devoirs de l'amour du prochain ; que le prochain était de préférence le Père céleste et Celui qu'il avait en- voyé. Enfin il parla de ce que le monde comprend par l'amour du prochain : « Ainsi, ajouta-t-il, les publi- cains de Galaad, les habitants de la ville vers laquelle nous nous dirigeons, aiment particulièrement ceux qui leur paient exactement la taxe ; )> puis montrant Da- malnutha, ville située à leur gauche : « Les habitants de ce lieu, dit-il, aiment comme leur prochain ceux qui leur achètent beaucoup de tentes et de tapis, tan- dis qu'ils laissent leurs pauvres sans abri et dans le plus pressant besoin. » Il tira du métier de cordonnier une comparaison qu'il appliqua à la vaine gloire des habitants de Na- zareth, et dit entre autres choses : « Je ne me soucie point des hommages des hommes qui, comme les san- dales bariolées que l'on voit exposées dans les maga- sins des cordonniers, ne brillent pendant quelque temps d'un éclat magnifique, que pour être bientôt plongées ■dans la boue. » Il parla aussi en paraboles des pê- cheurs, des architectes et de toutes les autres profes- sions. Jésus défendit de nouveau à ses disciples de parler des lépreux qu'il avait guéris, et de s'exposer, en attl^ rant l'attention sur eux, à la haine et à la persécution des habitant? de Nazareth. Il leur dit ensuite qu'il al- — 466 — ïaît à Capljarnaüm., C'était là, dit lu S-uvauT!, fm'ils- apprendraient ce qu€ c'est que Tamour du prochain, et la reconnaissance des hojmnaes : car ils allaient voir une réception bien différente de celle qui lui avait été faite lorsqu'il avait guéri ie fils du centurion. Les dis ;iples lui dirent ensuite qu'il existait dans 1^ voisinage, à Argob, un prophète nommé Agabus, qui avait eu plusieurs visions concernant sa vie, et qui ve- nait rrécemment de prédire plusieurs choses touchant sa personne. Jésus dit que cet homme (qui devint plus tard son disciple) était Je fils de parents hérodieng ; qu'ils l'avaient initié aux mystères de cette secte, maia qu'il s'en était séparé. A cette occasion, le Seigneur compara les sectes à des sépulcres dont les dehors pa- raiss-ent beaux aux yeux des hommes, et qui sont au dedans pleins de pourriture. La secte des hérodîens comptait beaucoup de par- tisans à l'est du Jourdain, dans la Pérée, la Tracho- nitide et l'Iturée : ils formaient une société secrète dont les membres s'assistaient les uns les autres, et proté- geaient les pauvres qui s'associaient avec eux. Ils avaient l'air pharisaïque, entretenaient des intelHgen ces avec Hérode, et travaillaient à affranchir les Juifs de la domination romaine» Leur société ressemblait à. celle des francs-maçons d'aujourd'hui. La manière dont le Seigneur parlait d'eux me fit comprendre que, malgré leur air de sainteté et de générosité, ce n'étaient que des hypocrites. Sur leur route, ils rencontrèrent des caravanes mon- tées sur des mules, qui amenaient des boeufs à mufles épais et à grandes cornes. C'étaiejjt des commerçants païens qui se rendaient de la Syrie en Egypte, et qui s'embarquaient sur le lac dans les environs de Gérasa, ou passaient sur un po.nt élevé plus loin sur le^ Jour- ^i^-in. Beaucoup de personnes s'étalent jointes à eux, «"uiement pour entendre îe prophète ; plusieurs ren- i>c-atrèrent Jésus, et lui demandèrent si le prophète se — 467 — trouvait maintenant à Capharnaüm. Il leur répondît^ que le prophète n'était pas là, mais que, s'ils voulaient, l'entendre prêcher, ils devaient se r-endre sur la pente de la montagne, qui s'élevait près de Gérasa du côté. du nord. Son aspect et ses paroles firent une telle im- pression sur eux, qu'ils lui dirent : « Seigneur, vouSr êtes aussi un prophète. » Ils pensaient même qu'il pou-, vait bien êtr-e celui qu'ils cherchaient Les caravanes païennes avaient dressé leurs tentes sur la versant méridional de la montagne ; plusieurs- habitants de Gérasa, les uns païens, les autres juifs,, s'étaient aussi rassemblés; mais ces derniers se te- naient à l'écart. Le Seigneur se rendit en ce lieu, et, tout en gravissant la montagne, il s'arrêtait çà et \è^ auprès des groupes de voyageurs ; ils les instruisait en leur posant diverses questions dont il donnait lui«., même la réponse. Ainsi il leur demanda : a D'où ête»-- vous? Quel est le but de votre voyage? Qu'aflendez- vous du prophète ? » Il leur exposa ce qu'ils avaient à faire pour participer au salut. « Heureux, disait-il,, ceux qui font un long et pénible voyage pour chercher le salut ! Mais malheur à ceux qui ne le reçoivent pas- quan"3 il se présente au milieu d'eux ! » Il leur expli-^ qua les prophéties touchant le Messie et la vocatior^ des païens, et leur raconta la visite des rois mages.. Enfin il leur parla en paraboles. Le Seigneur ne fit pas. de guérisons en cet endroit. Ces gens étaient pour la. plupart des hommes de bien ; il y en avait cependcint, plusieurs qui regrettaient d'avoir entrepris :e long che- min : ils s'étaient attendus à être plus émerveillés à. l'aspect du prophète. Vers midi, Jésus, accompagné de ses quatre discl^^ pies, se rendit chez un pharisien docteur de la loi qui. habitait en deçà de la ville. Ce docteur avait invité le Sauveur à manger chez lui, mais il était trop orgueil- leux pour assister à des instructions faites aux païens.. Plusieurs pharisiens de la ville étaient aussi présenta»^ — 468 — Tous accueillirent Jésus avec bienveillance, mais cette bienveillance n'était qu'apparente ; Jésus trouva l'oc- casion, pendant le repas, de leur dire vertement leurs vérités. Un esclave apporta, sur un beau plat de di- verses couleurs nuancées avec art, des pâtisseries as- saisonnées d'épices d'un grand prix, et représentant des oiseaux, des fleurs, etc. Ce plat n'étant pas d'une propreté irréprochable, un des conviés repoussa très' durement le pauvre esclave en l'injuriant. Alors Jésus dit : a Ce n'est pas le plat, c'est ce qui est dedans qui est plein de souillures. » Le maître du logis répondit: « Vous vous trompez, la pâtisserie est bonne et pré- cieuse. » Jésus reprit à peu près en ces termes : « Non, c'est une nourriture voluptueuse, toute souillée de la sueur, du sang et des larmes des veuves, des orphelins et des pauvres. » Ensuite il réprimanda sévèrement t-ous ceux qui étaient présents de leurs cabales, de kurs prodigalités, de leur avidité et de leur hypocri- sie. Ils furent excessivement irrités ; mais, ne sachant que répondre, ils quittèrent tous la maison, à l'excep- tion du maître, qui continua à parler à Jésus avec une déférence hypocrite ; son désir était de le faire parler afin de pouvoir le trouver en défaut, et de l'accuser ensuite devant les pharisiens réunis à Capharnaüm. Pendant ce voyage, la sainte Vierge avait envoyé un messager à Jésus, je ne saurais plus dire en quel en- droit, pour le prier de venir délivrer une veuve d'un démon muet : elle se nommait Marie, et c'était Marthe qui la lui avait amenée à Capharnaüm. Cette femme avait mené une vie scandaleuse, et avait même empoisonné un de ses amants; mais ce forfait était resté inconnu dans le pays. Ce qu'elle ouït dire de la miséricorde du Seigneur Jésus envers les pé- cheurs fit une profonde impression sur elle : dès ce moment, son unique désir fut de faire pénitence et d'obtenir ia rémission de ses péchés. Elle se rendit chez Marthe à Cana. 'i!! r^voua tous ses crimes, et la pria -- 4G9 — 'd'intercéder pour elk auprès de la mère de Jésus. Elle« apportait une partie de sa fortune en argent conap- tant, et disait qu'elle voulait encore donner tout le reste. Les saintes fenames, se rappelant ce que le Sei- gneur leur avait dit à Béthanie de la perle perdue, raccueillirent avec bonté, et la conduisirent à Caphar- naüm. Il fallait veiller sur elle, car elle était possédée d'un démon muet qui la jetait souvent dans le feu ou dans l'eau, et, étant muette, elle ne po.uvait pas crier au secours. Lorsqu'elle revenait à elle, elle se cachait dans un coin et fondait ^n larmes. Elle était la petite- fille d'une sœur de sainte Anne, et son père était allié à la mère de Lazare. Marthe l'avait présentée à la très sainte Vierge, la priant d'intercéder pour elle : Marie jeta un regard sévère sur cette malheureuse ; elle la laissa assez long- temps seule à distance. Alors le repentir de la péche- resse devint plus cuisant, et, versant un torrent de larmes, elle s'écria : « O mère du Prophète, priez votre Fils pour moi, afin que Dieu me pardonne mes pé- chés. » La sainte Vierge, touchée de son repentir, en- voya un message à son Fils, qui répondit quie la ma- lade était déjà délivrée, et que, pour lui, il viendrait quand il en serait temps. A l'instant même où il dit qu'elle était guérie, je la vis jromber à t^erre comme morte, et les femmes la mirent au lit : elle reprit bien- tôt connaissance et se sentit délivrée. Le Seigneur l'avait guérie de loin,, comme le fils de l'officier de Ca- pharnaüm. Marthe retourna avec elle à Béthanie, avant l'arrivée de Jésus. Marthe la fit entrer dans une maison où demeuraient des femntes qui confection- naient des vêtements pour les pauvres et pour les dis- ciples. Là elle consacra sa vie à la pénito^nce et au travail, après avoir donné tous ses biens à l'Eglise fu- ture. 470 — CHAPITRE XXV Jésus épié par les pharisiens. — Prédication et innombrables guérisons à Capharnaüm. Après le repas chez le pharisien, Jésus enseigna en- core lé soir, à la lueur des flambeaux, les païens cam- pés sur la montagne. Puis, les ayant quittés, il traversa le lac en barque avec ses disciples, et se rendit dans la maison de Pierre, où se trouvaient déjà Marie et les saintes femmes. Pendant le l'Elias, on parla beaucoup de quinze pharisiens que les principales écoles de Judée et de Jérusalem avaient envoyés à Capharnaüm pour espionner Jésus. Les villes les plus importantes en avaient envoyé deux ; parmi ces délégués se trouvait, en qualité de scribe, le jeune homme de Nazareth qui avait en vain demandé à plusieurs reprises son admis- sion au nombre des disciples de Jésus. Il venait de se marier : le Seigneur dit de lui à ses disciples : « Il vou- lait être mon disciple, et voilà quïl vient pour m'épier : voyez quel homme vous m.'aviez recommandé ! » Ce jeune homme, qui n'avait voulu suivre Jésus que par vanité, devint son ennemi déclaré dès qu'il fut con- vaincu que jamais Jésus ne l'accueillerait. Les pha- risiens députés des diverses villes de la Judée s'étaient déjà rassemblés une fois, et avaient mandé l'officier Zorobabel et plusieurs autres personnes, pour les in- terroger touchant les enseignements et les cures mira- culeuses du Sauveur. Ils ne pouvaient nier ses guéri- sons ni désapprouver sa doctrine ; mais, quoi qu'il fît, ils étaient toujours mécontents. Ils éprouvaient du dé- pit de ce qu'il ne voulait pas étudier chez eux, de ce qu'il se rendait accessible à des gens du commun, Essé- niens, publicains et pécheurs, de ce qu'il n'avait pas • — 471 — '-!3 îTiiision da Jérusalem, de ce qu'il n'avait point re- «cours à leurs lumières, de ce qu'il n'était ni pharisien,, .ni saducéen, de ce qu'il avait enseigné chez les Samari-j tains et avait guéri le jour du sabbat ; enfin et par- idessus tout de ce qu'ils ne pouvaient pas approuver c€ qu'ir faisait sans se condamner eux-mêmes. Les amis '«t les parents du Seigneur souhaitaient qu'il n'ensei- .gnât pas à Capharnaüm 1<3 jour du sabbat. Pleine d'in- Alors Jésus leur montra un étang voisin auprès duquel de jeun-es bergers faisaient paître des agneaux et d'autres têtes de menu bétail, et leur dit : « Voyez ces petits bergers si faibles et ces agneaux si frêles. Si l'un de ces derniers s'enfonçait dans le marais, tous les autres ne se rassembleraient-ils pas autour de lui en poussant des cris plaintifs? et si les jeunes bergers étaient trop faibles pour le sauver, et que le fils du maître de ces agneaux vînt à passer le jour du sabbat?, envoyé pour les garder et les paître, n'aurait-il pas pitié de son agneau, et ne le retirerait-il pas du bour- bier? » Alors tous levèrent les mains, comme font les enfants au catéchisme, et s'écrièrent : « Oui, oui, il le ferait ! » Jésus continua : « Et si ce n'était pas un agneau, si c'étaient les enfants déchus du Père céleste, si c'étaient vos frères, si c'était vous-mêmes ! Le fils du Père cé- leste ne devrait-il pas vous secourir le jour du sab- i>at ? » Alors tous s'écrièrent de nouveau : « Oui, oui I »- — 485 -^ El Jésus, leur montrant les paralytiques qui se tenaiervt à l'écart, leur dit : « Voyez vos frères malades 1 Ne dois-je pas les secourir, s'ils implorent mon assistance le jour du sabbat? Ne doivent-ils pas recevoir le par- don de leurs péchés, s'ils se repentent le jour du sab- bat, si ce jour-là ils confessent leurs fautes et crient vers le Père céleste ? » Et tous, levant les mains, s'écrie- rent de nouveau : « Oui ! oui ! ». Alors Jésus fit signe aux paralytiques, qui se traînè- rent péniblement au milieu de l'assemblée. A.pris avoir parlé de la nécessité de la foi et fait une prière, il dit : (( Etendez vos bras. » Ils étendirent vers lui leurs bras malades, sur lesquels il passa la main : puis il souffla sur leurs mains : à l'instant, ils se sentirent guéris et purent faire usage de leurs membres. Jésus l'âur ordonna encore de se purifier par un bain, et les exhorta à s'abstenir de certaines boissons. Ils se je- tèrent à ses pieds, lui rendant des actions de grâces, et toute la société le combla d'éloges et de louanges. Comme il se préparait à partir, ils le prièrent de res- ter encore quelque temps avec eux : plusieurs étaient très émus ; et tous en général étaient bien disposés et pleins d'affection pour le Seigneur. Jésus leur répondit qu'il devait continuer sa route afin d'accomplir sa mis- sioii. Ils l'accompagnèrent pendant une partie du che- min, puis les ayant bénis, il se dirigea vers Jotapat suivi de ses disciples. CHAPITRE XXVIII Jésus en face des hérodiens. — Jean-Baptiste en face d'Hérode. Les disciples, étant entrés dans la ville avant Jésus, se rendirent chez le chef de la synagogue pour en de- mander la clef, disant que leur maître voulait y eur — 486 - ^leîgner. Bientôt une foule nombreuse se rassembla ; les scribes et les hérodiens étaient pleins d'espoir de surprendre le Sauveur dans ses paroles. Lorsqu'il fut tntré dans la synagogue, ils lui firent des interroga- tions sur l'approch-e du royaume des cieux, sur la sup- putation et Tachè^'ement des semaines de Daniel et sur l'avènement du Messie. Jesu? fit sur ce sujet une lon- gue instruction, et kur démontra que les temps dési- gnés par les prophètes étaien-. accomplis. Il parla aussi de Jean et de ses prédictions. Alors ils lui dirent d'un ton hypocribe « qu'il devait user de plus de ré- serve dans son enseignement et éviter de blesser les usages juifs; que l'emprisonnement de Jean devait lui servir d'avertissement ; que ce qu'il leur avait dit de l'achèvement des semaines de Daniel et de l'avènement du Messie, roi des Juifs, était parfaitement vrai ; qu'ils partageaient là-dessus son opinion, mais que malheu- reusement, de quelque côté qu'ils tournassent les yeux, ils ne pouvaient trouver le Messie nulle part. » Jésus avait d'une manière générale donné à entendre que les prophéties le désignaient, et ils l'avaient très bien compris ; mais ils firent semblant de ne pas l'avoir remarqué, et de ne pas s'imaginer que cela pût entrer dans Tesprit de personne : ils désiraient qu'il s'expri- mât clairement pour pouvoir l'accuser. Alors Jésus leur dit : « Pourquoi faites-vous les hypocrites '^ Pourquoi vous détournez-vous de moi et me méprisez-vous? Vous m'épiez et vous voulez tramer un nouveau com- plot avec les saducéens, semblable à celui de Jérusa- lem, le jour de Pâques. Pourquoi me conseillez-vous de me souvenir de Jean et de me garder d'Hérode ? » Puis il se mit à parler ouvertement devant eux de tous les crimes du vieil Hérode, de tous ses meurtres, de la terreur que lui avait inspirée le roi des Juifs nouvel- lement né, de son horrible massacre d'enfants et de sa mort effrayante, puis des crimes de ses successeurs, de l'adultère d'Hérode Antipas et de remprisonneraent da, — 487 — Jean. Il parla ensuite de la secte hypocrite des hérO' diens, qui s'entendait secrètement avec les saducéens, et fit une description du Messie et du royaume de Dieu qu'ils attendaient. Il montra aussi dans ^ lointain différentes contrées et dit : « Ils ne pourront rien con- tre moi jusqu'à ce que ma mission soit accomplie. Je parcourrai encore deux fois la Samarie, la Judée et la Oaîilée ; j'ai fait de grands miracles devant vous, et vong en verrez -de plus grands encore, mais vous reste- re3 ^veugl-es. »» Il parla ensuite des jugements de Dieu, des prophètes qu'on avait mis à mort, et de la puni- tion de Jérusalem. Les hérodie/is formaient une so- ciété secrète qui redoutait beatxcoup la publicité ; aussi devinr^:nt-ils tout pâles lorsqu'il révéla les secrets do leur secle et parla devant le peuple des crimes d'He- rode. Ils gardèrent le silence et qul'ter^nt la synago- gue les uns après les autres ; les saducéens firent dd même. Il ne se trouvait point là de pharisiens. Après leur départ, il continua encore quelque temps à enseigner le peuple. Beaucoup des assistants étaient profondément touchés, et disaient qu'ils n'avaient ja- mais entendu personne patrler comme lui, et qu'il prê- chait mieux que leurs maîtres. Ils s'amendèrent et le suivirent plus tard. Mais une grande partie du peuple se mit, à l'instigation des saducéens et des hérodiens, à murmurer et à faire du bruit. Alors Jésus quitta la ville avec les sept disciples, et traversant la vallée du côté du midi, il arriva à deux lieues de là, entre Bé- thulie et Gennabris, dans un champ où l'on faisait la moisson. Là il fit une instruction aux moissonneurs, aux Heurs et aux glaneurs. Il se promena pnrmi eux, et parla du semeur et de la semence tombée sur un terrain pierreux : le sol se trouvait pierreux en cet endroit, n dit qu« lui aussi était venu pour recueillir les bons épis, et il raconta la parabole de l'ivraie qui droit croître jusqu'à la moisson, qu'il compara au — 438 — royaume de Dieu. Il les enseigna en allant d'un champ à l'autre, pendant qu'ils se reposaient. Le soir, après la moisson, il fit une longue instruc- tion devant tous les ouvriers. Il compara leur vie pai- sible et bénie du Ciel à un ruisseau qui coulait à tra- vers ces champs, et parla des eaux de la grâce qui passent devant nous et qu'il faut conduire dans le champ de notre cœur. Le jour suivant, Jésus entra dans une métairie où il enseigna. Je fus étonnée de ce qui s'y passa : le maî- tre de la maison lui exposa ses griefs contre un voisin qui depuis longtemps empiétait sur son terrain et vio- lait ses droits. Jésus avec lui alla visiter le champ et s& fit rendre compte de ce que l'autre avait usurpé ; c'était réellement un lot de terre assez considérable. « Mais, reprit le Sauveur, vous reste-t-il ass«z de biens pour vivre vous et votre famille? — Sans doute, répondit le plaignant. — En ce cas, lui dit le Sauveur, vous n'avez pas fait de perte ré-elle, car l'homme n'a rien en propre, et il doit se trouver satisfait quand sa sub- sistance est assurée. Contentez donc l'avidité de votre voisin en lui donnant plus même qu'il ne demande : tout ce que vous abandonnerez de bon gré pour vivre en paix vous le retrouverez dans le royaume des cieux. Cet homme agit sagement à sa manière ; son royaume est ici-bas, aussi chsrche-t-il à augmenter ses biens terrestres, sans aspirer à aucun bien dans le royaume des cieux. Il est bon d'apprendre de cet homme com- ment on doit chercher à se procurer des biens dans le royaume de Dieu. » Jésus conclut par une comparaison tirée d'un fleuve qui emporte la terre de l'une à l'autre de ses rives. Dans cette instruction, comme dans la parabole de l'économe infidèle, le Seigneur déclara que ceux qui déploient de l'adresse à s'enrichir et à satisfaire leur cupidité peuvent servir d'exemple à ceux qui veulent acquérir les biens spirituels. Il opposait la richesse — 489 — terrestre à la richesse céleste. Cet enseignement nous paraît obscur ; mais les Juifs le comprenaient bien ; il était conforme à leurs idées, à leur religion et à leur caractère : il fallait leur parler en figures sensibles. I Comme le puits de Joseph se trouvait dans oe thamp, Jésus raconta la contestation qui, d'après l'An- cien Testament, avait eu lieu entre Loth et Abraham, et dans laquelle celui-ci céda à son neveu plus qu'il ne demandait. Jésus, développant ce sujet, demanda ca qu'étaient devenus les enfants de Loth, et si Abraham n'avait pas recouvré toute la contrée. Il en tira cette conséquence que nous devrions agir comme Abraham, car c'était à lui que la promesse avait été faite ; c'était lui qui était rentré en possession de la terre promise. Cette terre était une figure du royaume de Dieu, et la contestation entre Loth et Abraham une figure de toute contestation terrestre : il fallait donc faire comme Abra- ham pour posséder le royaume de Dieu. L'hôte de Jésus suivit ces exhortations : il ne porta plus de plainte contre son adversaire, donna ses biens à l'Eglise future, et s€S fils devinrent disciples de Jésus. Il y avait dans les cabanes dispersées aux environs du lieu où était le Seigneur un grand nombre de pa- ralytiques dont la maladie était une suite d'excès de travail. Jésus visita ces braves gens, et les guérit tous ; il leur dit de reprendre leurs habitudes laborieuses, et d'assister à son instruction. Ils le firent en chantant des cantiques d'actions de grâces. Jésus envoya de cet endroit quelques bergers à Machérunte pour engager les disciples de Jean à cal- mer le peuple et à l'éloigner, parce que les manifes- tations auxquelles il se livrait pouvaient amener pour teur maître un emprisonnement plus dur, ou même la mort. Hérode était en ce moment à Machérunte avec sa {emme, et il fit comparaître Jean-Baptiste devant lir ians une grande salle voisine de la prison, où il éta^t — 490 — sur un trône, entouré de ses gardes, de fonctionnaires^ de scribes et de saducéens de la secte des hérodiens. On amena Jean par un corridor dans la salle. On le fit rester debout au milieu des gardes, devant la grande porte ouverte. Je vis la femme d'Hérode entrer dans la salle, passer devant Jean d'un air dédaigneux et in- convenant et s'asseoir sur un siège élevé. Hérode pria Jean de lui dire franchement ce qu'était ce Jésus qui faisait tant de bruit en Galilée, »'il venait prendre sa place et ce qu'il en pensait. L'impie Hérode n'ignorait pas sans doute que Jean avait auparavant parlé du Sauveur, quoiqu'il n'eût pas prêté grande at- tention à ses paroles. Maintenant il tenait à savoir ce qu'il en pensait, « car, dit-il, il tient des discours si étranges, il parle tant d'un royaume qu'il veut fonder, il s'appelle si fréquemment dans ses paraboles fils de roi, lui, le fils d'un pauvre charpentier, que je désire être éclairé sur lui ». Jean rendit alors témoignage de Jésus à haute voix, comme s'il eût parlé devant le peuple assemblé ; il dit qu'il lui avait préparé la voie, mais qu'il n'était rien auprès de lui ; que jamais homme, jamais prophète n'avait été ni ne serait ce qu'était Jésus ; qu'il était le Fils du Père céleste, le Christ, le Roi des rois, le Sauveur, le Rédempteur du royaume ; qu'aucun pouvoir n'était au-dessus du sien, qu'il était l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, etc. Il se nomma son précurseur et le moindre de ses serviteurs. Il dit tout cela avec un si grand enthousiasme, et il y avait dans sa personne quelque chose de tellement surnaturel, qu'Hérode fut saisi de frayeur et se boucha les oreilles. Enfin il dit à Jean : « Tu sais que j'ai de la oienveilance pour toi, mais tu soulèves le peuple contre Jioi en réprouvant mon mariage. Si tu veux modérer on zèle déplacé et reconnaître publiquement la légalité le mon union, je te rendrai la liberté et je ne t'empê- cherai ni d'enseigner ni de baptiser ». A ces mots, Jean ileva de nouveau la voix contre Hérode, blâma sévè- — 491 — rement sa conduite, et dit : « Je connais tes sentiment», je sais que tu n'ignores pas où est la justice, et que tu redoutes le jugement qui te menac« ; mais tu traînes après toi toutes sortes de liens, et tu restes enchaitié par l'impudicité ». A ces mots une colère, ou plutôt uae rage inexprimabl^e s'empara d6 la femme d'Hérode, et lui-même fut si effrayé, qu'il ordonna d'emmener Jean en toute hâte. Il le fit conduire dans une autre prison où il ne pouvait pas parler au peuple, parce qu'il n'y avait pas de fenêtre sur le dehors. Hérode avait interrogé le Précurseur, à cause des soucis que lui avaient causés le tumulte des néophytes et les rapports faits par les hérodiens touchant .les mira- cles de Jésus. Il prit enfin la résolution de lui envoyei* huit de ses hérodiens pour lui insinuer adroitement qu'il eût à se contenter d'enseigner et de faire ses miracles dans la haute Galilée, s'abstenant d'entrer sur le terri- toire d'Hérode soit en Galilée, soit plus bas près du Jourdain. Ils devraient lui rappeler ce qui était arrivé à Jean, et le prévenir qu'Hérode pouvait se voir obligé de le faire emprisonner comme lui. Ces messagers parti- rent aussitôt pour la Galilée. On parlait beaucoup alors dans tout le pays de quel- ques adultères que les hérodiens de la Galilée avaient livrés au magistrat, et qui avaient été exécutés à Jéru- salem. On disait que le gibet n'était que pour les mal- heureux, tandis qu'on laissait échapper les grands cri- minels ; que ces accusateuirs étaient dévoués à Hérode l'adultère, et que celui-ci avait mis Jean, en prison parce qu'il l'avait accusé de ce crime. Ces propos mettaient le comble au mécontentement du roi. Cependant Jésus arriva à Gennabris au moment oft commençait le sabbat ; il alla directement à la synago- gue. Cette ville était située sur le penchant d'une mon- tagne au pied de laquelle se trouvaient des jardins, des bains et des lieux de plaisance. Un grand nombre de pharisiens, de saducéens et surtout d'hérodiens, s'y — 492 — étaient rassemblés pour ce sabbat. Ils s'étalent concertés pour surprendre le Sauveur dans ses paroles par des questions captieuses. Ils se disaient entre eux que ce se- rait moins difficile chez eux que dans les petites villes, où il parlait avec plus d'audace ; ils se réjouissaient d'avance du succès qu'ils se promettaient. Ils prirent donc des mesures pour qu'à l'arrivée de Jésus la foule se tînt tranquille et ne fît aucun bruit. Il entra donc paisiblement dans la ville, et les dis- ciples lui lavèrent les pieds à l'entrée de la synagogue. Les scribes et le peuple y étaient déjà rassemblés. On' l'accueillit aveaune déférence hypocrite, mais sans gran- des démonstrations. On le laissa faire la lecture sacrée et l'interpréter. Il choisit dans les chapitres uv, lv, lvi d'Isaïe plusieurs passages, qu'il expliqua successive- ment. Il y était dit que Dieu rétablirait son Eglise, qu'il la construirait magnifiquement, que tous devaient venir boire de son eau, et que ceux qui n'avaient pas d'argent pourraient manger de son pain. Ils s'efforçaient de se rassasier dans la synagogue, où il n'y. avait plus de pain; mais c'était la parole de sa bouche, c'est-à-dire le Messie, qui devait accomplir son œuvre. Dans Is royaume de Dieu, dans l'Eglise, les^ étrangers, les païens, devaient aussi travailler et porter des fruits s'ils avaient la foi. Il donna aux païens le nom de mutilés, parce qu'ils n'avaient point participé à engendrer le Messie, Il rapporta la plus grande partie de ce qu'il disait à son royaume, à l'Eglise et au paradis. Il com- para aussi les scribes de son temps aux chiens muets, qui, au lieu de faire bonne garde, s'engraissent et se complaisent dans la gloutonnerie : il fit par là particu- lièrement allusion aux hérodiens et aux saducéens, qui guettaient, et sans aboyer se jetaient sur les hommes et sur le berger lui-même. Son discours fut d'une sévérité et d'une force extraordinaires. A la fin, un hérodien s'approcha de lui avec une feinte soumission, et lui demanda de vouloir bien leur — 493 — faire connaître quel serait le nombre de ceux qui entre- raient dans son royaume. Ils espéraient le surprendre par cette question captieuse, parce que, dans leur pro- pre opinion, tous les circoncis et eux seuls devaient y avoir part, et qu'ils pensaient bien que Jésus voulait non seulement y admettre des païens, des mutilés, mais encore en exclure beaucoup de Juifs. Le Sauveur n'a- borda pas directement la question, mais il la toucha de difféi'entes manières, et arriva enfin à un point qui la rendait tout à fait inutile. Ainsi il demanda combien d'Hébreux, après avoir traversé le désert, étaient entrés dans la terre de Chanaan ? Avaient-ils tous passé le Jourdain ? Combien d'entre eux avaient en réalité pris possession de la contrée? L'avaient-ils Jamais conquise tout entière ? Ne devaient-ils pas, de leur temps encore, la partager avec les païens? N'en avaient-ils jamais été chassés ? Il dit ensuite que personne n'entrerait dans son royaume que par la voie étroite et par la porte de l'épouse : il me fut montré que cette porte était Marie et l'Eglise, dans laquelle nous sommes régénérés par le baptême et de laquelle est né l'époux, afin qu'il nous engendre en elle, et par elle en Dieu ; mais il n'est pas possible d'exprimer clairement ces choses. Il opposa à l'entrée par la porte de l'épouse l'entrée par la porte dérobée. Cette comparaison ressemblait à celle de la parabole du bon Pasteur (Jean, x, 1). Les paroles de Jésus sur la croix avant sa mort, lorsqu'il nomma Marie mère de Jean et qu'il lui donna pour fils ce disciple bien-aimé, ont un sens mystérieux qui se rapporte à la régénération de l'homme dans 1 Eglise et en Marie par la mort de Jésus. Les ennemis de Jésus ne purent avoir prise sur lui ce même soir ; ils avaient du reste résolu de l'attaquer particulièrement à la clôture du sabbat. 11 était vrai- ment ridicule de les entendre se vanter entre eux de pouvoir facilement le surprendre dans sa doctrine, mais lorsqu'il était là, ils ne savaient plus rien dire : ils en — 494 — étaient euix-mêmes étonaés ; et parfois, malgré leur haine, ils étaient contraints de confesser qu'il avait raison. Le matin, Jésus enseigna de nouveau dans la syna- gogue ; ils ne le contredirent guère, car ils voulaient Temettre leur attaque à l'enseignement du soir. Ils avaient tellement intimidé les malades de la ville, que •ceux-ci n'osaient pas implorer son secours. Jésus parla à ceux qui l'espionnaient dans la syna- gogue de l'ambassade qu'Hérode lui envoyait, et que i'ai vue partir de Machérunte. Il leur dit que, quand <;ette ambassade arriverait, ils pourraient engager les renards qui la composaient à faire savoir au renard Hérode qu'il n'eût pas à s'inquiéter de lui. « Il ne tient qu'à lui, dit-il, de poursuivre son ouvrage et d'en finir avec Jean ; pour moi, sans qu'il m'arrête, j'enseignerai en tput pays où m'appellera ma mission, et même à Jérusalem quand il sera nécessaire ; j'achèverai mon ceuvre dont je dois rendre compte à mon Père céleste )> Ces paroles du Sauveur irritèrent et scandalisèrent ceux à qui elles s'adressaient. CHAPITRE XXIX Jésus réfute l'objection qui lui est faite de guérir le jour du sabbat. — Sa bonté envers les malades et les pauvres. Sur ces entrefaites, une douzaine de pauvres journa- liers que l'excès du travail avait rendu très malades, ayant entendu parler des guérisons opérées par Jésus sur de pauvres ouvriers comme eux, avaient conçu l'espérance d'obtenir la même faveur. Ils s'étaient donc traînés jusqu'à la ville pour recourir à lui, et se tenaient rangés devant la synagogue. Le Sauveur, en passant i — 405 — devant eux, ks consola et les exhorta à îa patience. Les scribes qui le suivaient de près se courroucèrent de ce que dts étrangers ne craignaient pas de deman- der l'assistance de Jésus, quand ils avaient réussi jus- qu'alors à éloigner les malades de la ville. Ils parlèrent rudement à ces malheureux ; toutefois, feignant une in- tention pieuse : « Ils ne devaienc pas, leur disaient-ils, faire du bruit et causer du trouble, mais s'éloign^er sans délai. Jésus avait des affaires importantes à trai- ter, il n'avait pas le loisir pour le moment de s'occuper de malades ». Comme ces malheureux ne se retiraient pas assez vite, ils les firent chasser. Jésus, dans la synagogue, parla du sabbat et de sa sanctification ; le chapitre d'Isaïe qui devait être lu ce jour-là exhortait à observer ce précepte. Après avoir enseigné sur ce sujet, il montra du doigt le fossé pro- fond de la ville au bord duquel leurs ânes paissaient, et leur demanda ce qu'ils croiraient devoir faire si un de ces ânes tombait dans le fossé le jour du sabbat : leur serait-il permis de l'en retirer pour l'empêcher de périr? Ils gardèrent le silence. Comment agiraient-ils pour un homme en semblable circonstance ? Ils se tu- rent. Perm3ttraient-ils qu'on leur fît à eux-mêmes le jour du sabbat quelque chose de salutaire pour leur âme et pour leur corps? Une œuvre de miséricorde était-elle possible le jour du sabbat? Ils ne répondirent pas non plus. Alors Jésus dit : « Puisque vous vous taisez, je dois supposer que vous n'avez rien à répondre. Où sont maintenant les pauvres malades qui imploraient mon secours à l'entrée de la synagogue ? Conduisez-les ici ». Comme ils se refusaient à obéir, Jésus leur dit : « Si vous ne voulez pas me les amener, mes disciples iront eux-mêmes me les chercher ». Alors ils se ravisèrent, et firent venir les malades. Ceux-ci avaient peine à gagner la synagogue ; ils étaient au nombre de douze, les uns paralytiques, les autres horriblement enflés par l'hydropisie. Ces malheureux étaient tout joyeux ; ils. I. \V 5 — 49G — avaient tant souffert quand les scribes les avaient forcé» à s'éloigner de Jésus I Jésus leur ayant ordonné de se ranger, je fus tPè& touchée de voir les moins malades mettre en avant ceux qui l'étaient davantage, afin qu'ils fussent guéris les premiers. Le Sauveur descendit quelques marches et fit approcher ceux du premier rang, qui pour la plupart avaient les bras paralysés. II leva les yeux au ciel et pria sur eux en silence ; puis il passa doucement la main le long de leurs bras, et remua leurs mains; enfin il leur ordonna de se retirer et de rendre grâces à Dieu : ils étaient guéris. Les hydropiques pouvaient à peine marcher. Il leur mit la main sur la tête et sur la poitrine ; alors ils reprirent leurs forces et marchèrent sans peine ; au bout de quelques jours l'enflure disparut complètement. Cependant un grand nombre de personnes, partiel* lièrement des malades et des pauvres, étaient accourus ; ils louèrent Dieu avec ceux que Jésus avait guéris. La foui« était si grande, que les scribes, confus et irrités, furent obligés de faire place et que plusieurs se retirè- rent. Le Sauveur fit à la multitude qui l'entourait ua sermon sur l'approche des cieux, sur la pénitence et sur la conversion. Il parla jusqu'à la clôture du sabbat. Les- scribes ne lui firent ni objections, ni questions cap- tieuses. Il était piquant de voir qu'après s'être tant vantés entre eux ils n'avaient osé ni le contredire, ni même lui répondre. Après l-e sabbat il y eut un grand banquet dans un- lieu public de la ville, à l'occasion de la fin de la mois- son. Jésus et ses disciples y furent invités. Les convive» se composaient de bourgeois distingués, d'étrangers et de quelques riches paysans. On avait donné à Jésus et à ses disciples les places d'honneur. Un pharisien orgueilleux s'étant d'avance placé au haut bout de la table, Jésus lui demanda à l'oreille pourquoi il avait pris cette place. Il répondit que, dans — 497 — leur vllie, on avait la louable cotitume de donner ier premières places aux savants et aux personnes de dis- tinction. Le Sauveur lui dit alors que ceux qui usurpent les premières places sur la terre n'en trouveront Qas dans le royaume de son Père. Cet homme, tout humilié, s'assit plus bas ; mais il feignit d'agir de son propre mouvement, en quittant la place d'honneur qu'il s'étai* assignée. Pendant le repas, Jésus enseigna encore sur le sabbat, prenant pour texte : « Partage ton pain avec l'affamé, et recueille en ta maison l'homme sans ^brî (Isaîe, Lviii, 7) ». Jésus demanda ensuite si à cette fèie, qui avait pour objet de rendre grâces à Dieu de l'abon- dante moisson que l'on avait faite, ce n'était pas te coutume d'inviter les pauvres et de partager avec eux. Il s'étonnait que cette coutume se fût perdue, et de- mandait où étaient les pauvres. Puisqu'on lui avait cédé l'honneur de présider au festin, en le plaçant au haut de la table, il devait, ajouta-t-il, s'enquérir de tous ceux qui avaient droit d'y figurer. Il demanda donc que l'on fît venir les malades qu'il avait guéris et tous les autres pauvres. Comme ceux à qui il s'adressait ne s'empres- saient pas de le satisfaire, ses disciples allèrent convier le pauvres, et ceux-ci ne se firent pas attendre. Jésus et ses disciples leur cédèrent leurs places ; quant aux scribes, iîs se retirèrent les uns après les autres. Alors iB Sauveur, les disciples et quelques gens de bien, ser- virent les nouveaux venus et leur distribuèrent tout ce qui restait du festin. Ils en furent transportés de joie. Enfin Jésus se retira avec les disciples pour prendre du repos. V' CHAPITRE XXX Jésus visite l'école d' Abelmeliola. — Détails remarquables sur l'éducation au temps des patriarches. Jésus fit ensuite, avec les disciples, environ cinq lieues de chemin dans la direction du sud, et arriva ainsi, vers deux heures de l'après-midi, à la petite ville d'Abel- mehola, lieu de naissance du prophète Elisée. Elle était située sur le penchant du mont Hermon, et ses tour& s'élevaient au niveau de la crête de la montagne. Suivant une coutume de la Palestine, Jésus et ses disciples s'assirent sur un banc placé à l'usage des voyageurs à l'entrée de la ville : c'est là que les gens hospitaliers venaient les chercher pour les conduire dans leurs maisons. Bientôt, en effet, un riche paysan, accompagné de ses serviteurs, vint inviter le Sauveur et les siens à se rendre chez lui : ils le suivirent. Le paysan fit préparer immédiatement un festin auquel il invita plusieurs pharisiens liés d'amitié avec lui, et qui arrivèrent bientôt. Il était très prévenant, mais c'était au fond un hypocrite qui voulait tout à la fois tirer vanité d'avoir reçu chez lui le Prophète, en môme temps que le faire interroger pas les pharisiens. Il supposait que cette interrogation pourrait se faire plus parfaite- ment à table, dans l'intimité, que devant tout le peuple à la synagogue. Le repas était à peine préparé, que tous les malades de l'endroit en état de marcher se rassemblèrent devant la maison et dans la cour du paysan, ce qui causa un vrai dépit à ce dernier, ainsi qu'aux pharisiens. Ils voulurent les chasser, mais Jésus dit : « J'ai une autre nourriture dont j'ai faim » ; et, au lieu de se mettre à table, il alla trouver les malades et se mit aies guérir : — 4üy - ( «Mscipîes le suivirent. Je Us aurais blâmés de- U'C . ;>oint Tait. Il y avait là plusieurs possédés 'ju: .lent Jésus à haute voix. Il ks guérit d'un re^; ,. d'un simple commandement. Plusieurs ma- lades avaient les mains paralysées : il leur passa la main sur. les bras, qu'il agita en divers sens. D'autres étaient hydropiques ; il leur mit la main sur la tête et sur la poitrine. Bien en arrière d'eux se tenaient, ap- puyées contre un mur, plusieurs femmes sujettes à des pertes de sang ; elles étaient couvertes de leurs voiles, qu'e'ics soulevaient de temps en temps pour montrer à Jésus leurs figures exténuées, et pour l'implorer d'un reg-u J. timide. A la nn il s'approcha d'elles, les toucha et les guéri L ; et elles s-e prosternèrent devant lui. T_ , gens poussaient des cris de joie et chantaient des c^nviques de louange, pendant que les pharisiens restés à la maison étaient pleins de dépit ; ils en avaient fermé toutes les ouvertures et regardaient de temps en. temps à travers les grilles. Ces guérisons durèrent long- temps, et, lorsqu'ils voulurent retourner chez eux, ils durent traverser la cour au milieu des malades et des guéris, dont la jubilation leur était une cause de tris- tesse. L'affluence du peuple augmenta tellement, que Jésus dut se cacher dans la maison jusqu'à ce qu'elle se fût dissipée. Au déclin du jour, cinq lévites vinrent inviter Jésus^ et ses disciples à loger dans la maison où était l'école qu'ils dirigeaient. Jésus ne les accompagna qu'après avoir remercié le paysan, et lui avoir donné quelques avortissements salutaires dans lesquels il se servit d'une expression qui avait le sens figuré du mot renard. Cet hoaime ne cessa pas de se montrer pré- venant. A la maison d'école, Jésus prit avec ses disciples une réfecti'^n, après laquelle ils se livrèrent au repos. C'était une école de garçons : mais il s'y trouvait aussi une salle- où Ton donnait un enseignement complet aux femmes -^500 — adultes qui désiraient se faire juives. Cett« école, établie déjà du temps de Jacob, avait subsisté sans interrup- tion jusqu'alors. Voici ce que je vis sur son origine, et voici les scènes de l'Ancien Testament qui, à cette occa- sion, se présentèrent à mon esprit. Isaac demeurait non loin d'Hébron, dans le pays des Héthéens où Abraham avait acheté un champ ; il avait de nombreux troupeaux et beaucoup de serviteurs, et il devint aveugle dans sa vieillesse. Esaü et Jacob étaient déjà des hommes faits lorsque ce dernier reçut avant Esaü la bénédiction de son père, c'est-à-dire la trans- mission réelle et sacramentelle d'une bénédiction mysté- rieuse en vertu de laquelle il était assuré que le Messie naîtrait de son sang. Esaü avait épousé des femmes païennes dont il eut plusieurs enfants. Il persécuta Jacob de toutes manières. Rébecca, qui était effrayée de ces persécutions, envoya secrètement Jacob avec des trou- peaux et des serviteurs à Abeîmehola, où il séjourna sous des tentes. Elle y avait institué une école où elle ■faisait instruire dans la religion d'Abraham les ChJlia- îiéennes et autres jeunes filles païennes qui le dési- raient : car elle n'avait vu qu'avec bien de la peine Esaü et ses serviteurs épouser des femmes idolâtres. Les jeunee filles admises dans l'école de la mère d« Jacob habitaient sous des tentés, et étaient formées à tout ce qu'une femme de la race et de la religion d'Abra- ham avait besoin de savoir pour tenir le ménage d'un berger nomade. J'ai retenu à ce sujet les faits suivants : on les instruisait sur la création du monde et sur celle d'Adam et Eve ; sur leur introduction dans le paradis; ■sur la tentation d'Eve ; sur la chute de nos premiers parents qui violèrent l'abstinence que Dieu leur avait imposée. Je compris que toutes les convoitises coupables naquirent, dans iTiomme, du fruit défendu. On ensei- gnait aux jeunes filles que Satan avait promis à nos premier parents une lumière et une science divines, mais que les hommes après le péché s'étaient, ^u con- — 501 — traire, aveuglés ; que leurs yeux étaient devenus comme votiés ; qu'ils avaient perdu la faculté de voir et de com- prendre instinctivement les choses ; que maintenant ils devaient travailler à la sueur de leur front, enfanter dans la douleur, et ne parvenir à la science que lentement et à grand'peine. On leur disait aussi qu'il avait été promis à la femme un fils qui écraserait la tête du ser- pent ; que les descendants de Caïn avaient dégénéré et étaient devenus méchants ; que les descendants de Seth, les enfants de Dieu, séduits par la beauté des filles nées de la race de Caïn, les avaient épousées*, et que de ces unions était née la race impie des géants, puissante dans la magie et les sciences occultes, race qui avait enseigné toutes les inventions de la volupté et la fausse sagesse, enfin tout ce qui éloigne de Dieu et attire au péché, et qui avait tellement perverti et corrompu le genre humain, que Dieu résolut de l'exterminer, à l'ex- ception de Noé et de sa famille. Cette race avait choisi pour demeure principale une chaîne de hautes monta- gnes, cherchant toujours à en atteindre les cimes les plus élevées ; mais, lors du déluge, cette chaîne de monts s'était affaissée pour faire place à une mer. On parlait ensuite aux jeunes filles élevées à Abelmehola du déluge, de Noé, sauvé dans Tarche avec ses fils Sem,. Cham et Japhet ; du péché de Cham et de l'orgueil des hommes qui avaient voulu édifier la tour de Babel. On comparaît la construction et la destruction de cet édi- fice, la confusion des langues, la dispersion des hom- mes, qui devinrent ennemis les uns des autres, au sort de ces méchants géants et magiciens, anciens habitants de la haute montagne, et on leur enseignait que tout cela était la suite d'unions illicites, contraires à la loi de Dieu, contractées uniquement pour satisfaire les con- voitises de la chair : car à la tour de Babel on s'adon- nait aussi à la magie, à l'idolâtrie et à l'impudicité. Par ces enseignements, les jeunes converties étaient mises en garde contre le danger qu'il y avait à épouser des — 5(fö — Idolâtres, à pratiquer la magie, à se livrer aux pînisirs sensuels, en un mot à aimer ce qui éloigne de Dieu : c'était à cause de tous ces péchés que Dieu avait dé-, truit les hommes par le déluge. On leur apprenait à ■craindre Dieu, à être obéissantes et soumises, à remplir fidehment les devoirs de leur vie simple et pastorale. On leur faisait connaître les commandements que Dieu avait donnés à Noé, par exemple celui qui défend de manger de la chair crue. On leur enseignait que Dieu avait choisi Abraham pour en faire" îe père de son péri- ple élu, duquel devait naître le Rédempteur; qu'il avait appelé Abraham de la terre d'Ur pour le séparer des idolâtres ; que Dieu avait envoyé à ce patriarche des hommes éclatants de lumière qui lui avaient donné le mystère de la bénédiction afin que sa postérité fût élevée au-dessus de tous les peuples de la terre. On ne parlait de ce mystère que d'une manière générale et avec une crainte religieuse ; on leur exprimait avec quel respect cette bénédiction devait être conservée, dans la •sainteté du mariage, chez les enfants d'Abraham, parce que d'elle devait provenir le peuple de Dieu et la ré- demption. On leur apprenait aussi que Melchisédech, qu'on leur présentait comme un des hommes lumineux dont il a été fait mention, avait offert du pain et du vin devant Abraham et l'avait ensuite béni lui-même. On leur faisait aussi connaître le jugement de Dieu sur Sodome et Gomorrhe. Les Chananéennes, ainsi élevées et qui épousaient des descendants d'Abraham, étaient instruites sur l'alliance sainte, et sur le signe de l'alliance de Dieu avec Abra- 'ham et sa postérité. Avant les épousailles, on leur im- primait une marque indélébile dans la région du cœur. 11 semblait qu'on leur imprimât ainsi les armoiries d'A- braham, et qu'on les identifiât à leur nouvelle famille. La circoncision, chez les descendants d'Abraham, était le sceau imprimé par Dieu lui-même à ces unions sain- tes, dont le fruit le plus pur devait produire la sainte ^ 503 — humanité du Verbe, par l'opération du Saint Esprit. La tâch« la plus sacrée de la religion était alors de coo- pérer aux desseins miséricordieux de Dieu sur les hom- mes, de former, dans une suite de générations de plus en plus purifiées par le rejet et Télection des couples humains, la race sanctifiée de laquelle naîtraient tous les prophètes, tous les ancêtres de la sainte famille, et enfin la sainte famille elle-m.ême. Ce rejet des méchants et cette élection des bons pour en former une sainte race se continuent encore dans l'alliance de Jésus-Christ avec l'Eglise sa fiancée ; et celui qui entend bien cela comprendra aussi combien les mariages mixtes sont dangereux et contraires aux desseins de Dieu. Toutes ces choses paraissent bien étranges, et cependant elles nous touchent de près, comme la parabole du blé vanné éi amassé dans le grenier, et de la paille brûlée dans le feu. Oh ! combien il est touchant de voir le saint roi Vinceslas choisir lui-même les grains de blé les plus purs, les grappes de raisin les plus exquises, pour offrir à l'autel la matière du trè? saint sacrement ! Dans la matinée, Jésus se rendit avec ses disciples dans l'école des garçons, près de laquelle il avait passé la nuit. On y élevait et instruisait alors les orphelins juifs et les enfants rachetés de l'esclavage. Ils avaient à faire ce jour-là un calcul d'après le livre de Job, et ils ne pouvaient en. venir à bout. Jésus le leur fit compren- dre au moyen de quelques lettres qu'il traça devant eux. Il leur donna aussi plusieurs explications sut ce livre <îe Job, parce que l'authenticité de l'histoire du saint homme avait été révoquée en doute par quelques rab- bins, à la suite des railleries et moqueries des Idu- méens, qui trouvaient absurde que les Juifs crussent à la réalité de ce qui était écrit sur un Iduméen, parfai- tement'inconnu dans leur pays, et prétendaient que ce n'était qu'une fable inventée pour amuser les Israélites dans le désert, Jésus raconta aux élèves de l'école les faits dans toute leur vérité, à la façon tout à la fois — 504 — d'un prophète et d'un maître : on eût dit que c'était sa propre histoire ; qu'il avait tout vu et tout entendu, ou que Job en personne lui avait tout raconté : on se de- mandait s'il avait vécu dans ce temps-là, s'il était un ange de Dieu ou Dieu lui-même. Les enfants furent moins frappés de ce récit ; ils avaient intérieurement senti, dès l'arrivée de Jésus, que ce devait être au moins un prophète. Ils se souvenaient qu'on leur avait dit touchant Melchisédech que nul ne savait ce qu'il était. Jésus alla ensuite visiter l'école des jeunes filles. Elles se livraient alors à un travail qui avait pour objet de calculer l'époque où devait paraître le Messie : toutes leurs recherches aboutirent à prouver que le temps de se venue était arrivé. C'est à ce moment que Jésus entra dans l'école avec ses disciples, et cette coïncidence émut vivement les jeunes filles. Il les enseigna sur ce sujet et le leur expliqua clairement. Il dit que le Messie était déjà venu, mais qu'on ne le connaissait pas. Il parla du Messie inconnu, et montra que tous les signes qui devaient l'annoncer étaient accomplis. Quant aux pa- roles : « La Vierge concevra et enfantera un fils », il ne donna aucune explication, déclarant qu'elles leur se- raient trop difficiles à comprendre. Jésus engagea son jeune auditoire à se considérer très heureux d'être né à l'époque après laquelle les patriarches et les prophètes avaient soupiré pendant des siècles. Il parla aussi des persécutions et des souffrances du Messie, et leur expli- qua les passages qui en font mention. Après cela, il entretint les jeunes filles de Jean, et leur demanda si elles ne désiraient pas être baptisées ; puis il leur raconta la parabole de l'enfant prodigue et celle de la drachme perdue. Pendant qu'il faisait cet enseignement, les maîtres de l'école et des pharisiens y arrivèrent, et se scandalisèrent de ce que le Sauveur rapportait tout à lui-même. Jésus prit ce même jour un repas chez les lévites : et le soir il alla se promener avec eux et avec les enfanta — 505 — aux environs de la ville. Les petites filles le suivirent ; elles étaient conduites par les plus grandes ; parfois le Seigneur s'arrêtait pour leur donner le temps de le rejoindre ; il laissait alors les jeunes garçons aller en avant. Il ne cessa pas de les instruire par des compa- raisons empruntées aux arbres, aux fruits, aux fleurs, aux abeilles, aux oiseaux, au soleil, à la terre, à l'eau^ aux troupeaux et aux travaux de la campagne. Ses pa- roles adressées aux jeunes garçons furent d'une beauté ineffable. J'en ai oublié les détails. Je me souviens qu'il fit mention de Jacob et du puits que le saint patriarche avait creusé en ce lieu. Il leur dit comment l'eau vivei jaillissait maintenant vers eux ; il leur expliqua ce quo c'était que combler les puits, comme l'avaient fait les ennemis d'Abraham et de Jacob ; et il leur donna la signification de ces figures. Ainsi faisaient ceux qui vou- laient étouffer l'enseignement et les miracles des pro- phètes. Il désigna clairement par là les pharisiens. Je vis encore le lendemain matin le Sauveur dans l'école d'Abelmehola ; les petites filles se pressaient au- tour de lui, lui prenaient la main et s'attachaient à ses vêtements. Il se montra très affectueux envers les en- fants et les exhorta à l'obéissance et à la crainte de Dieu. Les plus grands se tenaient plus à distance. Les disciples qui accompagnaient le Sauveur étaient un peu embarrassés et inquiets ; ils désiraient qu'il se retirât. Ils partageaient les sentiments des Juifs ; ils croyaient que cette familiarité avec les enfants ne convenait point à un prophète, et pouvait nuire à sa réputation. Jésus ne fit aucune attention à eux. Après avoir caté- chisé les enfants, exhorté les adultes et fortifié les maî- tres dans le bien, il ordonna à un de ses disciples de faire des présents aux petites filles : on leur donna des pièces de monnaie, et chacune, si je ne me trompe, reçut deux drachmes. Enfin il bénit tous les enfants ensemble, et quitta Abelmehola pour se diriger du côté du levant, vers le Jourdain. ^506 — CHAPITRE XXXI Prédications de Jésus à Bezer. Jésus enseigna encore, pendant la route, divers grou- pes de laboureurs et de bergers. Ces braves gens ser réunissaient pour l'entendre autour de leurs cabanes, qui étaient isolées dans la plaine. Aussi Jésus n'arriva- t-il que vers quatre heures de l'après-midi devant Bezec, qui n'était pourtant qu'à deux lieues d'Abel- mehola. Bezec, petite ville située près du Jourdain, est partagée en deux par un ruisseau qui se jette dans le Jourdain. Le pays est plein de sinuosités, et les mai- sons sont séparées les unes des autres. Les habitants,, laboureurs pour la plupart, vivent isolés, et ne cul- tivent qu'avec grand'peine leur sol ingrat et escarpé. Jésus entra dans une hôtellerie placée devant la ville ; c'était une de celles qui lui avaient été préparées par les saintes femmes de Béthanie et la première qu'il eût rencontrée dans ce voyage. On y avail placé un homme pieux qui vint au-devant du Sauveur et des disciples,, leur lava les pieds et leur offrit des aliments. Jésus en- tra ensuite dans la ville, où il fut reçu par les maîtres- de l'école. Il visita diverses familles et il guérit plu- sieurs malades. Il y a ici plus de trente disciples de Jérusalem et des environs ; ils sont venus avec Lazare ; îl y a aussi plu- p^^urs disciples de Jean. Quelques-uns même de ces der- niers venaient directement de Machérunte, portant un iDopfange de leur maître pour Jésus. Il le faisait prier avec instance de se révéler d'une manière plus éclatante et de dire plus hautement qu'il était le Messie. Tous ces disciples et amis de Jésus prirent avec lui lUne réfection et passèrent îa nuit dans la nouvelle hôtel- — 507 — lerie, Lazare et les saintes femmes avaient eu soin de la pourvoir pour eux d'ustensiles de cuisine, de tapis, de couches, de vêtements et de sandales. A l'entrée du désert de Jéricho, Marthe possédait une maison où des femmes réunies par elle préparaient, sous sa direction, toutes sortes d'objets de ce genre. Elle recueillait ainsi et faisait travailler de pauvres veuves et d'autres per- sonnes tombées dans l'indigence : mais ces œuvres s'ac- compiissaient en silence et à l'insu de tous. Ce n'était cependant pas un petit travail que de tenir prêts des logements pour tant de personnes, de veiller sans cesse à toutes choses et de tout inspecter par soi-même ou par ses envoyés. Le matin, Jésus, du haut d'un monticule situé au milie.i de la ville et où les habitants avaient préparé une chaire, fit une grande instruction. Ses auditeurs étaient nombreux, et parmi eux se trouvaient une dizaine de pharisiens venus des environs pour l'espion- ner. Son enseignement fut plein de douceur et de charité pour ce peuple, qui était naturellement bon et déjà amélioré du reste par la prédication et le baptême de Jean. Il les exhorta à se tenir contents de leur humblunté envers les malades et les pauvres 494 XXX. — Jésus visite l'école d'Abelmehola. — Détails remarquables sur l'éducation au temps des pa- triarches 498 XXXI. — Prédications de Jésue à Bésec 606 Paris. — Imp. P. Téqoi, 92, rue de Vaugirard. im V I > BT 303 .E4514 1922 v.l SMC Emmerich, Anna KAtharina, Visions d 'Anne-Catherine Emmerich sur la vie de Notre 47230816 .■/^.. .»■•■<■■-, /v^' Hi-* feM^